Entretien avec Muriel Balint

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Dublin Core

Titre

Entretien avec Muriel Balint

Créateur

Yasmine Benaddi

Éditeur

Alice Folco

Public visé

private

Date

18 juillet 2024

Sound Item Type Metadata

Transcription

Cet entretien avec Muriel Balint (chargée des relations avec le public et de la médiation culturelle) a eu lieu le 18 juillet 2024 au Théâtre 145. Pour faciliter la lecture, la retranscription est lissée et les initiales sont utilisées.

 

: Je lance l'enregistrement. Alors, je récapitule, c'est vraiment pour collecter ton expérience, tes informations, des choses comme ça. Je ne vais pas écrire, c'est juste des petits penses bêtes, comme ça quand tu parles, je ne t’interromps pas.

 

M : Ok, tu peux m'interrompre, ça me gêne pas du tout.

 

Y : Des fois ça arrive, ce n’est pas la question, mais c'est bien aussi des fois de ne pas couper quelqu'un dans un flux de pensée, parce que tu peux te perdre et perdre l'autre aussi. En tout cas, j'essaye d'éviter. Je vais commencer par une question qui est très large, comment pourrais-tu résumer le parcours qui t'a menée au poste que tu occupes aujourd'hui au sein du TMG ?

En fonction de comment tu es là maintenant ?

 

M : Alors, j'ai grandi en Alsace, on vient d'en parler, dans une famille qui... Mes parents travaillaient dans le secteur culturel, donc j'ai vraiment baigné dans le spectacle vivant depuis ma plus jeune enfance. Après mon bac, je savais que je voulais faire des études, mais je ne savais pas trop quoi, donc je me suis offert une année de break, j'ai passé une année au pair en Angleterre.

Et à mon retour, j'ai décidé d'aller faire des études à Nîmes, un Deug de médiation culturelle et communication. Donc clairement, j'ai fait le choix de suivre un peu la voix de mes parents, parce que je sentais que c'était une piste que j'avais envie d'explorer. Donc Deug, ça n'existe plus aujourd'hui.

 

: C'est un bac + 2 ?

 

M : Ouais, voilà. Ensuite, j'ai été à Dijon faire un IUP, ça c'est pareil, je ne sais pas si ça existe toujours, Institut Universitaire Professionnel, dont l'intitulé était Management et gestion des entreprises culturelles.

Et là, c'était une formation où on nous encourageait, non pas à nous spécialiser dans un type de métier, chargé de diffusion, chargé de com, administration ou quoi, mais plutôt dans une discipline artistique, étonnamment, c'est assez rare de prendre ce prisme-là. Et moi, je me suis un peu cherchée, ce n'était pas complètement évident de savoir si je voulais me spécialiser dans le théâtre, le cinéma. Voilà, j'étais un peu paumée. Et j'ai fait ma deuxième année en Erasmus, en Irlande.

 

Et là, il y a eu un déclic un soir dans un pub à Galway, sur la côte ouest, un type, un vieux bonhomme qui s'est levé tout d'un coup, dans le brouhaha, ça fumait encore des clopes à l'époque. Et tout d'un coup, les gens se sont tus pour écouter son histoire. C'était un vieux conteur.

On n'a absolument rien compris à son histoire avec ma pote, puisque ce n’était pas en anglais, mais en gaélique. Mais là, tout d'un coup, on a eu vraiment un déclic, on s'est dit : « ah, mais c'est ça le conte ! » Et donc, à notre retour à Dijon, on a décidé de se spécialiser dans le conte.

 

Et c'est comme ça que je suis arrivée à Grenoble, en 2003, pour faire mon stage de fin d'études au Centre des Arts du Récit, qui organise le Festival des Arts du Récit, qui existe toujours aujourd'hui, et dont c'est la 30ème édition au moins. Et à l'issue de mon stage, je venais à Grenoble pour un stage de trois mois, et ça fait plus de 20 ans que je suis toujours là.A l'issue de mon stage, on m'a proposé de reprendre un poste de chargée de com, et c'était l'époque des emplois jeunes, qui était un dispositif contestable à plein d'endroits, mais qui a quand même permis beaucoup d'embauches de jeunes dans le secteur culturel. Donc voilà, l’association a bénéficié d'aide de l'État pendant des années pour mon poste.

 

Voilà, donc je suis restée 10 ans, 11 ans même, je crois, aux Arts du Récit, et j'ai découvert le conte, qui n'est pas qu'une discipline pour les enfants, comme certains le pensent encore, mais vraiment une discipline, c'est un art contemporain. Il y a des formes contemporaines, et des artistes de toute la francophonie qui viennent chaque année pour le Festival, raconter dans des écoles, des bibliothèques, des prisons, des musées, des bars, etc. Et donc j'ai pris beaucoup de plaisir à découvrir ce milieu-là.

 

Je crois que ça venait aussi convoquer un truc de quand j'étais petite, mon père me racontait souvent des histoires, et voilà, donc j'ai eu beaucoup de plaisir à écouter tous ces conteurs. J'ai beaucoup voyagé sur des festivals à l'étranger, dans toute la francophonie, beaucoup en Afrique de l'Ouest, voilà. Et puis, au bout de 11 ans, forcément, j'ai commencé à sentir un peu les limites, une sorte de lassitude, en tout cas un besoin d'élargir un peu les horizons. Et donc j'ai négocié une rupture conventionnelle, voilà.

 

Et là, je ne me souviens plus précisément, mais j'ai eu quelques mois au chômage quand même ; après j'ai rebossé un peu à la Maison de la Poésie, à l'Observatoire des politiques culturelles. J'oublie certainement des choses, mais ensuite je suis devenue intermittente du spectacle et j'ai bossé en compagnie pendant quelques années, et notamment pour la compagnie des Veilleurs, qui aujourd'hui est une de nos compagnies associées. j'ai passé trois ans avec Les Veilleurs, qui est une compagnie qui fait du théâtre de texte, plutôt jeunes publics, mais pas qu'eux, et donc moi j'ai été chargée de médiation.

 

Voilà, j'ai énormément appris et j'ai eu la chance de travailler donc aux côtés d'Emilie Le Roux, qui est la directrice artistique et metteuse en scène de la compagnie, qui est quelqu'un qui a une vraie pensée sur la jeunesse et le théâtre, et qui m'a embarquée un peu partout en France en tournée avec elle, sur des très beaux projets. Et j'ai fini mon expérience sur un projet participatif qui s’appelait Et tout ce qui est faisable sera fait, qui réunissait tous les comédiens et musiciens professionnels de la compagnie, mais aussi beaucoup d'amateurs. C'est un projet qu'on a mené à Grenoble avec la MC2, à Vitry-sur-Seine avec le Théâtre Jean Villard et à Orléans avec La Scène nationale, avec à chaque fois la même équipe de professionnels mais des amateurs différents évidemment dans les trois usines.

Et c'est un projet magnifique, très porté sur l'humain, et c'est avant tout pour ça que je fais ce métier, pour la rencontre, mais qui était aussi totalement épuisant. Évidemment, un projet de cette envergure-là sur trois villes différentes, c'était assez exigeant. Et à l'issue de ce très beau projet, j'ai décidé de quitter la compagnie, et puis j'ai bossé pour d'autres compagnies.

 

Toutes ces compagnies sont basées à Grenoble dans un même endroit qui s'appelle Le Petit Angle, et j'ai bossé un peu pour toutes les autres compagnies, pour la compagnie du Chat du Désert notamment, pour le collectif Troisième Bureau qui est un comité de lecture de théâtre contemporain. Et c'est vrai que d'être intermittente du spectacle, pour avoir un taux un peu correct, souvent il faut cumuler plusieurs employeurs. Moi, étant seule avec mon fils, c'était assez exigeant en termes de temps de travail.

 

Je bossais beaucoup le soir, les week-ends, pas mal de tournées, etc. Donc quand le Covid est arrivé, et que s'est présentée cette opportunité de poste, de chargée des relations avec le public ici au TMG, j'avoue que j'ai sauté sur l'occasion. Et il se trouve qu'avec Delphine Gouard, la directrice, on s'est rencontrées justement sur ce projet, Et tout ce qui est faisable sera fait des Veilleurs à la MC2, puisqu'à l'époque elle dirigeait le service des relations avec le public.

Et donc quand Delphine a pris la direction du TMG, elle m'a appelée en me disant « il serait bien que tu postules » et j'ai postulé. J'ai eu poste et j'ai retrouvé un peu de sécurité de l'emploi avec un salaire qui n'est pas un très bon salaire, mais qui néanmoins est le même chaque mois. Et donc il n'y avait plus ce stress de trouver des employeurs, des missions à droite à gauche pour faire des heures. Donc voilà, un peu de sérénité, de tranquillité, de sécurité de l'emploi.

 

Et du coup je découvre encore aujourd'hui ce métier de chargée des relations avec le public que finalement je ne connaissais pas, même si ce que je faisais précédemment en compagnie n'était pas si éloigné. En tout cas, j'ai beaucoup de plaisir aujourd'hui à travailler pour un lieu,qui propose une programmation pluridisciplinaire, même si on est quand même essentiellement sur le théâtre, la danse, le cirque et la marionnette. Mais en tout cas, c'est un métier dans lequel je trouve énormément de sens.

 

Voilà, je trouve que dans le monde très dur qui est le nôtre aujourd'hui, faire ce métier-là, j'ai parfois l'impression, notamment pendant le Covid, j'ai eu l'impression de faire un boulot d'utilité publique. Quand vous les étudiants, vous étiez cloîtrés chez vous, et que nous on n'avait plus le droit de recevoir de public, et que l'on a finalement quand même réussi à accueillir quelques étudiants sur des suivis de création, parce que les artistes eux avaient le droit de continuer à venir travailler, ça, ça a été vraiment très fort. J'ai senti que pour vous les étudiants, c'était tellement précieux, juste d'être dans la relation, dans l'instant, dans la rencontre.

 

Donc je suis très heureuse de faire ce métier, c'est un métier qui me procure beaucoup de sens. Finalement, j'ai l'impression que c'est une forme de militance aussi, à mon petit niveau, à ma petite échelle. Alors c'est tout petit, j'ai l'impression que le boulot que je fais, c'est un boulot de fourmi, on sème des toutes petites graines. C'est souvent très difficile de quantifier les effets, le nombre de personnes qu'on touche effectivement, qui viennent effectivement voir les spectacles.

Mais peu importe, en tout cas, c'est avant tout de la rencontre, c'est de l'humain, et c'est ça qui me plaît beaucoup, vraiment. Voilà, en gros, pour mon parcours.

 

Y : Donc si j'ai bien compris, t'es arrivée à ce poste-ci, ici, vers 2018, 2019 ?

 

M : Ouais, ça fait quatre ans, 2020, fin 2019, début... C'est ça, je finis ma quatrième saison.

 

Y : J'aimerais bien revenir sur une petite phrase que t'as dite, elle m'intéresse parce que je crois que ça peut être riche en informations. Tu expliquais que dans ta position de femme avec un enfant, c'était très contraignant de travailler le soir, d'être disponible, peut-être même une forme d'astreinte. Je ne sais pas, mais c'est vrai que les métiers des arts de la scène, il faut quand même être assez disponible.

 

C'est un propos qui ressort beaucoup. D’ailleurs au bout d'un moment les femmes, dès qu'il y a un enfant, c'est très compliqué, on n'est pas là pendant le petit verre, à la petite pause, pour pouvoir discuter, enfin le soir...

 

M : Moi, j'ai eu la chance de... Enfin, on a un mode de garde alternée, donc une semaine sur deux, je n'avais pas mon fils qui était chez son père. Du coup, j'ai réussi à organiser mes quatre ou cinq années d'intermittence sur ce mode-là. Les tournées étaient possibles une semaine sur deux, voilà, et le reste du temps...

 

Après, je n'ai finalement pas fait tant de tournées que ça, j'étais beaucoup au bureau pendant les trois années avec Les Veilleurs. D’ailleurs, j'avais un sentiment un peu de solitude parce que d'être seule au bureau quand tu sais que toute l'équipe part en tournée Mais j'ai quand même eu la chance de pouvoir suivre des tournées, malgré tout, quelques fois. En tout cas, j'ai réussi à jongler sans que ce soit trop contraignant par un mode d'organisation qui me permettait d'avoir une semaine sur deux de liberté.

 

Y : D'accord, mais avec du recul maintenant, parce que, de ce que j'ai entendu, il est adolescent maintenant, donc il est un peu plus autonome.

 

M : Tout à fait.

 

Y : Donc c'est moins stressant ou moins accaparant.

Ce que je veux savoir, ce qui m'intéresse comme information là-dedans, c'est avec le recul, comment tu analyses cette situation, tu vois, de façon factuelle. Enfin, s'il y a une dimension émotionnelle, je ne la mets pas de côté, mais je veux dire, par exemple, tu croises une collègue, elle est mère célibataire également, et elle t'explique ça, tu as déjà une grille de lecture, en fait.

C'est plus ou moins ça qui m'intéresse.

 

M : Moi, je l'ai vécu plus comme une chance, c'est-à-dire que j'étais hyper heureuse pendant ces années-là de travailler pour une compagnie qui fait du théâtre jeune public et de pouvoir en faire bénéficier mon fils, en fait. Je l'ai plus vécu comme une opportunité heureuse que comme quelque chose de contraignant, parce que voilà, j'ai réussi à composer, mais j'ai la mémoire courte, je suis quelqu'un qui a une grande faculté à tourner la page. Sans doute que quand j'avais le nez dedans, à l'époque, je le vivais peut-être moins bien, mais aujourd'hui, avec du recul, j'en garde aussi d'abord du positif.

 

En tout cas, du coup, mon fils a vu beaucoup, beaucoup de pièces, je l'ai embarqué, voilà. Etaujourd'hui, ça continue. Il vient régulièrement voir des pièces au TMG, donc j'ai l'impression que le métier que je fais lui a permis que je lui donne une ouverture culturelle qui est plutôt, j'ai envie de croire que c'est plutôt une richesse. Je ne sais pas ce qu'il en fera, mais en tout cas, c'est un bagage qu'il a, voilà, une curiosité.

Ça lui servira ou pas, mais c'estj'ai l'impression que c'est une forme de richesse.

 

Y : Très bien. Du coup, chargée des relations avec le publique, tu as déjà commencé un petit peu à y toucher, mais quelle est la spécificité de ce travail ? Et puis, tu as aussi parlé du lieu, c'est aussi par rapport au lieu où ça se produit, ce genre de rapport, la manière dont on travaille, qu'est-ce que c'est techniquement ?

 

Comme tu l'as dit, ce n’était pas le premier métier que tu avais, que tu as pu essayer. Doncselon toi, comment tu pourrais résumer ce poste-là et le lien avec ce lieu-ci?

 

: Ouais, alors ce que j'ai envie de dire d'abord, c'est que nos postes, parce qu'on est deux dans ce service, c'est chargé des relations avec le public et de la médiation culturelle. J'ai réalisé très récemment à l'occasion d'une formation organisée par VLV, Vive les Vacances, qui est un dispositif qui réunit plusieurs centres de l'agglomération pour proposer des spectacles jeunes publics sur les petites vacances, et on a fait une formation avec une médiatrice culturelle indépendante, Émilie Lebel. Et j'ai réalisé qu'on ne fait pas de médiation au TMG, la médiation c'est quand nous-mêmes on pense des projets d'EAC, d'Education Artistique et Culturelle, en lien avec des classes, quel que soit le niveau. Nous, finalement, on fait très peu ça, à mon grand regret, mais en fait on n'a pas vraiment le temps. Je me vois plus comme une facilitatrice de projets, donc juste très rapidement pour préciser, on est deux,donc Audrey Pays et moi dans ce service. Audrey est plus sur le lien avec les maternelles primaires et collèges, et moi je travaille plutôt avec les lycées et les étudiants, je travaille aussi beaucoup avec le champ du social, je travaille avec les écoles de pratique artistique.Enfin voilà, on s'est réparti un peu les partenariats avec Audrey. En tout cas il y a deux choses, il y a des actions culturelles qui sont d'ores et déjà calées pour la saison, qui apparaissent dans le programme de saison, et qui sont par exemple des ateliers en lien avec les spectacles qu'on va proposer, donc un atelier de danse en lien avec tel spectacle, un atelier de marionnette en lien avec tel spectacle. Voilà donc ça c'est tout ce qui est calé d'ores et déjà.Ensuite il y a aussi tout ce qu'on va générer nous au fil de la saison dans nos liens, nos partenariats avec les différents groupes. J’ai la chance que dans mon lien avec les profs de lycée et avec le pass Culture, qui est arrivé depuis quelques années, il y a désormais quand même un peu de budget pour mener des projets plutôt très chouettes. Mon boulot c'est vraiment de mettre en lien les artistes et nos partenaires, et d'impulser, de générer des projets d'actions culturelles. Je sangle vraiment mon endroit, et puis de toute façon dans la vie en général, ce que j'aime c'est faire du lien. Voilà tu vois tu me parlais tout à l'heure de tes projets à toi, ça me fait penser à telle association, donc c'est quelque chose qui est très fortement ancré en moi, faire du lien c'est ce que j'aime. Et puis quand ça marche et que ça donne lieu à de beaux projets, c'est encore plus réjouissant évidemment.

 

Donc voilà, il y a ce qui est déjà calé, les actions culturelles en lien avec les spectacles, et puis il y a tout ce qu'on va générer aussi au fil de la saison, particulièrement en lien avec nos artistes associés. Donc on a trois compagnies associées qui ont notamment été recrutées parce qu'elles ont un lien très fort au public, et parce qu'elles ont dans leur ADN l'action culturelle, et que ça fait vraiment partie intégrante de leurs projets. Donc ça a été assez chouette pour moi depuis deux ans, et puis encore pour la saison prochaine, de retravailler avec Les Veilleurs pour lesquels j'avais déjà travaillé précédemment. Mais du coup on a un autre lien, c'est différent mais tout aussi riche, et je travaille notamment avec Tania de la compagnie des Veilleurs qui fait le boulot que je faisais à l'époque, on forme un chouette duo toutes les deux.Là par exemple, Les Veilleurs travaillent actuellement, ils travaillent toujours sur des grands cycles thématiques. Actuellement ils se questionnent, depuis le Covid notamment, sur le sentiment d'inadaptation, ils se sont rendus compte qu'on est assez nombreux à se sentir inadaptés au monde, ou est-ce que c'est le monde qui est mal pensé. Voilà toute la réflexion est à cet endroit-là. Et donc les veilleurs créent des spectacles toujours en lien avec cette question, ce sentiment d'inadaptation, et à chaque fois qu'ils s'installent ici en résidence, ils aiment bien ouvrir les portes du théâtre. Chaque matin ils proposent des échauffements, donc on invite, c'est gratuit évidemment, on invite les gens à venir profiter de ces échauffements qui peuvent être des échauffements corporels, ou des échauffements vocaux, ou des échauffements plutôt rythmiques, percussions corporelles, etc. En tout cas c'est plutôt très chouette, ça c'est de 9h à 9h30. Et à 9h30 ils sortent thé, café, des supers viennoiseries trop bonnes, et là on discute, on échange. Du coup, ces moments-là rassemblent des gens très différents du quartier. On a évidemment fait tout un travail pour aller chercher des associations, des gens qui ne viendraient pas naturellement au théâtre. En tout cas, ça le fait, ça crée de très beaux moments de rencontre, d'humanité, et moi, j'ai vraiment plaisir à être actrice de ça. Puis, j'ai toujours à cœur que l'accueil soit particulièrement bien fait, pour que ces gens se sentent à l'aise dans nos théâtres. Eventuellement, ils ont envie d'y revenir, et les veilleurs sont vraiment dans cette même posture d'accueil. Voilà, donc ça, ce sont de jolis moments. Avec la compagnie des Gentils, c'est une tout autre approche. Ils sont plutôt du théâtre musical, mais ils sont aussi dans le lien avec le public. On a fait des stages, on a fait des projets participatifs avec La Guetteuse, un très joli stage qui a donné lieu à une création chorégraphique avec des gens qui n'avaient jamais dansé de leur vie. On a fait des flash-mob dans le jardin de ville. Enfin voilà, j'estime avoir vraiment beaucoup de chance de travailler là depuis deux ans avec ces trois artistes associés qui ont vraiment à cœur d'être en lien avec les habitants et de leur proposer des projets artistiques. Donc voilà, moi, oui, facilitatrice, c'est vraiment comme ça que je pourrais, je crois, le mieux résumer mon boulot.

 

Y : Très bien, donc ce poste est aussi intrinsèquement lié aux lieux, donc.

 

M : c'est intéressant le lapsus que tu viens de faire.

 

Y : Oui, est-ce que tu peux un peu plus aller sur la question du lieu ? Quelle est la spécificité de ce lieu et quelle est son incidence sur ton travail ?

 

: Alors, il a cette spécificité d'abord de n'être pas qu'un seul lieu, mais trois, plus les ateliers, donc voilà, cinq en réalité, ce qui fait que je suis vraiment nomade. Je suis généralement, plutôt en début de semaine, au Grand Théâtre et en fin de semaine ici au Théâtre 145. Mais évidemment, je me balade aussi pas mal à l'extérieur pour aller rencontrer les différents partenaires, donc je fais pas mal de vélo. Mais voilà, on a la chance d'habiter dans une ville où c'est plutôt assez facile de se déplacer à vélo.

 

En tout cas, j'ai rarement deux journées qui se ressemblent dans la même semaine. J'avoue que j'apprécie ça, il n'y a pas vraiment de routine, les journées ne se ressemblent pas. Il faut savoir que ça nécessite pas mal de mobilité. Certains dans l'équipe le vivent comme une contrainte et j'entends que ça puisse l'être, notamment pour l'équipe technique. Moi, je le vis plutôt comme une chance. Et puis ce que j'ai envie d'ajouter par rapport à ça, cette année, pour la première fois, on a développé aussi des projets décentralisés. C’est-à-dire qu'on avait deux spectacles cette année qu'on a proposés à des partenaires en décentralisation, enfin horsles murs, donc c'est venu rajouter encore plus de mobilité, encore plus de partenariats, encore plus de transports, etc. Donc juste pour rentrer un tout petit peu dans le détail, le premier spectacle, c'est un spectacle qui s'appelle Hexe, qui veut dire sorcière en allemand, un spectacle de danse-théâtre et qu'on a tourné pas mal dans les lycées notamment.

 

Et ça, vraiment, j'ai l'impression que pour des élèves, d'avoir un spectacle qui vient jouer dans l'établissement, c'est une sorte de privilège. En tout cas, ça a été très, très, très apprécié. J'ai eu la chance pour ça d'être accompagnée par la Maison de l'International qui m'a beaucoup aidée à me mettre en lien avec les profs germanistes, notamment.

Donc ça, c'était plutôt au début de 2024, en janvier. Et là, à la fin de saison, on a tourné un autre spectacle qui s'appelle Au non du père, nom NON, qu'on a accueilli au Théâtre de Poche, mais qu'on a proposé aussi dans un lycée, le lycée Louise Michel et à l'association Beyti, dont je te parlais tout à l'heure. Donc ça, c'était une nouveauté pour moi cette année dans mes missions.

 

C'est assez chronophage d'organiser des tournées décentralisées, mais c'était hyper, hyper intéressant. Après, pour l'équipe technique notamment, c'est quelque chose qui vient se rajouter à un fonctionnement qui est déjà très lourd à assurer sur trois lieux différents. Le fait qu'il y ait en plus des spectacles hors les murs qui viennent se rajouter, j'ai senti que c'était, et deux en plus la même saison, c'était sans doute un peu trop.

Donc voilà, je pense que pour l'avenir, et Delphine en convient, on va devoir peut-être réduire le nombre de spectacles décentralisés. On n'en a qu'un, du coup, l'année prochaine. Et puis peut-être préciser un peu la méthodologie de travail là-dessus.

 

Mais voilà, en tout cas, c'est quelque chose qu'on ne faisait pas, qu'on a fait cette année et que moi je trouve plutôt réjouissant. Le fait d'aller chez les gens, d'aller jouer in situ, même si c'est vrai, ça demande un peu de boulot de préparation. Il y a toutes ces questions de sécurité, d'évacuation, etc., qu'il faut prévoir en amont. Je ne suis pas du tout compétente sur ces questions-là. Enfin voilà, finalement c'est du boulot, mais en tout cas, c'était plutôt chouette pour moi de vivre ça cette année.

 

Y : Ce que je trouve intéressant dans ce que tu viens de dire, c'est parce que j'ai fait déjà une certaine quantité d'entretien pour le moment, t'es un peu la première parole où tu cites déjà les ateliers par rapport aux lieux. En général, on parle essentiellement des trois salles. Donc déjà pour toi, l'atelier est un espace qui appartient, mais ça fait naturellement partie, alors que pour les personnes qui travaillent à l'atelier, ils pensent essentiellement à l'atelier.

Même chacun en fonction de son lieu de travail, donc il y a quand même ce côté-là et tu réfléchis énormément à la position des autres.

Est-ce que c'est en lien avec ton travail ?

 

: Tout à fait, notamment parce que je bosse beaucoup avec les lycéens. Par exemple, les lycéens régulièrement, ils viennent visiter le théâtre, le Grand Théâtre, parce que faire visiter le 145 ou le Poche, ça n'a pas grand intérêt.

Mais à chaque fois, avec les profs, on essaye d'organiser aussi des temps de rencontre avec les collègues qui sont dispo ce jour-là, pour que chacun vienne parler de son métier. Parce qu'en fait, les jeunes qui sont à ces âges-là, en plein dans des questions d'orientation, souvent n'ont pas vraiment connaissance de tous les métiers de la scène, en tout cas de tous les métiers cachés de la scène. Et donc, c'est une opportunité pour eux, tu vois, de rencontrer les collègues.

Et, j'ai beaucoup de plaisir en plus à les écouter parler chacun de leur parcours, que souvent je découvre. Enfin voilà, les collègues avant de venir au théâtre, ils ont eu d'autres vies pour certains, d'autres métiers. Donc c'est hyper enrichissant et puis c'est super de sentir dans le regard des jeunes, de sentir que « ah oui, il y a ce métier, ça a l'air vachement intéressant ».

Ah bah lui, il a fait telles études ou pas d'études justement, puis il s'en est sorti quand même. Enfin voilà, montrer qu'il y a plein de parcours possibles en fait, qu'il n'y a pas qu'une seule voie, la voie institutionnelle, la voie universitaire. Mais qu'il y a des gens comme Benoît qui, à l'atelier décor, qui est un mec ultra compétent, qui a eu un parcours très riche et qui aujourd'hui fait un métier assez rare et qui crée des décors de dingue.

 

Donc voilà, j'essaye aussi quand les ateliers créent des décors pour des spectacles qu'on accueille ici, j'essaye de faire un boulot pour valoriser ce travail, pour faire venir des étudiants en arts du spectacle par exemple. Parce que vous avez un cours normalement de scénographie. Voilà, pour valoriser tout ce boulot et puis le lien entre les différents métiers.C’est-à-dire le lien entre Benoît par exemple, qui est métallier, serrurier, et les scénographes qui pensent les décors et puis de comment ça fonctionne entre eux, à base de maquettes et puis finalement ça se précise. Et puis Benoît en fait, il a tellement la connaissance des contraintes « ok ton truc là ça ne tient pas la route, si tu veux partir en tournée avec ce truc là ça ne va pas marcher, je pense qu'il faut que tu penses plutôt... »

 

Voilà, donc tout ça, c'est des métiers, des compétences que j'ai envie de valoriser, notamment auprès des jeunes parce que c'est hyper intéressant pour eux. Donc peut-être que j'ai cette vision-là parce que c'est vraiment utile pour moi de valoriser auprès des jeunes.

Et c'est une demande même des enseignants d'ailleurs.

 

Y : Oui, je précise que ce n’est pas que les autres s'en fichent. Je leur pose des questions sur leur métier et effectivement, un régisseur ne va pas se poser des questions sur la conception des décors ou au bureau, comment ça se passe pour d'autres choses. Mais c'est pour ça que je trouvais particulier en parlant de ton métier que tu cites les autres secteurs.

 

: C'est encore une fois, c'est vraiment un métier de lien, faire du lien entre les artistes et le public, entre les différents membres de notre équipe et de nos services. C'est du lien à tous les endroits. On est des espèces de petites araignées qui tissent des toiles un peu tout le temps.

Je déteste les araignées, ce n’est pas une très belle image.

Mais elles fonctionnent. Absolument.

 

Y : Elles tissent très vite et solide. Là, on est au 145.

 

Tu parlais des relations, comment tisser du lien. Le 145, de ce que j'ai compris, c'est quand même... Ça a été rajouté plus tard.

C'est une ancienne fabrique qui a été réaménagée. Mais bon, c'est dans un quartier populaire. Donc par sa géolocalisation, l'objectif est quand même d'être un peu plus en contact avec d'autres catégories de la ville, d'autres parties de la société, alors que le Grand Théâtre est dans le centre.

Comment on travaille une relation avec un public ? Ils n'ont peut-être pas l'habitude, je n'en sais rien, c'est que la spéculation, ils n'ont pas l'habitude de venir au théâtre. Puis la programmation a changé.

Donc ça doit... Comment on communique dans un, je mets bien entre guillemets, quartier populaire ?

 

: Alors déjà, moi j'ai la chance d'habiter moi-même ce quartier depuis quelques années. Donc je le connais bien. Et c'est un quartier qui est particulièrement dynamique en termes de tissus associatifs notamment.

Et on a eu pendant des années... Donc il y a une Maison des Habitants, comme dans chaque quartier à Grenoble. Et on a eu pendant très longtemps, comme directeur de cette MDH, Mathieu Varin, qui a été extrêmement précieux pour faire vivre et dynamiser ce tissu associatif.

 

Mathieu, c'est quelqu'un qui est très féru d'action culturelle. Et donc ça a été un vrai bonheur de bosser avec lui comme partenaire qui a vraiment favorisé le lien entre toutes ces assos et le théâtre. Mais voilà, j'ai envie de dire que ça a été... De travailler sur ce territoire-là, ça a été du pain béni parce qu'il y a déjà une vie associative extrêmement dense. Il y a d'ailleurs, je ne suis pas sûre que ça existe dans les autres quartiers de la ville, mais il y a chaque trimestre, je crois, ce qu'ils appellent des réunions inter-structures. Donc l'idée, c'est de réunir des assos sociales, socio-culturelles, culturelles, artistiques, etc.

Et on se rencontre une fois par trimestre. Chacun parle de son actualité. Il y a même vraiment une volonté de mutualiser éventuellement du matos.

 

Là, il y a une asso qui a acheté du matos technique, des barnums, je ne sais pas, et qui est prête à mettre ça à disposition aux autres assos pour d'éventuelles animations en extérieur. Donc il y a vraiment une super belle dynamique de bosser ensemble, de partager des actualités, des publics, du matos, etc. Donc bosser ici, c'est quand même vraiment intéressant.

D'abord parce qu'il y a cette envie-là, il y a cette ébullition, ce dynamisme qui est extrêmement riche. Maintenant, l'ambition, ce serait de travailler de la même façon le quartier du centre-ville, qu'on connaît finalement moins bien. Je dois avouer aussi qu'Audrey et moi, on préfère largement bosser ici, au Théâtre 145, parce que toutes les deux, on habite le quartier et que du coup, on est à moins de 5 minutes de nos apparts.

Elle a ses mômes à l'école. Il y a un côté pratique, on est ancré dans ce quartier. Et puis il y a aussi tout simplement la configuration du lieu, qui fait que tu vois quand on arrive, les compagnies sont là, on boit un café avec elles avant de monter bosser au bureau.

Il y a une promiscuité qui favorise évidemment le lien avec les artistes. Et si on fait ce métier-là, il ne faut pas se mentir, c'est parce qu'on aime ça, le lien aux artistes. C'est vrai que le Grand Théâtre est fait de telle sorte qu'on se croise vachement moins puisque les bureaux sont d’un côté bien distinct de la partie théâtre.

 

Donc ici, c'est vrai que la configuration favorise le fait de se croiser avec les artistes et puis avec les collègues de la technique aussi, que finalement sinon, quand on est au Grand Théâtre, on ne les croise pratiquement jamais. Donc voilà, aussi pour cette raison-là qui est importante, on préfère être ici. En tout cas, on a vraiment à cœur maintenant de faire un travail, ça fait plusieurs années, notamment avec Les Veilleurs qui étaient beaucoup en résidence, et ici au Théâtre 145 et au Théâtre de Poche, et qui font vraiment ce travail hyper intéressant de lien avec les habitants et qui va continuer la saison prochaine, puisqu'il y a un projet participatif qui va venir clore les trois années d'association. Donc on a fait un vrai travail de terrain, on connaît bien maintenant, je pense, ce territoire.

 

Maintenant, il faudrait qu'on fasse la même chose dans le quartier du centre-ville, où je suis sûre qu'il y a aussi tout un tissu associatif certainement très intéressant, mais on le connaît moins bien. Donc je pense qu'il va falloir qu'on mette un peu plus d'énergie avec Audrey pour développer ce territoire du centre-ville.

 

Y : Est-ce que depuis ta position, tu as pu observer au sein de ce quartier, enfin là où on est au 145, as-tu constaté que les relations, le travail que vous avez mis en place, a fait venir d'autres publics ?

 

M : Clairement.

 

Y : Tu as pu le constater, donc comment ?

 

M : Par exemple, j'ai tout de suite un premier exemple très concret. On a fait un travail avec une asso, toujours dans le cadre de cette collaboration avec les veilleurs. On est allé rencontrer plein d'asso dans le quartier, des associations qui travaillent avec des gens de la rue, le lieu notamment, ça s'appelle Le Lieu, juste à côté.

Et on a fait un travail avec une asso, ce qui s'appelle le GEM Atypik, qui est une asso qui travaille avec des personnes autistes, plutôt asperger, et qui clairement sont des gens qui ne viennent pas naturellement au théâtre. Mais petit à petit, à force de participer à ces échauffements le matin, à ces discussions hyper conviviales, cools, détendues, où il n'y a pas de jugement, petit à petit ils se sont sentis à l'aise et reviennent. Et maintenant on les voit de temps en temps le soir au spectacle. Donc voilà, c'est un processus qui prend du temps. On fait aussi depuis quelques mois un très joli travail avec une danseuse, chorégraphe, qui s'appelle Agnès Canova, et l'association des Femmes SDF - le local des femmes.

Donc là c'est pareil, on les a accueillies régulièrement pour des ateliers. Là elles sont venues vendredi, il y a 15 jours, présenter un début de spectacle qu'elles vont présenter ensuite dans un festival à Avignon, là au mois de septembre. Bon ben voilà, c'est des processus qui prennent du temps, mais à force d'être là, d'être accueillante, de servir un petit café sur les moments de pause, etc., les gens se rendent compte que finalement les théâtres ça ne fait pas si peur, puis qu'à l'intérieur il y a des gens qui sont en fait tout à fait normaux et accessibles, et plutôt sympathiques, j'ai envie de le croire. En tout cas, on fait tout pour. Voilà, donc ça ne se fait pas comme ça, mais comme ces échauffements proposés par Les Veilleurs, c'est quand même des choses qu'on propose depuis deux ans maintenant régulièrement. Eh bien oui clairement, on a des gens qu'on revoit régulièrement, et qui ont plaisir à venir. Et du coup moi, je suis très contente de ça, de faire ce boulot-là et de voir que ça marche quoi.

 

: Depuis un petit moment que tu parles, il y a quand même la notion de territorialité, même de façon générale, et puis on parle d'un théâtre municipal. Donc de part, cette dénomination, il y a clairement une notion de territorialité, et puis c'est quand même... Avec les métiers du spectacle, la notion de territorialité finit toujours par arriver, parce que soit c'est intermittent, ça voyage un peu dans les quatre coins, et donc on voit bien que d'un coin du pays à l'autre, ce n'est pas la même, puis t'as aussi voyagé, t'as un petit peu travaillé là, et là, donc t'as quand même une expertise. Donc qu’est ce qui fait les particularités du quartier, ou même du territoire grenoblois ou isérois, qu'est-ce que tu pourrais...

Quelles sont quelques spécificités qui ressortent là maintenant ?

 

: Je vais dire un truc, je ne sais pas si ça répond à ta question, mais je vais dire un truc que je trouve vraiment important de souligner, c'est que, je ne sais pas comment ça se passe dans les autres villes, mais en tout cas à Grenoble, depuis quelques années, et je lie ça beaucoup, au fait qu'il y a de plus en plus de femmes à la tête des théâtres de l'agglo, on bosse vachement ensemble, on bosse en complémentarité, on bosse en bonne intelligence. Et là tu vois, on est dans cette phase un peu complexe, un peu technique, un peu stratégique d'arbitrage, c'est-à-dire qu'on reçoit toutes les RP que nous sommes dans chacun de nos théâtres, on reçoit énormément de demandes de réservation pour tel et tel spectacle, de la part de tel prof, de tel établissement, etc. Et malheureusement, bien souvent, on ne peut pas accueillir tout le monde, donc on doit arbitrer.

Et moi, dire non, c'est un truc qui est très compliqué pour moi, mais là je dois beaucoup dire non en ce moment. Ce que je trouve génial, c'est que du coup on s'appelle entre RP, parce que parfois il y a un spectacle qui va jouer dans d'autres salles de l'agglo, et les directrices, et vraiment j'appuie là-dessus, veillent à organiser des tournées quand elles accueillent un spectacle qui parfois vient de loin, et bien elles ont vraiment à cœur, maintenant ça fait partie des critères de programmation, de veiller à ce que les spectacles puissent jouer plusieurs fois. Et évidemment, c'est tout bénef pour tout le monde, et d'abord pour les compagnies.

En tout cas, on s'appelle entre RP pour se dire « moi j'ai tel établissement, je ne peux pas le prendre, est-ce que toi tu as encore de la place ? » « Ouais, ouais, carrément, tu me files le contact. » Donc c'est génial de bosser comme ça.

 

On ne se croise pas assez souvent, mais il y a quand même régulièrement des journées de la médiation culturelle notamment, qui sont organisées par le département, qui permettent qu'on se retrouve entre RP. Ça, ce sont des moments qui sont hyper précieux, de pouvoir échanger entre nous sur nos façons de faire, nos publics, on se file des contacts. Enfin vraiment, il y a un très très bon esprit entre nous. Et là dans le quartier, on se voit régulièrement avec les meufs de la Belle Électrique et des Barbarins, on va manger ensemble au moins une fois par trimestre, parce que c'est précieux, parce que ça fait du bien, parce que c'est aussi des métiers qui sont, il ne faut pas se mentir, hyper exigeants, hyper chronophages, et qu'on finit toutes les saisons à chaque fois sur les rotules.

 

Voilà, en tout cas, vraiment j'ai envie d'insister sur ce très bon esprit qu'il y a entre nous touteset de bosser comme ça. Je ne sais pas comment ça se passe ailleurs, vraiment je serais curieuse d'avoir d'autres échos de comment ça se passe dans des communes à peu près équivalentes, enfin des agglos équivalentes à Grenoble. Mais en tout cas c'est vraiment chouette de pouvoir bosser ensemble, et de se filer des contacts, et des infos, et des groupes.Ou par exemple, quand nous on ne peut pas accueillir une compagnie dans une de nos salles parce qu'on n'a plus de place, que nos calendriers débordent, on va appeler les collègues à côté pour savoir si elles ont de la place. Il y a vraiment cette notion de partenariat qui est hyper forte, et qui encore une fois n'existait pas il y a quelques années, quand il y avait davantage d'hommes à la tête de nos théâtres.

 

Y : C'est très bien, comme ça, ça me permet d'enquiller sur la prochaine question. On est quand même à une époque où il y a beaucoup de changements d'ordre politique, donc ça a une influence sur les budgets et d'autres éléments, il y a aussi la question des métiers genrésCa commence à se déplacer, plus de femmes en technique. On cherche aussi des hommes dans les métiers de l'administration l’on trouve qu'il y a aussi une grande majorité de femmes, donc on essaie de trouver un équilibre.

 

L'évolution technologique aussi, qui modifie totalement les rapports de communication, la technicité du travail. Bref, tu peux exemplifier les trois que je viens de citer, ou soit peut-être tu as une vision globale de tous ces changements, comment ils se rencontrent et comment ça influence le travail. En tout cas, c'est une période de changement.

 

M : Ce que je peux dire, en tant que simple observatrice, au niveau de la technique, j'observe qu'on a au moins deux ou trois intermittentes qui viennent régulièrement bosser chez nous, et qui sont hyper sympas. Et j'ai l'impression que ça fonctionne vraiment très bien. Je n'ai pas l'impression que les gars chez nous soient des gros lourdos machos sexistes, au contraire. Donc c'est plutôt réjouissant, et je constate effectivement, chez nous en tout cas, qu'on a au moins trois nanas qui sont dans la team, qu'on voit régulièrement sur des montages, des démontages.

 

Pour la partie bureau, on a depuis deux ans maintenant un jeune alternant en com, Nathan, qui a priori va pouvoir rester. Donc ça aussi, c'est vraiment super, et ça nous a fait beaucoup de bien, parce qu'en effet, il n'y avait pas beaucoup de mecs là-haut, dans les bureaux. Donc c'est super d'avoir Nathan, qui est vraiment très chouette, et qui apporte beaucoup à la com, qui est un service où il y a énormément de travail, et c'est clair qu'on ne peut pas porter ça à une seule personne.

 

Donc qu'il y ait du renfort, c'est vraiment une très bonne chose. Voilà ce que je peux dire à notre petit niveau, au TMG en tout cas, pour la partie bureau, et puis pour la partie technique. Dans les ateliers, c'est clairement genré, c'est deux nanas à l'atelier costume, et deux mecs à l'atelier décor.

 

: J'ai posé cette question à tout le monde, et c'est la question que je pose tout le temps, parce que je pense qu'on est à une époque où il y a beaucoup de changements. Et c'est peut-être intéressant de documenter la perception de ces changements. Je ne pense pas qu'on ait tous, depuis nos positions, une vision complète, et avec assez de recul, pour pouvoir avoir une analyse. Mais bon, c'est clair que c'est des changements, et pour avoir moi-même déjà travaillé, je sais que des changements de tel ordre vont influencer la manière de travailler, et nous obligent de rectifier, de nous adapter tout simplement.

 

: Je reviens là-dessus, parce que pour moi c'est important, le fait qu'il y ait de plus en plus de femmes à la tête des théâtres de l'agglo, ça induit des changements indéniables.

 

Y : Tu peux m'en citer quelques-uns ?

 

M : Notamment ce que je te décrivais à l'instant, l'amélioration de la communication, et du partenariat.

 

Il y a une entente entre les directrices, lorsqu'elles montrent leur programmation, et Dieu sait que c'est déjà un exercice très compliqué à la base, mais le fait en plus de se rajouter ces tournées mutualisées, c'est-à-dire que... Là par exemple, c'est très concret comme exemple, elles se sont retrouvées pour la plupart à Avignon et elles ont fait leur petit marché ensemble. Pas qu'elles n'ont pas vu toutes les mêmes spectacles, mais en tout cas il y avait des briefs chaque matin au café, pour se dire « là j'ai vu un truc génial, vas-y j'aimerais beaucoup faire venir la compagnie, si ça t'intéresse on fait une tournée ».

Il y a vraiment cette volonté d'organiser des tournées, de sorte à ce que quand les compagnies qui viennent d'ailleurs, puissent ne pas avoir qu'une seule date, mais une série de dates. Je trouve que c'est pour des tas de questions aussi écologiques, budgétaires et autres. Je trouve que c'est vraiment chouette de bosser comme ça.

 

Donc voilà, je vais en oublier évidemment, mais il y a des femmes à la tête, l'Odyssée à Eybens, l'Amphi à Pont-de-Claix, le Saint-Martin-d’Hères en scène, le TMG, l'Ilyade à Seyssinet, j'en oublie évidemment, mais il y en a beaucoup d'autres. Il y a une véritable entente, chacune avec les spécificités de son projet, de son théâtre, mais il y a des tas d'endroits de connexion. Et nous, non seulement on est en lien avec les autres théâtres de lagglo, mais on accueille aussi beaucoup de festivals.

On accueille le Festival Regards Croisés, on accueille le FITA, j'en oublie, les Arts du Récit.C’est un théâtre qui n'est pas du tout autocentré, mais qui est vraiment dans l'ouverture. De toute façon, le projet a radicalement changé. Et moi, clairement, je ne serais pas venue bosser ici à l'époque de l'ancien projet. Ça ne m'aurait pas du tout intéressée, je n'ai pas du tout un jugement, je ne serais pas venue défendre ce projet-là.

Moi, j'ai besoin d'y croire, moi, en tant qu'individu, en tant que spectatrice, j'ai besoin de trouver puisque notre boulot, c'est avant tout de donner envie aux gens de venir dans nos spectacles. Donc si soi-même, on n'est pas convaincu, c'est évidemment compliqué.

 

Y : Est-ce que je peux me permettre de creuser un peu plus la question de qu'est-ce qui, dans la précédente programmation, faisait que toi, personnellement, tu n'y croyais pas, à titre personnel ? Ou que tu ne te sentais pas portée par le projet ?

 

: Oui, je crois que tout simplement, d'ailleurs, je n’ai jamais mis les pieds au Grand Théâtre, avant d'y bosser, parce que c'était une programmation de théâtre privé, théâtre de boulevard avec des grosses têtes d'affiches et je suis convaincue qu'il y a un public pour ça et pour lequel j'ai un respect profond, il n'y a pas de soucis. Il y avait des opérettes, il y a beaucoup de gens qu'on croise... Ça a été compliqué, je suis arrivée à un moment de transition, c'est-à-dire qu'on a rencontré pendant longtemps des gens qui étaient déçus par ce changement et qu'on a essayé de convaincre en expliquant que oui, le projet a radicalement changé, non, il n'y a plus de têtes d'affiches, mais oui, il y a des spectacles hyper intéressants.Et souvent ce que les gens disent c'est que c'est très compliqué pour eux de choisir dans une programmation dans laquelle ils n'ont pas de repères.

Donc nous notre boulot il est à cet endroit-là aussi, c'est d'expliquer, de faire un peu de pédagogie, je ne sais pas si c'est très heureux comme terme, mais en tout cas on passe notre temps à dire « mais venez à nos présentations de saison ! Et puis si vous ne pouvez pas venir appelez-nous, payez-nous un apéro, on vient avec nos petites brochures et puis on vous parle des spectacles ». Je fais ça beaucoup dans le quartier ,chez des potes, mais aussi chez des potes de potes ou dans des associations.

On va chez les gens, on va chez les partenaires pour leur parler des spectacles, pour leur donner envie et souvent ça marche. Alors c'est sûr que certains ont une vision d'une programmation un peu élitiste.

 

Y : La programmation actuelle ?

 

M : Oui. Elle n’est pas toujours très joyeuse j'en conviens mais finalement les artistes d'aujourd'hui parlent du monde d'aujourd'hui qui n'est pas franchement joyeux et moi je trouve ça hyper intéressant notamment parce que je suis en lien avec la jeunesse c'est que tous ces spectacles qu'on accueille ici brassent des sujets de société qui permettent aux profs de s'en saisir pour exploiter ça pédagogiquement dans leurs cours. Je trouve que c'est extrêmement riche de proposer tous ces spectacles même si en effet cette année on a l'avortement, il y a une histoire d'infanticide, il y a l'exil, etc., beaucoup de spectacles autour de la question des femmes, des injustices que subissent les femmes etc. Oui, parlons-en, c'est la réalité de notre monde et parlons-en avec la jeunesse notamment, c'est hyper important. Etpuis alors il y a un truc hyper important que je n’ai pas dit, c'est que bien souvent dans mon boulot je suis amenée à bosser avec des travailleurs sociaux. Et que là aussi il y a une complémentarité qui est hyper riche. C’est-à-dire que par exemple l'année dernière, on a accueilli un spectacle, pas l'année dernière, cette saison puisqu'elle n'est pas encore finie, un spectacle qui parle de la question de l'avortement ou plutôt du tabou qu'il y a encore autour de l'avortement. Et du coup, j'ai bossé avec le planning familial qui est quand même le premier planning familial en France à Grenoble, c'est une institution. Et bien de bosser avec ces médiatrices, qui sont génialissimes et que j'adore et que je remercie, être en lien elles et moi,autour de ce spectacle ça a été extrêmement riche et je fais ça de plus en plus. Donc voilà, s'associer avec des travailleurs sociaux pour rentrer dans une thématique parfois par le prisme de l'artistique, de la poésie du sensible. Puis, les collègues travailleurs sociaux viennent compléter avec le rapport plus technique pragmatique, historique, etc. Ça fait des projets qui sont drôlement complets du coup et drôlement riches. Ça c'est un truc, j'aurais même dû commencer par ça parce que ça c'est vraiment quelque chose qui se développe de plus en plus dans mon boulot. Aussi parce que je travaille plus particulièrement avec le champ du social et puis je vais, ça c'est presque une injonction d'ailleurs qu'on a de notre élue aux culturesLucille Lheureux, travailler en priorité avec trois types de publics : la petite enfance, ça c'esttrès compliqué ici chez nous pour des raisons d'abord de lieu et de capacité d'accueil.

 

: Par rapport au 145 ?

 

: Oui, en fait les spectacles jeunes publics on les accueille plutôt en effet ici aux 145 qu’au Poche, assez rarement au Grand Théâtre parce que c'est plus difficilement accessible pour des très jeunes et puis la très petite enfance on n'en fait pas malheureusement. Delphine aimerait beaucoup développer ça mais c'est très compliqué pour de nombreuses raisons. L’autre type de public avec lequel on doit travailler en priorité c'est les ados. Et enfin, la formule n’est pas très heureuse mais c'est ça, les publics à précarité cumulée. Voilà, je ne développe pas, tu comprends le concept mais en tout cas

 

Y : Oui, je comprends le concept. (rires) Comme une étiquette.

 

M : Vraiment, je n’aime pas cette formule. Mais en tout cas, le fait est que je travaille de plus en plus, donc je travaille beaucoup en direction des adolescents et j'aime beaucoup ça. Et puis peut-être que le fait d'avoir un adolescent moi-même à la maison, ça donne encore plus de sens à ça certainement. Donc je développe aussi de plus en plus mon travail en direction des publics en situation de précarité.

 

Y : Pourquoi, parce qu'il y a une dynamique politique, budgétaire ?

 

M : Politique, politique vraiment. C’est sur la feuille de route. Les budgets sont alloués pour ce travail-là ?

 

: C'est une question.

 

M : Je n’ai pas trop la main sur ces questions-.

 

Y : Souvent, on peut avoir des lignes politiques mais s'il n'y a pas le budget c'est un peu compliqué à mettre en place. C'est pour ça que je vous ai posé la question.

 

: Malheureusement, je suis pas du tout en capacité de répondre à cette question.

 

Y : Je vais un peu jouer l'avocat du diable par rapport à la programmation, qui a changé parce que je l'ai entendu à plusieurs reprises. C'était une autre programmation, des têtes d'affiche comme tu dis, boulevard, tout ça mais ça avait, comme certaines personnes m'ont dit, ça avait le mérite d'être clair. Et puis, on a beaucoup de lieux de spectacle ici, donc que chaque endroit soit un peu spécialisé, il nous faut aussi un endroit un peu pour ça. Et quand tu m'expliques un petit peu que les tournées sont organisées en partenariat, ça peut aussi provoquer une forme d'homogénéisation. Je ne dis pas que c'est le cas, je ne dis pas que c'est ce que j'ai constaté, c'est par rapport à des paroles que j'ai entendues dernièrement et que je croise là. Je suis un peu l'avocat du diable. Certes, il y a une volonté de changer de programmation, d'être un peu plus dans la pluridisciplinarité, s'intéresser à différents publics plutôt que de rester cantonnée à une seule vision des choses. Mais en même temps, c'est aussi audible d'entendre que la programmation précédente était caractérisée, elle visait un public bien spécifique pour des raisons bien spécifiques.

 

: Par exemple, on croise encore aujourd'hui beaucoup de gens qui déplorent fortement le fait qu'il n'y ait plus d'opérette à Grenoble. On programmait ça à l'époque de l'ancien projet de l'ancienne équipe. Désormais il n'y a plus aucun endroit sur Grenoble, l’agglo et même j'ai envie de dire sur le département, qui programme de l'opérette et c'est un grand regret pour certaines personnes et je l'entends complètement. Ça ne fait pas partie de notre ligne artistique mais j'entends cette frustration clairement. De toute façon pour moi, il y a de la place pour tout le monde pour tous les types de programmation. Ce sur quoi j'ai envie de revenir aussi c'est que de la même façon qu'on a de la part de notre élu une feuille de route pour travailler en direction de tel type de public. Aussi, on nous demande de travailler particulièrement avec des compagnies locales donc on travaille beaucoup avec des compagnies du coin qui habitent Grenoble ou pas loin. Ce qui fait que peut-être on va en revoir parce que finalement il n'y a pas mille compagnies sur Grenoble, même s'il y a, encore une fois, une dynamique assez exceptionnelle. J’ai envie de croire par rapport à d'autres villes. Mais peut-être qu'au bout d'un moment on va un peu tourner en rond peut-être. Moi j'ai envie de croire que non mais ça pourrait arriver. En tout cas, je suis quelqu'un qui a toujours envie de capitaliser sur le positif. En tout cas par rapport à la MC2 par exemple, et encore une fois c'est pas du tout un jugement négatif sur la MC2, on travaille ensemble et j'ai beaucoup de respect pour leur projet. On bosse ensemble avec les collègues RP mais notre plus-value,j'ai envie de dire, par rapport à la MC2 c'est que comme on travaille avec des compagnies locales, ça permet plein de choses. C’est-à-dire qu'à la MC2, les compagnies arrivent la veille du jeu, elles jouent et puis le lendemain elles se barrent.

Ici, chez nous, on a la chance d'avoir des compagnies qui sont là et avec qui on peut imaginer mille choses. Elles vont être là pendant une période, une semaine, deux semaines en résidence. Du coup, on peut complètement imaginer de faire venir des groupes, assister à des temps de répètes, on peut imaginer des temps de rencontres, on peut aller avec les artistes dans les établissements dans les assos, les gens sont hyper demandeurs de ça. Parce que consommer simplement un spectacle c'est une chose, proposer des parcours d'action culturelle en lien avec les spectacles ça, c'est autre chose. Donc quand les gens ont la possibilité de venir participer à un atelier marionnette avant de découvrir le spectacle de la compagnie. Puis rencontrer, avoir un temps d’échange avec la marionnettiste, je dis n'importe quoi, c'est des expériences qui sont hyper riches. Donc nous, on a cette chance-là de travailler avec des artistes du coin, et qu'on croise régulièrement, qu'on apprend à connaître, et avec lesquels on peut imaginer mille projets sur du long terme aussi, parfois. Donc ça, c'est vraiment une chance en fait.

 

Y : Ok, là je suis sur un autre fond. Donc du coup, avant tu faisais de l'intermittence, travail en compagnie, là t'es en contrat service public ?

 

M : Alors moi, je suis contractuelle, je n'ai pas passé le concours.

 

: Ah tu es contractuelle, tu n'as pas passé le concours.

 

M : Oui, pardon, j'aurais dû préciser ça au début.

 

Y : Non, non, t'inquiète.

 

M : Je suis arrivée donc il y a 4 ans, je n'ai pas passé le concours et je ne le passerai pas. Maisen tout cas, je suis très bien comme ça, je n'ai pas du tout envie de devenir fonctionnaire.

Et donc, j'ai fait 3 CDD d'un an. Ça fait que chaque année, j'étais oblige de repostuler sur mon propre poste.

 

Y : Ici ?

 

M : Oui.

Et là, la ville a fini par reconnaître la spécificité de mon poste, puisque chaque année le poste était remis en jeu et potentiellement je pouvais me faire dégager par un fonctionnaire qui aurait pu arriver de n'importe quel service. Mais ils ont fini par admettre, reconnaître que mon poste demande quand même un petit peu des connaissances, des compétences particulières, et si bien que là je suis sur un CDD de 3 ans. Donc à l'issue de ce CDD de 3 ans, dans 2 ans je crois, je ne suis pas très bonne sur toutes ces questions-là, au bout de 6 ans dans la collectivité, tu deviens CDIsable. Donc voilà, peut-être qu'il va m'arriver si je décide de rester.

 

Y : Si je posais la question, surtout, c'est parce qu'il y a quand même un changement de statut, ça change ta vie totalement. Bon, ça reste quand même ton travail, donc c'est intrinsèquement lié à un salaire et le salaire va avoir une incidence sur tout le reste de ta vie qui aura une influence sur ton travail. Du coup, c'est pour ça que je posais cette question, changer de contrat dans les métiers artistiques, en lien avec les arts, ça a une influence sur la manière de travailler.

C'est ça qui m'intéresse. Qu'as-tu observé qui a changé les inconvénients ou les avantages ?

 

M : Déjà, ce que je peux dire, c'est que j'avais connu ça déjà avant d'être intermittente.

J'étais déjà sur un CDI et après j'ai fait pas mal de CDD, donc j'ai déjà été dans le régime général avant d'être dans l'intermittence. Évidemment, ça n'est pas du tout le même engagement. En tout cas, quand j'étais intermittente, j'ai souvent cumulé plusieurs employeurs, dans l'idée de faire des heures et d'améliorer mon taux au final.

Mais du coup, ça fait que je ne pouvais prendre en charge que des petits bouts de dossier. J'ai bossé pour une compagnie dont j'ai juste refait un peu la com, j'ai bossé pour une autre compagnie dont je m'occupais uniquement de la médiation. Du coup, c'était assez parcellaire comme vision.

 

Aujourd'hui, j'ai l'impression d'être réellement impliquée dans un projet, dans une équipe. Je suis investie corps et âme, parfois peut-être un peu trop au TMG. C'est peut-être plus reposant, j'ai envie de dire pour l'esprit.

 

Il y a eu un moment où, quand j'étais intermittente, et que je bossais pour deux compagnies en même temps au Petit Angle, qui est ce lieu qui héberge, plus pour longtemps d'ailleurs, des compagnies, il faut quand même avoir un cerveau bien organisé. Souvent, je me dis que le matin, je vais bosser pour telle compagnie, à midi je break, et l'après-midi je pars sur l'autre compagnie. Parfois, il m'est arrivé de rentrer dans un bureau en disant « Non, ce n’est pas ça, pardon, je reviens cet après-midi. » Ça nécessite quand même d'être assez bien structurée mentalement. C'est évidemment beaucoup plus serein que d'être dédiée désormais à un seul et même projet, même si ce projet-là est très vaste. Il comprend trois lieux, une programmation pluridisciplinaire, une équipe de 20 personnes, etc.

 

Mais voilà, c'est plus clair.

 

Y : Donc, ça reste un Théâtre municipal. C'est un théâtre public.

De ton expérience, qu'est-ce qu'un théâtre public ? Il y a la définition, mais en termes de chargée de relation avec les publics, qu'est-ce que ça implique ? J'imagine que ça ne doit pas être le même travail qu'avec un théâtre privé, ou une compagnie, ou autre.

On n'avance pas les propos de la même façon. Déjà, rien que ça, le fait que ce soit un théâtre municipal.

 

M : Moi, je n'ai aucune expérience de théâtre privé.

J'ai travaillé essentiellement dans l'associatif avant de bosser pour des compagnies. Puis d'être aujourd'hui au TMG, j'ai envie de dire que je ne fais pas de différence. Les gens et le public, c'est le même où on bosse.

Moi, je bosse pour les gens, avec les gens, quel qu'il soit dans cette grande idée très idéaliste de démocratisation culturelle. En tout cas, j'ai toujours eu à cœur, quel que soit l'endroit d'où je bossais, d'aller chercher des publics qui ne viennent pas naturellement dans nos salles. Parce qu'il y a encore beaucoup de gens à qui ça fait peur de franchir les portes d'un théâtre.

J'ai toujours été animée, que ce soit aux Arts du Récit, quand je bossais en compagnie, ou aujourd'hui ici au TMG, animée par cette même volonté d'expliquer aux gens qu'il n'y a rien qui fasse peur. Il faut ouvrir les portes de nos théâtres.

Je pense que le projet, notre directrice, les artistes associés avec lesquels on bosse, travaillent tous dans ce même esprit d'ouverture. Ce n’est totalement pas intéressant comme réponse, mais j'ai l'impression de ne pas vraiment faire de différence en tout cas.

 

: Le Grand Théâtre a quand même la particularité d'être un patrimoine historique local. Ce ne sont pas toutes les salles de spectacle, ou tous les théâtres qui disposent d'un environnement comme celui-là. Depuis ta position, qu'est-ce que ça joue ?

 

M : Alors, là c'est pareil, je vais dire un truc que peut-être que tu ne vas pas vraiment garder, mais qui est vraiment sincère. J'ai eu le grand bonheur de bosser avec Maëlys cette année, qui avait son mémoire sur le théâtre et l'histoire du théâtre, et qui a un enthousiasme que clairement je n'ai pas sur l'histoire de ce théâtre, et qui nous l'a fait partager. Et du coup ça a été une découverte. Mais moi naturellement, le patrimoine ce n'est pas trop mon truc.

On organise régulièrement des visites pour différents types de groupes. J'avoue que ce n'est pas ma partie préférée du boulot. Ce théâtre, je le trouve vieux et moche, avant tout. (rires)

Hyper désuet, tous les jours quand j'emprunte ces escaliers, j'ai envie de prendre un pinceau et un rouleau, et de remettre un coup de peinture parce que je trouve que c'est déprimant. Je trouve qu'on est mal assis. Je trouve que le rapport scène-salle ici, au Théâtre 145, est beaucoup plus agréable et les artistes même le disent.

Donc moi je ne suis pas particulièrement attachée au Grand Théâtre, qui en plus est un lieu qui, en termes de sécurité, des questions d'évacuation, est extrêmement compliqué.

Tu as bien vu, c'est un labyrinthe. Donc les soirs de spectacle, c'est le stress maximum quand tu bosses, parce que tu as mille infos à avoir en tête, tu gères une équipe d'ouvreurs, il y a l'équipe technique qui te file des infos, tu as les oreillettes, c'est l'horreur, ça me stresse à mort. Je déteste, j'ai beaucoup de plaisir à bosser ici au 145 ou au Poche où on est sur des petits équipements, où on voit les gens, où on est dans un lieu direct.

Le grand théâtre c'est trop gros, je déteste bosser là-bas. Donc le moins j'y bosse, le moins j'y suis, le mieux je me porte.

 

: Très bien, et du coup tu enchaînes naturellement sur ce que je voulais poser.

Est-ce que tu pourrais me dire tes ressentis personnels, qui sont propres à toi, visuels, olfactifs, auditifs, en lien avec chacune des salles ? Qu'est-ce qu'elles t'inspirent ? Tu as déjà commencé un petit peu, j'aime bien, mais ça m'intéresse aussi la perception sensible que tu as de te balader dans ces espaces-là, et de comment tu les connais au bout de certaines années.

 

: Vraiment, mon lieu de prédilection c'est celui-ci, encore une fois parce qu'il a cette configuration qui fait que quand tu rentres, tu es avec les artistes ou les collègues qui sont là, qui bossent, et que du coup il y a toujours un petit moment, on se prend deux minutes pour se faire un petit café, un petit thé, échanger, ça c'est hyper précieux avant de monter au bureau. Là-haut, c'est vrai qu'il caille l'hiver et il fait super chaud l'été mais c'est extrêmement lumineux. Et surtout il y a les artistes qui brassent puisqu'ils sont tout le temps en train de rentrer, sortir des loges. Donc là aussi c'est pareil, ils viennent régulièrement, « s'il te plaît, je pourrais faire une photocopie ? » « Mais ouais, carrément.»

 

Du coup, la configuration du lieu permet les interactions avec tous ces gens qui habitent ce théâtre et c'est tant mieux. Donc voilà, j'aime avant tout bosser ici même si c'est un très vieux théâtre aussi. Ce n’était pas un théâtre comme tu sais donc il y a quand même des tas de soucis. L'année dernière, à peu près à cette période-là, au mois de juin en fait, chaque année on accueille les jeunes du conservatoire, qui viennent pour travailler leur projet de fin d'études. Ils ont un jury donc ils sont là pratiquement tout le mois de juin. Et bien il a plu dans le théâtre littéralement. C’était une période comme souvent au mois de juin, il y a eu beaucoup d'orage. Et il y a eu un jour où ça pleuvait de partout, ça pleuvait par-là. Il y avait deux centimètres de flotte en bas, en haut, c'était vraiment la fin du monde quoi. Du coup, les jeunes du conservatoire ont écopé la flotte. En fait, je crois que c'est les chéneaux qui étaient bouchés. Bon voilà du coup, on sait qu'il y a énormément de travaux de réhabilitation, de remise aux normes à faire dans ce lieu, mais j'ai l'impression que, comme il n'y aura évidemment pas de budget pour faire ces travaux-là dans les trois lieux, j'ai l'impression que le Théâtre 145 est celui qu'on va mettre en priorité, en tout cas.

 

Le théâtre de Poche, je trouve qu'il a une configuration plutôt intéressante, aussi dans le rapport scène-salle c'est plutôt chouette, mais c'est aussi un théâtre qui me déprime parce qu'il est vieux, il est moche. J’aimerais tellement qu'au moins on puisse mettre un coup de peinture, les loges sont déprimantes. J’ai honte quand on accueille des artistes, c'est trop laid, c'est glauque, il faudrait 3 francs 6 sous pour ne serait-ce qu'acheter un nouveau canapé, un peu digne de ce nom, il ne faut pas grand-chose, donc parfois on a des élans dans l'équipe à se dire « allez on s'y met, on se bloque une semaine, puis on va le faire nous-mêmes parce que si on doit attendre que ça vienne du service de ville concerné ». Là, on s'est fait cambrioler ici au mois de décembre, je ne sais pas si t’as fait gaffe là où ils ont défoncé les portes. Je pense qu'à mon avis on n'aura pas de nouvelles portes avant un an ou deux, tout est un peu comme ça. Mais ici je trouve que c'est relativement correct. Les gars, Dédé notamment, a beaucoup œuvré pour refaire cette cuisine. Ce bar c'est lui qui l'a fait, il a refait le petit espace catering là-haut. Il y met beaucoup d'huile de coude notre cher Dédé. Je trouve que c'est à peu près tenable, mais les deux autres théâtres j'avoue me dépriment un peu. Et puis au Théâtre de Poche, on a ces fauteuils qui grincent, c'est terrible quand on accueille des spectacles jeunes publics. Les mômes évidemment, les tout petits, ils ont les jambes qui ballottent comme ça dans l'air, ça bouge, ça chahute, et puis ça fait énormément de bruit régulièrement. Les sièges se referment, parfois il y a des doigts dedans, ça hurle. C’est très gênant pour le public, encore plus gênant pour les artistes évidemment. Donc il y aurait besoin vraiment d'un peu de budget pour remettre un peu tout ça en état. 

 

Y : Donc c'est toi qui as demandé à ce que dans les ateliers ils fassent des petites chaises pour enfants ?

 

M : Non, ce n’est pas moi.

 

Y : Je ne sais pas, en tout cas ils font des petites chaises pour enfants.

 

M : Ah ouais génial, pour un spectacle.

 

Y : Je ne sais pas, il me l'a dit, j'ai tellement imprégné d'informations que j'ai oublié les détails.

 

M : Parfois ils bossent aussi pour le musée. Parfois ils sont appelés à bosser pour des expos.

 

: Je ne sais pas. Dans mes souvenirs, peut-être que je dis n'importe quoi. Mais non, pour les chaises je ne dis pas n'importe quoi ou alors peut-être que je me trompe dans le sens que c'est pour le TMG, mais normalement oui.

 

: En tout cas, tu vois, ça m'amène à dire que c'est assez dommage. Et puis les gars, Yves et Benoît le déplorent, ils sont quand même très isolés. On se voit très peu, on fait deux réunions d'équipe dans la saison, ce n’est pas assez. Et moi je trouve que c'est hyper dommage, parce qu'on ne sait pas ce qu'ils font les gars. Et nous en plus en RP, moi quand j'apprends qu'ils font tel décor pour tel spectacle, ou qu'ils font des petites chaises trop jolies, ben il faut valoriser ça, même les collègues de la com, Julia, elle aurait envie aussi j'imagine, de valoriser tout ce magnifique boulot qu'ils font.

 

: J'ai posé la question en entretien où je leur ai dit « quand même, vous êtes assez isolés des autres ».

Après, techniquement, selon leur réponse, ça paraît cohérent qu'ils soient isolés. Déjà parce qu’il faut un grand espace pour travailler. Il y a beaucoup de machines. Puis ça fait de la poussière, ça fait beaucoup de bruit.

 

M : Mais on pourrait imaginer que la direction organise davantage de moments, de rencontres, d'échanges, tu vois, entre les différents services, la cohésion d'équipe. Il y a une volonté, je sais que c'est important pour Delphine, mais je pense que ça peut être encore davantage développé.

 

Y : Et puis même, ils ont le désir de pouvoir transmettre.

 

M : Oui, bien sûr, ça c'est un grand regret. Par exemple pour moi, on me demande régulièrement, des groupes me demandent si c'est possible de visiter les ateliers. Les ateliers costumes, c'est très compliqué parce que c'est un espace qui est très petit, qui est tout en haut.Donc par exemple, on ne peut pas accueillir de PMR et on ne peut accueillir qu'un certain nombre, enfin un tout petit groupe parce que ce n'est pas un espace, un ERP, un établissement recevant du public, donc il y a énormément de contraintes, de questions de sécurité, qui sont très lourdes, et qui me freinent beaucoup dans les projets possibles.

 

Et puis c'est pareil, l'atelier décor, il y a tellement de machines qu'en fait, il y a énormément de risques, donc on ne peut pas accueillir de groupe. Et c'est fort dommage parce que, encore une fois, il y a là deux mecs absolument géniaux, qui ont des compétences incroyables, un savoir-faire de dingue. Ils bossent à peu près tous les matériaux possibles et imaginables et qui sont en plus dans une volonté de transmission, comme tu le disais. Mais voilà, pour des questions de sécu, souvent on est contraint ici chez nous.

 

: C'est assez drôle que tu parles des ateliers costumes, il y a beaucoup de costumes. Qu'est-ce que tu penses de tous ces costumes qui sont là, qui ne sont pas triés ?

Je ne mets pas ça sur le dos des costumières. Mais je veux dire, ça reste quand même « un patrimoine » quelque part. Et plus qu'ils soient stockés là, comme ça, en train de prendre la poussière.

 

: C'est sûr que c'est hyper triste. Il faudrait pouvoir engager quelqu'un qui fasse un vrai boulot, un état des lieux de ce qu'il y a, de remettre en ordre, classer, ranger, conserver, protéger, etc. C'est un peu triste, en effet, que ça dorme là.

 

Après, moi, comme je te disais, je suis plutôt quelqu'un qui est portée sur le présent et l'avenir, assez peu sur le passé. Donc, tous ces vieux costumes, Maïlys, je sais qu'elle les a surkiffés, elle a même pu emprunter une robe pour aller au carnaval de Venise, et elle était magnifique dedans. Moi, ces vieilles robes à froufrou, ce n'est pas trop mon truc, mais j'ai un profond respect.

Mais en effet, c'est hyper triste que ça dorme comme ça et que ça pourrisse un peu.

 

Y : Non, parce que comme tout à l'heure, tu parlais des étudiants du conservatoire, je me rappelle quand même, j'étais au conservatoire et à l'académie. Quand on fait nos jurys, il faut chercher des costumes, on essaie de peaufiner le personnage qu'on va incarner, ça passe par les accessoires, ça fait partie de l'étape.

Comme tu parles des jeunes...

 

M : Je ne suis même pas sûre qu'on puisse vraiment prêter nos costumes ici, c'est très compliqué, ça aussi. Donc, du coup, en effet, c'est là, ça dort et ça ne sert à personne et c'est fort dommage.

Si au moins, mais j'imagine que c'est très compliqué aussi de gérer les entrées-sorties de costumes, après il faut les entretenir, etc. Je comprends qu'on ne se soit pas lancé là-dedans, c'est trop compliqué. C'était comme ça, il n'y a pas de...

 

Y : J'aimerais encore poser une ou deux questions, puis voilà. Tu es amenée à reproduire certains mouvements, répéter certains gestes.

Quels sont les gestes propres à ton métier que tu es amenée à répéter ?

 

M : Hum... Je suis quand même...

Je disais tout à l'heure que j'étais assez nomade et que je faisais beaucoup de déplacements à vélo, mais je fais aussi quand même beaucoup de bureau et beaucoup d'ordinateur, si bien que là, cette année, mon grand âge étant... J'ai développé un peu des problèmes de dos, de... Voilà.

Donc, j'ai les mêmes problématiques que toutes ces personnes qui font du bureau et de l'ordinateur. Ce n’est pas très glamour, mais c'est une réalité. Après, des gestes que je répète, j'ai fait beaucoup de vaisselle de verre cette année, ici et au Théâtre de Poche, puisqu'on a fait beaucoup d'échauffement avec Les Veilleurs. Et donc, évidemment, on sert du thé, du café à tous ces gens qui sont là, on discute avec eux et après on se retrouve avec pas mal de vaisselle.

Donc, je ne sais pas si je dois penser à un geste comme ça, que j'ai beaucoup répété cette année. C'était beaucoup de vaisselle de verre. Ça va avec la question d'accueil.

 

: Accueillir, mais après, il faut nettoyer.

 

M : Ça, c'est un truc qui est plutôt sympa, c'est que quand on est au Théâtre de Poche, la vaisselle, je la fais derrière le bar, mais les gens sont là aussi devant, donc tout en faisant la vaisselle, on continue à discuter. Puis moi, j'aime bien cette posture de barmaid, même si on ne sert que du thé et du café. J’aimerais bien qu'on puisse servir des bières et autre chose, mais ça, ça n'est pas possible. Voilà, en tout cas, pour un geste qu'on répète.

 

Y : Et là, c'est une question de pure spéculation. Comment tu imagines le futur de ce théâtre ?

 

M : Hum... 

 

J'ai... l'impression qu'en termes de travaux qui sont nécessaires dans les trois lieux, c'est plutôt ici, au 145, apparemment que les choses vont se faire. On nous parle aussi de projets qui permettraient de tous nous réunir dans le même bureau, dans un même endroit.

 

Il a été question au moment d'Utopia, qui est ce bâtiment qui est juste à côté du Poche, mais qui est mis à disposition d'Utopia, où il y a des ateliers d'artistes. J'ose espérer qu'on n'ira jamais là-bas, même si ce serait assez idéal parce que c'est juste à côté des trois théâtres. Mais il y a des artistes formidables qui bossent là-bas et j'espère qu'on ne les délogera pas parce qu'ils y ont des ateliers depuis des années et que ça a cramé en plus récemment.

 

Euh... Ouais, comment je projette le théâtre ? Moi, j'ai l'impression qu'on est encore...

Enfin, là, finalement, peut-être que cette saison, c'était notre vraie première saison. On s'est quand même essuyé le Covid, on est quand même encore dans un nouveau projet. Les gens se trompent encore régulièrement quand ils viennent au spectacle.

Il y en a un qui va se pointer au Grand Théâtre alors que c'est ici. Ça arrive encore. C'est de plus en plus à la marge, mais ça arrive encore.

En tout cas, je sens que ça y est. Les gens ont compris le projet. Beaucoup l'apprécient.

Ils l'apprécient désormais.

Et je n’ai pas l'impression, contrairement à peut-être d'autres collègues, qu'on ne touche qu'une petite partie de bobo. C'est vrai que on a...

Voilà. On est quand même entre blancs. C'est assez déprimant.

Même si on a l'impression de faire un boulot avec Audrey pour essayer de changer ça. Mais... Voilà.

On rame encore. On a encore un public de blancs. C'est un fait.

On va continuer à faire le boulot pour élargir le plus possible. En tout cas, le projet, ça y est, est bien ancré, est reconnu, est apprécié et j'ai l'impression que désormais, on ne peut que le développer. Je ne sais pas combien de temps Delphine restera et je ne sais pas qui reprendra éventuellement sa place lorsqu'elle s'en ira.

Est-ce que je me retrouverai dans cette autre direction, cette autre programmation ? En tout cas, le fait est qu'aujourd'hui, j'ai l'impression d'y avoir ma place. Et que si je ne bossais pas ici, je pense que je viendrais en tant que spectatrice régulièrement profiter des spectacles.

[…]

J'entends, moi j'ai l'impression quon a quand même une forme d'équilibre entre les propositions très exigeantes, il y en a, c'est sûr, et des propositions plus grand public. Mais même dans les propositions grand public, quand je parle de grand public, je parle par exemple des spectacles de cirque, il y a toujours quand même une pensée, une exigence de la part des compagnies, j'ai l'impression que c'est que des spectacles de qualité. Moi je suis toujours C'est marrant parce qu'on en riait encore hier, donc on partage Je suis vraiment dans des confidences de la vie du théâtre, on partage un bureau à quatre au Grand Théâtre. Il y a Julia qui est chargée de com que tu as dû rencontrer, Nathan qui est notre jeune alternant mais qui va visiblement intégrer l'équipe et c'est super, ma collègue Audrey et moi. Et donc hier encore, on se marrait parce qu'Audrey et moi on est radicalement différentes sur notre vision du projet. Et donc là hier, elle prenait la plaquette en disant, mais là « on va se planter, il n'y aura personne ». Et moi je suis, elle est toujours assez pessimiste sur le remplissage du spectacle, et moi je suis l'exact opposé, je suis toujours hyper sûre de moi. Et parfois je me plante, parfois elle se plante. En tout cas, on est assez complémentaires je crois. Parce que voilà, moi j'y crois, je crois à ce projet, je vois qu'en plus ça marche. Enfin cette année, on a quand même hyper bien rempli, il y a des spectacles où étonnamment Là, j'ai souvenir notamment cette année, on a accueilli un collectif qui s'appelle les Harmoniques du Néon qui font plutôt de la performance vocale. Enfin, ils sont vraiment un peu perchés, un peu barrés. On s'est ajouté deux soirs, un spectacle qui s'appelait Le Flou sur la langue. Une espèce d’émission radiophonique un peu mis en scène. Et ils nous ont ramené un public, des gens du quartier, du 102, etc. que je n’avais jamais vu ici. Et bien génial, super ! Et de temps en temps, après je revois un peu des gens, qui ont dû se dire « ah ok maintenant, c'est ça le TMG. C’est cool ça me donne envie de revenir. Regarde la programmation. Ah oui ça aussi, ok. » Donc petit à petit quand même, les gens se rendent compte que la programmation est vraiment intéressante, très éclectique avec des artistes du coin mais pas qu’avec du cirque, de la marionnette du théâtre, de la danse.

Voilà, moi je le défends à 200% de projet de toute façon ! Sinon je ne serais pas là. Et bien sûr, oui, il y a encore un gros travail à continuer à faire pour faire reconnaître ce projet pour élargir notre public. Mais le boulot on le fait, ça prend du temps encore une fois. C’est des petites graines.

Mais voilà, quand on voit ces gens de la rue qui maintenant viennent spontanément participer à ces échauffements, qui viennent écouter des lectures. Ils viennent évidemment plutôt sur des propositions gratuites, mais c'est ok. C'est important de le souligner, on fait beaucoup de conventions, de partenariats avec des structures, avec notamment des conventions et des structures solidaires, qui donnent accès aux tarifs solidaires à 5 euros. Donc on le fait le boulot, et on voit que parfois on a dans nos salles, évidemment des bobos blancs intello, mais aussi un peu des têtes nouvelles. Et j'ai l'impression que comme on a vraiment à cœur de bien accueillir les gens, les gens se sentent bien et puis reviennent.

Donc ça prend du temps, ça se fait sur la durée, mais on ne va rien lâcher, on va continuer.

 

Y : Je voudrais juste revenir sur un dernier point, tu as pas mal parlé dans le quartier du lien, un partenariat entre les associations, et puis même que les directions des différents espaces d'arts de scène, de la scène à Grenoble, dans l'agglomération, sont en partenariat. Est-ce qu'il y a des raisons qui ont poussé à ces partenariats, des contraintes ? Parce que moi, quelque part, quand j'entends ça, la première idée qui m'est venue en tête, je me suis demandé si c'est parce qu'il n'y a pas eu des coupures de budget ces dernières années, qu’instinctivement, mais que naturellement, les gens vont aussi se regrouper, parce que tout le monde perd un peu en budget ?

Je ne sais pas, c'était une question.

 

: Peut-être que ça c'est un fait, après nous on fonctionne exclusivement avec des financements municipaux, ce qui n'est peut-être pas le cas des autres théâtres. Donc après, je pense que c'est difficile de comparer des théâtres qui fonctionnent avec des financements très différents. C'est évident que tous ceux qui bénéficiaient de financements de la région ont subi des sacrées coupes ces dernières années, et ça c'est juste dramatique évidemment. Et puis ça c'est même, voilà, juste à côté, nos voisins de la Cinémathèque, c'est des baisses énormissimes, au point où ils ont remis en question le festival.

 

Donc ça, on le voit tout autour de nous. Nous, j'ai l'impression qu'on est quand même relativement préservés de ces questions de coupes, même si je sais que ça a un tout petit peu baissé cette année. En tout cas, est-ce que c'était une des raisons pour lesquelles on s'est mis à davantage bosser ensemble ? Je ne saurais pas le dire, parce qu'encore une fois, je ne suis pas du tout branchée sur les chiffres.

J'ai un gros problème de mémoire, et puis alors les chiffres... mais ça doit faire partie d'une des raisons. Encore une fois, je pense que c'est aussi vraiment lié au fait que ce sont des femmes désormais à la tête des théâtres, et qu'il y a une espèce d'élan naturel que de bosser ensemble. Juste parce que ça fonctionne toujours mieux de bosser ensemble, et puis parce que chaque lieu a ses spécificités, mais aussi des endroits de convergence et de mutualisation possibles.

 

Mais sans doute que la question budgétaire doit rentrer en ligne de compte, certainement.

 

Y : Tu as des choses à rajouter ? Quelque chose qui t'est passé par la tête, que tu n'as pas pu placer ?

 

M : Non, est-ce que toi ça va ? Tu as l'impression que tu as un peu de matière ?

 

Y : Oui, quand même, c'est riche, non ?

 

: J'espère, j'espère.

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Yasmine Benaddi, “Entretien avec Muriel Balint,” Archives plurielles de la Scène, consulté le 6 septembre 2025, http://archives-plurielles.elan-numerique.fr/items/show/1490.