Entretien avec Yves Testard

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Dublin Core

Titre

Entretien avec Yves Testard

Créateur

Yasmine Benaddi

Éditeur

Alice Folco

Public visé

private

Date

6 mai 2024

Sound Item Type Metadata

Transcription

Cet entretien avec Yves Testard (constructeur menuisier) a eu lieu le 6 mai 2024 dans l’atelier de construction du TMG. Alice (stagiaire de Radio Campus Grenoble) posait également des questions.

Pour faciliter la lecture, la retranscription est lissée et les initiales sont utilisées.

 

Yv : ... donc je crois qu'il était dans l'optique de réduire la voilure au maximum parce qu'il y avait plus que Ben. Ce qui fait que pendant un mois quand même

 

A : Y'avait pas de travail ?

 

Yv : Petit dépannage et petit machin. Ça recommence juste à respirer un peu là.

 

Ya : Ah ouais donc, juste de passage pour quelques mois ?

 

Yv : Ouais, ouais, ouais. Après il faut se méfier puisque de toute façon l'activité va reprendre.C'est-à-dire qu'il y a eu des grosses coupes, en fait là. Je ne sais pas si c'est un truc à mettre dans mon interview là. Mais il y a eu des grosses coupes budgétaires dans la culture. Ce qui fait que, je crois, qu'il y a beaucoup de gens qui se posent des questions de « comment faire pour continuer ? » Et donc, je ne sais pas, je ne pourrais pas te dire en pourcentage, mais c'est fou, il y a presque la moitié des gens qui ont sauté. C'est la moitié des projets. Donc, c'est un peu vertigineux, je pense, comme incertitude, tu vois. Et le pognon, tu ne l'as pas. Celui que tu pensais avoir, tu ne peux plus l'avoir. Par exemple, les projets déjà plus ou moins acceptés peuvent être annulés. C'est-à-dire que, parfois même, je ne sais pas, dans le cinéma, quand même souvent, il y avait des gens qui commençaient des films en pensant que, en comptant sur certains trucs, Finalement, on peut refuser. Alors qu'évidemment, ils avaient commencé à dépenser de l'argent. C’est un problème de producteurs en fait. Et là, ce n'est pas pareil, ce n'est pas le même genre d'ambiance, je pense, tu vois, c'est un peu plus long terme.

 

Oui, donc ce n'est pas une période hyper joyeuse pour la culture.

 

:  Tu parles d'une période de cette année ou depuis 10 ans ?

 

Yv : Ben, ça a été, C'est une coupe de 10 milliards dans un budget de pas beaucoup plus,de 20 milliards. Enfin, c'est le spectacle vivant en particulier, c'est-à-dire le théâtre, tout ce qui est animation, etc. Enfin, je ne connais pas, je ne sais pas, je n’ai pas regardé le détail, mais impressionnant, c'est un peu historique.

Normalement, on serait censé devenir pauvre. Et en plus, il faudrait qu'on fasse la guerre à Poutine. Il y a plein de pognon. Je ne sais pas, il y a quelque chose d’un peu historique, quoi. Ça ne va pas être facile de faire de la culture épanouissante, interrogante.

 

Ya : Mais, du coup, on se tutoie ?

 

Yv : Ouais.

 

Ya : Donc, tu travailles dans l’atelier, t'es ébéniste ?

 

Yv :  Ouais. Plutôt menuisier.

 

Ya : Et donc, t'es sur les décors d'art de la scène depuis longtemps, ou...

 

Yv : Ah non, moi, je reprends parce que, pendant presque 30 ans, j'ai fait d'autres métiers. J'ai fait des décors pendant 15 ans, entre 20 et 40, 15 ans, plutôt entre 22 et 20, quoi.

Donc, c'était une longue coupure. Donc à l'époque où j'étais dans la culture, il y a donc 30 ans, c'était pas du tout comme ça. Il y avait beaucoup de projets et des trucs.

Il y avait une grosse ambition culturelle, je ne sais pas si tu te souviens, peut-être trop jeune, quand même, pour te rappeler de ça. En 80, le budget de la culture a été multiplié par deux par M. Jacques Lang avec la gauche, qui arrivait au pouvoir. En fait, moi, j'ai commencé quelques années après. Et c'était quelque chose en croissance.

Il y avait envie de faire grandir le business, il y avait de l’ambition, quoi. Donc, autant te dire que là, je reviens et j'ai l'impression que c'est pas du tout le même truc.

 

Ya : Et toi, de ta position, tu constates que le changement, il est comment ?

 

Yv : Oui. Bah, si, oui. Je constate que souvent, il y a un petit peu... Je constate qu'il n'y a pas des tonnes de boulot, quoi.

Mais je suis partagé entre ça et le fait que... Moi, celui que je remplace était malade.

Il a été malade longtemps. Et il savait plus trop bien quoi faire, tu vois. Mais il y a eu une petite crise là pour l'atelier.

Puis en plus, l'atelier, c'est comme... Je pense que dans toutes les entreprises de toute façon, il y a toujours des histoires de remaniement.

Et là, il y a apparemment l'idée de... Tu vois, de... de fusionner. Je sais plus. C'est un bordel super compliqué. Je pense que ça ne vous intéressera pas tant.

 

Ya : Tout nous intéresse. Tout nous intéresse.

 

[…]

 

Ya : Et tu avais déjà travaillé dans cet atelier, avant ?

 

Yv : Moi, je suis revenu bosser ici, parce que... Je suis venu bosser ici parce que j'avais filé un coup de main à Benoit pendant deux semaines, il y a un an. Ouais, bientôt un an.

Et je me suis dit « tiens, je vais aller le voir », je suis passé devant. Je vais aller le voir et je lui ai téléphoné. Et en discutant il m'a dit qu’il cherchait un menuisier.

Et moi, je me suis remis à bosser à nouveau. Et puis, voilà, je me suis retrouvé là quatre mois après, du jour au lendemain, presque.

Ils m’ont embauché assez rapidement, en fait. C'était rigolo.

 

[…] Il construit le décor de Panier Piano.

 

Ce qui est bête, c'est qu'on ne fait pas ce qui se passe. Moi, je ne sais pas. On n'a pas de...

On n'a pas de... Comment dire ? On n'a pas de...

Le fait, quoi, tu vois... On n'a que des... Des trucs à fabriquer, mais on ne connaît pas la pièce.

Ça, c'est un peu bizarre. Mais en même temps... Si ça se trouve, elle n'est pas écrite, la pièce.Et en plus, on n'aura pas le temps. Parce que si on fait un décor par semaine, ou deux décors par semaine, il faut être capable de... Ça ne sert plus à rien. Tu confonds les histoires, tu ne sais plus quelle séquence va avec quoi, tout ça.

 

Du coup, tu ne sais pas... le détail de chaque objet, quoi.

Ça, c'est le travail du scénographe.

Il se débrouille pour imaginer des choses. Et après, ça pourrait servir. On est trop tard dans cette histoire. Ce n'est pas notre boulot. Ce n’est pas possible.

 

Ya : Qu'est-ce qui fait la spécificité de cet atelier, s’il y en a une ?

 

Yv : Peut-être... Moi, c'est la première fois que je travaille dans un atelier de décors communal. Du coup, j'ai l'impression que c'est le seul. Ça ne doit pas être le seul. Mais il ne doit pas y en avoir beaucoup des ateliers comme nous. Parce que c'est... C'est quand même incroyable, quoi. Parce qu'ici, normalement, on peut tout fabriquer. Tout est possible.

Je ne sais pas... Je ne pense pas que beaucoup de villes ont des ateliers comme ça. Et là, ça, c'est vachement bien.

 

Ya : Ça, c'est la partie pour le bois de ce que jai appris tout à l'heure.

 

Yv : Oui. Ici, il y a toutes les machines à bois traditionnelles. Genre, une ponceuse, un bédane, ici, là, une scie circulaire, une scie à ruban, un rabot, une dégauchisseuse. Quoi d'autre ?

Un tour, là-bas. Et puis, il y a... une fraiseuse.

Et puis là, un tour. Avec tout ça, tu peux faire à peu près tout ce que tu veux en bois. Avec une belle aspiration pour chaque machine.

 

: Vous faites quoi après des copeaux de bois ?

 

Yv : C'est la déchetterie qui les récupère. Ça, je ne sais pas ce qu'ils font. Je pense qu'ils vont mettre ça sur un compost. C'est tout trié. Et je t'avoue que ce n'est pas nous qui le faisons.

 

A : Genre le tuyau, il va jusqu'à la déchetterie ?

 

Yv : Non, il va jusqu'à une grande poubelle, là-bas, tu vois. Et puis là de l'autre côté, par une autre rue, il y a un camion de temps en temps qui passe. Et pfiou pfiou ! Ça disparaît. Génial.

 

A : Et à quoi ça sert d'avoir un grand hall comme ça ?

 

Yv : Ça, normalement, c'est pour faire les montages. Tiens, comme maintenant, c'est pour faire. En fait, quand tu fabriques des décors, il faut toujours que tu regardes si tout marche bien, parce que c'est quand même tout démontable. C'est un peu compliqué de tout prévoir. Il faut s'assurer qu'il n'y ait pas d'erreurs de conception, que ça fonctionne. Il faut que ça tienne debout, que ça ne s'écrase pas, que ça s'assemble, que ça s'attache, que...

Toutes ces difficultés-là.

Et puis, je crois qu'à une époque, il y avait aussi dans cet atelier, il y avait pas mal de monde qui bossait. Il y en avait six à la belle époque.

Et donc, il y avait les décorateurs qui, là-bas, rajoutaient des petits morceaux, des petits accessoires. Certainement du staff, des espèces de volumes en plâtre ou des tissus, et surtout pas mal de peintures, de patines, tout un tas de truc comme ça. Donc, ça se faisait là-bas, avant que le décor soit redémonté. Et puis après, tu partais dans une salle de répétition ou bien tu partais dans les théâtres directs.

 

Ya : Et comment ça se passe, en fait ? On vous transmet des plans ? Et après, les scénographes, les artistes passent pour peaufiner au fur et à mesure que ça avance ?

 

Yv : Oui. Je crois que ça, c'est très variable. Ça dépend des scénographes.

D'ailleurs, ce n’est pas forcément des scénographes, mais quand même bien souvent, quoi. C'est un métier. Et la quantité de plans varie énormément.

Il y a des gens qui ont juste des petites esquisses et qui veulent mettre au point au fur et à mesure, comme celui-là, comme ce décor-là. Et puis, il y a aussi des gens qui arrivent avec des plans, peut-être... Enfin, moi, je n’en ai jamais vu encore. Mais il y en a qui arrive avec des plans impeccables. Il n'y a plus qu'à fabriquer tout un tas de pièces et puis tout se passe très bien. On arrive à les assembler sans problème. Enfin, tu vois, il y a plein de possibilités.

 

Ya : Est-ce que tu as une anecdote parmi les décorations que tu as dû faire ?

 

Yv : Des anecdotes... Des anecdotes... Vraiment marquantes. Il y a toujours des histoires assez incroyables. Mais ça ne s'est pas passé ici, quoi. Des trucs qui...

Par exemple, il y a une époque où je travaillais sur un très gros décor. C'était en extérieur. Et il y avait énormément de problèmes de terrassements pour poser le décor. Et... Je ne sais pas si tu vois ce que c'est, ces énormes pelleteuses là, qui sont gigantesques, comme des immeubles. Eh bien, il y en a une de ces machines qui a complètement disparu sous la boue, par exemple.

Et ça, c'était assez incroyable. Enfin, je n'aurais pas pensé qu'en quelques secondes, quelques minutes, d'un coup, tu vois un machin qui fait le travail de 3 ou 4 000 hommes à chaque instant, qui disparaît dans la boue. Terminé. Bon, ils l'ont récupéré après, mais...

 

A : Il s’est enfoncé ?

 

Yv : Oui. Enlisé. Enfin, englouti et disparu. C'était un vrai déluge. C'était un peu une catastrophe. Il y a des fois des trucs qui se compliquent vraiment. Ce n'est pas du tout comme tu imaginais.

 

A : Et ça, il y avait le décor par-dessus ?

 

Yv : Là, c'est une espèce de route de terre pleine pour poser le décor dessus. C'est un peu comme un parking ou un objet de préparer. Je ne sais pas comment ça s'appelle.

C'est le terrassement, quoi. C'est comme un terrassement de n'importe quel endroit où tu dois... Tu dois venir poser des trucs dessus.

 

A : Mettre à plat.

 

Yv : Ou monter un peu. Endiguer, soutenir, retenir. Je ne sais pas.

Tous ces trucs-là, quoi.

 

Ya : Et... Vous stockez des décors ?

 

Yv : On en stockait auparavant, à côté.

 

Ya : Mais vous ne stockez plus maintenant ?

 

Yv : Là, on ne stocke plus, oui.

 

Ya : Alors que deviennent ces décors ?

 

Yv : Ceux-là, je ne sais pas. Je sais qu'ils ont vidé ça il y a 6 mois. Parce que comme ils sont en train de refaire une nouvelle déchetterie, ils avaient besoin de loger des mécaniciens à côté.

Donc... Je ne sais pas. Je sais que... Tu gardes des trucs 10, 20, 30 ans. Et tu n'arrêtes pas de les déplacer. Tu sais, en disant « non, demain, ça va servir. »

Et puis il y a un moment où tu diras « non, c'est bon, ça fait 30 ans que je le garde, j'en ai marre. » Et en fait, il faut que tu le jettes pour que tu en aies besoin le lendemain. Mais si tu ne l'avais pas jeté, tu n'en aurais jamais eu besoin.

Donc tu vois, c'est toujours très compliqué de garder les choses. Ça prend de la place, ça prend du temps.

 

Ya : Si je pose la question, c'est parce que c'est quand même lié à un théâtre qui est historique, municipal. Donc, je ne sais pas, de façon patrimoniale, en général, on a tendance à conserver. Donc, je ne sais pas sur quelle période avaient été fait ces décors. Mais c'est intéressant de se dire.

 

Yv : Je ne sais pas s'il y a une vision tellement patrimoniale sur les décors. Je ne suis pas sûr. Et je ne sais pas non plus quand ça s'organise.

Je pense que les décors doivent appartenir aux compagnies, pas tellement au théâtre. Les compagnies n'ont certainement pas la structure pour pouvoir conserver tout un tas de trucs. Elles sont obligées de voyager léger, je crois.

 

Et tu demanderais à Maylis, je crois, parce qu'il me semble qu'elle avait raconté dans la visite qu'il y avait les décors, tu sais, les grandes toiles de tissu, qui pendaient avant au TMG, qui avaient été conservées dans des rouleaux mais pas conservées de l'air. Et en fait, quand ils avaient voulu les rouvrir, c'est tombé en lambeaux.

 

Ya : Oui, les toiles peintes, c'est ça. Oui. OK.

Non, mais il faudrait que je fouille.

 

: Ça, c'était il y a longtemps.

 

Yv : Dommage. Ça aurait été super de pouvoir voir des vieilles toiles. Je sais qu'il y a un petit décor en miniature, un petit théâtre TMG qui a été reproduit en miniature.

À une époque, je pense qu'on faisait beaucoup de scénographie avec ça. C'est-à-dire que tu peux faire marcher les cintres, les trucs latéral, vertical, tous les mouvements dont tu disposes en théâtre. Et donc, tu peux préparer tous tes décors en miniature pour les adapter au théâtre, exactement comment ça va se passer, comment ça va bouger, qu'est-ce qu'il faut, où, à quel moment.

Tu peux tout composer avec toutes tes scènes, puis voir si ça marche, si ça ne marche pas, qu'est-ce qu'il faut modifier. Et qu'il y a quelques gens, je ne sais plus si c'est la bibliothèque ou quelque chose. Il y a un homme, qui a conservé quelques-uns de ces décors parce qu'ils sont sans croire plus petits que la réalité, que des vrais décors.

Donc là, c'est possible qu'il y en ait.

 

A : Le TMG miniature, il est là, là ?

 

Yv : Oui, il est juste en bas, là.

 

Il y a tout autour.

Et c'était tout une espèce de tableau de bord, où tu peux allumer des petits moteurs pour faire bouger toute la machinerie. Je ne sais pas si vous vous êtes promené dans le TMG. C'est exactement comme ça.

Je pense que c'est vraiment... Oui, c'est comme ça. Oui.

Je ne sais pas comment ça s'appelle, ces trucs-là, mais il paraît que c'est très rare d'avoir encore tout le mécanisme par-dessus. Il y en a quelques-uns.

Les trappes

On essaie de le sauver, ce truc-là, parce que c'est quand même...

 

[…]

 

Ya : on sent le métal.

Il y a une odeur, déjà.

 

Yv : Vachement fort.

 

: Il n'y a pas la même couleur, ici.

 

Yv : Et puis, quand tu bosses le métal, les poussières sont vachement lourdes.

Tu as l'impression qu'elles se collent. Enfin, tu vois, c'est prégnant comme truc.

Il faut que tu mettes des gants parce qu'il y a plein de graisse pour protéger les tubes là. Il y a de la graisse dessus quand elles sortent de l'usine pour les protéger. Voilà, c'est pas du tout pareil (que l’atelier bois).

 

A : C'est pour ça que c'est plus lourd parce que c'est chargé de graisse.

 

Yv : J'ai cru comprendre que... Moi, je suis un peu surpris.

Les décors, moi, il y a très longtemps, quand je faisais des décors, c'était en bois. Les châssis à l'arrière qui retenaient, c'était du bois ou des échafaudages en métal. Et puis là, maintenant apparemment la mode, c'est de fabriquer des châssis en acier quils peuvent visser sur mesure, etc.

Je ne suis pas sûr que ce soit moins lourd, mais par contre, c'est moins volumineux. Du coup, c'est vachement bien parce que c'est très solide. Tu as plus de liberté.

Et ce qui est le plus incroyable aussi, ce n'est pas si incroyable que ça, mais le métal est moins cher que le bois, beaucoup moins cher.

 

Ya : Et toi, qui as travaillé en tant que menuisier, quelle est la différence, ou peut-être qu'est-ce qui te plaît le plus dans le travail du décor que dans un autre atelier de production ?

 

Yv : Ça n'a rien à voir. Moi, je me suis toujours débrouillé.

Je ne sais pas, mais je n'ai jamais travaillé dans des ateliers de production purs en menuiserie, puisque le travail est quand même très divisé, assez divisé. J'ai toujours eu de la clientèle. C'était vraiment que du prototype que je faisais. Moi, c'était des pièces uniques. Du coup, ça se rapproche un petit peu du décor. Mais le décor, ça mélange plein de techniques.

Ça mélange... Et puis surtout, c'est encore plus surprenant. C'est encore plus déconcertant des paysans, le travail pour les décors, parce que tu vois, un objet comme ce décor-là, fait avec des morceaux de piano. En menuiserie, tu vois, jamais quelqu’un ne va te commander ça pour mettre dans son salon. Forcément, c'est des trucs beaucoup plus rigolos et divertissants, et puis super... Vous savez, le bricolage, ça n'a pas l'air, mais c'est toujours plein de questions, plein de problèmes à résoudre, en fait. Et c'est très rare d'avoir des gestes à faire sans trop réfléchir.

Mais en décor, c'est encore plus comme ça. Il faut tout le temps de s'adapter. Mais ça, c'est vachement rigolo pour moi. Il y a des gens que ça doit agacer, je pense.

 

Ya : C'est ce qui fait que ce n’est jamais la même chose, ce n’est jamais le même travail ?

 

Yv : Oui, jamais.

 

Ya : Travailler le bois, c'est quand même un théâtre qui a beaucoup de bois. Moi, le bois, j'ai un peu travaillé ça, j'ai fait un stage de six mois d'ébénisterie, mais ce n'est pas grand-chose.

Quand on travaille le bois, c'est quoi les sensations ? On a sûrement un langage, un travail du touché. Qu'est-ce que ça t'inspire, le bois comme matériau ?

 

Yv : Le bois, j’ai trouvé toujours ça un peu magique. C'est vraiment très bien foutu comme matériau. C'est très pratique. Ça a des caractéristiques, ça offre des possibilités inouïes, alors que c'est juste le truc qui pousse tout doucement. C'est sympa par rapport à tous ces matériaux hyper sophistiqués. Tu te rends compte que le bois, c'est quand même bien.

 

Par contre, ici, dans les décors, c'est beaucoup du bois manufacturé. Ce n'est pas aussi magique. Tu vois très bien pourquoi ça marche bien parce que ça a été beaucoup adapté pour chaque besoin.

Par exemple, on peut utiliser des bois très légers pour que ce ne soit pas lourd. Ça, c'est une certaine technique pour alléger. Des bois très peu chers, ou des bois très rigides, ou des bois parfaitement souples.

On adapte le bois un peu aux besoins de l'industrie du bâtiment. Ce n'est pas la même chose. Le menuiser traditionnel, je crois qu'il n'y en a presque plus, qui travaille avec du vrai bois. La menuiserie, ce n'est pas forcément le bois qui est attirant. C'est plus la géométrie, trouver des solutions. C'est la technique de la menuiserie qui se rapproche pas mal de la couture, par exemple. Il y a d'autres gens qui disent que ça se rapproche aussi beaucoup de la cuisine. C'est-à-dire qu'il faut tout bien préparer avant de mettre au four.

Le four, dans ce cas-là, c'est quand tu vas tout coller, tout assembler. Faire tout ce que tu peux faire, tant que c'est un petit morceau, sur chaque morceau de bois, pour que quand tu vas l'assembler à la fin, tout soit fait. Tu n'as pas besoin d'aller finir un petit détail à la main levée.

 

C'est tout ça qui est rigolo, c'est d'appliquer toutes ces techniques sur tous ces différents volumes.

 

Ya : Est-ce que tu as tendance à observer, en fonction des décors qui sont demandés, la demande des matériaux, bois, métal ? Vu que c'est quand même un atelier, il y a plusieurs matériaux à la disponibilité.

 

Et de deux, est-ce que tu vas voir les spectacles où tu as participé au décor et quel effet ça te fait de voir les décors après ?

 

Yv : Là, ici, non pas encore, mais j'aime bien les voir. En fait, je ne les vois pas vraiment.

 

Ya : Il y a une raison particulière à ça ?

 

Yv : Parce qu'on est tellement habitué qu'on ne les voit plus vraiment. Mais ici, ce sera peut-être différent, parce que quand je travaillais dans les décors avant, souvent, j'étais sur le plateau.

Et à la fin de ma carrière, je faisais un peu de scénographie aussi. Donc, il n'y avait pas vraiment de surprise. C'était un travail qui continue tout le temps.

Puis, en plus, dans le théâtre, c'est un truc où tu as l'impression que tu peux continuer à travailler tout le temps. Même jusqu'à la dernière représentation, tu peux toujours faire changer, évoluer. Donc, l'avant, l'après, il n'y a pas de frontière très précise pour moi.

 

Par contre, d'ici, ça sera beaucoup plus précis. Tu fabriques ici puis après, qui s’en va. Il y a des gens qui apprennent leur rôle, des metteurs en scène qui font la mise en scène, des régisseurs, etc., qui travaillent. Puis, un jour, tu te retrouves assis dans un théâtre à regarder le décor pour lequel tu as travaillé. Mais je ne sais pas ce que c'est ça encore. Je n'ai pas eu cette expérience.

 

Ya : Et l'usage du bois dans les décors qui sont demandés dernièrement ? T'en penses quoi ou t'as observé quoi, tout simplement ?

 

Yv : L'usage du bois ?

Là, par exemple, le piano, je trouve que c'est incroyable. On n'a pas vraiment le temps de regarder de près. Et puis, comme il est très désossé, je suis fasciné.

C'est quand même incroyable. C'est un autre monde, c'est vraiment une autre époque. Quand je regarde ça et que je me dis « je ne sais pas comment on fait pour faire ça électroniquement. » Mais les choses changent.

Parce qu'il n'y a pas si longtemps, tu sais, par exemple, pour faire un numéro de téléphone, on faisait tourner, tu vois, mais ça c'est encore pire. On fait bouger, je ne sais pas, 200 pièces pour une seule note. C'est fou comme ça change.

 

Très concrètement, ça change normalement. Je pense que pour faire une note électroniquement, ça doit être très compliqué aussi.

 

A : C'est un signal électronique qui se balade.

 

Yv : Oui, je ne sais pas, je n'ai aucune idée.

 

Ya : Qu'est-ce que tu penses du fait que l'atelier ne soit pas à côté du TMG ? Je ne sais pas, parce qu'on me pose la question ?

Est-ce que…

 

Yv : En vrai, ce n'est pas très loin non plus. Je ne sais pas comment ce serait s'il était juste à côté. En fait, je crois que c'est quand même très rare de pouvoir avoir un théâtre en centre-ville et un atelier juste à côté. C'est la pression immobilière. Peut-être que ça existe ?

Mais en même temps, le travail qu'on fait ici, ce n'est pas un travail instantané. On ne peut pas faire un décor pour dans cinq minutes le mettre, pour voir si ça marche. Donc, tu vois, ce n'est pas très gênant qu'on ne soit pas tout à fait branché sur la création, sur le plateau, tout ça.

Ça pourrait se faire, ça pourrait marcher quand même très bien en étant ici, je pense. Tu vois, les gens peuvent venir nous voir ici. Et puis on peut faire de la mise au point très facilement. Par contre, ce qui est rigolo, enfin ce qui est un peu étrange, c'est que je ne sais pas combien on est dans cette équipe du TMG là, mais nous, on est quand même un peu isolés.

 

Même si c'est quatre kilomètres, on se voit occasionnellement. On ne travaille pas comme une équipe de foot.

 

Ya : Oui, c'est exactement ce que j'allais te demander, c'est qu'il y a plusieurs équipes pour un même bâtiment, alors ça existe par rapport à plusieurs établissements, ce n'est pas spécifique.

 

Justement, comme je m'intéresse à ce bâtiment, j'essaie de voir comment ça fonctionne, comment le mouvement se met en place, parce que souvent, l'architecture d'un bâtiment comme celui-là, qu'on veut faire perdurer dans le temps, ce sont des architectures spécifiques qui organisent le mouvement des gens qui vont travailler, et du public. Donc tout ça, je pose des questions à toi, comme je vais le faire avec un peu tout le monde.

 

Yv : Oui, je crois qu'au théâtre, ils sont quand même assez nombreux.

Il y a les costumières encore, il y a toute la régie, toute la direction, ils sont juste à côté aussi. Mais c'est vrai que je ne sais pas où on pourrait se mettre. Par contre, il n'y a plus trop de place.

Mais il faudrait voir. On se ferait un peu engueuler quand on fait du bruit.

Ça aussi, surtout en pleine représentation, tu vois.

 

: Vous les voyez des fois, les autres personnes du théâtre ?

 

Yv : On y va, oui, des fois, on y va, oui.

 

: Faire coucou ?

 

Yv : Voilà, c'est ça. S'il y a un petit bricolage à faire, il nous invite parfois.

 

Ya : Merci beaucoup.

 

Yv : Oui, c'est cool. Oui, il faudra venir.

Citer ce document

Yasmine Benaddi, “Entretien avec Yves Testard,” Archives plurielles de la Scène, consulté le 4 septembre 2025, http://archives-plurielles.elan-numerique.fr/items/show/1494.