Entretien avec Julien Cialdella
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Y : Déjà, ça fait combien d'années que tu travailles ici ? Ou combien de temps ?
J : Moi, pour la mairie, ça fait... Ça fait 11 ans. 11 ans que j'ai intégré le Théâtre Municipal de Grenoble.
Y : En régie ?
J : Oui.
Y : Et tu faisais de la régie avant ?
J : J'étais intermittent sur Lyon avant.
Y : Combien de temps ?
J : Pas longtemps, 3-4 ans. avant, j'étais photographe. Je travaillais en labo, en studio, en indépendant. Et j'en ai eu marre, en fait. Je me suis recyclé.
Y : C'est quand même un statut différent de travailler pour une mairie, vu que c'est un théâtre municipal, donc c'est le statut fonctionnaire ?
J : Oui, on est fonctionnaire, oui.
Y : Est-ce que ça joue, déjà, sur la manière dont on digère le travail ?
J : On est plus investi, de toute façon. Parce qu'on passe plus de temps et que...
Quand on est sur une prestation quelconque, en intermittence, tu es moins investi, t'as des tâches à accomplir, on te donne des heures de travail, et puis voilà. Le fait que nous, on soit à plein temps, faire 1600 heures dans l'année. Dans les lieux, on ne fait pas que du théâtre et de la machinerie, on fait tout ce qui est maintenance, entretien, et puis rénovation, et puis... Voilà, tout ce qui fait vivre le lieu, les lieux. Parce que nous, on a plusieurs lieux de travail, et on participe à la création avec les compagnies, en les aidant, en construisant des choses, vu qu'on a des ateliers de décor et de couture. Mais on est aussi indépendant sur la construction d'accessoires, que ce soit bois, métallique ou autre. Et puis, l'entretien, parce que c'est les lieux de vie, et qui demandent un sacré entretien.
Y : Tu peux nous donner plus de détails sur ça ? Ça m'intéresse particulièrement.
J : Ça concerne tout, en fait, que ce soit la peinture, l'entretien électrique, la rénovation... Même si la ville a des services dédiés, nous, on fait beaucoup de choses, parce qu'on est habilités, par exemple en électricité, tout ce qui est scénique, tout ce qui est... Pour faire des circuits, par exemple, pour les lampes, c'est nous qui le faisons, on ne va pas faire appel aux services de la mairie, parce que, d'une part, ça demanderait un protocole de mise en place très long ; et de ce côté-là, on est totalement indépendant, que ce soit sur les achats de fournitures et sur notre main-d’œuvre, en fait, et puis organiser le temps de travail là-dessus.
Donc ça, ça prend une part non négligeable sur l'année, en plus de tout ce qui est montage, réglage, représentation, préparation, et ainsi de suite.
Y : Ces espaces, ce sont quand même des lieux historiques ou qui ont été rénovés ? Des bâtisses qui datent d'avant ou qui ont été rénovées ?
J : Je ne sais pas si tu as vu le Grand Théâtre, mais oui, effectivement, il a plus de 250 ans. Le Poche, c'est le 145, qui a quand même quelques années, parce que ça, c'était un ancien atelier de confection, de textile, mais qui a complètement été rénové. Je crois, il y a plus de 40 ans, notamment par Serge Papagalli et d'autres personnes qui en ont fait un théâtre, qui est passé entre différentes mains en...
Salim : Bonjour.
Y : Ah, bonjour.
J : ...en plusieurs années, notamment les Barbarins Fourchus, et puis le Tricycle avec Serge Papagalli, puis nous qui l'avons récupéré au niveau programmation et technique. Mais moi, depuis que je suis là, il y avait déjà de la technique faite ici par les gens du théâtre municipal. Même si la programmation était faite par les assos, on avait la gestion technique.
Y : OK. Et de s'occuper d'espaces, comment dire, historiques, patrimoniaux... Souvent, quand on investit aussi dans des lieux historiques, c'est aussi des lieux de pouvoir, pas dans le sens de pouvoir comme une assemblée municipale ou autre, mais ça reste quand même représentatif.
Du coup, travailler dans ces espaces, est-ce que ça fait travailler différemment la régie ? Est-ce qu'on... Oui, dans ta pratique, même, comme tu disais, il y a d'autres choses à faire.
J : Oui, mais là, rien que les trois théâtres que l'on a, entre le Poche, le 145 et le Grand Théâtre, c'est trois manières de travailler différentes. Parce que le Poche et le 145 ne sont pas, à l'origine, des théâtres surtout de 145. Donc on a un grill fixe qui est là, alors qu'au Poche, c'est un grill mobile, donc ça descend, c'est plus pratique, on met moins de temps à faire le montage. Ici, c'est très long. Il y a des choses qui se sont améliorées avec un pont mobile ici qui n'y était pas avant.
Et alors qu'au Grand Théâtre, c'est vraiment un théâtre qui est prévu pour... C'est vraiment, à l'origine, un théâtre. Donc tout est fait pour faciliter le travail, même si c'est complètement différent ; parce que c'est un théâtre italien avec des équipes à main, donc c'est très technique, et que c'est un lieu qui demande un savoir-faire et des compétences particulières. Mais c'est vraiment un lieu qui est plus facile à travailler que par exemple ici. Parce qu'à l'origine, ce n'est pas une salle de théâtre ici. Donc ça, ça se joue. Mais quand on a fait de... Comment dire ?
De la prestation en intermittent, on se rend compte aussi des possibilités. Je dirais que c'est même plus facile d'avoir un plein pied vide en extérieur ou même dans une salle vide et créer un théâtre plutôt qu'au final avoir un théâtre comme celui-ci qui est équipé mais qui n'est pas évident à faire. Par exemple, quand on fait une prestation en extérieur, on a souvent un grill avec des moteurs comme au Poche. Donc c'est plus pratique pour équiper. Mais ça demande à mettre la structure. Donc voilà, ça demande plus de temps pour monter la structure, mais pour l'équipement lui-même et le réglage, c'est plus facile. Il y a plein de... Dans le milieu du spectacle, on arrive à s'adapter. Il y a plein de choses différentes, des manières de faire différentes pour arriver à un résultat qui est le même. Tu vas dans une salle ou une autre, tu ne travailleras pas forcément de la même manière. Mais le final, ce sera la scénographie, les lumières, le jeu. On essaie que ce soit la même chose.
Quand il y a une compagnie qui arrive comme celle-ci, qui est en tournée, qui nous donne une fiche technique à préparer, leur but, c'est de refaire les mêmes images, les mêmes tableaux, quelle que soit la salle.
Y : Tout à fait. Vu que tu expliquais que tu avais une pratique artistique, la photographie, donc tu as quand même travaillé tes goûts personnels et esthétiques. Quand tu travailles dans des espaces comme le Grand Théâtre ou le Poche, comme le Grand Théâtre est plus vieux et plus spécifique. Comment dire ? …
J : Qu'est-ce que ça m'a apporté par rapport à ça ?
Y : Oui, qu'est-ce que ça t'apporte ? T'as une satisfaction et un plaisir ?
J : Oui, bien sûr, mais en fait, c'est d'avoir l'œil en tant que régisseur et régisseur plateau au Grand Théâtre. C'est d'avoir l'œil de ce qui peut aller, de ce qui ne va pas aller, de ce qui peut traîner, surtout avant les représentations. En amont, on a fait pas mal de choses, mais juste avant, on fait le tour, on regarde, et puis il y a des choses qui me sautent directement aux yeux. C'est une question d'habitude et d'œil avisé par l'expérience qui fait qu'on arrive à déceler les petits détails et les corriger si on peut.
Y : Quelles sont, en fonction des salles dans lesquelles tu travailles (du TMG), y a-t-il des gestes particuliers amenés à se répéter, propres à ces endroits-là ?
J : Des gestes répétés, en fait, le spectacle,
Y : propre à ici.
J : En fait, le spectacle, c'est très répétitif. Quand tu es en accueil, montage, représentation, démontage, c'est des routines. Les différences, c'est plutôt quand on est dans des créations, ça ne prend pas le même rythme sur des créas parce que c'est plus long, c'est au coup par coup. Alors que quand on a une fiche technique et qu'on a un accueil, c'est assez... on a des habitudes de travail qui font que ça roule et qu'on n'est pas novice et qu'on arrive à avancer comme il faut et à accueillir correctement les compagnies.
Tu me demandais spécifiquement ce qu'il y a de répétitif.
C'est un peu tout, en fait.
Y : C'est bien cet endroit. Je sais que par exemple, dans le Grand Théâtre, t'as les cintres.
Ce n’est pas toutes les salles de théâtre qui sont équipées de cintres. Effectivement, c'est un geste différent, spécial. Comme toi, tu as une expérience du bâtiment parce que tu habites ce bâtiment, tu l'animes. En même temps, il doit t'animer sûrement parce qu'à force d'être dedans, il doit être dans ton rythme à toi. Donc toi, tu as une expérience sensible de cet endroit que je n'ai pas.
C'est pour ça que je pose des questions parce que quand on passe des années dans un endroit, comme tu le dis, on ne le voit plus pareil. Il y a des détails qui nous sautent aux yeux parce qu'on les voit régulièrement. Est-ce qu'il y a des sons aussi qui sont propres à cet endroit ?
J : Les sons, oui, bien sûr.
Y : Tu peux m'en citer un ?
J : Ben... Ici, rien que les plateaux sonnent différemment. Quand on est au Poche, au 145 ou au Grand Théâtre.
Hier, justement, on était au Grand Théâtre. On avait l'impression d'être sur un bateau qui craque avec la perche qui bouge. On était en train de travailler sur une porteuse pour refaire l'électricité dessus.
Et les pas qu'on avait dessus, on avait l'impression d'être sur un bateau qui craque avec la perche qui bouge. Et quand on marche sur ce plateau-là, c'est complètement différent. Le volume est différent, le son est différent au niveau de la cage de scène.
Y : Et au Grand Théâtre ?
J : Au Grand Théâtre, c'est pareil. Il y a plein de sons différents entre les pigeons qu'on entend à 20 mètres du sol sous la toiture, tous les bruits de porte ou les bruits de perche, de mouvement qu'il peut y avoir. Maintenant, il faut y réfléchir pour y penser parce que c'est devenu effectivement une habitude. C'est comme là, on sait qu'il y a la soufflerie aussi. Ici, c'est particulier, on l'entend beaucoup parce que c'est très bas de plafond. Au Grand Théâtre, on l'entend moins.
Il y a plein de choses comme ça.
Y : Travailler en régie, c'est un travail très corporel. Qu'est-ce que tu peux dire de ton corps dans ce travail-là ?
J : Ce ne sont pas les mêmes contraintes. Par exemple, au Grand Théâtre, il y a énormément d'escaliers, mais dans la zone du plateau et de la salle, c'est un peu différent.
Par exemple, la façon de travailler ici pour les marches rondes, elles ne sont pas très adaptées. C'est une contrainte parce qu'il n'y a pas de contre-marche. Il faudrait que ça soit refait complètement parce que ça veut dire que nous, dans le passage, on ne peut pas mettre une contre-marche.
C'est quelque chose qui, pour nous, est particulier dans la façon de bosser puisque ces marches sont plus fatigantes que toutes les marches qu'on a au Grand Théâtre alors qu'on a 5-6 étages à monter à chaque fois, à redescendre.
Y : Quels sont les éléments architecturaux de ces bâtiments qui, toi, te plais ou t'as marqué ?
J : Qui m'ont marqué ?
Y : Oui, que tu aimes bien, qui te plaisent toi particulièrement. Dans ce qui te vient, ce qui te passe.
J : Moi, j'aime bien travailler au Grand Théâtre parce qu'il a une histoire, parce que c'est un lieu qui est chargé mais qui est plutôt pas mal à travailler et qu'on a su mettre à jour sur plein de choses, en technique, pour améliorer et pour être aux normes. Au goût du jour, au niveau technique, son, lumière, plateau, vidéo, ici aussi, on fait ça. Des choses qui me marquent...
En négatif, c'est ce grill que je ne supporte plus, qui n'est pas très droit, qui a une espèce de mikado qui a été monté au fur et à mesure, qui n'est pas très pratique à travailler, parce que les hauteurs ne sont pas les mêmes. Au poste, j'aime bien, parce que le volume de la salle et du plateau fait qu'il y a une proximité intéressante, et puis que c'est un lieu qui est sympa.
Parce qu'il y a un atelier aussi.
Au Grand Théâtre, on a l'avantage d'avoir un lieu aussi qui permet de faire beaucoup de choses, de construire, d'accueillir des choses énormes, et de travailler vraiment différemment.
Celui-là, il est vraiment très à part, le 145. C'est pour ça qu'il y a un projet de... Je ne sais pas quand est-ce que ça sera fait, mais il y a un projet depuis quelques années de refaire entièrement. La salle, les escaliers, le plateau, le grill, tout ça, ce n'est pas optimum. Donc ça demande beaucoup de prendre sur soi et de prendre du temps. Ça prend énormément de temps pour tout faire ici.
Beaucoup plus qu'au Poche ou au Grand Théâtre.
A : Et puis de bien le connaître.
J : Oui.
Y : Comment tu imagines que ça évoluera, ces salles, ce théâtre ? Il y a des trucs où tu te dis que ça finira comme ça ?
J : Non, je ne me fais pas de d’illusion, mais je me dis qu’en France, aujourd'hui, avec l'investissement qui est fait sur la culture, ce n'est pas évident. On préfère rénover à Grenoble la Tour Perret, qui se casse la gueule, qui a moins de 100 ans et qui n'a pas un grand intérêt à ne pas être une construction particulière. Mais à côté de ça, il y a le Grand Théâtre ou le bâtiment Lesdiguières, qui sont laisser à l’abandon, qui sont bien plus anciens et qui ont un gros potentiel, alors que la Tour Perret, par exemple.
A : C'est une richesse historique beaucoup plus importante. La Tour Perret, mis à part d'être la première construction en béton armé, n'a pas un gros intérêt.
J : Ce n'est pas la même technique. Ils ne faisaient pas du fer forgé comme on le fait aujourd'hui, mais il y avait des agrafes aussi. Il y avait des blocs de béton qui étaient agrafés avec du métal. Ce béton-là a plus de 2000 ans. Il se tient encore.
A : Je m'en souviens bien.
J : Tu t'en souviens, tu étais là, avec ton ami Ptolémée, ton ami d'enfance. (rires)
Y : Quand j'ai discuté avec le directeur technique (Grégory Dijon), il a dit qu'il y avait beaucoup de bois au Grand Théâtre, très boisé. Il y a toujours en permanence ce stress de l'incendie.
En me baladant, je l’entendais dire plusieurs fois « risque incendie ».
J : Les contraintes sont bien plus importantes.
Les contraintes, pour le Grand Théâtre, ce sont des contraintes de sécurité incendie qui sont énormes. Sans parler de l'incendie en lui-même, quand on a une salle de 600 places et plus, c'est très alambiqué, il n'y a pas de plein pied.
On peut sortir directement, il n'y a pas d'escalier. Au pire, on est dehors en très peu de temps. Au Grand Théâtre, il y a des escaliers.
Dans des salles qui sont à un niveau supérieur, avec plus de monde en jauge, il y a un événement catastrophique. Ça peut être très grave. Nous, on veille beaucoup plus au final, même si on ne fait pas de différence entre ici, Poche, 145.
Notre métier fait qu'en plus on est formé SIAP. On est tous agents de sécurité incendie et d'autres personnes. On a conscience des problématiques et on sait les régler.
Au Grand Théâtre, on est toujours sur le qui-vive. On vérifie tout, on fait attention, même si on a un rideau de fer, on fait en sorte qu'il n'y ait pas de risque. Il y a plus de contraintes de ce côté-là. Mais c'est devenu une telle habitude que c'est positif.
C'est devenu une habitude qu'on oublie, qu'on laisse passer. C'est une habitude et une contrainte qu'on a tous les jours. Et on sait la gérer. On sait que l'on l'a.
A : J'ai vu par hasard une vidéo ce matin sur le 5-7.
J : C'est l'anniversaire du 5-7.
C'est la boîte de nuit dans les années 70 qui était à Saint-Laurent-du-Pont où il y a eu144 morts de 14 à 22 ans.
A : Le 1er novembre 1970. J'ai vu le reportage ce matin.
J : Parce qu'il y avait du polystyrène de partout dans le bâtiment, parce que les tourniquets, parce que les secours étaient fermés, parce que ça fumait à l'intérieur.
A : Il y a eu un traumatisme énorme en France et ça a été les bases.
J : Ça a fait évoluer la réglementation.
A : C'est ce qui a fait commencer la réglementation incendie dans les établissements recevant du public. Ça existait un tout petit peu avant mais c'était très sommaire. C'est vraiment ce qui a été le point de démarrage de la réglementation. La réglementation maintenant, c’est des pavés, c'est loin d'être improvisé.
Y : En termes d'avantages, que ce soit du bois, y a-t-il des avantages ?
J : On l'entend vivre. On le sent. On le voit. Par exemple, le plateau au Grand Théâtre, qui est un plateau quasiment complètement amovible avec ses trappes. Les trappes bougent. Elles sont vivantes même si c'est du bois coupé. Le sapin a tendance à se dilater et se rétracter suivant l'été ou l'hiver. Quand il y a le chauffage, par le dessous ou dans la salle, le bois a tendance à sécher. L'été, contrairement à ce qu'on penserait, vu qu'il n'y a pas de chauffage et que c'est des murs dans les murs, il fait beaucoup plus frais à l'intérieur et l'humidité remonte parce qu'on est au bord de l'Isère. Le bois se dilate et les trappes, on n'arrive plus à les défaire.Elles sont vraiment collées alors qu'en plein hiver, quand c'est très chaud, on peut avoir entre 5 et 6 cm d'écart sur la longueur des plaques. Il y a plus de 12 mètres des plaques qu'on peut enlever. Je crois qu'il y a 13 mètres. Sur 13 mètres, il y a un petit pourcentage de jeu et cette dilatation fait que ça, c'est vivant. On le ressent tout le temps.
Les cintres aussi, parce que c'est du chanvre. Suivant l'hygrométrie, tout bouge. Par exemple, si on va mettre un rideau du pendard au sol, suivant l'hygrométrie, il va se reposer ou remonter tout seul. Quand il ne fait plus chaud, les guindes s’assèchent et se rétractent.
Quand c'est humide, elles vont prendre du jeu et s'allonger.
A : Quand il fait chaud, là 10 m va faire 9,98 m.
J : C'est vrai, ça se voit tout de suite. Du coup, il y a le jour qui passe sous les rideaux. Quand on fait un réglage de pendard sur les cintres au Grand Théâtre, la veille de la représentation, le jour de la représentation, avant, à la fin des réglages, on revérifie, on refait tout.
A : Pour aller dans le sens de ce que dit mon ami, à Versailles, le Petit Trianon, le Théâtre de Marie-Antoinette a été restauré, refait à l'identique de ce qu'il était à cette époque.
Il continue à être utilisé, avec une toute petite jauge, mais tel qu'il était pratiqué à l’identique. Tout avec des nœuds. Tous les réglages, tout ce qui se fait en réglages, c'est refait une, deux, voire trois fois par jour parce qu'en fonction de l'hygrométrie, ça bouge. Donc ils refont tous ces réglages deux à trois fois par jour.
Y : Et alors, dans les autres salles, ce n’est pas le cas ?
A : Dans les salles plus modernes, maintenant, c'est beaucoup avec des moteurs électriques et du câble acier, qui est beaucoup moins sensible aux changements hygrométriques. Donc c'est des... Il y a plus de facilité de travail quelque part, mais en même temps, il y a aussi beaucoup moins de modularité dans le travail.
Il y a des métiers qui disparaissent. Le métier de Renaud Gille (technicien cintrier). On a discuté hier, il est cintrier. Ici, il n'y a pas de cintres. Il n'exerce pas en tant que cintrier, mais au Grand Théâtre, il exerce en tant que cintrier. C'est un vrai métier. Et il peut y avoir, il peut faire des échappées : donc échappée, c'est éliminer un tissu, un décor, quelque chose, dans les centres. Il peut le faire tout doucement, il peut le faire très rapidement, il peut le faire beaucoup. Et il y a beaucoup plus de latitudes, de possibilités qu'avec des moteurs électriques, en fait.
J : T'es jamais allé voir dans un opéra ?
A : Oui, je l'ai simplifié. Après, il y a les cintres informatiques.
J : Le métier de cintrier à l'ancienne, comme on l'entend avec des cintres contrebalancés, soit palanqués, soit autres, est venu à disparaître. C'est un métier qui venait de la Marine. Aujourd'hui, on est sur des commandes numériques. C'est des perches qui sont commandées avec un ordinateur, avec des joysticks. Et on peut même les programmer, comme sur les acérnis.
C'est un nouveau métier, qui correspond à l'ancien métier de cintrier, parce que c'est le même titre, sauf que là, on a des commandes numériques. Les gars sont perchés en l'air, et puis ils ont des ordres qui sont donnés, et puis ils ont des tops. La grosse contrainte qu'on a avec le numérique, c'est que ça tombe en panne.
Donc si ça tombe en panne pendant le jeu, on ne peut pas faire autrement. Nous, une équipe à main contrebalancée, t'as vérifié que ça fonctionnait, c'est entretenu, c'est changé le câble régulièrement, c'est vérifié par des bureaux de contrôle chaque année, ça ne tombe pas en panne. Le cintrier, il est là, il fait son mouvement. Donc, il y a des plus et des moins sur les nouveautés, il y a des avantages et des inconvénients, comme dans tout.
Y : Hier, justement, en parlant avec tes collègues, ils expliquaient justement qu'il y avait le côté où, en étant permanent ici, il y a clairement la manutention de façon générale du bâtiment, de tout ça.
J : La maintenance !
Y : Oui, la maintenance. Toi, tu trouves ça particulier ? Non, je veux dire, est-ce que tu trouves ça propre au fait d'être fonctionnaire dans un théâtre municipal, ou d'être affilié à un endroit ?
Ma question n'est pas très top. Ce que je veux dire par là, c'est qu’entretenir, ce n’est pas, comme tu l'expliquais, par rapport à l’intermittence : tu débarques, t'as des tâches à faire. À partir du moment où tu commences à entretenir le matériel, ce n’est pas la même approche de travail.
J : Ah non, mais ça, ça fait partie du métier. La différence, je pense que depuis quelques années, notre corps de métier évolue dans un sens où avec le manque de programmation, le manque de moyens, on a plus de temps alloué à faire d'autres choses, comme de la maintenance, comme de l'entretien, de la rénovation, des choses comme ça. Ça, depuis 5 ans, je dirais, même pré-Covid, c'était depuis 5-6 ans, on a vu notre planning évoluer avec beaucoup plus de choses qu'on n'avait pas à faire.
Y : Un exemple ?
J : Un exemple, refaire la cuisine du 145, la peinture du mobilier. Au Grand Théâtre, pareil, on a refait une cuisine, de la peinture, c'est des choses qui... Avant, on n'aurait jamais eu le temps de le faire, on aurait fait faire. D'ailleurs, c'est ce qui avait été fait à l'époque.
Parce qu'en fait, on a plus de temps libre, entre guillemets, mais notre employeur est obligé de nous faire travailler 1600 heures l'année, mais plus assez dans le spectacle, en lui-même, montage, représentation, démontage, entretien courant. Vu qu'on fait plus de présence de journée, il faut faire plus de maintenance. Voilà. Là-dedans, on nous fait refaire les loges, on repeindre les loges, faire de la réflexion dans des domaines qui ne sont pas forcément les nôtres.
Je disais, nous, on a quand même pas mal de choses qu'on fait sans passer par des services de la ville comme l'électricité, tout ce qui est scénique, on fait nous et avec quelques intermittents. La plupart du temps, c'est nous. Dans d'autres services, tu vas dans n'importe quel autre service en tant que fonctionnaire, enfin en tant que service de la ville, ils font appel aux ateliers municipaux, donc aux services d'intervention de la ville. Et puis avec chaque secteur, enfin chaque corps de métier a son service dédié, serrurier, plombier, maçon, voilà.
Nous, on est obligés déjà de faire nous, parce que c'est très complexe, parce que ça, ça vient des fonctionnements de la ville. Puisqu'on est formé en électricité, on est habilité à travailler, les services de la ville ne vont pas intervenir.
Y : Ok, donc si je comprends bien, du fait que par ton métier technique, la régie, tu es obligé d'avoir des habilitations, des formations, des connaissances en divers domaines, donc comme il y a aussi moins de représentations, si je comprends bien, donc vous êtes plus amené à devoir faire vos heures de travail, et donc... Ok, en termes de logique, comme vous avez les habilitations, les savoir-faire, on ne passe plus par les autres secteurs habilités de la mairie.
J : Oui, et puis ça coûte moins cher aussi vos services. Il y a moins de moyens, donc forcément ça coûte moins cher, même si c'est les services de la ville... C'est pris sur notre budget.
Si on fait intervenir des électriciens de la ville pour faire un boîtier électrique au plateau, ou mettre une prise n'importe où, ça va être facturé sur le service théâtre, déduire ça de notre budget, et valider sur le service cible des électriciens. Si on le fait en interne, tout ce que ça coûte, ça coûte la main d'œuvre, mais de toute façon, on est là, donc qu'on fasse ça ou autre chose, c'est pareil. Et ça coûte le prix du matériel qu'on va acheter.
Donc au final, c'est bien aussi, parce que nous on est... De faire, par exemple, tirer des câbles, faire des boîtiers DMX PC ou autres RG45, nous on sait faire, on connaît le lieu, ça nous permet de savoir, de connaître, de comprendre, et d'adapter en fonction de notre lieu. Et on n'a pas besoin de faire des demandes qui vont durer X temps, de faire plusieurs réunions, de faire ci, de faire ça.
C'est bien de toute façon, mais ça, la maintenance courante, et faire évoluer le lieu positivement, ça a toujours été. Je pense qu’au TMG, comme dans d'autres salles, c'est toujours pareil en fait. Quand on a la fiche de poste, tu regardes n'importe quelle offre d'emploi avec une fiche de poste, il y a l'entretien courant, la maintenance, tout ça.
Ce qui n'est pas le cas de tout ce qui est hors ça. Remettre à neuf des locaux, ce n’est pas de l'entretien courant. Refaire de la peinture du bâtiment ou autre, ou refaire de l'électricité bâtiment et pas scénique, ce n’est pas de l'entretien courant.
Salut Justine !
Après, ça nous permet d'avoir des heures de travail.
Y : Une dernière question, puis j'arrête de t'ennuyer. Comme on a parlé du fait que les choses évoluent, il y a la révolution technologique, donc il y a plein de métiers qui disparaissent.
Il y a des moteurs qui arrivent. Il y a aussi la question des personnels qui changent avec ça. Il y a une féminisation des secteurs techniques aussi.
Les bâtiments prennent un coup de vieux, comme le Grand Théâtre, certes. Mais ça n'empêche, comme tu l'as expliqué, c'est un mélange de systèmes à l'ancienne avec des systèmes nouveaux qui changent parce que la demande est nouvelle.
Comment tu observes, comment tu constates cette évolution dans vos secteurs de travail, dans votre métier de régisseur et à l'intérieur du TMG ?
J : Je me rends compte par rapport au privé, c'est que tout est plus long dans le secteur public.
Y : Tout est plus long ? Oui, ça je sais, mais tu peux donner plus de détails ?
J : Plus de détails, tout est plus long. Le 145, ça fait plusieurs années qu'il est question de le rénover, de refaire nos grills, de faire ci, de faire ça. Et en fait, ça traîne toujours de réunion en réunion. C'est possible, ce n’est pas possible, et ainsi de suite. Quand on voit les budgets, après, on a un mélange trop cher. Après, on va faire quand même ça, mais on ne peut pas faire le reste, et ainsi de suite. Donc, c'est des petits bouts de rénovation, par-ci, par-là, jusqu'au jour où ils vont enfin se décider à le fermer et puis le refaire entièrement. Ça avance, mais ça prend un temps pas possible.
Dans le privé, quand c'est décidé, quand c'est vendu ou acheté, les promoteurs et les propriétaires, ils ont peut-être plus de moyens, effectivement, mais plus de volonté aussi pour que ça avance et que ça soit rentable derrière. Or, les municipalités n'ont pas de rendement à avoir ou de rentabilité à avoir. Donc, je comprends que, suivant les budgets, suivant les municipalités, tous les cinq ans, ça change.
Donc, ils n'ont pas les mêmes points de vue. Avec l'opposition, en plus, ça peut être compliqué. Donc, ça peut prendre toujours plus de temps.
C'est dommage pour des lieux appartenant à la ville, qui sont gérés par la ville, que ça prenne autant de temps, qu'on n'ait pas de moyens et qu'on n'ait pas la volonté de faire les choses. Alors que Grenoble est une ville où il y a beaucoup de compagnies de théâtre, de groupes de musique, de petites salles de concert et notamment beaucoup, beaucoup de salles. Et ça, moi,qui viens de Lyon, j'ai rarement vu ça ailleurs. Notamment à Lyon, des salles mises en délégation de services publics, comme la Belle Electrique, comme La Bobine, comme Le Ciel, toutes des salles qui appartiennent à la ville ; on leur paye les fluides, des fois du personnel, on leur donne des subventions, on les laisse en autogestion et ils programment ce qu'ils veulent.
Nous, au final, en tant que fonctionnaires travaillant dans des bâtiments publics, on a beaucoup plus de contraintes qu'eux, au final, parce qu'on ne leur demande pas de comptes à eux, nous on nous en demande. Eux, ils ont des contrats, des baux qui durent un certain nombre d'années et qui sont souvent reconduits, mais il n'y a pas vraiment de comptes à rendre de leur part sur la programmation, sur la fréquentation, sur quoi que ce soit. Nous, c'est le conseil municipal, c'est fréquentation, Delphine Gouard doit se débattre avec les chiffres, avec l'opposition et ainsi de suite.
On voit bien la différence, on le ressent aussi dans la façon de travailler, d'accueillir. Nous, on reste professionnels, même si on est fonctionnaires municipaux, on reste dans notre corps de métier, ce qui fait que quand on accueille les compagnies, elles sont plutôt ravies ; ça se passe plutôt bien et on est toujours bien remerciés du travail qu'on fait, de ce qu'on produit. Ce n'est pas partout pareil, quand on discute avec les compagnies. Quand tu arrives dans une municipalité ou tu es dans une salle municipale, ça fait toujours peur que tu n'aies pas forcément des personnes dédiées qui connaissent le métier, parce que dans une plus petite ville ou même des villes de cette taille-là, je pense que les salles municipales sont peut-être un peu plus laissées de côté. Ça va être X personne non formée ou intermittent ou de la mairie qui travaille aux espaces verts ou je ne sais où et qui vient en renfort mais qui ne connaît pas forcément le métier. Nous, c'est notre métier le spectacle, avant d'être fonctionnaire, avant de travailler pour la mairie ou d'être catégorie C, B ou A ou d'être technicien, machiniste ou régisseur, on est professionnel du spectacle.
Donc, on arrive à gérer et avoir un travail efficace, qui est valorisé par le résultat d'accueil et puis de bien-être des compagnies et du public. Voilà, je ne sais pas.
Y : Merci.