Entretien avec François Dupont
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Y : S'il te plaît, pourrais-tu me dire mon prénom, ton poste, et, en fonction de comment tu t'en rappelles maintenant, quel parcours t'as mené à ce poste ?
F : Y en a pour une heure, déjà.
Y : Je sais. Ce sont de grandes questions.
F : Du coup, François Dupont. Je suis régisseur général. Est-ce que tu vois ce que ça veut dire, régisseur général ?
Y : Je vois, mais tu développes.
F : Du coup, comment je suis arrivé jusque-là ? Tu veux partir d'où ?
Y : Comme t'es là maintenant, comme tu le sens.
F : J'ai fait un BTS en conception de produits industriels. C'est bureau d'études mécaniques, dessin industriel. Et à la fin, j'ai des potes avec qui je passais du bon temps, qui m'ont dit, ça te dit de faire la lumière d'un groupe de musique. Et j'ai dit « pourquoi pas ! » Donc, je suis parti avec eux. Je ne connaissais rien. Et j'ai appris sur le tas. À la fin de mon BTS, je suis parti faire ça avec eux. J'ai fait beaucoup de bénévolat avec eux et avec d'autres groupes de musique.
Principalement, c'était avec des groupes de musique. Et puis, au fur et à mesure des rencontres, de mon travail qui, je pense, était relativement sérieux et sympathique dans les relations humaines. Alors j'ai rencontré à nouveau des gens puis à nouveau de nouveaux gens. Après, j'ai rencontré des gens du théâtre.
Je suis rentré dans une compagnie de théâtre en tant qu'homme à tout faire, entre guillemets, bidouilleur technique, parce que je faisais de l'escalade. Et suite à un déménagement d'une compagnie, il y a un régisseur avec qui j'ai discuté, qui m'avait rappelé, pour me dire « est-ce que tu peux venir faire voler une comédienne ? » Donc, j'avais accroché au gril une comédienne pour qu'il fasse des plans où elle vole avec des fausses ailes d'ange. Et à la fin des deux jours où on a fait ça, la compagnie m'a dit qu’un autre régisseur est parti et qu’il a claqué la porte. « Est-ce que ça t'intéresse ? » C'est une compagnie qui était quatre ans en résidence à l'Hexagone de Meylan et qui commençait sa première année. Donc, j'ai travaillé avec eux.
Après le régisseur de cette compagnie-là, qui est parti, j’ai repris la régie. Et ce régisseur-là, quelques années après... Moi, j'ai un peu de régie générale. Je faisais beaucoup de régie et un petit peu de régie générale pour des petits trucs et tout ça. Et du coup, quelques années après, il m'a re-rappelé... Je continue à avoir des... On se voyait souvent, on s'entretenait souvent, on se donnait du boulot les uns les autres. C'est un peu ce qu'on fait dans le milieu en intermittence, quand on n'a pas besoin de travail et qu'on trouve qu'il y a des gens qui sont intéressants. Moi, j'ai passé du boulot à des gens quand, moi, j'en avais trop.
Et quand il y en a trop, ils m'en donnaient. Et puis, plus on vieillit, plus on en donne aux autres et moins on en garde pour nous. Et quand on est jeune, on nous en donne.
Et voilà, c'est un cercle vertueux, du coup, je trouve. Et du coup, un jour, il y a un gars qui m'a dit « est-ce que tu veux faire la régie générale », un gars qui s'appelle Nasser Djemai, qui a fait des spectacles qui ont tout cartonné, c'est du Molière, tout ça. Du coup, je suis parti là-dedans.
J'ai fait ça pendant 4 ou 5 ans. Et à mon deuxième enfant, j'ai arrêté de tourner. Parce que ma femme trouvait qu'elle avait une vie de merde, alors pas de merde, mais c'était compliqué pour elle. Et que, de toute façon, je n’avais pas créé une famille pour faire ça non plus. Donc, du coup, j'ai décidé, on a décidé que j'allais me sédentariser un peu plus. Et il y a eu un poste de régisseur lumière qui s'est ouvert au Théâtre Municipal de Grenoble où j'avais déjà bossé en 2003-2004 à mes tout débuts. Et le lieu est juste magnifique et improbable. 1769, tu vois, le théâtre date de 1769. Donc, par rapport à l'échelle d'une vie, ça fait juste 4 vies d'une personne minimum. Donc, il y a tellement de trucs qui se sont faits là-bas que j'ai trouvé le lieu trop bien.
Et, du coup, j'ai... Je suis venu un peu en intermittence quand j'ai essayé de retravailler dans le coin. Je travaillais avec une boîte de prestation. J'ai fait des groupes de musiques, compagnie de théâtre, boîte de prestation, c'est ceux qui... Musique Plus, à Grenoble, ou d'autres. Du coup, là, je faisais de l'événementiel. Je faisais des concerts. Je faisais plein de trucs avec eux. J'ai bossé aussi avec un groupe... Avec pas mal de groupes de musique Grenoblois, Marseillais.
Voilà où j'ai fait un peu... J'ai tourné un peu en Europe aussi avec eux. Et puis, quand je me suis sédentarisé, je suis venu au Théâtre Municipal de Grenoble pour faire des heures d'intermittence quand Grégory Dijon, le directeur technique d'aujourd'hui, était régisseur lumière à l'époque. Quand il est arrivé en régie lumière au théâtre, moi, c'est le moment où j'ai arrêté d'aller au théâtre parce que j'avais trop de travail. On s'était quand même croisés et on avait eu un bon feeling en très peu de temps. Et j'étais resté sur une bonne impression de lui et vice-versa. Et du coup, quand je suis revenu et que je lui ai dit que je cherchais du boulot, il m'a dit « avec mon régisseur général, peut-être qu'il peut te faire bosser ». Donc j'ai bossé quelques fois et principalement sur des concerts.
Et il n'y avait pas grand monde dans le théâtre qui savait faire de la lumière de concert. Et du coup, j'ai fait quelques concerts dont un où même l'accompagné m'a demandé se je voulaispartir en tournée avec eux. Et c'était un super concert.
Quand le poste s'est ouvert, c'était septembre, octobre, novembre, décembre. Et en janvier, Greg a pris la place de régisseur général. Et le poste de lumière que lui occupait s'ouvrait.
Et aucun intermittent qui était là depuis longtemps n'était spécialement intéressé par ça. Du coup, j'ai postulé et du coup, j'ai été pris. Et j'ai fait deux ans de la régie lumière.
Et quand notre directeur technique... Alors, je faisais de la régie lumière, mais j'assistais vachement Greg sur le plateau quand il n'était pas là. Je faisais une espèce de régie lumière générale parce que tu ne peux pas être tout le temps au plateau quand tu es un régisseur général, sinon tu ne bosses pas, tu ne fais que fliquer et puis l'intérêt n'est pas là. On s'entendait très bien là-dessus. Et quand notre directeur technique s'est cassé du théâtre, avec Greg, on s'est dit il y a deux possibilités, trois. Ou on ne fait rien et on a un directeur technique qui revient, il est trop bien. Mais c'était peu probable compte tenu de la fonction publique, de plein de trucs comme ça. Ou on se tape un boulet de la mort. Ou alors, nous on dit « alors, on va le faire ! »
Et du coup, on pourrait continuer à travailler dans les conditions qui étaient quand même très bonnes pour les compagnies. Pour les intermittents, il y avait déjà un bon retour des compagnies sur le travail qui était fourni. Donc Greg est passé directeur technique, je suis passé régisseur général.
Pendant ma période de lumière, j'avais eu un CDD de deux ans. Du coup, ils m'ont dit « il faut passer le concours, tu vas réussir. » Donc concours de la fonction publique catégorie B, du coup je l'ai passé. Je l'ai eu. Voilà. 4 places en France. Après on était 100. Ça dépend des années.
Ce n’était même pas 4, c'était 2 en Auvergne, en Alpes Auvergne, la région. Et un autre à Rennes. Et 2 places à Rennes. Bon bref. Après, le concours de catégorie B, le dessous debase, c'est niveau bac. Après, c'est orienté sur le métier. J'ai un bac plus 2. Et ça fait 15 ans que je fais ce métier-là.
Donc, entre guillemets, heureusement, ça a juste validé le fait que j'étais apte à... Et malheureusement, les gars qui sortaient de l'école et qui présentaient le concours, c'était compliqué de rivaliser avec des gars comme moi qui avaient une expérience et tout ça. Ce qui arrive très souvent dans ce genre de concours-là.
Nous, les trucs où il faut un bac plus 3, c'est des gars qui sont ingénieurs qui débarquent. Parce que, voilà, des fois, dans le processus de recrutement, etc. Donc, c'est vrai que le niveau...
Donc, voilà. J'ai bossé, mais je n’ai pas que du mérite de bosser. Aussi, j'ai été, à mon avis, au-dessus de ce qui est demandé pour ce genre de concours. Donc, j'ai été titularisé, blablabla, et puis voilà. Et ça fait 5 ans.
Y : 5 ans maintenant. Donc, au total, t'as combien de temps d'expérience au TMG ?
F : Alors, ça dépend. Si tu parles de la première fois, je suis devenu en 2003.
Y : Et donc, il y a 5 ans, t'as passé le concours.
F : Le concours, je l'ai passé en 2018. Moi, je suis arrivé en 2016. J'ai passé le concours en 2018. T'as un an de stage. J'ai été titularisé. Et en juin 2019, on a pris le relais avec Greg, Régie Générale, Direction Technique.
En décembre, Delphine Gouard est arrivée au théâtre. On a bossé ensemble jusqu'en janvier. En janvier, elle a dit « c'est le 2 que je veux à ces postes-là » parce qu'on l'a bien épaulée à son arrivée et qu'elle s'est dit que c'était certainement un bon plan de ne pas se tirer une balle dans le pied même si, nous, on s'est proposé à ça. Par contre, on a dit « si ça ne nous convient pas au bout d’un petit moment », on repartait à nos postes de base. Si Greg ne se sentait pas à l'aise en Direction Technique, lui, il pouvait dire « moi, ça ne me va pas » et on redescendait tous les deux. Et moi, si ça ne me convenait pas, je pouvais redescendre, et on aurait recruté un régisseur général.
Y : Donc, il y avait l'opportunité de pouvoir revenir en arrière.
F : Oui, voilà. Ce n'était pas opportunité, c'était dans notre deal de base. Et c'est pour ça qu'on a dû postuler au poste auquel on est aujourd'hui. Mais on a postulé tout seul à notre poste. Donc, c'est juste pour... C'était une formalité de dire, voilà.
Y : Très bien. Donc, tu es régisseur général. Y a-t-il une spécificité à être régisseur général pour ce théâtre-ci, Théâtre Municipal de Grenoble, et les trois espaces dont il dispose ?
F : Alors, spécificité, je ne dirais peut-être pas ça. Après, le Théâtre Municipal de Grenoble, il est très spécifique puisqu'il est très vieux. Le système de la cage de scène et tout ça est quand même très spécifique.
Et pour en comprendre le fonctionnement et pour pouvoir faire la régie générale dedans, je pense que tu ne peux pas arriver comme ça et dire « les gars, c'est ça qu'il faut faire. » Tu vois, c'est comme dans plein de métiers, je pense qu'il faut avoir un peu les mains dans le cambouis à un moment pour savoir comment ça fonctionne. Et il y a plein d'autres lieux où c'est toujours un petit peu ça, mais les subtilités vont être très basiques parce qu'il va être monté, le théâtre va être construit dans un cadre qui est toujours le même.
Depuis pas mal d'années, ils font le même genre de théâtre avec le même genre de système et tout ça. Et que là, c'est quand même quelque chose d'assez spécifique parce qu'il est très vieux et vétuste. Du coup, voilà, ça c'est un peu le truc.
Si tu n'as jamais mis les mains dedans, je ne pense pas que j'aurais postulé à un poste de régie générale directement dans ce théâtre-là. Alors qu'avoir fait de la lumière avant, alors j'aurais pu peut-être postuler dans un autre lieu en régie générale parce que plus conventionnel, plus commun, plus dans les normes actuelles de construction et tout ça.
Y : As-tu déjà travaillé dans d'autres salles comme le Grand Théâtre qui sont assez âgées ?
F : En permanent ?
Y : Non, mais en termes d'intermittents ou quoi ?
F : En fait, en tournée.
Y : En tournée, ça t'est arrivé régulièrement ?
F : Il y a des spectacles, on les a joués 300 fois. Donc t'as fait 300 lieux différents.
Y : Je me doute. Mais des vieilles salles comme celle-là ?
F : Bah oui, on a plein en France encore des théâtres comme ça.
Y : Et donc t'as pu voir ça ?
F : Pas aussi vieux que ça. Ils disent que c'est le quatrième théâtre construit en France. C'était avant Garnier, c'était avant tous ces trucs-là. Après, il y a plein de petits théâtres ou un peu plus grands dans le même genre. Tu vois, Chambéry, c'est le même genre. À Vienne, ils ont une petite bonbonnière où j'étais en résidence là-bas avec une compagnie. Donc c'est plus petit, mais c'est le même genre de contraintes.
Il y avait quoi ? Il y a Nîmes qui est dans le même genre. Aurillac. Ouais, il y en a pas mal des trucs comme ça. Mais après, moi, j'étais accueilli. Donc les contraintes techniques, ce n’est pas à moi de les anticiper.
Ce sont les gens qui m'accueillent, qui eux anticipent en fonction de leur lieu. C’est ce que je fais, moi, aujourd'hui pour les compagnies qui ne connaissent pas notre lieu.
Y : Et du coup, qu'est-ce qui est important à faire quand on les accueille dans des salles comme ça ?
F : Pas plus qu'ailleurs. Je pense que je ferais le même accueil ici ou ailleurs. Après, c'est juste que t'as des points de vigilance que tu n'as pas dans d'autres lieux parce que t'as pas ce rapport-là.
Y : Tu peux me citer des exemples ?
F : Bah, nous, déjà, on a une pente. Donc, si la compagnie...
Ça, c'est plutôt le boulot de Greg. Mais sur certaines choses, les gens, ils vont te faire un plan. Le boulot de régisseur, comme général, du coup, c'est tout le travail qu'il y a en amont avec la compagnie. Donc eux, ils vont te faire des plans, des propositions que du virtuel. C'est-à-dire que la plupart des gens, ils ne sont pas forcément venus dans notre théâtre et ils ne le connaissent pas. Et s'ils vont mettre un projecteur à un endroit, c'est à moi de voir et de leurdire que « là, ça marchera pas. » Tu vois ? Et c'est ça.
Mais chaque lieu aura quand même des spécificités. Alors nous, il y a une spécificité technique, c'est le système de cintres. Mais au final, c'est juste... C'est nous qui... En fait, les gens, que ce soit ce type-là ou un autre type, en fait, ça ne les impacte pas. C'est à nous de prévoir les choses.
Mais après, dans tous les lieux de théâtre ou de scène, il y a des spécificités techniques qui vont empêcher de faire telle chose ou telle chose. Et c'est là où il faut faire attention. Mais ce n’est pas le fait qu'il soit vieux, en fait, le théâtre, qu'il y ait besoin de ça.
Tu vois, nous, par exemple, on a un tout petit cadre. On n'a que 8 mètres d'ouverture. Et ben ça, c'est une spécificité.
Mais ça peut arriver dans n'importe quelle autre salle, en final. Tu vois ?
Y : Donc, la régie lumière, j'ai quelques questions sur ça, vu que t'as une expérience. C'est vrai qu'on est quand même dans une période de changement en termes de technologie. Mais c'est aussi en termes de son. J'aimerais bien avoir un petit peu ta petite expertise sur la question. T'as vu pendant quelques décennies que le matériel évolue continuellement. Donc, selon toi, comment ça s'est passé ? Comment tu as appris ? Comment tu transmets ? Qu'est-ce que tu retiens d'important ?
Et ça va continuer d'évoluer. Donc, qu'est-ce qu'il faut garder en tête pour aborder à chaque fois les nouvelles machines qui sont produites ?
F : Eh ben, j'aurais tendance à dire comme pour plein d'autres trucs, arrêter de vivre dans le passé et utiliser les outils qu'on vous donne aujourd'hui. Non, mais c'est clairement ça.
Les gens, moi, je fais plein de démos pour voir le matos qu'on pourrait acheter. Parce que moi, j'ai des exigences, pas de technologie, mais j'ai des exigences de rendu en lumière. Parce que la lumière, c'est de la peinture.
Tu vois, j'ai déjà eu ce rapport-là avec des peintres. On a discuté de notre travail, en fait, on fait la même chose. Alors, ce n’est pas exactement pareil, c'est que nous, notre lumière, elle n'est pas palpable.
Alors que leur lumière, c'est de la peinture. Tu vois ? Donc, il y a juste ce seul truc.
Mais, et du coup, ben, si tu veux faire un état lumineux avec ce qu'on te donne, ben, juste, démerde-toi de le faire. Et ce n’est pas de dire « oui, mais avec les autres projecteurs... » Non.
Aujourd'hui, les projecteurs, ils changent pour des raisons que beaucoup diront écologiques. Moi, je dirais surtout lobbyistes à deux balles. Il faut savoir que quand même, à chaque fois que tu achètes une lampe, quelle que soit la marque dans le monde, le brevet, il a été développé et validé par Philips. Donc, tu donneras toujours de la thune à Philips dès que tu achètes une lampe, où que tu sois dans le monde. C'est eux qui ont tous les brevets, ils ont pris la main mise sur tout. Donc, du coup, ben, derrière, autant dire que... ils ont dit « on ne fait plus de lampes halogènes. » Eh ben, il n'y a plus de lampes halogènes. « On ne fait plus que des LED. »
Eh ben, il n'y a plus que des LEDs. Donc, s'il n'y a plus que des LEDs, adaptons-nous au truc. Et oui, avec les LEDs, alors, on en prend en technique vite fait, mais la lumière émise par une lampe LED, elle est... même si elle est chaude, c'est-à-dire qu'elle est un peu plus orangée, elle a une grosse déperdition. Une LED, elle est bleue par nature, en fait. Et du coup, il bidouille tout pour qu'elle devienne chaude. Mais en fait, par nature, elle ne l'est pas. Donc, il y a un truc qui s'appelle l'IRC. Donc, c'est le rendu de lumière de base.
Et en fait, dedans on va être à... On va avoir, quoi qu'il arrive, moins de lumière rouge que de lumière bleue. Tu vois ?
Donc, ce rendu, il est moins bon. Alors, ils travaillent pour arriver à faire une copie. Et en lumière, énormément de trucs qu'on utilise, c'est des gélatines.
Donc, on a la lumière blanche, et devant, on met une gélatine. Sauf qu'aujourd'hui, quand t'as une lumière blanche de LED, même si c'est exactement la même sensation de lumière qu'une lampe halogène, quand tu mets ta gélatine devant, le but d'une gélatine, c'est de la couleur. Tu poses devant une lumière blanche.
La gélatine, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle arrête toutes les couleurs, sauf la couleur de la gélatine. C'est le principe additif-soustractif, en peinture, et tout ça.
Et donc, du coup, quand t'en es là, eh ben, ta lumière, il n'y a que ça qui passe. Sauf que si la lumière blanche, de base, t'as l'impression que c'est le même avec tes petits yeux d'être humain, quand tu vas mettre ta gélatine devant, tu n'auras pas la même couleur si derrière t'as une lampe halogène ou une lampe LED. Donc, il ne faut plus travailler avec les gélatines.
Et ça engendre plein de choses, et il y a plein de gens, « ouais, mais comment on va faire ? C'est impossible, machin, tu vois tout ça. » Et en fait, du coup, ce n’est pas possible.
Et ce qu'il faut faire en fait, c'est arrêter de croire qu'on va faire comme avant. Le monde change. Tu vois, c'est comme si aujourd'hui, l'idée, c'est « ouais, j'ai une voiture électrique, mais je ne comprends pas, quand j'accélère, je ne peux pas passer mes vitesses. »
Ben non, parce qu'il n'y a pas de moteur, tu vois, il n'y a pas de boîte de vitesse, c'est un moteur électrique, c'est de 1 à 0. Ben là, c'est pareil, il faut faire le même rapport, en fait, il faut comprendre que les technologies changent, et que si tu ne vis pas avec, eh ben, c'est mort, quoi.
C'est clair, ce que je t'ai répondu ?
Y : Pour moi, c'était très clair. Parce que j'en ai fait et je vois très bien les contraintes. C'est pour ça aussi que je pose la question à presque tous les régisseurs, de façon générale.
Quand ils sont en son, je leur dis, qu'est-ce que vous pensez du son ? Mais j'avoue que je ne maîtrise pas la question. Donc, ils me donnent plein de détails.
En lumière, oui, je vois très bien. Et, oui, je vois très bien la question qui se pose. Il y a beaucoup de discours très différents.
Je suis partisane du système D (débrouille), on fait avec ce qu'on a.
F : Non, mais en fait, c'est... En plus, si t'es pas... Au Théâtre Municipal, on n'a pas un budget qui nous permet d'être les référents, ni une programmation, ni une...
C'est les opéras, c'est la MC2, c'est les énormes lieux qui vont dire, nous, on utilise ce matos-là, parce qu'on a trouvé que c'était bien. Du coup, ça devient une référence. Du coup, les tournées, elles partent et elles demandent ce matos-là.
Donc, nous, on va acheter ce matos-là. Tu vois ? C'est descendant.
Ce n’est pas nous, au Théâtre de Grenoble, qui allons dire « alors nous, on a acheté ce matos-là, il faut que tous les autres l'utilisent, parce que c'est comme ça qu'on va tourner. » Ben non, forcément. Parce que d'ailleurs, c'est comme...
Je vais revenir à la voiture. Toi, aujourd'hui, tu veux t'acheter une voiture à essence, machin, tu vas aller chez le concessionnaire, il va dire « non, on ne fait plus que des voitures électriques. » Tu vas dire « non, mais moi, j'en veux. » Ben non. Et la référence, aujourd'hui, c'est la Clio électrique, machin, blablabla. Et ben, c'est ça.
Y : OK. J'ignorais qu'il pouvait y avoir une influence de matériel pour les parcs matériels entre les différents établissements. Justement, parce que certains, comme ils ne consomment plus ça, les autres artistes...
F : Les grosses tournées créées dans des lieux qui ont des moyens, ces lieux qui ont des moyens, ont acheté du matériel. Mais après, moi, j'ai eu... Chaque démo qu'il y a à la MC2, Serge, qui est le régisseur général lumière à la MC2, il me dit « François, viens, on discute », on dit « ça, c'est de la merde, ça, c'est trop bien. »
Et je ne dis pas qu'on n'a pas une influence sur ce qu'il va pouvoir être. Mais la MC2, cette année, ils ont 1 300 000 euros juste pour changer leur projecteur LED. Nous, on a...
Qu'est-ce que je vais influencer, quoi ? Tu vois ce que je veux dire ? Donc, forcément, c'est ces lieux-là qui font beaucoup de créations, qui reçoivent beaucoup d'IF et de ça, qui achètent du matos, qui deviennent...
Et moi, depuis que je fais de la lumière, les consoles, c'est par région de France. En France, t'allais dans le sud-ouest, les consoles, elles n'avaient rien à voir avec celles qu'il y avait dans l'est. Ici, à Grenoble, c'était Scan Commander, Light Commander, après, voilà, dans le sud-ouest, c'était HOG, c'était d'autres marques.
Et du coup en tournée, j'ai bien vu. Surtout en concert, t'arrivais, tu disais « ah, je ne connais pas cette console. » Ils t'expliquaient.
Après, elles fonctionnent toutes à peu près de la même façon. En théâtre, en France, on était vachement sur certains types de consoles. Tu vois, aux Etats-Unis, ils ne savent même pas ce que c'est que cette marque.
Les projecteurs, les projecteurs LED WASH, pendant un très long moment, il y avait Mac Aura. C'est Martin Lightning qui faisait ça. En concert, tu n'avais que des MAC Aura.
Les boîtes de prestations n'achetaient que des MAC Aura. Pareil en console, tu n'avais que grandMA3 qui était là parce que les gars de tournée, ils disaient « bah, moi ? j'ai ma clé USB avec mon chanteur en dessus. Tu ne vas pas me donner ta Woolog, je m'en fous, ça n'a aucun intérêt pour moi ; je vais perdre 10 heures à tout re-encoder alors que j'ai tout sur ma clé USB. » Donc les boîtes de prestation achetaient que des grandMA3. Du coup, t'as un espèce de truc qui se fait parce que la console était hyper performante. Et puis qu'il y en a de plus en plus qui en ont et puis voilà.
Et ça, c'était hors Europe. T'allais aux Etats-Unis, c'est ChamSys qui avait le marché. Et t'arrives avec ta grandMA3, ils disaient « non mais ça, c'est de la merde, on n'en veut pas. »
Niveau implantation dans le monde, t'allais en Chine, c'était grandMA3. T'allais à Dubaï, c'est grandMA3, mais il y avait des endroits de la planète où le grandMA3 n'avait pas percé et n'était pas une référence. Et nous, on est obligés, quand on achète du matériel, à notre échelle où on est, parce que quand t'es dans un petit lieu où t'accueilles que des petits projets, pas dans le fait qu'ils soient bons ou pas bons, mais juste dans le...
Quand t'achètes des spectacles qui ont un rayonnement interplanétaire ou même que français, les gars, ils demandent le matos qu'il y aura le plus souvent. Et donc toi, tu dois leur fournir ça. Au même titre que si t'as fait un peu de lumière, Robert Juliat, tu connais, 614, 714, tous ces types de projecteurs-là… Eh ben, tu ne pouvais pas avoir un théâtre sans ces projecteurs-là.
Petit à petit, il y a des marques où il y a plein de gens qui ont dit « Ah, mais ça, c'est trop bien ». Et du coup, il y a plein de théâtres qui en ont acheté. Puis c'est rentré dans les références, et puis c'est ressorti, puis c'est revenu. Tu vois ? Mais il y a vraiment un niveau de référence de matériel, et même dans les LED. Nous, on attend, parce que de toute façon, on n'aura pas les sous pour changer, donc on attend un petit peu, entre guillemets, aussi de voir qu'est-ce qui vaut vraiment le coup, qu'est-ce que les autres achètent, pour le jour où on aura un peu d'argent. Dire « Ben, nous, on part là-dessus » et ne pas te retrouver deux ans après à faire de la location à chaque fois que t'as un spectacle, parce que t'as des projecteurs que personne ne veut.
Y : Du coup, quand tu parlais des Etats-Unis et Chine, tu as aussi travaillé là-bas ?
F : Non. Mais je connais plein de gens qui y sont allés.
Y : Non, non, mais c'était pour savoir si je pouvais poser des questions.
F : J’ai fait Allemagne, Espagne, Suisse, France, Danemark, Belgique.
Y : Et en fonction de tout ce que t'as eu comme expérience, qu'est-ce que tu pourrais dire ? Parce que je découvre Grenoble, je me rends bien compte qu'il y a une notion territoriale assez ancrée, pas dans le sens de territoire. Mais oui, c'est un territoire politiquement avec sa mobilité ou ses budgets. On sent que c'est quand même assez ancré.
Et je viens de villes européennes, comme Strasbourg, Bruxelles, où eux, quand ils parlent de la culture, ils utilisent beaucoup la façade de l'Europe. C'est pour ça aussi que je suis très intéressée par cette question territoriale. Qu'est-ce qui fait la spécificité du territoire grenoblois ou de l'Isère ?
F : Déjà, MC2, Malraux. Du coup, ça a été inauguré en 68, je crois, d'ailleurs. La Maison de la Culture, c'est la première Maison de la Culture de France.
Déjà, ça assit un truc où tu te dis, bon, c'est quand même un endroit où culturellement, il y a un bassin, il y a quelque chose. Après, il y a eu beaucoup de communes, je pense, qui politiquement étaient très communistes. Du coup, même si, je dis des conneries, mais en Russie, il y a un théâtre dans chaque ville.
Tu vois, tout ce côté-là, très de gauche. En fait, il y a quand même un accès à la culture parce que les communes, elles vivaient pour le peuple et pas pour les entreprises.
Et du coup, je pense que ça a amené toutes les... Après, oui, tu vas me dire « mais si tu vas à Nantes, si tu vas à Bordeaux, ce n’était quand même pas là. » Et puis après, c'est une histoire d'artistes.
À Grenoble, il y a eu Georges Lavaudant. À Grenoble, il y a eu Jean-Claude Gallotta. À Grenoble, il y a eu Serge Papagalli, ici. À Grenoble, il y a eu les Sinsemilia. Et en fait, c'est plein de petits trucs qui ont à chaque fois fait un essor, qu'on a aidé à promouvoir. Clairement, le groupe de musique avec qui je suis parti… Si les Sinsemilia n'avaient pas existé, peut-être que ce groupe-là aurait...
Il aurait existé, mais est-ce qu'il aurait pu tourner autant qu'on a tourné ? Tu vois ? Je ne peux pas dire que c'est grâce à eux mais ils ont quand même lancé une mouvance reggae dans la fin des années 90 en France et principalement à Grenoble qui a amené quand même...
Du coup, tous ces... les gens, artistes qui ont pu sortir de Grenoble. Et puis après, il y avait plein de structures.
À Grenoble, si tu fais le nombre de structures qui existent, c'est démentiel. Alors quelogiquement, tu n'as pas le droit d'avoir deux scènes nationales à moins de 50 km l'une de l'autre, je crois.
Il y avait l'Hexagone de Meylan, la MC2. L'Hexagone de Meylan, du coup, elle n'a pas fait le poids face à la MC2. Elle est passée, elle a trouvé un autre label et elle est toujours scène nationale mais en art numérique.
Avec MINATEC et tout ça, ils se sont acoquinés avec eux, ils ont fait plein de trucs. Et du coup, ils ont gardé quand même ce truc-là, scène nationale mais en art numérique. C'est pour ça qu'on en a deux si proches.
Après, tu as La Rampe, qui est une salle conventionnée danse et musiques. Après, tu as Le Grand Angle, tu as l'Hexagone de Meylan, tu as L'heure bleue à Saint-Martin d'Hères, t'as la salle du Laussy, t'as L'Ilyade, t'as La Source qui est un projet de malade pour une ville comme Fontaine. Limite, pendant un moment, ça a fait de l'ombre, parce que ça a été construit avant La Belle Electrique. Du coup, ça a fait de l'ombre à La Belle Electrique, du coup, ils n'ont pas eu le label SMAC (Scènes de Musiques Actuelles), parce qu'il y avait La Source qui était à côté.
Donc, tu vois, il y a le grand temps de la Voie Ronde, qui en plus... comment ça s'appelait à Sassenage, le Théâtre en Rond qui a brûlé. Par exemple, le Théâtre en Rond, début 2000, c'était la référence pour les premiers spectacles de comiques.
Jamel Debbouze, Michael Youn, tous ces gens-là, ils venaient au Théâtre en Rond faire leurs premières, parce qu'ils savaient qu'il y avait un public connaisseur de l'humour, et qu'ils pouvaient… Avant d'aller se tirer une balle à Paris, ils venaient faire leurs tests à Grenoble. Tu vois, c'est des petits trucs qu'on ne sait pas forcément, mais qui étaient ancrés. Et je pense qu'après, c'était comme je te disais, Grenoble, ça a été à gauche pendant très longtemps.
Les communes avoisinantes, elles étaient ou à gauche, ou communistes. Donc, il y avait quand même quelque chose d'ancré sur la culture.
Y : Clairement. En tout cas, quand on arrive dans le coin et qu'on le découvre, on se rend compte qu'il y a beaucoup de salles.
F : Oui, plein d'assos, plein de...
Y : Oui, il y a beaucoup d'événements. Donc, c'est très riche. Alors, quels sont tes ressentis par rapport aux trois salles ?
Comme je disais tout à l'heure, quand je t'expliquais l'objectif de ces entretiens, c'est que quelqu'un qui y travaille, c'est quelqu'un qui connaît le bâtiment, qui le ressent, qui a développé sa sensibilité, des habitudes aussi, qui font qu'il y a des choses qu'on ne regarde plus trop. Mais les trois salles, de par comment elles sont, qu'est-ce que tu en penses, qu'est-ce qui fait leur spécificité, et aussi leur localisation. Elles ne sont pas toutes au même endroit, ce qui n'est pas non plus habituel pour beaucoup d'établissements.
F : Alors, je vais d'abord te donner mon avis personnel.
Y : Ah, tu peux aussi aller dans le ressenti sensible, les odeurs, les petits détails, ou quand tu te dis « ah moi ça j'aime, ou au contraire », un peu de tout.
F : Alors moi, dans mon travail de tous les jours, j'ai plaisir à travailler au Grand Théâtre, et Poche/145, presque pas. Je pense que c'est des outils qui sont intéressants pour le public, mais pas pour les techniciens. C'est mon point de vue.
Y : Tu peux dire un peu pourquoi, même si c'est que ton point de vue.
F : Parce que ce sont des équipements qui sont extrêmement simples, et les challenges techniques à l'intérieur ne sont jamais à la hauteur d'un truc qui me fait vibrer. Ça c'est vraiment personnel. Un gros montage au Grand Théâtre, là on commence à parler d'un...
Ici, si c'est un gros gros truc, ça ne sera jamais déjà un gros gros truc. Et en plus l'équipement, c'est quelque chose qui a été... En fait, ici à la base, c'était une usine (le 145).
Et Papagalli, quand il l'a récupérée fin des années 80, ou début 80, je ne sais plus exactement, ils ont tout pété ce qu'il y avait dedans et ils ont fait un théâtre. Sauf que l'équipement, le grill, il est fixe, c'est pourri, le sol est surélevé, le gradinage il n'est bas... Il y a un bon rapport.
Ce que je dis, c'est que quand tu es public et que tu viens regarder un spectacle, ça peut être très agréable. Après y travailler, je trouve ça lourd et pas très intéressant. Le théâtre de Poche, c'est un peu différent, parce que tout est à sa taille, je trouve.
Et du coup, il est peut-être plus intéressant. Mais il reste tout petit et contraint. Le Grand Théâtre, en fait, on a des coulisses.
Ici (Théâtre 145), on n'a pas grand de coulisses, c'est tout bloqué. Le truc, c'est que le Théâtre Municipal, le Grand Théâtre, c'est un vrai théâtre. Et ceux-là, c'est des choses qui ont été construites pour devenir un théâtre.
Et en fait, c'est un vrai théâtre à l'italienne. Et je pense que c'est ça qui fait la différence, en fait. Après, si je veux travailler dans une salle comme celle-là, ou comme au poche, en mode plus gros, c'est une salle modulable.
Mais, je préfère faire du concert. Tu vois ce que je veux dire ? C'est toujours pareil, en fait.
Le Grand Théâtre, quand tu rentres dedans, il y a le plateau en pente, il y a les fauteuils, il y a toutes ces perches, comment on les manipule ? Tout ce qu'on peut faire dedans, l'accès du décor, qui est quand même complètement débile, on le récupère avec un treuil dans la rue à 5 mètres. Tout ça, en fait, c'est le côté hyper sexy de ce lieu-là. En fait, du coup, tu vis avec lui, tu vois.
Tu vois, Gaïa ?
Y : Gaïa, La Terre ?
F : Ouais. Quand tu es dans le Grand Théâtre, c'est pareil. Tout ton corps, on n'est plus...
On n'est tous qu'un. Si je veux partir en délire complet, on ne fait plus qu'un lieu, équipe technique, compagnie et tout ça, ça sort du cadre et c'est pour les gens. Tu vois ?
Ici, je n'arrive pas à ressentir ça, ni au Poche. C'est très... Et après, j'ai vu des spectacles magnifiques ici et au Poche.
Ça n'a rien à voir. C'est le lieu. C'est comme, je dis n'importe quoi, mais j'allais prendre un exemple du foot, mais je déteste ça.
Faire un match à la Ligue, un super match de ouf, et faire le même match à Roland-Garros. Je pense qu'au fond de tes tripes, ça ne fait pas la même chose. Tu vois ce que je veux dire ?
Ou aller faire de l'escalade dans une salle artificielle, ou aller faire l'escalade contre une falaise. Tu vois tout ça, tu as un lien, tu as un truc. Et en fait, au Grand Théâtre, pour moi, on est dans un vrai théâtre.
Ici, pour moi, on ne l'est pas vraiment. Et c'est peut-être une erreur de ma part, d'ailleurs. Tu vois ?
C'est vraiment ce que je ressens. Pour moi, c'est un lieu, ici, où on fait en sorte de combler les gens face à une pièce de théâtre. Mais pour moi, il n'y a pas toute la dimension de ce qu'est le théâtre.
Y : Ok. Est-ce que tu peux sensiblement, dans ton langage sensible à toi, développer un peu plus ce que tu veux dire par ce qui fait théâtre quand tu es au Grand Théâtre, et qu'il te manque dans ces salles-là ?
F : Le fait que derrière, il y ait des coulisses et qu'ils puissent avoir une vie pendant le spectacle avec des gens qui sont cachés et qui ont une utilité. Alors que là, en fait, c'est très rare. Il y a rarement des techniciens au plateau qui font des choses, alors que dans le Grand Théâtre, il y en a plus souvent.
Et même s'ils ne font rien, il y a un état de veille de la personne qui est au plateau et qui faitque tout peut se passer tout le temps... Tu vois ? En fait, ici, s'il y a une merde, en deux mots, eh bien, tu ne peux rien faire pour la corriger.
C'est extrêmement compliqué d'avoir une action au plateau sans qu'on te voie, sans qu'on te voie passer, sans que machin. Et on peut... Alors qu'au Grand Théâtre, on fait des milliards de choses derrière quand il y a des soucis, personne ne le verra jamais, il ne s'en rend pascompte.
Y : Tu peux donner un exemple ? Très basique.
F : Moi, j'essaie de réfléchir à un truc très basique qui pourrait... Ne serait-ce qu'un comédien qui peut se faire mal en coulisses. Tu vois ?
Nous, quand on est au Grand Théâtre, il y a toujours au moins deux ou trois personnes qui sont au plateau, qui pourront l'assister, qui pourront faire en sorte, qu'il y a un espèce de malaise, venir voir avec un verre d’eau... Tu vois ? En fait, une présence continue mais qui fait...
C'est un truc où il enlève son nœud et son effet, il ne part pas. Il y a quelqu’un derrière qui vient, il a sa petite lampe torche, il l'allume correctement comme il faut, l'autre, il voit et il peut le lâcher. Ici, il galère dans ses coulisses, il est tout seul, le gars.
Et du coup, tu n'as pas le même accompagnement. Les artistes n'ont pas forcément la même sérénité, aussi. Ils ne peuvent pas, je vais peut-être dire une connerie, il faudrait leur demander à eux, puisque moi, je ne suis jamais au plateau en tant qu'artiste, mais je pense que quand tu es entouré au plateau, eh bien, tu peux être à 100% sur ton jeu et sur tes actions.
Quand tu sais que tu es tout seul, je pense que, inconsciemment, tu es obligé de sortir un petit peu de ton truc, tu vois ? C'est des toutes petites choses, mais...
Y : Je pense voir un petit peu ce que tu veux dire. Dans le sens où il y a une forme de connexion et de concentration collective, même si tu sais que l'autre est là-bas. Enfin, moi, pour avoir été derrière la table de régie, je savais que les autres étaient cachés pour lancer certains effets. L'objectif est de n'être jamais vu du public.
Mais toi, tu sais qu'il est là, tu sais que tu es connecté, tu sais que dans deux secondes, c'est l'autre qui doit se déplacer. Toi, tu le vois furtivement ou quoi ? Parce que tu sais que l'énergie de l'autre est là.
Je pense que ça me fait penser à ça, moi.
F : Oui, et puis même pour l'artiste, de savoir qu'il est soutenu même au plateau. Parce que quand le spectacle commence là, les artistes sont au plateau et nous, on est en régie. Alors que quand on est au Grand Théâtre, comme je te dis, il y a toujours une personne à jardin, une personne à cours, voire deux.
Une et deux, ça fait trois personnes. Alors nous aussi, c'est pour des questions, des histoires de sécurité incendie du théâtre. Mais du coup, le babysitting dure tout le temps, en fait.
Ils ont toujours quelqu'un. Si en coulisses, le gars, il doit s'habiller pour un petit truc et que là, il déchire son truc ou qu'il a une galère ou qu'il n'y arrive pas, il n'y a qu'à venir pour voir. En fait, je pense que le fait de pouvoir être accompagné tout le temps, ça fait partie du lieu.
Et dans ces lieux-là, ce n'est pas possible.
Y : Ok. Tu as dit un petit truc qui me fait sourire en parlant de ces deux salles, le 145 et le Poche, en disant que tu préfères faire du concert.
En termes de régie lumière. Mais du coup, qu'est-ce que...
F : Pas régie lumière, même régie tout court.
Y : Qu'est-ce que la régie d'un concert a de particulier, sensiblement, pour toi ?
F : C'est juste que je dis concert parce que ça implique pour moi vachement moins de choses. Même si c'est sensiblement la même chose, au final. C'est-à-dire qu'il y a de la régie lumière, il y a de la régie son, il y a de la régie plateau.
Il peut y avoir des effets, des trucs, des machins. Mais, en fait, pour... Pour moi, la musique, avant tout, c'est t'écoutes.
Après, tu regardes. Si on peut rendre ça plus joli, c'est cool. Mais...
Et le théâtre, c'est voir et un peu écouter. Tu vois, souvent, on dit « le premier poste qui dégage dans un concert, c'est les lights. »
Le premier poste qui dégage en théâtre, c'est le son. Et du coup, la musique, elle se suffit àelle-même.
Même si le théâtre se suffit aussi à lui-même. Parce que tu peux jouer sans décor, sans rien, une pièce. Et si les comédiens sont bien et que c'est bien...
Mais... Le lieu importe... Ce n’est pas qu'il importe peu, mais...
Le lieu donne moins... Plus de satisfaction à la musique. Je ne sais pas comment le dire.
Tu vas voir un concert dans un hangar, si le son est bon, tu t'en fous que ce soit un hangar. Voir une pièce de théâtre dans un hangar, sauf s'il y a une raison réelle de pourquoi.
Moi, toutes les salles polyvalentes, ça me fait vomir, en fait.
C'est super.
C'est super pour les lieux, parce qu'ils ont quelque chose qui est polyvalent, et qu'ils peuvent l'exploiter pour plein de choses. Et pour les petites communes, c'est important tout ça. Mais...
Tu vois... Tu vas au Grand Théâtre de la MC2, voir une pièce, et après tu vas voir le même truc au Summum, ça ne peut pas être pareil. Tu vas rentrer dans un espace, quelque chose, tu vois comment c'est fait, et l'autre tu vas rentrer dans un zénith.
Ça n’a pas d'âme, ça n’a rien. Tu vois ? Ici, même l'Hexagone de Meylan, la forme de la salle, comment ça a été conçu par les scénographes, ça a pas été conçu pour accueillir tout et n'importe quoi.
Après, on peut faire tout et n'importe quoi dedans. Alors que le zénith, il a été conçu pour faire tout et n'importe quoi dedans.
Et je pense que la différence, elle est énorme sur ton ressenti. Je le vois vachement quand on reçoit des gamins qui viennent de quartiers défavorisés, qui ne sont jamais allés au théâtre de leur vie, c'est souvent le cas, mais ils débarquent au théâtre, juste les fauteuils, les murs, ils hallucinent. C'est magique.
Tu rentres dans le Summum, super, il y a beaucoup de fauteuils, il y a 5000 places assises, c'est un truc de barjot. Tu vois ? Donc tu perds un peu, c'est comme si tu...
Y : C'est bien, tu vas sur une question, mais je reviendrai plus tard, sur la notion de l'architecture de certains espaces. Comme je l'ai répété dans plusieurs entretiens, l'architecture d'un bâtiment, surtout des grands théâtres comme celui-là, c'est pensé, réfléchi pour durer et aussi impressionner, régaler la vue. Et impressionner, marquer la mémoire, l'esprit du public qui va passer, comme tu l'as dit et ça fait plusieurs siècles.
F : Alors, il y a les deux. C'est ça qui est intéressant dans un théâtre à l'italienne, c'est qu'il y a le côté public qui est fait pour régaler le public et il y a le côté technique qui est fait pour régaler les techniciens. Parce que nous, notre côté plateau, c'est moche.
Sauf que c'est... ça a été pensé pour faire ça. Et du coup, on a tout ce qu'il faut pour faire les choses.
Quand tu vas dans des nouvelles salles, côté scène, alors côté salle, ça va être un grand arbre rétractable, des jolis fauteuils et tout ça, avec des panneaux acoustiques, des trucs, des machins. Alors nous, il s'avère qu'il y a des panneaux aussi acoustiques, avant il y avait une jolie... il y avait le lustre et tout, ils ont tout dégagé en 52 là.
Mais bon, peu importe. Mais quand tu vas côté scène, maintenant tu as des perches, mais nous on en a beaucoup, il y en a peu parce qu'il n'y a pas les sous pour en mettre beaucoup, ou alors si, dans les grands lieux, il y en a beaucoup, mais c'est un peu... il n'y a pas d'âme.
Même à la MC2, le plateau, je trouve qu'il n'y a pas vraiment d'âme parce que ce sont des moteurs... Après c'est hyper fonctionnel, c'est fait pour, mais le nôtre, il n'est pas moins fonctionnel.
Nous on fait des trucs de malade qu'à d'autres endroits, ils ne pouvaient pas les faire. Mais avec le temps, on a dû ramener, développer les trucs, les machins pour qu'on puisse les faire. Mais rien n'est vraiment limitant.
Il y a plein de lieux où tu te dis, je peux mettre une vis dans le plateau, tu es fou. Au Grand Théâtre, tu veux visser, vas-y, visse. Le lendemain, retire la vis, trois jours après, tu ne sais même plus où était le trou.
Le plateau est en sapin, c'est fait pour, le sapin bouge et il referme ses propres trous. Tu vois ? Donc en fait, tout a été réfléchi pour vivre.
Et pour vivre au service du théâtre. Faire un concert au Théâtre Municipal, ça claque tout. Tu vois ce que je veux dire ?
C'est encore mieux que dans une salle de fête pour les concerts.
Y : Est-ce que tu as des détails ?
F : Parce qu'en fait, tu fais un spectacle musical dans un endroit où tu as l'âme du théâtre en plus. Tu as tout, en fait.
Tu rajoutes encore. En plus d'avoir le son, la lumière, la vidéo, tout ce que tu veux, tu rajoutes en plus ce petit truc derrière. C'est le théâtre.
Et le théâtre, pendant très longtemps, les gens n'osaient même pas entrer dedans. Et c'est encore le cas, parce qu'ils pensent que c'est quelque chose d'élitiste. Mais du coup, cette petite image-là élitiste, ça fait un peu de frisson aux gens.
Tu vois ?
C'est mon point de vue. Peut-être qu'il y en a plein qui disent « Oh non, c'est de la merde ».
Y : Oui, c'est vrai que les goûts, les couleurs, ça ne se discute pas. Il y en a sûrement à qui ça ne doit pas plaire. Mais ce sont des bâtiments qui impressionnent.
Ce sont des architectures qui, très souvent, impressionnent. Que ça déplaise ou non, ça impressionne très souvent. Pour avoir discuté avec les autres souvent autour de cette salle, il y a cette notion où ils et elles ont un peu souligné différents postes, qui ont souligné le fait que ça demandait beaucoup en termes de budget pour pouvoir rénover cette salle, qui a des besoins de rénovation, apparemment.
Et aussi, les spectacles ont changé en termes de production, de dispositifs. Ça questionne aussi cette salle et comment elle va devoir être mise aux normes, si elle est mise aux normes ou que sais-je. C'est un débat qui me dépasse.
Mais j'ai remarqué ça. Par rapport à cette question-là, qu'est-ce que tu pourrais dire ? Est-ce que tu trouves qu'il y a des rénovations, si oui ?
Est-ce que les spectacles d'aujourd'hui ont une influence sur les possibles rénovations de cette salle ?
F : Moi, je pense que c'est un peu un délire. En fait, l’Hexagone de Meylan, à la base, c'était… t’y es déjà là ou pas ?
Y : Non, malheureusement pas encore.
F : Quand tu es dans cette salle-là, tu as un grand gradinage avec le plateau. En haut, tu as une énorme charpente qui est hyper circulaire. C'était un peu le même délire que la grande salle de l'Auditorium de la MC2.
Tu es déjà allé ou pas là-bas non plus ? (oui) En fait, à la base, le public était à 360 degrés autour. Au milieu, tu avais un plateau.
Le plateau, il tournait. L’Hexagone de Meylan, c'était l'inverse. Le public tournait autour du plateau.
Et du coup... Bref. Et aujourd'hui, c'est des salles où c'est du frontal.
Et aujourd'hui, il y a plein de compagnies. Et Delphine a dit « oui, le machin, le bifrontal, machin et de ça ». Oui, il y a plein de compagnies qui essayent de faire ça pour mettre le public à l'intérieur.
Mais à chaque fois que je vois un spectacle comme ça, très rarement, je trouve que c'est bien utilisé. Je pense qu'il y a aussi une bonne mode de « on va partir là-dessus ou on va partir là-dessus ». Donc...
Pour moi, si on la rénove, il faut juste refaire un truc clean mais il faut garder cette frontale. La frontalité. Voilà.
Après, peut-être que j'ai rien compris et que... Non mais, tu vois ? Et peut-être que je suis vieux jeu et que...
On va dire « attends, c'est vraiment un vieux con ».
Du coup, voilà. Je comprends qu'il y a un besoin là-dedans mais je pense qu'on tire vraiment trop loin, pour moi.
Y : Mais j'ai... Je ne me remets pas en question. Parce que tu l'as dit 2-3 fois, j'ai compris que c'était ta parole et que tu l'assumes.
Comme je dis, c'est un débat que je ne maîtrise pas, je ne m'occupe pas de cette salle, je ne prospère pas là-dedans, à part en tant que spectatrice une fois ou deux cette année, puisque je suis nouvelle dans le coin. Donc je n'ai pas véritablement... Je sais qu'il y a tout plein de choses qui se cachent derrière, parce que j'ai l'habitude du dispositif théâtral.
Il y a aussi un autre truc, c'est l'importance de la boiserie pour cette salle. J'avoue que moi, j'ai très peu visité des salles où il y avait... J'ai plus vu, je crois, ces dernières années, des salles polyvalentes de par les spectacles que j'ai vus.
Et j'avoue que ça m'a beaucoup impressionnée. Et je me rends compte que les matériaux qui constituent une salle vont aussi beaucoup jouer sur la sensibilité qu'on a vis-à-vis de cette salle.
Tu trouves, avec cette salle aussi, que c'est le cas ?
F : Alors moi, le côté public, je le trouve dégueulasse. Non le bois, je trouve ça très moche. Et heureusement qu'acoustiquement, ça a un intérêt, parce que sinon, j'aurais fait tout brûler.
Non, je déconne. Mais... Je n’ai pas ce pouvoir-là, et puis je ne suis pas pyromane, donc ça ne marche pas.
Mais non, je trouve ça très moche. Après, c'est un travail acoustique qui a été fait par quelqu'un, et, ça a le mérite d'être bien fait, je pense. J'ai l'impression, en tout cas.
Donc voilà. Après, tout ce qu'il y a en bois, c'est juste que le bois, c'est mieux que l'acier. Pour plein de choses.
Ne serait-ce qu'entre le plus gros fléau des salles de spectacle, c'est le feu. Et il vaut mieux du bois que de l’acier parce que le bois, ça brûle, mais ça tient plus longtemps que l'acier.
Si tu fais brûler une maison en bois ou une maison en acier, la maison en acier, au bout de vingt minutes, elle est par terre. La maison en bois, trois heures après, elle brûle encore, mais elle est toujours debout.
L'acier, quand ça chauffe, après ça fond.
Y : Oui, ça se casse sur soi. La structure s'effondre.
F : Donc le bois, ça brûle bien. Donc il faut faire attention, parce que si t'as que de l'acier, ça ne peut pas brûler. Forcément.
Et si t'as du bois, ça peut propager le feu. Mais après, voilà. Et puis le bois, c'est malléable, l'acier, ça ne l’est pas.
Y : Encore quelques questions. On a pas mal écumé de choses. J'avoue qu'il y a une question qui m'intéresse pas mal.
Donc d’après ton parcours, t'étais sous le régime de l'intermittence ?
F : Ouais.
Y : Donc t'as quand même une expérience de ça. Et là, maintenant, tu as contrat fonctionnaire. C'est ça ?
Ça change, quand même. Ce n’est pas la majorité des travailleurs des arts de la scène qui ont des contrats comme ceux-là.
F : Dans les salles, beaucoup. Ou privés, mais c'est des CDI ou des fonctionnaires.
Y : Justement, ces changements de régime, ces changements de contrat, quelle influence ça peut avoir sur le travail qu'on fournit et la manière aussi d'aborder son travail ?
F : Alors forcément, quand tu as un contrat où tu sais que si ça ne plaît pas à ton chef, le lendemain, il peut appeler à un autre, parce qu'il a l'intermittence. Même s'il y a des moyens de se défendre en intermittence là-dessus, mais voilà. Forcément, il y a des gens qui vont être plus attentifs à ce qu'ils font quand ils sont dans ce cas-là.
Et le jour où ils seront permanents dans une salle, peut-être qu'ils ne seront pas pareils parce qu'ils se diront de toute façon, on ne peut pas me virer. Sur le fait que je suis dans ce cas-là, sur le fait qu'on ne peut pas me virer, après je suis fonctionnaire.
Après, je pense que c'est juste une histoire d'éducation et de vision de ce qu'est le travail, et de ce qui est rendu ou pas par les employeurs. Je ne pense pas que j'ai réellement changé ma façon de travailler à partir du moment où je n'étais plus intermittent.
Par contre, ce qui a pu changer, c'est mon implication à certains moments, suite à des problèmes organisationnels au niveau de la structure qui t'embauche. Quand tu es intermittent, en fait, c'est très précaire. Mais si moi, demain, je peux décider qu'un intermittent ne vient plus travailler au Théâtre Municipal, lui, l'intermittent, il peut décider de ne plus venir non plus.
Tu vois ? Donc, c'est à double tranchant. Il y en a plein, mais de toute façon, ils ne le feront pas parce qu’ils ne veulent pas...
Mais quand tu as quelqu'un qui bosse très bien et qui ne vient plus bosser chez toi quelle quesoit la raison, en fait, il te manque. Au même titre qu'un permanent qui n'est pas là.
Mais des fois, il y a un permanent qui n'est pas là, ça manquera moins qu'un intermittent qui dit « je ne peux pas venir ». C'est lié à ses compétences, lié à plein de choses. Donc, c'est un peu donnant-donnant, quand même.
Et puis, forcément, quand tu es permanent, il y a des choses qui ont... Quand tu es intermittent, tu viens le matin, tu repars le soir, tu participes à la vie d'un lieu, mais tu fais que... Tu vois, c'est que tu butines, en fait.
Sauf quand tu viens beaucoup, beaucoup, beaucoup. Après, tu deviens permittant, et ça dépend avec qui tu travailles. Il y en a, ils vont prendre en compte tes remarques, et puis d'autres, ils n'en ont rien à foutre.
De toute façon, ils diront « si tu n'es pas content, j'en prends un autre ». Voilà. Donc, c'est toujours un peu...
Y : Tu étais quand même en mobilité, avant quand tu étais intermittent, tu te déplaçais, et tu t’es sédentarisé... J'imagine qu'il ne doit pas y avoir grand-chose qui change dans la pratique, mais peut-être qu'on n'aborde plus la question culturelle de la même manière.
C'est ça que je me pose comme question. Tu vois, être ancré dans un territoire, dans ce sens-là.
F : Alors, en plus, c'est très particulier, parce qu'en plus de cette notion-là, il y a la notion de fonctionnaire. Du coup, si je travaille dans un stade municipal, c'est aussi une occasion qu'il y a eu, mais en fait, il y a aussi le fait d'être fonctionnaire. C'est-à-dire de travailler pour les autres.
Tu vois ?
Y : Enfin, développe ce que tu veux dire par là, s'il te plaît.
F : Le truc, c'est que quel que soit ton poste pour une commune, quand tu es fonctionnaire, tu travailles pour les administrés. Du coup, tu ne fais pas les choses de la même façon que si c'était pour faire de la thune.
C'est une notion en plus que tu pourrais avoir dans le privé. Donc, il y a encore un truc un peu différent. Tu vois ?
Moi, je... Quand je suis rentré, j'ai vu le côté que je pouvais me sédentariser. Mais après, quand j'ai passé le concours, je me suis aussi rendu compte de ce que c'était que d'être fonctionnaire, de pourquoi est-ce qu'on le faisait, pourquoi est-ce que j'allais être payé 700 euros de moins que quand j'étais intermittent.
Ben non ! Mais tu vois, il faut se demander des questions, de dire pourquoi est-ce que je suis prêt à gagner 700 balles de moins. Ben, parce que du coup, je travaille pour le service des gens.
Tu vois, l'intérêt commun. Et ça, je trouve que ça me parle dans mon éducation, dans qui je suis, tout ça. Et je le défends pas mal.
Je suis parti de la question qu’il n'y avait pas que ça, mais j'avais d'autres idées, mais je ne me rappelle plus exactement la précision de ta question.
Y : Donc, il y a aussi la question de la territorialité, être dans la mobilité en étant dans l'intermittence. Et puis se sédentariser, autre que pour des raisons familiales. On n'aborde plus la question culturelle de la même façon, il me semble, professionnellement, parce que t'es dans un territoire, t'es ancré, et puis comme tu l'as dit, être fonctionnaire, la fonction publique.
F : Avant, j'allais là où on avait besoin de moi en fait, je bossais pour le spectacle, là maintenant je ne bosse plus pour le spectacle, je bosse pour le théâtre. Avant, je travaillais.Alors, il y a deux trucs, parce que je faisais de la régie pour des salles, où là du coup, je fais exactement la même chose que ce que je fais aujourd'hui, sauf que j'étais intermittent, et que du coup, j'avais un lien faible avec le, mais quand même un lien avec le lieu en lui-même ;mais après, il y avait le côté où quand je faisais de la régie avec les compagnies de théâtre ou des groupes de musique, là, j'arrivais le matin avec mon camion, on venait dans la salle despectacle, on repartait. Du coup, il y a un moment où tu fais ton boulot pour faire vivre un spectacle, et de l'autre côté, je fais mon boulot pour faire vivre un lieu, et il y a mon homologue dans la compagnie qui fait vivre son spectacle.
Du coup, on passe quand même ces deux mondes qui travaillent ensemble tout le temps, mais qui sont quand même très différents. Tu vois ?
Y: Faire vivre un lieu, c'est un peu ce que vous faites avec cet espace, en travaillant dedans. C'est un patrimoine historique, en partie, pas toutes les salles, mais une partie. Oui, mais si, si, toutes au final, elles ont une histoire.
Elles ont toutes une histoire, dit comme ça. Après bon, il y a sûrement une hiérarchisation historique là-dedans, mais quel effet ça fait d'être fonctionnaire comme tu le dis « on est là pour les administrés » ? Donc pour partager, pour alimenter la vie culturelle, mettre à disposition une programmation, un théâtre, des spectacles, accueillir, donc dans un patrimoine historique comme celui-là. Quel effet ça fait, et comment tu penses que vous faites vivre ce lieu aujourd'hui ?
Je sais que c'est très vague comme question, mais c'est…
F : Ben après, on le fait vivre par plein de moyens. Déjà, il y a une programmation qui fait qu'il y a des gens qui viennent dans ces lieux pour voir des spectacles. Après, le Grand Théâtre, on le fait visiter, je dois faire 95% des visites du Grand Théâtre, et sur les 95% des visites, je dois parler 90% du temps, donc on peut dire que c'est quand même principalement moi qui fais les visites. Après, il y a une fille qui travaillait avec nous, qui était en stage, après elle a bossé un petit peu, et quand on faisait ensemble, c'était plutôt du moitié-moitié, puisqu'elle avait fait un mémoire sur le Théâtre Municipal de Grenoble, sur son histoire et tout ça. Elle avait quand même plein de trucs à dire, et on jonglait entre l'historique qu'elle avait et plus, et moi, la technique. Mais du coup, après, elle me volait des trucs de technique, et moi, je lui volais des trucs d'histoire, et c'était super intéressant, mais après c'est plutôt moi qui fais le…
Voilà, donc les filles des RP qui font les visites avec moi, elles prennent quand même des choses de plus en plus en main, mais c'est quand même plutôt moi qui fais ces trucs-là, donc il y a cette vie-là. Après, les RP, eux, font vivre en faisant des ateliers avec les compagnies, donc il y a beaucoup de médiations culturelles qui font vivre les lieux, tu vois, par exemple… Alors, pas là, parce que c'est un festival, mais c'est très rare qu'il y ait une compagnie qui vienne jouer sans faire une action culturelle liée, donc il y a une compagnie qui danse, potentiellement, le jour d'avant, elle va faire un atelier de danse avec des gens qui n'ont peut-être jamais fait de la danse pendant deux heures et qui est ouvert à n'importe qui, sur inscription, qui est gratuit… Et tous ces trucs-là, ça fait vivre. On a une billetterie qui est ouverte quand même assez régulièrement. Ça, c'est pareil, ça fait vivre tous ces lieux-là, quoi.
Je ne sais pas si j'ai répondu…
Y : Ah oui, il n'y a pas de réponse propre.
Tu es amené à répéter certains gestes liés à ton travail, une quotidienneté du travail. Quelssont les gestes que tu es amené le plus à répéter, je pose la question à tout le monde, même ceux au bureau.
F : Ben, aujourd'hui, mon travail, c'est 90% du bureau. Ce que je fais : je prépare toutes les fiches techniques avec les compagnies, et je fais les plannings de tous les gens intermittents et permanents. Donc, aujourd'hui, mes gestes…
Y : Tendinite du poignet ?
F : Non, je m'entraîne la nuit en jouant à des jeux vidéo, du coup, la journée, ça ne me fait rien. Mais principalement, oui. Sinon, quand je fais de la lumière. Sinon, un geste qu'on faisait beaucoup, c'était de faire des nouettes. Des nouettes, c'est des petits nœuds qu'on fait pour accrocher les pendrions ou les frises.
Et sur une frise, tu as peut-être 100 nouettes, quand tu mets 4 frises, déjà, t'as fait 400 nœuds. Donc, voilà, quoi.
Y : OK. Tout à l'heure, t'as utilisé, en parlant du Grand Théâtre, la notion de challenge technique, qu'il y avait plus de challenge technique.
F : Ouais.
Y : T'aurais des exemples ou des choses que tu apprécies questionner en termes de challenge technique, là-dedans ?
F : Écoute, je ne sais pas. L'année dernière ou avant, on a accueilli des spectacles, ça rentre aux chausse-pieds, en fait. Le challenge technique, c'est de se dire que le directeur technique, déjà, il a dit OK, ça passe.
Et après, trouver les solutions pour que, vraiment, ça passe. Et puis, quand tu dis à Greg, « ouais, t'as fait ça, mais en fait, le tube, il s'arrête là. Et nous, si on accroche un truc là, ça explose. Ça va péter parce qu'il n'y aura pas assez. » Du coup, tu vois, essayer de trouver des petits trucs. Et à la fin, qu'un spectacle joue quand même avec plein de choses qui n'étaient pas...
C'est ça. Moi, souvent, je dis que le lieu, il est plein de contraintes, mais on peut tout faire.
Y : Voilà. C'est quand même une période, actuellement, où il y a beaucoup de choses en mouvement. Mais à tous les niveaux, que ce soit politiquement… On sait bien que post-Covid, la question des budgets a beaucoup joué sur la culture. Donc, ça va avoir une influence sur le travail. Plus aussi, la question du genre au travail, on essaie d'arrêter de trop dire métier masculin ou métier féminin, surtout dans les secteurs de la technique.
Ça arrive beaucoup qu'on masculinise beaucoup. Enfin, ça change de plein de façons. Toi, depuis ta position et ton parcours, comment tu as observé ces changements ?
Pas nécessairement ce que tu en penses, mais ce que tu as observé.
F : Après, nous, c'est un peu... Globalement, de toute façon, oui, les budgets alloués à la culture sont de moins en moins importants, mais ça, c'est lié, clairement, à plein de choses, mais particulièrement à la politique, et puis à qu'est-ce que la culture ? Parce que, du coup, nous, on fait partie de la culture, mais est-ce qu'une vidéo sur YouTube, ce n’est pas de la culture aussi, tu vois ?
Donc, les arts, l'art numérique, aussi, rentrent vachement dans la boucle. Est-ce que regarder un film au cinéma ou sur Netflix... Tu vois ce que je veux dire, c'est que l'objet culturel, aussi, il y a plein de chemins.
Du coup, je pense qu'il y a beaucoup, beaucoup de chances qu'on change là-dessus.
Après, sur le genre, de toute façon, la technique, ça a toujours été des mecs, et on essaie de faire changer un peu ça, mais nous, aujourd'hui, quand on ouvre un poste de technicien, il n'ya aucune fille qui postule.
Y : Aucune ?
F : En tout cas, moi, dans tous les postes qu’on a ouverts ici. Après, on a des intermittentes, de plus en plus, mais en permanent, c'est rare. Et ce n’est pas...
Et au même titre que l'administration, disons, l'équipe de direction, ils voulaient trouver un RAF, et pas une RAF. En fait, c'est juste qu'il n'y a pas de mecs qui se présentent.
Voilà, tu vois. Donc, c'est hyper compliqué à mettre. Et moi, je suis contre, et il y en a plein qui diront peut-être pareil, mais moi, je suis contre...
Le premier critère ne peut pas être le sexe de recrutement. Non, mais il y a plein d'endroits où c'est le cas. Parce qu'on estime que machin et tout ça…
Pour moi, le premier critère, c'est la compétence et la personne, aussi. Alors, quand tu recrutes, c'est compliqué de te faire un avis sur la personne, donc forcément, c'est l'entretien qui correspond, et puis surtout, les compétences des gens.
Donc, embaucher un mec parce que c'est un mec plutôt qu'une fille, alors que la fille est plus compétente, ben non. Tu vois, il n'y a pas... En fait, pour moi, le travail, il devrait être asexuel.
Ce qui n'est pas le cas. Ma femme, elle a un poste où il y a moins de thunes que si elle était un mec, et c'est scandaleux... Non, tu vois, c'est...
Alors, dans la fonction publique, logiquement, ça ne devrait pas être le cas, même si ça l'est un peu, mais beaucoup moins que dans le privé parce qu'on a des grilles de salaire et qu'il n'y a pas de paramètre sexuel, de sexe de la personne. Heureusement qu'on ne peut pas bidouiller, tu vois. Mais voilà.
Y : Je vois. Qu'est-ce que, à ton avis, tu retiendras une fois que ce sera derrière toi, toutes ces années au TMG ? Là, c'est de la spéculation pure.
Qu'est-ce qui se passera plus tard pour ce théâtre, pour le TMG, de façon générale ?
F : Aucune idée de ce qui se passera, étant donné qu'il est lié à des mandats politiques et que chaque mandat politique est différent. Moi, je suis arrivé sous le mandat politique d'Éric Piolle où ils ont fait des choix politiques sur le fonctionnement du théâtre et sur le projet. Alors, sans empiéter sur la programmation, mais ils donnent une ligne directrice du projet.
Après, la directrice a écrit un projet. On est inclus dedans. Si ça ne me convient pas, je me casserai. Si ça me convient, je resterai. Si ça n'a pas d'impact sur moi, puisque moi, j'ai connu ce qu'il y avait un peu avant et j'ai connu ce qu'il y a aujourd'hui, je trouve qu'on est plus proche de la culture aujourd'hui que ce qu'on était avant. Après, le travail peut être moins intéressant dans certains domaines qu'avant, parce qu'avant, il y avait plus d'argent, plus de moyens, même si ce n'était pas des moyens journaliers, mais c'était plus sur la globalité.
Donc, c'est très différent.
Après, on ne saura jamais ce qui viendra. Aujourd'hui, on parle peut-être de rénover un bout du 145. Dans trois ans, ça change de municipalité et dire « le 145, on s'en fout si on va le redonner à Serge Papagalli. Par contre, au grand théâtre, on va tout rénover. »
Ils vont tout rénover.
Aujourd'hui, on peut claquer 200 000 balles à un endroit quand on est une commune comme Grenoble. Et deux ans après, dire « ça ne sert à rien, ce n'est pas grave ».
Du coup, on va mettre 3 millions là. Et c'est vrai. Mais ce n'est pas Grenoble.
C'est toutes les collectivités de la plus petite à la plus grande. Plus t'es petit, moins t'as de thunes, donc plus tu fais attention entre guillemets. Et moins les échelles sont...
En fait, ce n'est pas une histoire de petit ou de grand, c'est une histoire d'échelle de grandeur en fonction de l’endroit où tu es. Je veux dire, aujourd'hui, tu gagnes 50 000 euros par mois. Payer un truc de 100 balles, ça ne te fait rien.
Tu gagnes 1 500 balles. Après, il y a un truc de 100 balles, ça te coûte. Donc, c'est exactement la même chose.
Et vu que les ordres de grandeur combinent comme ça. Tu vois, c'est 4 200 agents. Déjà, rien que si tu te dis tous les mois, je donne 1 euro de plus, tu vois, tous les mois à tous mes agents, eh bien, ça fait déjà 50 000 euros par an qui sortent pour 1 euro par personne. Et même pas 100 000 euros parce que tu les charges, tu vois.
Donc, si tu donnes 1 euro à tous les agents, eh bien, à la fin de l'année, ça coûtait 100 000 euros. Donc, forcément, ton budget, il est lié à des choses comme ça. Donc, claquer 100 000 balles à un endroit, pour eux, on dit « ça pairait la moitié de mon appart ».
En fait, eux, ils éternuent et c'est 100 000 balles, tiens. En fait, on les a trouvées. Donc, c'est des ordres de grandeur.
On ne peut pas... Et donc, sur l'avenir d'un lieu comme ça, franchement, personne ne peut savoir.
Y : Tu as dit que tu avais vu un petit peu quel était le projet ici avant et maintenant récemment. Tu disais que ça s'approchait un peu plus de ce qu'on pourrait appeler de la culture, le programme, la programmation, de ce que j'ai compris. Tu pourrais me donner, m'expliquer un peu plus parce que je n'ai pas connu l'époque.
F : Après, c'est vraiment très personnel. C'est « qu'est-ce que la culture ? » Donc, avant, c'était programmé que le même type de spectacle qui était fait pour des gens aisés, plutôt aisés, qui finançaient. Au final, on payait des théâtres privés qui faisaient des productions et qui tournent en France dans d'autres lieux.
Et moi, je suis un enfant pour la culture. Et toi aussi, je pense, on est un peu les enfants de Jacques Lang là-dessus. Et il a quand même fait des trucs de malade, je trouve, même si on peut dire tout ce qu'on veut sur le personnage, mais au niveau musique, théâtre, les lieux, il y a eu plein d'autres trucs avant lui, loin de là. Mais il y a quand même un truc en France.
Et du coup, pour moi, c'est la culture un peu pour tous. Et ce n'était pas le cas de ce théâtre-là avant. Et ça l'est certainement un peu plus aujourd'hui, dans une réflexion un peu différente. Et puis, quand je parle de culture, c'est quelque chose qui divertit, mais qui fait réfléchir les gens. Et je trouve, c'est complètement personnel, que ce qu'il y avait avant, ça faisait juste divertir les gens. Il n'y avait que du divertissement. Et je pense que le théâtre et la musique sont nés pour passer des messages, quand même. Depuis la nuit des temps antiques, les romains et tout ça. Je peux dire que sur scène, il y avait des trucs qui étaient dits que personne n'aurait osé dire autre part que sur les scènes. Sinon, ils se seraient fait couper la tête ou ils auraient été faits bouffer par un lion. Et que du coup, dans ce genre de projet-là qu'on accueillait avant, il n'y avait rien. Tu rentrais, tu t'asseyais, tu disais « ah ah ah », si c'était marrant, ce qui était rarement le cas pour moi.
Après, j'ai certainement une culture un peu trop de bobo, de Télérama, tout ce qu'on veut. Et tu rentrais chez toi et tu avais bien rigolé. Mais pour moi, la culture, il faut que ça aille un peu plus loin.
Parce que c'est comme ça qu'on amène les gens à réfléchir. Et après, ils peuvent se positionner, réfléchir et éviter après de partir dans les extrêmes, de partir en couilles, comme c’est le cas aujourd'hui. C'est clair. C'est-à-dire que ça fait 30 ans qu'on fait en sorte que les gens, ce sont des gros débiles.
Et là, quand on a bien réussi, du coup, on peut faire ce qu'on veut avec ces gros débiles. Voilà. Tu dois être encore plus désespérée que moi étant donné la teinte de ta peau.
Voilà. Encore plus. Bon, sachant que moi, ça me...
Après, moi, je sais que je... Bon, après, on va faire de la politique.
Y : (rires) Je pense que j'ai fait un peu le tour de tout…