Entretien avec André Fabrice Glenn Renaud

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Dublin Core

Titre

Entretien avec André Fabrice Glenn Renaud

Créateur

Yasmine Benaddi

Éditeur

Alice Folco

Public visé

private

Date

14 mai 2024

Contributeur

André Parent (régisseur principal), Renaud Gille (technicien cintrier), Fabrice Zitoli (intermittent) et Glënn Keon (intermittent)

Sound Item Type Metadata

Transcription

Cet entretien a eu lieu le 14 mai 2024 au Théâtre 145 lors du montage du spectacle Koulounisation de Salim Djaferi. Cette discussion s’est tenue avec André Parent (régisseur principal), Renaud Gille (technicien cintrier), Fabrice Zitoli (intermittent) et Glënn Keon (intermittent). Pour faciliter la lecture, la retranscription est lissée et les initiales sont utilisées.

Y : Voilà, déjà c'est bien, on attaque la première question. Vous répondez ou ne répondez pas, mais s'il y a un moyen de me dire votre nom, prénom et l’âge que vous avez, si vous en avez envie. Et si possible, m'expliquer quel parcours vous a amené à travailler ici. C’est possible de parler assez fort.

A : Moi c'est André, André Parent, j'ai 55 ans. Je me suis retrouvé dans le théâtre un peu par hasard, j'ai vu de la lumière, je suis rentré. Ce n’est pas aussi rapide que ça mais pas loin. Et en termes de parcours, j'ai commencé, j'avais aux alentours de 21 ans à peu près. J'ai été 25 ans intermittent du spectacle : 4 ans dans ma région d'origine qui est la Touraine et le reste dans ma région d'origine de maintenant, à savoir le Grenoble. Et quand j'étais intermittent, j'ai beaucoup travaillé en danse, toujours en technique, à chaque fois j'ai été technicien. J'ai fait régie plateau, régie vidéo, un petit peu de son sous la torture, de la machinerie, beaucoup de régie lumière, de la création lumière, régie générale, assistant à la régie générale, régie principale de site. J'étais cariste aussi à une période, agent de sécurité aussi, incendie, ça on l'est tous de fait, mais certaines fois j'ai exercé dans ce domaine-là en tant qu'intermittent. Et depuis bientôt huit ans, en septembre ça fera huit ans, je suis passé permanent. Les six premières années, j'étais régisseur. Et maintenant, depuis deux ans, je suis régisseur principal au TMG donc sur les trois théâtres : le Théâtre de Poche, le Théâtre 145 et le Grand Théâtre. Voilà, je mesure 1m78,5. (rires)

F : Alors, moi, c'est Fabrice Zitoli, j'ai 47 ans. Et comment je suis arrivé ici ? En fait, j'ai plutôt un parcours artistique de base, donc musicien et comédien. J'ai commencé par faire du spectacle pour enfants avec des compagnies, etc. J'ai pas mal tourné. Et des concerts aussi pour enfants et des concerts pour les grands, etc. J'étais pas mal sur scène. J'avais envie de voir l'envers du décor, donc j'ai fait une formation de technicien du son. Par contre, je n'ai pas commencé tout de suite à travailler dans l'intermittence parce que j'étais employé dans une autre entreprise. Coup de bol, ça s'est très mal passé. Du coup, je me suis dit « qu'est-ce que tu aimes faire dans la vie ?» et je suis parti là-dedans à fond. Du coup, je suis devenu intermittent comme ça. Effectivement, après, ça m'a permis de… de faire tous les métiers qui sont dans le spectacle en gros quoi. Je n’ai pas vraiment de spécialisation et j'ai pris un petit peu tous les jobs qu'on me proposait et j'ai accepté...

(rires)

J'ai accepté parce que j'avais envie de voir et j'avais soif d'apprendre aussi donc ça m'a amené aussi à travailler au théâtre puisqu'il y a pas mal de choses à faire dans tous les domaines.

A : Effectivement, j'ai oublié de préciser que j'ai beaucoup bossé dans l'Anse, mais pas que en fait. J'ai aussi bossé pour des boîtes de prestation, pour de l'accueil en salle, pour des compagnies de théâtre, pour des festivals, pour des musées, pour plein de trucs différents. À peu près.

Y : On retrouve souvent un parcours comme ça dans ces milieux-là.

R : Moi, c'est vachement plus original, tu vas voir. Au début, le projet, c'était d'être unerockstar. Ça a très rapidement échoué. (Rires.) Du coup, j'ai fait des études de tailleur de pierre, donc de formation, je suis tailleur de pierre. Ça n'a pas eu lieu parce que ça faisait beaucoup de poussière et que ça avait fini par me gonfler aussi. Et puis chantier, un truc très viril, qui m'a rapidement renflé aussi. Et j'ai fait plein de choses dans des domaines divers et variés pour me retrouver dans un service à la ville de Grenoble, qui était la propriété urbaine, où je suis resté quand même quelques années. C'était très alimentaire comme travail au niveau du public. Moi, je ne m'y retrouvais pas du tout. Et à la suite d’un atelier mobilité... ça fait un lien avec mon projet de rockstar (rires). J'avais quand même envie de me rapprocher,fréquenter au quotidien des gens, qui soient plus dans une sensibilité proche de la mienne. J'ai fait aussi de la danse, j'ai fait de la musique depuis longtemps. Du coup, je me suis retrouvé à faire un atelier mobilité au sein du TMG à la ville de Grenoble. Et puis ça a marché, parce que le cintrier partait peu de temps après et j'ai pris sa place. Voilà. Donc ça va faire cinq ans. Ça va faire cinq ans que je suis au TMG et je n’ai pas vu le temps passé, donc ça va. J'ai vraiment une expérience particulière du spectacle parce que c'est vraiment inhérent au TMG. Je ne sais pas ce que c'est que la vie d’intermittent. Ça me fait un peu envie, ça me fait un peu flipper en même temps, Rock'n'roll, mais pas trop. Parce que ça fait quand même un bout de temps que je suis fonctionnaire, attaché un petit peu à... Déjà parce que je suis attaché à la fonction publique pour de vrai. Et parce que je trouve que... Et puis qu'en ce moment, ça me fait un peu flipper avec... J'aimerais bien un petit peu partir à l'aventure, aller faire un peu que ce soit ce qu'ils ont fait, du road, voir d'autres choses. Et en même temps, on voit quand plein de choses. Ça fait cinq ans et j'apprends encore tous les jours parce que, en lumière, tu pourrais, tu m'arrêtes si je me trompe, mais tu pourrais apprendre EOS, par exemple, c'est vaste. Tu peux, tu pourrais te poser dessus, je pense, pendant des heures et des heures et apprendre encore. En fait, j'apprends tous les jours, que ce soit au plateau. Il y a des choses qui m'intéressent plus. Alors que je viens initialement du son. Je m'aperçois que la technique en son, ça me gonfle un peu. Et je trouve que la lumière, c'est presque plus intéressant. Voilà, je crois que je t'ai dit à peu près l'essentiel.

G : Moi, du coup, je m'appelle Glënn, j'ai 28 ans. J'ai grandi dans une famille d'artistes et artisans sculpteurs. Depuis que j'étais minot, j'étais sur les routes d'Europe avec ma mère pour monter des vernissages, sculptures sur verre, béton et glace. On l'a un peu fait en Norvège, on avait quelques plans comme ça. Quand je suis devenu adulte, je savais que j'avais un vague désir d'aider les artistes. C'était un peu l'objectif très flou. Je suis parti en licence arts du spectacle, quitte à ne pas être dans les arts plastiques, mais aller plutôt dans le spectacle. Au bout de trois ans, j'ai trouvé que... A la base, j'y allais pour le cinéma parce que j'avais vu un film super et me suis dit « c'est un truc bien le cinéma ». Au bout de trois ans de licence d'artsdu spectacle en cinéma, j'ai trouvé que c'était un milieu nauséabond et j'ai voulu partir vers le théâtre et le spectacle vivant. J'ai fait un master en culture et médiation des arts du spectacle.J'ai enchaîné le travail dans des scènes de musiques actuelles, des salles de concert. D'abord en production et assez rapidement, j'ai vu que le plateau, la partie technique m'intéressait. Et donc là, depuis cinq ans, j'ai enchaîné les expériences, j'ai fait un petit peu de régie généralede salle polyvalente au Danemark, dans une communauté. Tout petit équipement, vraiment, c'était très minimal, mais j'ai adoré le temps que j'ai passé là-bas. Et quand je suis revenu en France, j'avais un peu travaillé dans la fonction publique pendant deux ans à la Ville de Nantes, dans un pôle événementiel qui faisait de l'action culturelle autour des archives,patrimoines et autres. Pareil, j'ai continué à faire de la technique aussi en action culturelle à Lorient pendant un temps. Et puis, j'ai vu que je voulais faire de plus gros événements et je suis parti en formation de régie générale à Issoudun en 2023 pour reprendre toutes mes bases, revoir mes habilitations, les formations de sécurité, me faire un réseau sur mesure. Et là, depuis, je suis arrivé à Grenoble pour travailler en boîte de prestations, donc RCube, où je fais beaucoup de plans de régie générale. Et je voulais aussi continuer à faire de la technique pure et dure. Donc, ici au théâtre, il y a énormément à apprendre sur la lumière que j'aime de plus en plus. Et je fais aussi des plans road, en stade ou aussi pour Musique Plus ou à droite à gauche à Grenoble-Lyon.

Y : Alors quand on dit métier technique, ce sont des métiers très corporels, il faut réfléchir, il faut avoir ses habilitations en sécurité, il faut faire attention à beaucoup d'éléments, il faut être concentré. Ça implique énormément le corps, pouvez-vous me citer des mouvements que vous êtes amenés à faire, ou des endroits où vous sentez que vous avez beaucoup utilisé, des sons qui vous restent du travail ou autre enfin tout ce qui est langage sensible ?

R : Moi j'ai 45 ans, je n'ai pas précisé, donc tout a été trop utilisé. Tout mon corps a été trop utilisé. (Rires.) Après, comme tu as visité le cintre, il y a un aspect quand même un peu clairement physique au truc. Tu peux te douter de... C'est plus finalement quand il faut... charger une perche, c'est-à-dire la ramener au plateau. Je ne sais pas si tu as capté comment ça fonctionnait, c'est un peu contrebalancé, c'est un peu contre-intuitif, quand tu veux faire descendre la perche, il faut que je tire sur ma garde et c'est finalement le truc le plus physique. Parce que quand elles sont vraiment appuyées et qu'elles sont là-haut, c'est une histoire d'équilibre. Donc l'équilibre, c'est toujours un compromis, ça sera à l'équilibre quand tout le système avec les trucs sera au milieu. Mais quand t'es en haut, il faut la tirer quand même un peu. C'est un peu ce qu'il y a de plus physique.

G : Tu parlais des sons. Je pense direct, aux coups de marteau sur de la ferraille, sur des ponts de structure.

A : Moi aussi.

R : Ça, ça fait mal.

: J’ai toujours mes bouchons d’oreille ceci dit !

G : Hyper, hyper dangereux pour les oreilles.

R : C'est l'enfer, ça.

Y : Bouchons d'oreilles, t'as dit ? Je n’ai pas entendu les mots avant.

R : Tu as besoin d’une correction d’oreille ?

Y : Ouais, j’ai les oreilles claquées (rires).

R : Ouais, j'ai des bouchons d'oreilles.

Y : Tu as toujours des bouchons d'oreilles.

G : Pareil, j'en ai pris des moulés. C'est un son hyper dangereux.

F : Ils sont toujours dans ma poche. J'ai des bouchons d'oreilles de musicien.

R : Et moi, je le vois, ils sont moins habitués, les collègues, qu'en prestation, je pense. Et des fois, quand on a un pont à monter, ils n'hésitent pas. Des fois, tu sais, ils appuient sur les trucs, alors que personne n'a les bouchons d'oreille. Et moi, je suis là « oh ! » Ah ouais, je trouve ça super désagréable. C'est super vénère comme son.

A : Visiblement, ce n’est pas tout le temps le cas pour tout le monde. La plupart du temps, on est vigilant avec ça. Quand on fait des travaux ici et qu’on sort le perforateur, on prend le temps d’aller chercher les casques anti-bruit et on s’équipe pour notre sécurité.

: Je le prends pour moi et je le prends pour les collègues aussi.

F : Pour moi, c’est l’endroit (TMG) où l’on fait le plus attention aux autres. Mais quand on bisse en prestation avec des camions et tout, il y a tout ce qui est chargement, déchargement de camions, ça fait du bruit aussi, déplacer des caisses, des rampes, de la ferraille, tout ça.

A : La prestation, c’est le pire.

R : Je ne sais pas si ça a un lien parce qu'on est justement dans la fonction publique et qu'on prend plus le temps, mais je sais que notre N+2, notre supérieur hiérarchique, il est quand même… Je pense qu'il a une vraie sensibilité pour ce qui est de l'endroit de la sécurité à tout point de vue, incendie…

A : Tout à fait. Et puis il ne faut pas oublier que dans le code du travail, l'employeur est garant de la sécurité, de la santé physique et morale de ses employés.

R : Mais ce n'est pas pour ça que tout se passe bien sur un lieu de travail. Tu vois, s'il y a un objectif à atteindre...

: Moi, le pire de ce que j'ai vécu, c'est en prestation. Et ça allait parce que j'en faisais qu'une fois de temps en temps. C'est aussi parce que je ne voulais pas en faire plus qu'une fois de temps en temps. Ce sont les conditions de travail qui ne me vont pas. Quand je te disais tout à l'heure, quand tu câblais, quand je te disais pour rigoler on n'est pas chez machin. Et je ne donne pas de nom du coup (rires). On n'est pas chez machin, fais ton câblage propre. Je pense à la prestation, effectivement. Parce qu'en prestation, il faut que ça aille vite. On s'en fout que les câbles soient tirés n'importe comment. Ce qu'on cherche, c'est que ça aille vite. Ici, ce n’est pas ce qu'on cherche, on cherche autre chose en plus.

G : Ici, je remarque qu'il y a aussi un soin du matériel qui est différent. Vu que vous avez un matériel qui est utilisé toute l'année pour un lieu. Il y a un rapport très différent à la prestation.

R : Oui, ce n'est pas grave, c'est cassé, on remplace.

 

G : Ça finit par devenir consommable, car n'importe qui va toucher mille fois à mille câbles. C'est trop dur de superviser le matériel que l'on utilise.

A : Pour répondre à ta question, moi, 55 ans, je l’ai précisé tout à l'heure, assez bizarrement, j'ai mal nulle part. Il y a eu des moments où j'ai eu mal au dos. Donc je dirais que pour moi, ça a été les oreilles, mais j'ai des oreilles qui ont 55 ans aussi, donc je suis appareillé depuis peu de temps pour ça, mais avec un trouble assez faible de l'audition finalement. Bref, mais je n’ai pas eu, contrairement à ce que je pensais, d'accident sonore sur toute ma carrière. On parlait du métal, les larsens sur les... ou les enceintes qui marchent trop fort à certains moments, ça peut être terrible aussi. Et pour le reste, je dirais le dos et les bras essentiellement. Mais en même temps bizarrement, plus je vieillis, moins j'ai mal. Mais ça s'explique par plusieurs raisons. La première, je suis de plus en plus sportif aussi. Je fais de plus en plus, à titre personnel de sport, du vélo, de la rando, des choses comme ça. Donc je suis toujours très actif, ce qui entretient une forme physique. Dans le temps, mes fonctions ont évolué aussi et je fais moins de trucs physiques, je fais plus faire. Je suis plutôt à diriger, à organiser, même si ça m'arrive encore fréquemment de monter à l'échelle, bien évidemment, mais ça contribue. Du coup, je sollicite moins mon organisme que je sollicitais quand j'avais 30 ans.

F : En fait, on a tous une sensibilité différente. On peut avoir mal ou pas. En fait, on a quand même de la pénibilité au travail si on en parle. Mais après, si on sait s'y prendre, forcer correctement, en se tenant bien droit, se forcer sur les jambes, tout ça, on peut se préserver. Il n'y a pas de problème.

: Ça m'arrive très souvent de dire ou de vous dire « le gros truc qui est là, on va le prendre à deux ». Toi et moi, on sait qu'on peut le prendre tout seul. On n'a rien à prouver, on n'a rien à montrer. On va le prendre à deux. Ça va être beaucoup plus facile. Il n'est pas très, très lourd, mais à deux, ce sera encore mieux. Et moi, je n'hésite pas du tout. Je n'ai plus rien à prouver. Je n'ai pas besoin d'être le cow-boy qui arrive à... C'est bon, je sais où j'en suis par rapport à moi. Je n'ai rien à prouver. On arrive à des âges où on arrive plus facilement à faire travailler le cerveau que les bras ou le dos. Donc réfléchissons avant de travailler et ça ira mieux. Un des aspects aussi qui fait que j'ai moins mal maintenant, c'est que j'ai eu, à ma demande, j'ai fait la formation qui s'appelait avant Geste et Posture, qui s'appelle, je ne sais plus comment maintenant, ACRA, ACPA, enfin bon bref, c'est le nouveau nom de Geste et Posture. Et donc c'était il y a un certain nombre d'années déjà, c'était il y a 6-7 ans dans ces eaux-là. Donc j'ai tout oublié, bien évidemment, sauf un truc qui m'est resté.

R : Plier les jambes !

A : Non, ce n’est même pas plier les jambes. Un truc, il y a un truc à se souvenir, vous l'appliquez là, mais surtout toi qui es jeune, tu l'appliques dès maintenant, c'est la tête doit toujours être dans la zone de sustentation. La zone de sustentation : c'est l'appui au sol. Si, j'ai ça comme appui au sol (il nous montre), ma tête, elle doit être dedans. Si je sors ma tête de ça, je vais me faire mal au dos. Donc si je veux avoir la tête qui est ici, je vais prendre un appui au bras et ma zone de sustentation devient tout ça. Et je mets ma tête là-dedans. Même quand je me brosse les dents, je mets la main sur l'évier pour me rincer comme ça. Et depuis que je fais ça, je n'ai quasiment plus jamais mal au dos. C'est passé par de la formation.

Y : Est-ce que vous pensez qu'entre le contrat intermittent ou un contrat de fonctionnaire, ça joue sur la qualité du travail ou pas ?

F : Ça dépend où on sera engagé.

Y : C'est intrinsèquement lié à l'environnement dans lequel on travaille ?

R : Oui. Bien sûr que pour moi, il y a une énorme différence. Ne serait-ce que tu parlais d'architecture des lieux, des choses comme ça. Je ne pense pas qu'on vive de la même manière notre environnement de travail, tout simplement. Tout simplement parce qu'ils passent, un jour ils sont là, l'autre ils sont là. Nous on a ce truc un peu plus routinier où on est toujours dans les mêmes murs. Il y a trois lieux pour le TMG, qui vont être le Grand Théâtre, ce lieu-là (145) et le Poche. Donc s'il y a des problématiques récurrentes à ces lieux, on senprend possiblement un peu plus dans la gueule. Et puis d'un point de vue organisationnel, la hiérarchie...

F : C'est vrai que nous, en tant qu'intermittents, on est de passage dans les entreprises, dans les structures, etc. Donc effectivement, tout ce qui se passe en interne. Ça n'est pas de notre ressort. C'est sûr qu'on n'est pas touché de la même manière. On fait le job et ensuite on change d'employeur. En gros, c'est ça.

G : On est de passage, et des fois, dans des lieux de passage. Genre, des lieux qui sont temporaires, des festivals, des zéniths qui sont des boîtes vides où tout est arrivé au matin.

F : C'est ça, c'est le spectacle vivant dans toute sa splendeur. On monte le show et une fois qu'il est fini, on débarrasse et ciao, c'est fini.

R : Moi, c'est ce côté un peu léger qui, des fois, me fait vachement envie. Donc il y a un peu moins de problématiques qui peuvent être récurrentes, liées à une structure ou à une forme hiérarchique ou à l'organisation.

F : C'est vrai qu'on peut avoir une sensation de liberté du fait qu'on ne voit pas aussi les mêmes têtes tous les jours.

R : Et il y a un côté angoissant aussi.

F : On a plein de collègues différents, on a plein d'environnements différents.

R : Et vous avez d'autres angoisses qui sont : il faut qu'on ait du boulot !

F : Voilà, on n'est pas liés quelque part mais on a effectivement l'angoisse entre guillemets. Parce qu'après une fois que t’es installé, tu vas trouver du job.

R : Une fois que tu as du réseau et tout… (rires)

A : Je vais répondre à mon tour. Et puis je suis très bien placé pour répondre à cette question vue que j'ai vécu de longues années les deux, les deux côtés. Je suis le seul de nous quatre à avoir connu vraiment les deux longtemps. Ce ne sont pas du tout les mêmes rythmes. Ce n'est pas du tout la même qualité de vie. Et à titre personnel, chacun voit midi de sa porte, je trouve que c'est beaucoup plus simple et beaucoup plus respectueux de l'organisme d'être permanent que d'être intermittent. Après, quand j'étais intermittent, je bossais beaucoup. Je bossais vraiment beaucoup.

: Oui, mais trop peut-être. C'est ça qu'il ne dit pas.

: Hein ?

Y : Peut-être trop ?

R : Tu bossais trop à un moment donné. Tout le monde le dit. C'est ce qui se dit dans le milieu.

F : Ouais !

A : Je ne pense pas. Mais non, ça fait trop longtemps que je suis parti.

R : Oui, mais vraiment, c’est ce que j'ai entendu, que tu bossais beaucoup. Tu étais là, des fois, angoissé à ne pas faire tes heures, alors qu'en fait, le mec, il piquait le boulot de tout le monde en fait.

A : Donc, effectivement, je bossais beaucoup. Et quand je suis passé permanent, la première chose que j'ai vue et, que je n'avais pas du tout imaginée avant de l'être, que j'ai trouvée ; le soir, quand je quitte le théâtre, si j'ai envie d'y penser, j'ai le droit, mais si je n’ai pas envie d'y penser, j'ai aussi le droit. Alors que quand t'es intermittent, t'as toujours un pied dedans, t'as toujours le téléphone près de toi, t'as toujours un mail, tu checks toujours ceci, tu dois toujours relancer tel truc. En plus, tu travailles avec des compagnies, il faut que tu penses à faire les adaptations de plans de feu, les envoyer, contacter les régisseurs qui vont t'accueillir, recontacter la compagnie. T'es toujours dedans, t'es toujours dedans.

F : C’est clair !

G : Parfois, t’as plusieurs plans !

: Et puis, quand on est permanent, le code du travail est très clair, on doit avoir ce 11h minimum entre une fin de service et une prise de service. Ça veut dire par exemple, demain soir on finit à minuit, ou le lendemain et après-demain, on revient. Et on n'a pas le droit de reprendre le service avant.

Quand tu es intermittent, le même code du travail s'applique, sauf que tu changes d’employeur. Donc ça annule tout. Le nombre de fois où je me suis retrouvé à finir des montages à 2 ou 3 heures du matin et attaquer des montages ailleurs à 7 ou 8 heures du matin. En gros, j’avais le temps de faire la route, pour passer d'un lieu à l'autre et je dormais. Ça ne m'est pas arrivé souvent, mais ça m'est arrivé de dormir une demi-heure sur le parking avant de rattaquer une journée de boulot. Et quand tu es intermittent, tu rattaques la journée de boulot, tu ne peux même pas dire que je suis fatigué de la veille. C'est une nouvelle journée, il faut renvoyer, il faut y aller au carton.

Alors bon, peut-être que je travaillais trop, c'est possible, mais...

G : C'est vrai qu'il y en a qui gère…

F : Mais ça existe encore ! On le fait encore.

A : Mais le fait que je travaille trop, pour avoir été longtemps... 25 ans intermittent, et que maintenant, à 55 ans, je commence à réfléchir à la retraite, tout ça, je ne regrette pas d'avoir trop travaillé parce que je ne me retrouve pas comme... J'ai des potes, j'ai une copine danseuse, qui a mon âge à peu près, et le dernier point à retraite qu'elle a fait, c'était... Le départ à la retraite pour l’avoir à taux plein, c'était 78 ans. Une danseuse, 78 ans.

R : Ouais, elle avait qu'à faire un vrai métier aussi.

(rires)

A : Alors que moi, je dois rajouter un an et demi par rapport à l'âge minimum pour être en permanence. Et ça, du coup, je ne regrette pas d'avoir autant bossé parce que si ça n'avait pas été le cas, il aurait fallu que j'aille beaucoup plus loin avant de pouvoir être à taux plein. Il y a des aspects... Donc on.

R : On est bientôt débarrassés de toi, en fait.

A : L’intermittence dont parlait Fabrice, mais... Tu disais quoi ?

R : Je disais qu’on est bientôt débarrassés de toi, ça y est, tu as 60 ans, 62, et puis...

 

A : Mais voilà, il n'y a pas que des aspects cools à être intermittent. Puis il faut toujours faire ses preuves. Et puis y a pas mal de bouches de vieilles dans ce métier aussi.

Y : De bouches de vieilles ?

R : Il y a beaucoup de... De langues de ****.

Y : Ah ok, c'était pour être sûre parce que celle-là… Des bouches de vieilles

A : Mais ça, ça marche de partout, je pense. Ça, c'est la vie de manière globale. Tu pourras aller n'importe où, je pense que tu retrouveras ce phénomène. Oui, sauf que dans certains cas, ça peut avoir vraiment pas mal d'incidence. Moi, j'ai vu des gars se faire blacklister. Oui, c'est ça. C'est parce qu'il y avait un mec qui était jaloux, qui est allé voir le régisseur général...

R : Ce n’est pas faux. Mais du coup, il y a un côté où le relationnel est encore un peu plus important, je pense, quand t'es intermittent. Faut faire attention, faut essayer de se fâcher avec personne.

A : Mais c'est le cas aussi quand t'es permanent parce que même si t'es sûr que le lendemain tu vas retrouver du boulot, surtout dans la fonction publique. Mais par contre, l’équipe, les Renaud, Laurent, François, Julien, Eric, tout ça, c'est mon quotidien maintenant, tous les jours je les vois. Si ça se passe mal et s'il y a une mauvaise ambiance, ça peut vite devenir l'enfer. Alors le lendemain on sera au boulot, on est sûr qu’on ne va pas perdre le boulot à causer ça. Mais si tu dois venir au boulot, à reculons, la boule au ventre parce que ça se passe mal avec tes collègues. C'est une horreur.

R : On a eu des phases qui étaient moins cool que d'autres. Et du coup, c'est vrai que quand t'es permanent, c'est plus lourd à porter.

: Oui. Côté intermittent, ça, tu sais que ça dure une journée, donc moi, c'est...

Y : Mais quand on est intermittent, on se retrouve quand même un peu corvéable à souhait parce qu’il faut pouvoir faire ses heures, il faut dire oui, peu importe que ça tombe bien ou pas.

A et F : Oui, c’est ça !

R : T'avais un terme tout à l'heure qui était... T'as utilisé... Quand t'es intermittent… On parlait des heures qui n'étaient pas rémunérées… de préparation justement. C'est de ça dont on parlait là, les heures de préparation.

 

A : Ça n'existe pas.

G : Non, je dis que les préparations, il y a des cas dans lesquels ils ne sont pas payés.

R : Moi ça me choque un peu. Du travail qui n’est pas rémunéré.

A : Il y en a beaucoup.

F : Et puis oui, effectivement, on a toujours une petite pression à dire non à quelqu'un qui nous propose du travail. Ben voilà en fait, on sait aussi que si on dit non 3 à 4 fois de suite, après, il va appeler quelqu'un d'autre, parce qu’il ne va pas forcément te remplacer par quelqu'un d'autre.

A : Et c'est comme ça que l'on se trouve des fois... Là, ça fait 18 jours que je travaille tous les jours, j'avais enfin un week-end et on me propose du boulot. Et je sais que lui, ça fait déjà trois fois que je lui dis non parce que je ne l'aime pas. Bon, ok, j'arrive et tu renquilles.

: C'est les coups de pression, en fait. Du coup, c'est vrai, tu vis avec ça.

R : Oui, il y a ce truc. Alors que nous, on est un petit peu protégé de ça. Il y a vraiment les deux aspects. Mais nous, il y a des problèmes de temps de travail à respecter, en tant que fonctionnaire. François, c'est quand même son truc, tu vois on parlait des 11 heures. Des 11 heures, entre chaque fin et début de service, il faut qu'on ait au minimum 11 heures. Et ça, c'est vraiment respecté.

F : Même les horaires ! Il y a un début, il y a une fin. Des fois, tu bosses sur des trucs et il n'y a pas de fin. La fin, c'est quand le chantier est terminé. Tu ne pars pas avant.

R : Moi, j'y tiens aussi. Des fois, peut-être un peu trop. Des collègues te diront que je suis peut-être un peu trop à cheval avec ça. Je n’oublie pas que je ne suis pas payé, moi je suis indemnisé en tant que fonctionnaire et je le vois bien, c'est une indemnité. On n'est pas au travail, on est en service.

A : C’est jouer sur les mots. C’est un salaire.

: Mais ce n’est pas jouer sur les mots, c'est vraiment ça, c'est le véritable terme. C'est ça un salaire ? (rires) Nom de dieu ! Je sais qu'il y a pas mal d'intermittents qui ont leur réseau et truc comme ça, il gagne mieux que moi quoi.

G : Après ce truc des horaires pour les intermittents, j'ai quand même envie de dire, vu que moi je suis un peu plus jeune, on m'a beaucoup dit avant que dans l'intermittence [...] Mais on m'a toujours dit, quand j'ai voulu entrer en intermittence, vu qu'avant j'ai fait peut-être 4 ans sur du CDD, que dans l'intermittence, on allait forcément faire plus d'heures que ce qui nous était dû. Et en vrai, dans les métiers type road, manut, runner, mes contrats étaient plus ou moins semblables à ce qui m'était mis sur le papier, genre boulot en stade.

R : Ouais, c'était bien payé. Parce que road, t'es bien payé.

G : Il y a quelques semaines, au Stade de Lyon, on me dit « Là, tu peux rester jusqu'à minuit. » « Ah non, je finis à 23h. » « Ah, dans ce cas, on te met sur le catering, t'as une pause d'une heure. » Bon, d'accord, c'est cool. Mais il y a quand même des plans dans ces taffs-là où je trouve que ce n'est pas aussi pire que ce qu'on m'a dit. Peut-être que ça s'est amélioré par rapport à auparavant.

A : Je pense que ça s'est un peu amélioré. Par contre... Regarde, un road chez Music Plus, j'imagine que ça n'a pas changé. Mais quand tu es assistant chez Music Plus, tu viens la veille, tu te fais la préparation, tu te fais le chargement du camion et tu n'es pas payé pour.Donc ça existe. Quand tu es régisseur de compagnie, ça n'arrive jamais que tu sois payé, ou il faut des très grosses compagnies pour quand tu fais des plans, quand tu réponds...

: J’allais dire que tous me plans régie, j’ai toujours éclaté mes heures sur les festivals.

Y : Alors, comme vous savez bien, pour beaucoup de métiers, on parle de féminisation. Donc, comment vous avez observé que les métiers techniques et le fait qu'il y a de plus en plus de femmes ? Et de deux, je pose aussi la question du corps masculin, parce que dans les métiers techniques, on choisit des corps d'hommes vaillants, forts. Il y a aussi... Alors, il y a des préjugés, en tout cas, sur les enquêtes que j'ai faites. On me l'a déjà dit, des gars vont postuler, ils ont plus de 60 ans, on fait, « ben non, on va plus prendre un jeunot ou... » Voilà. Donc, ça m'intéresse, mais pas de le poser sous le prisme homme-femme, dans le sens qu'il y a des clichés sur les corps, il y a la féminisation du marché du travail, de certains secteurs du travail. Donc, avec votre expérience et votre corps, un petit peu, votre sensibilité de tout ça. Enfin, ce que vous avez observé aussi, votre expérience.

A  : Je me jette à l'eau. Les sujets sensibles, c'est toujours moi qui commence.

Y : Mais ce n’est pas un sujet sensible.

F : Non mais ça va être dur de... de s'exprimer autrement qu'avec un comparatif ?

Y : Oui, peut-être, c'est possible. Je pense que c'est vraiment une question pour... Il y a un changement qui se passe à plein de niveaux, que ce soit la technologie qui arrive. Là, c'est aussi une fin de période pour les halogènes. On est dans une phase où...

F : Tu as raison. Après, effectivement, dans le milieu, il y a de plus en plus de filles qui travaillent dans le milieu. Après, je ne sais pas expliquer ça, moi.

Y : Je ne t'ai pas dit l'expliquer, ce que tu as observé, ce que tu as constaté.

A : Moi, ce que je ressens, ce que j'ai observé, c'est qu'il y a effectivement une féminisation du métier qui est en marche, qui pourrait aller plus loin, plus vite dans mon sens, mais qui est en marche et que je trouve que c'est très bien. Qu'un homme ou une femme ne va pas apporter les mêmes choses, c'est évident, mais comme moi je n'ai pas porté les mêmes choses que Fabrice va apporter. L'individualité, nos histoires vont faire qu'on va voir les choses sous un prisme différent. Et qu'il n'y a pas juste le prisme homme-femme, il y a plein d'autres prismes qui existent, et que ce soit pour le sexe ou pour l'âge, tu disais à 60 ans on va dire « non machin ». Je trouve que, maintenant, on est vachement moins dans l'ère du techoscow-boy que moi j'ai connu dans les années 90, où c'était vraiment les cow-boys, les machos, c'était le Ricard le matin. Ça, ça a de plus en plus disparu. Il y a de moins en moins d'alcool au travail et je trouve que c'est une très, très bonne chose. Nous, on ne va pas beaucoup au travail. On a le droit, le midi ça nous arrive, mais au boulot, l'UM, on n'a pas le droit déjà pour commencer.

Et puis je trouve qu'on a déjà bien assez d'occasions de se faire mal comme ça sans s'en rajouter. Et alors pour tout le reste, que ce soit homme, femme, jeune, vieux, avec de l'expérience, sans expérience, je pense que quand tu acceptes une mission et que tu la connais, tu acceptes de faire ce qui t'est demandé de faire. Que tu sois un homme ou une femme, jeune ou vieux. Et il y a effectivement dans nos métiers beaucoup d'aspects qui sont physiques. Il y a de la physique qui rentre en compte. Il faut pouvoir soulever les charges, il faut pouvoir être endurant, il faut pouvoir ceci et cela. Et une femme ne va pas être moins ou plus endurante qu'un homme ou plus forte qu'un homme. Il y a des femmes qui sont plus fortes que des hommes, des hommes qui sont plus forts que des femmes. Il y a des jeunes qui sont moins résistants que des vieux, des vieux qui sont moins résistants que des jeunes, tout ça. Mais à partir d’un moment quand tu connais le métier. Quel que soit mon sexe ou quel que soit mon âge, si on me demande de faire ça, je dois pouvoir être capable de le faire, je le suis ou je ne le suis pas. Voilà. Pour moi, ça se limite à ça.

Et après, là, on regardait que l'aspect force physique des choses. Mais il y a plein d'autres paramètres qui sont à prendre en ligne de compte. Nous, nos métiers, surtout en régie d'accueil, nos métiers, c'est 10% de technique, 90% d'humain. Nous, on gère de l'humain. Pour moi, c'est ce qui prime. C'est les rapports humains qui priment. Et peut-être que la moyenne des femmes va être moins physiquement forte que la moyenne des hommes, mais la moyenne des femmes va être aussi vachement plus humaine, vachement plus sensible, vachement plus à l'écoute et qu'on peut jouer sur tout ça. C'est ce qu'il s'appelle constituer une équipe. Avoir des forces et des faiblesses de chaque individu mis ensemble fait que l'équipe sera forcément plus forte qu'un seul individu. Et c'est la même chose pour l'âge. Plus je vais avancer dans le temps, plus je vais avoir du mal à monter les charges. Je le sens déjà que je n'ai plus 20 ans, j'en ai 55. Même si je m'entretiens, que je fais du sport, tout ça, j'ai effectivement moins la niaque que quand j'avais 30 ans. Mais j'ai autre chose à côté. J'ai 35 ans d'expérience. Glënn qui est en face de moi, qui a 28 ans, qui peut gambader quand moi je suis essoufflé. N'empêche que moi quand on est là-haut, j'ai peut-être moins la force physique que lui. Et par contre j'ai tellement l'expérience de comment le faire, que je vais finir par rattraper cette différence, voire même probablement aller plus vite. Parce que j'ai l'expérience du métier qui fait que je sais comment ça s'installe, comment ça se câble, tout ça. Et si on continue à aller dans cet axe-là, on a, tu parlais du départ progressif des halogènes remplacé par des machines à LED, on a des machines qui sont de plus en plus technologiques, qui sont de plus en plus techniques, et je pense que là on va arriver, à mon sens, on va arriver à une barrière discriminante, beaucoup plus importante que la force physique. Il y a un moment où tu vas savoir ou tu ne vas pas savoir. Tu vas savoir utiliser le matériel ou tu ne vas pas savoir utiliser le matériel. Parce que je forme beaucoup mes collègues, j'ai envie de les faire monter en compétences, donc je les forme beaucoup. Et ce que j'ai remontré à Renaud tout à l'heure, que vous n'avez peut-être pas perçu, mais je n'étais pas sûr que ce soit de la formation pour vous là-dessus. Pour Renaud, je cherche vraiment à le former là-dessus, d'expliquer des trucs qui sont extrêmement techniques, qui sont même informatiques.

Et ça, que tu sois un homme, que tu sois une femme, que tu aies 25 ans ou que tu en aies 60 ans, il n'y a aucune différence si tu sais ou tu ne sais pas, tu t'intéresses ou tu ne t'intéresses pas. Tu vas bosser le truc ou tu ne vas pas bosser le truc. Donc pour moi, il y a simplement de la place pour tout le monde. Et plus, on a des personnes différentes dans une équipe, plus notre équipe va être riche. Quand on est chef, moi, c'est mon cas à petite échelle, et puis après j'ai des chefs qui sont au-dessus de moi, je pense qu'un atout d'un bon chef, en tout cas c'est ce que je faisais quand je faisais de la régie générale et que je constituais des équipes. Unatout des bons chefs ce n’est pas de gueuler sur les autres, c'est surtout de savoir bien s'entourer, de mettre les bonnes personnes au bon endroit, des personnes qui sont par moments plus compétentes que toi sur certains aspects, et de faire en sorte qu'il y ait des équipes qui matchent bien ensemble et faire de la cohésion d'équipe. Voilà. Je laisse la place aux autres parce.

R : C'est une opération de team building. (Il nous sert le thé.)

F : Effectivement, on fait un métier qui est physique et pénible. Mais je trouve qu'il y a beaucoup de choses qui sont mises en place pour que justement ce le soit de moins en moins. Notamment des aides de machines ou, là actuellement, les équipes sont renforcées de plus en plus. Il y a du monde pour justement pas porter une charge tout seul et être quatre à la place quoi. Enfin voilà. Donc du coup je pense que ça a peut-être ouvert des portes, justement, à des gens qui se sentaient peut-être moins capables, tu vois, de se dire « je ne peux pas faire ça parce que c'est trop dur », mais j'ai envie de le faire. Et du coup, c'est ce qui est bien, c'est justement la technique, la technologie et les moyens mis en œuvre ont fait que ça a permis à des gens de se lancer. Et voilà.

R : Et il y a d'autres d'être dépassés. Tu parlais de la technologie parce que ça va tellement vite en lumière et en son.

F : Oui, je parlais d'un produit mis en œuvre, d'un plateau, d'une scène, etc. Le matériel, c'est lourd, et tout. Et là, par exemple, sur des grosses presta, on a des ponts qui arrivent tout équipés, par exemple. Donc on n'a plus qu'à les faire rouler. En fait, ça roule, tout roule. On n'a plus qu'à faire rouler ça.

R : Ils sont équipés en bécane ?

F : Ils sont équipés, toutes les bécanes sont câblées, etc. On n'a plus qu'à rassembler les ponts les uns aux autres. Et en fait, c'est les moteurs qui vont porter le pont. Du coup, nous, il y a beaucoup moins de...

R : C'est souvent des ponts qui sont équipés avec du trad ou plutôt de la machine ? Ou c'est les deux ? Plutôt de la machine ? Et du coup, tu vois, on parlait tout à l'heure dans les histoires de machins et tout ça. Les machines, elles doivent être mises au cordeau dessus. Tu vois, on parlait des tilts et des machins. Et toi, tu n'as plus qu'à installer le pont et en fait, c'est déjà nickel. C'est déjà tout positionné comme il faut.

A : Ce qui ne veut pas dire qu'il n'y a pas les hommes. On ne va pas parler de technique maintenant parce que le temps passe.

G : Par rapport à tes questions, on nous le dit, qu'on est une nouvelle génération souvent. Quand je suis en formation, on était 13 femmes pour 7 mecs. Donc, c'est clairement dans la salle que ça se voit qu'il y a un truc qui est différent. Et tous les enseignants nous disent qu'ily a beaucoup plus de femmes qu'auparavant. Et nous, de notre point de vue, on trouve que c'est trop une bonne chose. En vrai, ça m'angoisse les types où il n'y a que des gars. Désolé les gars. (rires) Quand tu as une trentaine de gars un peu machos en stade, ça peut être un peu angoissant, je trouve. Et moi, je suis assez content qu'il y ait un équilibre en fait. Et qu'on puisse se dire, comme vous disiez, on n'a pas à porter un praticable tout seul parce qu'on peut peut-être...

R : Parce qu'on est les bonhommes ! (rires)

G : Mais en vérité, on va se ruiner le dos, ça ne sert à rien, c'est bête. Alors qu'on peut être plusieurs et se partager la charge quoi. Le travail d'équipe palie énormément de faiblesses, comme vous le disiez avant.

R : Et du coup, la question, c'est ?

Y : Toi, ton expérience de ça, ton observation, ta sensibilité à ça ?

R : J'aime bien que la société change, je pense. Je trouve ça bien que la société change. Et de revenir au temps... En fait, je trouve que c'est cool la mixité dans tous les domaines. Moi, me retrouver avec que des femmes, possiblement, je pense que ça me ferait disjoncter aussi, en fait, à la longue. (rires) En fait, quand il n'y a que des nanas, il se passe des trucs aussi.

G : L'équilibre, c'est la meilleure chose.

: Donc en fait je trouve que la mixité dans tous les domaines ça serait bien et que les choses elles arrêtent de genrer. Ça ne me dérange pas du coup tout ce qui se passe au niveau de l'abolition du genre ces derniers temps. Ça, je trouve ça vraiment hyper intéressant.

F : Et je suis en train de me dire aussi, c'est peut-être justement grâce au fait qu'il y ait des nanas entre guillemets, qui sont rentrées dans ces métiers-là, qui ont peut-être beaucoup plus voulu le faire, je ne sais pas. C'est peut-être grâce à ça aussi que le métier se dépénibilise.

Y : Je ne vais pas le soumettre, mais deux régisseurs m'ont soumis cette version-là il y a quelques mois.

F : Effectivement, c'est un métier de bonhomme, on va dire. C'est un métier de gros bras, on va dire. Donc, il y avait des gros bras, qui faisaient l'install, et plutôt les cerveaux, on va dire,qui réfléchissent dans les bureaux, etc. Et ceux qui ont réfléchi dans les bureaux, peut-être qu'ils ont réfléchi. Justement dans ce sens-là.

: Sauf que la réflexion est un peu sexiste en vrai.

F : La mienne ?

R : Non, la leur. Bah en vrai, parce qu'il y a plein, moi je n’arrête pas de le dire, il y a plein de nanas… Je rigolais avec ça, il n'y avait rien de méchant, mais il y a plein d'ananas qui sont plus viriles que plein de mecs. Moi, je trouve ça hyper intéressant, là où va la société aujourd'hui, c'est qu'on arrête de dégenrer les choses.

Y : Alors, moi, là, je donne mon parti pris personnel, chose que je ne fais jamais quand même. Moi, je pense que c'est un mélange de plusieurs choses. On fait rentrer des personnes qui n'étaient pas là, c'est-à-dire que si c'était qu'entre hommes, tu commences à avoir unefemme, deux femmes. Mine de rien, tu as sûrement un gars qui va faire le malin, puis un autre qui va faire « bon, on arrête, on se calme ».

F : Oui, c’est ça.

Y : Et puis aussi, moi, je pense aussi, c'est une question aussi des habilitations de sécurité. Il me semble que ça a dû jouer le fait, tu sais, que la loi évolue continuellement par rapport à la sécurité d'un endroit. Il faut telle habilitation, puis telle habilitation. Puis comme tu dis, formation geste et posture. Je pense que c'est un mélange des deux, personnellement, je crois.

R : Oui, oui, bien sûr.

Y : C'est ce que j'entends.

F : Il y a l'équipement aussi. L'équipement, c'est-à-dire que...

: Ce n’est pas que la mixité qui est sur les conditions de travail. Il y a des gens qui n'étaient pas là. Il y a la législation qui fait avancer les choses et ça, c'est plutôt bien.

Y : Je pense que c'est un mélange, tu vois, de ça. Tu sais, comme je dis, quand on est qu'entre une gonzesse, quand il y a un gars qui arrive, ça change.

R : Mais la législation, finalement, la loi, les textes de loi, tout ça, il y a des liens entre... Il y a aussi des choses qui, d'un point de vue législatif, qui changent parce que la société change. Voilà. Moi, à mon sens, ça fait...

F : Sur les prestat, moi, je vois encore... Mais on voit encore des gros relous, qui vont dénigrer soit les vieux, soit les... Enfin, ils sont... Ceci dit, la plupart, c'est des vieux.

A : Ils sont vite cadrés maintenant.

 

F : C'est des vieux, c'est des gars, qui étaient dans les années 80, tu vois, voilà, qui sont proches de retraite.

R : Les bonnes vieilles blagues homophobes.

F : Voilà, qui vont faire des sales blagues. Ou, par exemple, qui vont voir, il y a un truc lourdà porter, et il y a deux mecs et deux nanas. Mais il va dire...

R : C'est une histoire d'époque, en fait.

F : Il va dire aux mecs, portez le truc, et les deux nanas « allez passer le balai, quoi. » Et ils ne rigolent pas.

R : C'est un peu comme... On en parlait à midi. Gérard, ça passait un temps. Maintenant, ça ne passe plus (rires) Depardieu. C'était pour parler de Depardieu. Il y a aussi l'époque qui change et des trucs qu'on acceptaitAvec ce qu'il se passe dans le cinéma, avec Judith Godrèche, et plein d'autres. Et moi, je trouve que c'est ça aussi qui fait avancer les choses.

: #metoo

R : Ben mine de rien, ouais.

Y : Je voudrais... Excusez-moi, j'enchaîne sur une question, parce que vous devez travailler encore. Alors, vu qu'on est dans un lieu patrimonial, bon, il y a plusieurs salles, mais c'est surtout le Grand Théâtre qui est le plus âgé, puis il y a le Théâtre de Poche, 145

R : C'était une usine, ici.

A : Ce n’était pas une usine, mais vas-y, continue. C'était un magasin d'usine.

Y : Quels sont les éléments architecturaux auxquels vous êtes sensibles, surtout par rapport au Grand Théâtre, vu qu'il est plus ancien ? Et à votre avis, comment vous imaginez le TMG devenir dans le futur ?

F : Comment on l'imagine devenir ?

Y : Ouais, je ne sais pas. De votre expérience, ce que vous avez cumulé, qu'est-ce que vous vous dites qui va évoluer ?

R : Déjà, moi, je trouve qu'il a été massacré après-guerre, déjà.

F : Ouais, c’est ce que j’allais dire. (rires)

Y : Architecturalement ?

R : Ouais. Il y avait une coupole, il y avait des balcons. C'était un théâtre à l'italienne et ils ont supprimé tout ça. C'est une aberration, en fait. D'ailleurs... Moi, j'ai le sentiment que du coup, ça l'a tellement amputé de sa valeur qu'aujourd'hui, ils ne savent plus quoi en faire.

A : Il n’a plus d’âme.

 

F : C'est ce que j'aimerais dans le futur, c’est qu’on revienne dans le passé, justement.

A : Les éléments patrimoniaux, ici, on en a quand même des bons. On a une structure Eiffel ici, qui est très, très belle.

R : Des fois on l'éclaire que la nuit, c'est joli.

A : C'est un très vieux lieu ici, c'était un magasin d'expédition de fleurs et frères.

R : C'était des obus ou pas du tout ? Ça c'était là-bas ?

A : Les obus pendant la Première Guerre mondiale

Y : Et toi, qu'est-ce qu'il y a architecturalement ?

G : Moi, en vrai, je suis venu... Enfin, j'étais chaud de faire des heures pour le TMG en général parce qu'il y avait le Grand Théâtre, parce qu'il y avait un lieu qui avait une vie, qui était habitée. Quand je travaillais avant au SMAC, c'était des lieux où on y vivait. Il y avait l'histoire qui était attribuée au lieu. On pouvait voir comment les murs avaient vécu les années aussi. Et quand moi, je suis passé en presthouse du festival, tout était tellement temporaire que je voulais vraiment à des endroits qui aient un vécu, qui aient un passé untemps et un soin, qui sont investis dedans. A la base, j'étais arrivé au théâtre pour la pièce de théâtre qui se passait dans les coulisses, j’ai oublié comment elle s’appelait. C'était en 2023, à la fin de 2023.

R : Chez nous ?

G : Ouais, chez vous, au Grand Théâtre.

A : Qui se passait ?

G : Dans les coulisses.

F : Ah, ce n’était pas...

A : Il y a du patrimoine.

F : Ah, c'était Ouvrir les trappes.

G : Oui, c'était Ouvrir les trappes. J'étais venu pour Ouvrir les trappes. J'ai adoré voir la scène depuis la scène. Et j'étais allé voir François en me disant « est-ce que je peux peut-être travailler ici ? » Parce que je voulais un lieu comme ça.

R : Ah, mais t'étais venu en tant que spectateur ?

G : J'étais venu en tant que spectateur. Et je suis allé voir François en disant « je veux bosser ici ! »

F : Le Grand Théâtre, il a une histoire, voilà, c'est extraordinaire. Il est hyper vieux, il est toujours là, on est toujours dedans, on travaille toujours dedans. On travaille avec des cintriers, ce n’est quand même pas dans toutes les structures qu'on voit ça. Effectivement, il y a des vieux murs, etc. Tout ce qui est ancien, et préservé, enfin voilà, on est trop fiers d'être là, c'est clair.

Sauf qu'il y a eu plusieurs phases dans ce théâtre.

A : Il n'y a quasiment plus que certaines techniques de travail qui font partie du patrimoine. Le reste, il est tellement abîmé, ce théâtre, qu'il n'y a plus vraiment...

F : Ils ont essayé de le moderniser à des époques.

A : Et puis de toute façon, même ça, je ne sais pas si ça se fera un jour ou pas, puis je pense que je serai la retraite bien avant que ça se fasse. Mais il faudrait le mettre au goût du jour, et pour le mettre au goût du jour, il faudrait le transformer à 100%. Il faudrait le refaire complètement ce théâtre, si on voulait vraiment faire quelque chose d'efficace. Ce qui serait le cas de celui-là aussi, d'ailleurs. On disait tout à l'heure quand on parlait des équipes, des jeunes, des vieux, quand je disais qu'il faut un peu vivre avec son temps aussi et évoluer en fonction du cadre de nos bâtiments aussi. La façon dont on bosse maintenant et le type de spectacle qu'on accueille maintenant n'ont plus rien à voir avec ce qu'on faisait il y a 25 ans. Donc il y a un moment, les bâtiments, il faut qu'ils suivent aussi, quoi. Il faut qu'ils suivent.

Maintenant, on est dans des rapports. Si on prend, par exemple, la salle dans laquelle on est, parmi les projets qui verront ou pas le jour en fonction des budgets qui seront alloués. Le plus beau projet qu'il y a, qui est porté par notre direction : c'est de casser la scène, d'enlever le gradin, d'avoir un gradin rétractable et que la salle soit toute plate dans tout le volume et qu'on puisse faire du spectacle frontal, bifrontal, trifrontal, du quadrifrontal.

Y : De la salle modulable.

A : Qui soit hyper modulable avec un grill sur l'ensemble de la structure qui puisse descendre. Et oui, il faut tendre vers ça maintenant. Il y a un moment, il faut savoir évoluer. C'est comme avec les nouvelles machines et techniques. On a un point maintenant où de toute façon, soit on progresse, soit on régresse. Il n'y a plus deOn est à un point où il n'y a plus de virgule. On a un point où il n'y a plus de virgule, oui. C'est soit on progresse, soit on régresse.

Y: Ok. 17H01

 

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Yasmine Benaddi, “Entretien avec André Fabrice Glenn Renaud,” Archives plurielles de la Scène, consulté le 6 septembre 2025, http://archives-plurielles.elan-numerique.fr/items/show/1487.