Présentation de l'exposition
La Comédie des Alpes est une de ces nombreuses troupes de l’après-guerre qui ont joué un rôle important dans la mise en place du réseau des Centres dramatiques nationaux et dont le souvenir s’efface à mesure que les générations de spectateurs se renouvellent. La troupe permanente que dirigèrent le metteur en scène René Lesage et le scénographe Bernard Floriet est pourtant le maillon qui fait le lien entre deux moments importants de l’histoire de la décentralisation théâtrale, évoqués en détail dans le dossier Maison de la Culture de Grenoble. 1968 : un édifice, des utopies (Revue d’Histoire du Théâtre, automne 2018, n°279) : l’échec de l’aventure des Comédiens de Grenoble, qui conduisit Jean Dasté, faute de soutien municipal, à s’installer à Saint-Etienne en 1947, et l’inauguration par André Malraux, à la veille de l’ouverture des Jeux Olympiques d’Hiver de 1968, d’une vaste Maison de la Culture dotée de plusieurs salles de spectacles, qui allait bientôt héberger un Centre Dramatique National, puis un Centre Chorégraphique National, avant de devenir une Scène Nationale, rebaptisée MC2: en 2004.
Dans le courant de l’année 1960, Jean Dasté détache en effet à Grenoble, à la demande d’une association de spectateurs militants, ACTA (Action Culturelle par le Théâtre et les Arts), plusieurs membres de la Comédie de Saint-Etienne : René Lesage, Bernard Floriet et Marc Netter, qui quittera bientôt l’aventure pour aller diriger la Maison de la Culture du Havre. La troupe qui naît à l’automne 1960 reçoit le soutien du tout nouveau ministère des Affaires Culturelles, et bientôt subventionnée par la municipalité et agréée par le rectorat, elle s’installe en 1961 dans un amphithéâtre du lycée Stendhal. En 1968, elle prend ses quartiers dans la Maison de la Culture construite par André Wogensky, et se voit implicitement affectée à l’animation du « théâtre mobile », la salle expérimentale inspirée des idées de Jacques Poliéri.
Ce déménagement vient récompenser l’action exemplaire menée pendant la décennie précédente : mises en scène de qualité puisant dans le répertoire classique autant que dans les écritures contemporaines, animations nombreuses envers les publics scolaires et activité « décentralisée » importante en Isère. La troupe, qui dispose désormais d’outils et moyens sans équivalents avec ceux dont elle disposait précédemment, accède au rang de Centre dramatique national en 1973. Mais l’institutionnalisation ne va pas sans son lot de difficultés : non seulement le prototype architectural, où une scène annulaire vient entourer le gradin rotatif dédié aux spectateurs, s’avère très contraignant, mais, plus généralement, la demande de renouvellement esthétique formulée dans le sillage de mai 1968 vient bousculer, parfois durement, une génération formée au « théâtre de tréteau ». La troupe a beau faire appel à d’autres metteurs en scène, son mandat n’est pas renouvelé en 1975, au profit d’un tandem constitué de Gabriel Monnet et de Georges Lavaudant. Le Centre Dramatique des Alpes est rebaptisé Centre Dramatique National des Alpes, tandis que les membres de la Comédie des Alpes se dispersent.
Cinquante ans plus tard, si la Comédie des Alpes apparait toujours en bonne place dans les ouvrages centrés sur la politique culturelle nationale, à l’instar de Renouveau et décentralisation du théâtre – 1945-1981 de Pascale Goetschel, force est de constater qu’il est difficile de se faire une idée précise de l’esthétique qu’elle défendait et du type de mise en scène qu’elle promouvait. Cette exposition virtuelle entend ainsi donner un aperçu de traces relatives au travail de création scénique que le hasard et le temps ont dispersées, et dont certaines ont été préservées, mais pas nécessairement répertoriées, dans des institutions très diverses : le département Arts du Spectacle de la BnF, qui est le seul à disposer d’une collection exhaustive des programmes des spectacles donnés entre 1960 et 1975 ; les Archives Départementales de l’Isère (ADI), qui ont hérité des archives du CDNA lorsque celui-ci a fusionné avec la MC2: en 2013, et qui ont récupéré à ce titre un fonds photographique important ; et enfin le Musée Dauphinois, qui a conservé dans ses entrepôts une série de costumes et de maquettes scénographiques dont certaines n’ont été identifiées que récemment.
Dans la sélection d’images présentées ici, que l’on pourra compléter en consultant les photographies et affiches de spectacles qui ont été mises en ligne sur le site internet de la MC2:, l’accent a été mis sur des documents et objets peu accessibles, dont on espère que la matérialité pourra redonner corps à la vie de la compagnie, à ses productions théâtrales mais aussi à son incessante activité d’animation en direction des publics éloignés du théâtre. Comme le disait Henri Rabine, dans La Croix du 5 mars 1976, la mort de René Lesage était de celles qui font « peu de bruit dans le Tout-Théâtre », lui dont l’« activité n’intéressait guère les échotiers parisiens », alors même qu’« il rayonnait – discrètement mais il rayonnait – dans la décentralisation de son humilité intelligente, de sa gentillesse têtue ». Prospectus, programmes, albums photographiques, maquettes scénographiques apparaissent ainsi comme autant de vestiges sensibles susceptibles de nous aider à appréhender l’œuvre disparue de cette génération « discrète » de la décentralisation.
Exposition réalisée par Alice Folco, avec le soutien avec le soutien de la SFR Création et de l’UMR LITT&ARTS de l’Université Grenoble Alpes.