Entretien avec Daniel Martin
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Y : Je commence souvent par une question, qui est une très grosse question ! Comment peux-tu résumer, en fonction de comme tu es là maintenant, comme tu réfléchis, … Comment tu pourrais résumer ton parcours qui t'a mené jusqu'ici ?
D : Ok, alors moi, je suis venu au théâtre un peu par hasard au début. En fait, j'ai fait une école d'art sur Grenoble. Les Arts Décoratifs, les Beaux-Arts, qu'on appelait, … Il n'y avait pas, je n’avais pas de vue sur le travail de la scène. C'est arrivé un peu par goût, c'est-à-dire que j'allais fréquemment à la Maison de la Culture. À l'époque, ça s'appelait comme ça.
J'étais client du théâtre, de la danse, donc j'étais relais pour l'école des Beaux-Arts. Donc j'avais droit, un peu, à aller voir des répètes, des choses comme ça. C'est vraiment un univers qui me plaisait beaucoup.
Et moi, j'étais plutôt orienté par ma formation et mes goûts personnels sur l'art plastique. Et un peu par hasard, alors que j'avais une vingtaine d'années, j'ai un pote qui m'a demandé de faire une peinture pour un film d'après un spectacle de théâtre qui se faisait par France 3. Donc c'est la première fois que je me suis retrouvé à faire une commande et mettre la première fois un pied dans ce milieu.
Et c'est là que j'ai rencontré Yvon Chaix, je ne sais pas si ça...
Y : De nom.
D : Voilà. Une compagnie historique qui avait le Théâtre du Rio, qui maintenant, c'est les bâtiments des Editions Glénat. Et ça a été très longtemps un théâtre.
Donc c'était en 1987, donc ça date un peu. Et à la suite de cette rencontre, j'ai commencé. Ilm'a passé des commandes pour faire partie de la troupe où je faisais, je créais les décors avec lui, donc la conception, la réalisation de la décoration. Et je faisais aussi la vie de troupe, c'est-à-dire démonter mes décors, partir en tournée avec eux.
Donc c'était vraiment une vie de troupe. C'est mon début dans ce milieu-là. Et c'est à ce moment-là que, en 87-88, je suis venu aux ateliers du Théâtre Municipal pour faire, réaliser un de mes premiers décors ici.
Voilà. Et donc, dans la mallette que tu as vue, là, dans le bureau, qu'ils ont ressorti. Je ne la connaissais pas cette mallette. Et donc, j'ai retrouvé tous mes premiers décors que j'ai fait faire ici.
Y : Ça tente qu'on fouille dans la mallette et que tu me le montres ? Parce que ça, j'avoue que c'est une opportunité d'avoir des traces et d'avoir quelqu'un qui a participé à ces traces. Et puis, ça me permettrait aussi, peut-être, d'avoir un début de tri dans la mallette.
D : Donc, j'ai retrouvé... Là, ça, c'est un décor à moi.
Y : La Trempe.
D : La Trempe (1997) de Lotfi Achour. Et on est allé... On a joué à la Ligue 9 d'Avignon et sur Grenoble.
Je ne sais pas si c'est vraiment... Si c'est classé par ordre chronologique.
Y : Je ne crois pas que... qu’il y ait de Véritable classement, oui.
D : Il avait l'habitude de faire et de prendre des photos sur toutes les structures. C'est un des constructeurs.
Un des menuisiers qui aimait garder les souvenirs de ce qu'il faisait.
Y : Tu sais qui c'était ?
D : Serge Bratman, qui était là quand je suis arrivé les premières fois. Là, par exemple, bah, typique, ça, c'est... Je ne sais pas.
Cette une partie du décor, je ne sais pas ce que c'est. Mais par exemple, cette partie-là, c'était un autre décor que je faisais à côté. Donc, des fois, ça se chevauchait un peu, comme aujourd'hui.
Dans l'atelier serrurerie, il y a une équipe qui est en train de modifier un décor. Et moi, dans la partie déco qui réalise un nouveau décor.
Y : Donc, si je comprends bien, tu n'étais pas directement lié au TMG ?
D : Moi, mon statut, je suis intermittent du spectacle. Donc, je suis embauché sur un projet.
Y : Par le TMG ou par une compagnie ?
D : Non, par une compagnie. Donc, c'est un metteur en scène qui me contacte. On commence souvent par se rencontrer et parler de son projet, de ses envies.
Souvent, je suis... Souvent, même avant les comédiens, on fait partie de ceux qui sont contactés les premiers. On commence à travailler souvent avant les comédiens, avant les répètes.
Et on commence à entrevoir à quoi va ressembler l'univers dans lequel il veut que ça se passe.
Ça, c'est un spectacle pour Thierry Mélessier, Combat de nègres et de chiens.
Je ne sais pas s’il y a une date. Et ça, c'est une structure, en fait, qui habillait le Théâtre du Rio. Donc, le théâtre était sans pendrillons, sans rideaux noirs et tout.
Et c'était juste un travail de lumière sur les murs existants. Et cette espèce de double peau, là, que j'avais réalisée, avec du grillage. Il y avait du grillage tendu là-dessus.
Et au sol, il y avait du sable.
Ça, c'est un décor que j'avais fait pour la compagnie Atheca. C'est Philippe Garin. C'est un spectacle un peu particulier qu'on avait fait au Synchrotron, à l'intérieur du Synchrotron. Et donc, on est allé visiter ce lieu, qui est un lieu très technique de technologie avancée. Et il y avait plein de machines qui étaient dans des espèces de caisses de transport comme ça.
Et donc, nous, on faisait des espèces de bivouacs avec des comédiens qui avaient des textes sur la recherche de la lumière, donc tout le côté philosophique ou littéraire que ça peut comporter. Et dans ce lieu, on arrivait avec des caisses qui avaient des formes d'escaliers, qui contenaient des comédiens, tout ça, et qui se mélangeaient avec les vraies caisses du lieu. Un spectacle très particulier qui n'avait été fait que à cet endroit-là.
C'est un peu en vrac. Je me dis, peut-être que je vais voir le tout premier décor que j'ai fait, que j'ai réalisé en professionnel.
Ça aussi, c'est de moi, c'est pour Pascale Henry, ça s'est joué à la MC2.
Donc, c'est une coproduction MC2. Mais souvent, il y a eu des relations entre le TMG et la MC2.
Y : Oui, c'est ce que j'allais dire, parce qu'on est dans les ateliers du TMG ici, donc déjà, à l'époque, il y avait...
D : Oui, c'était assez poreux entre les ateliers, entre les coproductions MC2, TMG. Ici, c'était...
Y : J'en profite que tu parles de ça pour poser la question. Est-ce que tu as trouvé que ça change, cette porosité entre les différents espaces ?
D : Non, je pense que non, je ne sais pas s'il y a encore... C'est assez rare quand même, les rapports TMG, MC2. Après, il y a des choses un peu informelles.
Je ne sais pas exactement comment ça s'est fait. Pourquoi on a fait ce décor ici ? Je ne sais pas.
Y : Non, c'est une question. Tu as déjà constaté des choses pareilles ?
D : C'est un décor que j'ai fait pour la compagnie du Loup, celle de Jean-Marc Galera. C'est un grand panneau publicitaire sur lequel je devais m'éclater un peu côté peinture.
Donc, toute l'équipe des constructeurs avait voulu qu'on se photographie devant. C'est un très bon souvenir, puisque je n’avais pas vu, il est tout jeune.
Y : tu es où ?
American Buffalo. OK.
D : C'est un décor que j'avais fait pour une compagnie de Saint-Etienne. On avait fait une demande, il y avait la possibilité de venir travailler là, puisqu'à un moment, il y avait un trou. Voilà, on avait eu cette possibilité-là.
La compagnie était de Saint-Etienne, mais on avait joué sur Grenoble dans un théâtre de Grenoble. Donc, ils avaient accepté de prendre en charge la construction ici. Les photos qu'on voit là, il y a rarement la déco finie parce que c'est des photos de constructeurs, donc ils aiment bien voir l'arrière du décor, tout le travail qu'ils ont fait en structure.
Y : Donc, c'est un processus qui se fait assez régulièrement de photographier les étapes intermédiaires de construction.
D : Aujourd'hui, avec les portables, c'est vrai qu'on photographie plus facilement. Là, tu vois, c'est des photos en noir et blanc qu'il a amenées chez le photographe. Voilà, c'était une autre démarche.
Ça, c'était pour Pascale Henry aussi, une espèce de wagon entièrement fermé sous plexiglas. Et puis, en fait, c'était sonorisé à l'intérieur.
Ça, je crois que c'est une structure, alors pareil, pas du tout décorée. C'est la structure d'un grand pont qui roulait. Et ça, c'était aussi pour la MC2, pour Serge Papagalli. Ça, je pense, c'était une coproduction.
Il y a une époque où il y avait pas mal d’opérettes au Théâtre Municipal
Parfois, il y avait la construction du décor ici, donc c'est un gros décor, un peu ringard, si je peux me permettre. Disons très classique, tu vois, avec l'escalier pour les chanteurs, des choses comme ça, dans ce sens-là. Le théâtre parisien privé. Mais c'était souvent des grosses prods.
Au niveau volume, il y avait de grosses constructions qui se faisaient.
Y : Tu penses que ça a changé ?
D : Ouais, ouais, ouais.
Y : Tu pourrais entrer dans le détail si possible ?
D : Je pense que c'est économique, c'est-à-dire que les matériaux sont beaucoup plus chers et les productions sont beaucoup moindres. Les productions sont quand même tirées vers le bas, faute de subventions municipales, régionales, départementales.
Ça, c'est une autre création que j'avais faite pour la compagnie OCQ, Jean-Marc Galera.
Maintenant, par exemple, je travaille en 3D avec une conception 3D, avec AutoCAD 3D. Mais à l'époque, c'est une grande spirale en métal sur laquelle les comédiens montaient. Et j'avais aucun moyen de calculer ça. Donc j'avais fait des plans, mais par exemple, la courbure, on la traçait à l'échelle 1, c'est-à-dire avec le serrurier, avec Serge, je me souviens. Moi, j'avais juste calculé théoriquement les hauteurs de chaque point de la spirale. Et on avait soudé sur place et taillé sur place, et on avait monté comme ça le décor à l'échelle 1.
Y : Ça, ça m'intéresse, ce changement de pratique lié aux outils qui évoluent. Tu sais, si tu peux donner un peu plus de détails, toi qui as eu toute une carrière, il y a une période où ce n'était pas le cas et aujourd'hui ça change.
D : Je pense que déjà, ce n’est pas que les gens ici ne sont pas compétents, je pense que la formation des serruriers il y a 40 ans, ils étaient capables de faire des choses plus complexes. Par exemple, ce genre de choses, je ne sais pas si aujourd'hui on arriverait à le réaliser sans des plans hyper précis faits sur ordinateur. Mais parce que c'est une autre façon de travailler, on travaille avec d'autres outils.
C'était une autre façon de travailler, je ne dis pas que c'était mieux, c'est une autre façon de travailler.
Y : Ce n’est pas ce que j'insinue, mais ce que je veux dire par là. C’est parce que c'est l'habitude de pratiquer sans ces outils technologiques, sans ces logistiques, qu'à force de pratiquer, on a quand même des réflexes, on a une expertise aussi. Je dis ça parce que moi, mon grand-père était ferronnier, et donc je voyais bien les gens qui travaillaient avec lui, même s'ils ont fait des études, tout ce qu'il fallait, eux ils devaient réfléchir, faire des calculs, alors que mon grand-père c'était instinctif. Il pouvait faire un cercle parfait en trois coups de marteau, alors que les autres devaient philosopher pour ça.
D : Oui, oui, oui.
Y : Ce genre de détails, ça m'intéresse ? Si toi tu arrives à mettre des mots dessus, ça m'intéresserait de...
D : Par exemple, à titre personnel, moi j'ai... Par exemple, au début, je faisais des conceptions en allant dans des bibliothèques, parce que je n'avais pas Internet dans les années 80. Donc, par exemple, j'allais me documenter beaucoup dans les bibliothèques, je faisais des photocopies, je rassemblais des photos, des choses comme ça, et ensuite je dessinais à la main, les projets.
Et puis, petit à petit, on a eu Internet, et chercher les documents, c'était beaucoup plus ouvert, beaucoup plus facile, beaucoup plus accessible, donc on a eu beaucoup plus d'accès à la technologie.
Et c'est vrai que ça a changé la façon de concevoir.
Au début, c'était même un peu... Je pensais un peu à double tranchant, parce que j'en oubliais de faire des crayonnés, des croquis à main levée, comme ça, vite fait, par exemple, qui me permettaient de dialoguer très rapidement avec le metteur en scène. C'est vrai que j'avais l'habitude en discutant avec le metteur en scène sur son projet d'avoir un carnet de croquis et je commençais à dessiner.
Et ça permettait tout de suite de poser en quelques lignes des grandes idées, des grands principes. Et avec l'ordinateur, très vite, je faisais quelque chose qui était déjà trop défini, même si pour moi c'était qu'un croquis, qu'une étape de travail. En fait, je crois que ça brimait un peu cette liberté d'aller très vite dans la réalisation, au moins, d'esquisse.
Donc aujourd'hui, j'utilise la CAO, mais par contre, je ne montre pas des images comme ça, trop définies tout de suite. J'utilise l'ordinateur, et après je redessine dessus comme si c'était fait à la main. Et ça passe beaucoup mieux au niveau du metteur en scène, parce que pour lui, ça reste quelque chose où je n'ai pas passé beaucoup d'heures dessus, et que j'ai fait un peu ça de façon instinctive.
Je triche un peu et je fais avec les nouveaux outils. Mais je pense qu'il ne faut pas perdre aussi une certaine façon un peu rapide d'esquisser les choses.
Y : Oui, et le fait que tu aies passé d'une phase où il fallait aller en bibliothèque, aller chercher des sources, et là, quelque part, t'es un peu assis derrière ton écran. Donc c'est toujours une posture dans la recherche, parce que ça reste quand même une pratique très corporelle de faire des décors. Donc il y a toute une dimension intellectuelle où il fallait quand même engager le corps, aller chercher, se déplacer, fouiller.
Et là, il n'y a plus ça. Est-ce que ça a une influence ? Est-ce que ça a joué sur quelque chose ?
Est-ce que quelque chose s'est perdu ou gagné ?
D : Je ne sais pas. Moi, je trouve ça super qu'on ait accès à toutes les images du monde. Ça, je trouve bien.
On peut faire des recherches vraiment précises. Et puis, il y a aussi le hasard de tomber sur un truc que tu ne cherchais pas, mais tout d'un coup, ça t'évoque autre chose. Et voilà, c'est une façon de penser un peu en escalier.
Et je trouve ça... Je parle beaucoup avec Internet, parce qu'on n'est pas comme les autres gens. C'est tellement ouvert.
C'est formidable.
Y : Donc... J'ai plein de questions.
D : Vas-y, vas-y.
Y : Regarde. C'est beau, ça.
D : Ça, c'est dans l'ancien musée de peinture Place de Verdun. C'est le panneau qu'ils avaient fait pour une exposition. C'est dans l'ancienne bibliothèque.
Je ne sais pas si tu connais cet endroit. C'est très, très beau. Il y a une... Les rivières pourpres,le film. Il y a une des scènes qui a été tournée.
Y : Ça fait partie du décor sur lequel tu étais.
D : Oui. C'était pour Serge Papagalli. Ça, ça a joué sur le grand plateau du TMG.
Vu le premier décor que j'ai fait... Je ne sais pas s'il est là.
Y : Ah, des plans, génial.
D : Des plans faits à la main, je pense. Ils étaient... Ils étaient quand même capables de faire des trucs qui demandaient une certaine...
Une certaine technique. Là, c'est un escalier en collimation qui tient tout seul.
Tout en métal. 78.
Ça, c'est un des menuisiers.
Serge en train de faire du fer forgé.
Ah, ben voilà. C'est le premier décor que j'ai fait pour Yvon Chaix.
Y : C'est ton tout premier décor.
D : En fait, j'avais une pratique plutôt en théâtre amateur. Ça, c'est mes premiers contrats pros. Je suis venu...
Je suis venu au Théâtre du Rio. Donc, ça a duré. Il y a eu un tout petit théâtre où on a commencé à pousser les murs visuellement.
Donc, c'était assez compliqué. Ça ressemblait à un plancher en forme de labyrinthe. J'avais flashé sur les sols des labyrinthes des églises.
C'était une façon pour le pécheur de se repentir. Les gens devaient à genoux suivre ce parcours et c'était La Religieuse de Diderot, on était dans le sujet. Le but c'est que ça ressemble un peu à un parquet verni, différentes essences de bois. Mais là c'est que du contreplaqué. Et après, c'est moi qui avais fait un travail de vernis de teinte de bois.
Là, c'est la structure dessous. Au fond, il y avait une toile peinte. Là, c'est l'installation dans le théâtre, il y a une rampe sur laquelle il y avait un chariot qui était tiré par un treuil et dessus il y avait un clavecin avec une claveciniste.
Voilà un genre de co-production pour opéra. Ça, c'est Pascale Henry aussi, la structure, là c'est que j'avais fait que la déco. Je suis artiste, j'avais 20 ans.
Maintenant, par exemple pour la MC2, je travaille comme chef déco, c'est-à-dire que je réalise vraiment la partie décoration pour un projet dont je n'ai pas fait le projet, donc je travaille pour un autre scénographe et je prends en charge la partie réalisation de la déco.
Y : Là actuellement pour la MC2 ?
D : Oui. Là actuellement, on travaille sur la prochaine création de Philippe Torreton, donc aux ateliers de la MC2. Des fois, je me partage entre les deux ateliers plusieurs projets.
Y : Tiens, j'en profite. Vu que tu travailles dans les deux ateliers, qu'est-ce qui fait la particularité de cet atelier selon toi ?
D : Les demandes ne sont pas les mêmes. La plupart pour la majorité, c'est des équipes grenobloises alors que la MC2 souvent c'est des co-productions. Donc, ça peut être des co-productions avec une équipe parisienne ou Philippe Torreton, avec des grandes maisons, des productions dramatiques comme la Comédie de Valence, la Comédie de Brest, des choses comme ça.
Y : C'était la rampe sur laquelle tu as mis la trappe ?
D : Oui, il y avait tout un système de trappes, donc les gens, les comédiens arrivaient à courir et à remonter sur cette rampe de skateboard. Il y avait des trappes sur lesquelles ils pouvaient disparaître.
On va continuer à fouiller dans la malle.
Y : En même temps, tu retrouves pas mal de projets sur lesquels tu as participé.
D : Bah oui, oui.
Y : Quel effet ça fait de revoir un petit peu défiler ? Parce que toi tu ne prenais pas de photos, tu n’as pas gardé de traces à part les croquis, les carnets ?
D : Moi, après ces personnels, je garde assez peu de souvenirs. D'abord au début, je l'ai fait parce que je me suis dit que c'est bien de garder un book quand on cherche du travail. Et puis comme finalement je suis resté sur Grenoble très vite les gens me connaissaient, m'appelaient, voilà. Si quelqu'un cherchait quelqu'un pour réaliser une déco, pour faire un projet, si les gens demandaient aux ateliers, ils me donnaient mes coordonnées. Donc, je n’ai pas gardé de traces de ça.
Et puis je ne suis pas très de souvenirs en fait. Ça c'est assez personnel. Je n’ai pas de photos, même chez moi.
Et donc c'est vrai que là je les revois un peu avec plaisir. Mais de moi-même je n’aurais pasgardé ça.
Y : Vu que je fais de l'archivage, c'est pour ça que je posais des questions pareilles en fait. Quel est le rapport aux archives et les traces ?
D : Je me dis que c'est... À chaque projet j'ai l'impression qu'il faut que je reparte un zéro. Même si c'est impossible parce qu'on a quand même tout un univers, des choses qu'on a...
Voilà, on est attiré par certaines choses, certaines formes, même si chaque projet est très différent. Mais j'essaie quand même à chaque fois de repartir à zéro. Donc, je me dis que si j'avais comme ça des quarante ans de photos de toutes les scénos que j'ai faites, je sais pas, ça m'intéresse pas.
Voilà la réalisation. Au final, les fameuses colonnes qu'on a apercevait sur certaines photos, ça c'est sur le plateau du TMG. Rendu final n'est pas le même.
C'est une espèce de péplum fait par Serge Papagalli. On était à la limite du mauvais goût sur le décor. C'était un clin d'œil aux péplums des années 60-70 au cinéma.
Ah ouais, ça c'est moi aussi. Un petit décor, ça c'était un projet qu'on n'avait joué pas dans des théâtres. En fait, il y avait une structure qu'on arrivait à monter en quelques heures.
On arrivait dans des gymnases, des salles de fête avec la compagnie Atheca. Et on montait ça à deux, trois personnes. On arrivait le matin, on montait ça, tout était intégré, la lumière, …
Et le soir, on faisait une représentation. C'était un vestiaire de football. Et après on démontait tout et on rentrait.
Théâtre vraiment avec quand même une scénographie. Une vraie proposition, pas juste des tréteaux.
Un beau cercueil.
Ce qui est très compliqué à réaliser, un cercueil. Ça a des formes vraiment...
Y : J'ignorais que parmi les formes, c'est une des formes les plus complexes.
D : C'est plein de facettes et tout.
Y : C'est vrai, t'as un petit rebord.
D : La dernière fois qu'on allait en faire un, c'était pour la MC2. Après, on est allé l'acheter, c'était plus pratique.
Y : C'est une autre époque, ça. Quelle époque ? Ah, le 10 juin, ça va être compliqué.
Ah, c'est Clovis ! Le responsable billetterie.
En tout cas, c'était l'époque où il était déjà là. Donc, les années 90.
D : Alors, avoir passé comme ça les projets, les structures, on a l'impression que c'est un peu toujours les mêmes formes.
C'est toujours ou des murs ou des planchers sur lesquels on marche.
Y : En soi, oui, comme c'est des photos prises en plein... pendant la construction.
On pourrait croire, mais... quand on voit, comme les piliers, ou tout à l'heure, entre le moment de construction et le résultat fini.
D : Oui, le résultat fini, mis en lumière.
Oui, aussi mis en lumière.
Y : Après, pour moi, j'ai l'habitude de regarder des plans, donc je vois que ce n'est pas les mêmes structures à chaque fois.
D : Tu vois, on a vu beaucoup de planchers circulaires.
Structures métalliques. Les structures métalliques vides, c'est toujours très beau. Ça, là, je montrais la structure dans le Théâtre du Rio, d'un vieux projet où il y avait juste la structure.
Quand j'ai vu les premières structures ici, je me suis dit que c'était magnifique. J'ai plus envie de les garder nues. Je les avais juste habillées de grillage pour que la lumière ne regarde pas à travers.
Y : Est-ce que tu observes un changement, peut-être de mode et de tendance, en termes de décors ? Au-delà des conséquences financières, budgétaires ?
D : Oui, bien sûr qu'il y a des...
Il y a des modes.
Y : Dans les grandes lignes, qu'est-ce que tu as vu défiler ?
D : Dans les années 80, il y avait des grandes réalisations qui se rapprochaient un peu du cinéma, une espèce d'hyperréalisme qu'on peut retrouver parfois, mais qui demande quand même pas mal de moyens.
Et aujourd'hui, il y a aussi l'utilisation de choses plus abstraites. C'est un peu le méta-théâtre, pour faire branchouille. On n'essaie pas de trimbaler le spectateur dans un autre monde.
Le spectateur sait qu'il est au théâtre et qu'il est en train de voir des comédiens en train de jouer sur une scène de théâtre. Il y a ce rapport-là qui a un peu changé où le décor n'est pas juste pour figurer un autre endroit. Je pense que c'est une évolution depuis les années 80.
Oui. C'est Serge Bratman qui finissait de réaliser ma fameuse spirale.
J'étais très content de lui, et c'est bien. Il le méritait.
Y : Tu as aussi vu les différentes programmations du TMG évoluer.
Est-ce que la programmation... Je n'ai pas encore posé la question à qui que ce soit, mais est-ce que la programmation donnait une influence sur les décors pendant toute une période ? Je ne sais pas quels étaient les programmes d'avant.
Qu'est-ce qui était programmé ? Qu'est-ce qui était joué ? En plus, je ne vis à Grenoble que depuis le mois de septembre.
Je suis face à cette histoire locale. On me cite beaucoup de noms, Papagali, tout le monde,…Je suis là « OK, OK. »
D : Mais qui c'est ? (rires)
Y : Je suis allée me renseigner, bien sûr. À part ça, ça reste très léger.
Je me demande, est-ce qu'une programmation a une influence jusque dans les décors ?
D : Bien sûr.
Y : Comment ?
D : Je pense que ce n'est pas pareille une production qui va rester locale. Une production qui a les épaules et les moyens de faire une tournée nationale ou internationale. Évidemment que ce ne sont pas les mêmes outils mis à disposition pour créer une prod.
Et donc, le décor va avec. Quand tu fais la conception d'un décor, il y a des choses artistiques et puis il y a toute une partie qui est très technique et qui est liée à l'économique. C'est-à-dire, comment ça va être transporté ?
Est-ce qu'on paye un gros camion, un petit camion ? Combien de temps de montage ? Ce sont des données économiques qui rentrent vraiment en compte sur le projet concret.
Des plans… des diapos.
C'est tout abîmé. C'est un plan d'une façade de décor. 2000.
C'est étonnant parce que ce n'est pas si vieux que ça. C'est quelqu'un qui a fait ça à l'ancienne. Le tirage de plans.
C'est drôle. Ça fait vraiment très ancien.
Y : Oui. Pour le coup, même avec le dessin technique qu'on a dans le fond. C'est 25 ans.
D : Pourtant, ce n'est pas si vieux que ça. Exact. C'est plutôt bizarre.
Dans les années 70, il n'y avait que les grosses boîtes qui faisaient des plans à l'ordinateur. C'était le début de la CAO.
Y : Je pense que c'est une époque charnière.
Beaucoup d'outils de travail sont modifiés.
D : Oui. C'était peut-être quelqu'un en fin de carrière qui n'utilisait pas les nouveaux outils à disposition.
Ce ne sont que des plans de vis.
Y : Quel effet ça fait ? Qu'est-ce que tu ressens par rapport au Grand Théâtre ?
C'est quand même une salle qui a une histoire.
D : Tu parles du Grand Théâtre du TMG ?
Moi, souvent, les théâtres, j'y travaille peu. Je travaille en tête à tête avec un metteur en scène, un chef de projet. Après, je travaille chez moi.
Après, je travaille dans les ateliers de construction, que ce soit ici ou au sud de la MC2. Je réalise la déco aux ateliers. Après, je vais dans les salles pour l'installation, pour voir la mise en lumière, les derniers détails de l'utilisation du décor.
Souvent, je participe à la première. Je vois la première représentation.
Y : Ça, tu le fais régulièrement ?
D : Oui, bien sûr.
Y : Il y en a certains, peut-être un décorateur sur projet, peut-être pas les constructeurs.
L'autre fois, j'avais posé la question. Ils me disent « pas toujours. »
D : Et après, ça s'arrête là pour moi.
Après, je vais régulièrement au théâtre pour voir aussi les copains jouer.
[…]
Je suis assez inquiet sur le devenir des troupes de théâtre sur Grenoble. Moi, j'ai connu la fin des années 80, qui était une période effectivement dorée. Il y avait Jacques Lang comme ministre de la Culture au niveau national. Et ça a découlé au niveau départemental, municipal.
On était soutenu par les municipalités. Il y avait beaucoup plus de création, beaucoup plus de moyens donnés à la création. Aujourd'hui, on voit s'amoindrir en fait tous ces moyens, ces accès aux plateaux.
Et je vois beaucoup moins de levées de rideaux dans tous les théâtres municipaux. Donc effectivement je m'inquiète.
Y : Comment, sur combien de temps tu as pu observer ce changement se mettre en place, cette absence, ce manque de moyens ?
D : C'est assez progressif. Je ne sais pas, je n'ai pas fait une étude poussée mais je pense que c'est sur une vingtaine d'années, ou selon les changements de municipalité, selon les changements de direction. À chaque fois, on rogne un peu plus sur les moyens, les accès aux plateaux. Les moyens donnés aux compagnies, c'est des moyens de subvention, c'est aussi des moyens par exemple d'accès aux ateliers de décors.
Voilà.
Y : J'avais une question. Ta parole comme un peu celle de tous les autres, quand on parle du théâtre, ici du TMG ou même des Arts de la Scène, à Grenoble, il y a vraiment un ancrage territorial dans la façon de verbaliser, vous tous. J'avoue que moi je viens d'ailleurs où je n'ai pas cette habitude-là et ça s'entend.
Qu'est-ce que tu peux me dire de ce rapport à la territorialité et des Arts de la scène, par rapport à ce que tu as observé ?
D : Je pense que moi quand j'ai commencé à m'intéresser, à être déjà public de spectacles vivants, il y avait sur le territoire de Grenoble. Il y avait la Maison de la Culture, c'était vraiment un phare avec Georges Lavaudant, qui était vraiment, je pense, une locomotive. Et autour, il y avait des petits théâtres, Théâtre du Rio, Théâtre Sainte-Marie-d'en-Bas, Théâtre 145, qui étaient dirigés non pas par la municipalité, mais par des metteurs en scène. Donc, il y avait des équipes de création dans les lieux.
Donc ça, vraiment ça changeait les choses. Après bien sûr qu'elles étaient soutenues par la municipalité. Ils étaient subventionnés et soutenus. Les équipements sont des équipements municipaux, mais il y avait comme ça, la voix était donnée quand même aux artistes. On a vu progressivement, mais même au niveau national, c'est-à-dire que les équipements étaient retirés aux artistes. Parfois à juste titre parce que la gestion était mal faite mais ça a vraiment changé, je pense, la façon de penser de l'art vivant.
Aujourd'hui, il y a beaucoup de gestionnaires, il y a beaucoup de gens dans les théâtres, dans les équipements, et il y a très peu d'artistes. Aujourd'hui, je trouve, les structures que je connais, il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de gens dans les bureaux. C’est un peu réactionnaire de dire ça. Et il y a de moins en moins de places aux artistes.
[…]
Et des fois, je me fais la réflexion qu'il y a des structures qui sont vachement bien gérées, qu'il y a plein de gens qui gèrent les dépenses, les entrées, c'est normal, la com. Et par contre, je vois rarement les artistes. Et les artistes en fait, comme il y a de moins en moins de prod, de moyens dans les prods, les artistes, ils sont là de moins en moins. C’est-à-dire en temps, les comédiens, ils ont de moins en moins de temps pour répéter un spectacle, ils jouent de moins en moins. Les spectacles sont de moins en moins en tournés, de moins en moins achetés. Donc, il y a des grosses maisons comme ça qui tournent avec plein de gens dans les bureaux,qui font des tableaux Excell, tout ça. Et les gens en fait qui produisent « le produit culturel », j'ai mis exprès des guillemets à produit culturel, ces gens-là, ils sont en train de disparaître.En tout cas, ils sont là de moins en moins. Et par contre, on a des grosses machines qui font tourner le peu de création qui se fait encore et ça je trouve ça terrifiant.
Y : En t'écoutant, ça me fait penser à une interview que j'avais entendu de Maguy Marin, qui expliquait que dans les années 80, les artistes posaient beaucoup moins de questions par rapport à l'argent, par rapport aux moyens. Mais qu'aujourd'hui on est tellement un peu surchargé par les factures, les rappels, les mises en demeure, qui font qu'au bout d'un moment, un artiste il a besoin de vivre et de manger. Et donc ça avait disparu, cette capacité à pouvoir se réunir sans trop d'argent, sans chercher à obtenir de l'argent pour créer, produire et tourner. Et quelque part quand je t'entends, j'entends ça. Tu peux rajouter, peut-être toi, de la manière dont tu l'as constaté depuis ici, je ne sais pas, rajouter quelque chose à ça.
D : Je pense qu'effectivement les choses ont changé, la vie. Alors là, je parle vraiment en tant qu'intermittent, on est salarié mais effectivement on a besoin de payer nos factures à la fin du mois, payer nos loyers, envoyer nos gamins à l'école et bouffer. Donc, il y a une réalité qui nous rattrape. Mais c'est vrai que dans les années 80, les gens étaient contactés pour un projet. Si le projet te plaisait, tu y allais. Et puis le dossier argent, combien on allait être payé, ça venait beaucoup plus tard. Et c'est vrai qu'on s'en foutait un peu. Je ne dis pasqu'aujourd'hui on pense tout de suite à ça. Mais c'est vrai qu'aujourd'hui, par exemple, grâce à l'intermittence, moi souvent ce que je faisais, c'est que je savais que j'étais payé correctement sur la plupart des projets, et donc une fois ou deux fois dans l'année, je faisais un projet complètement gratuit. Parce que grâce à l'intermittence, je pouvais me permettre pendant quelques semaines de bosser gratuitement sur un projet. Parce que c'était un projet d'une compagnie émergente et qu'ils n'avaient pas les moyens, mais qu'ils avaient des envies, et qu'on se mettait au service de ce projet pendant un mois, voire plus.
Parce qu'avant, par exemple, on répétait un spectacle minimum deux mois. Aujourd’hui, on répète une semaine par-ci, une semaine par-là. Voilà, c'est un tout, qui quand même tire les choses vers le bas, je pense, vraiment.
Y : Avec ce côté où ça tire vers le bas, est-ce que tu penses qu'il y a un côté travail artisanal qui se perd dans tout ça ? Quand tu dis une semaine de résidence par-ci, deux semaines par-là, alors qu'avant ça travaillait pendant deux mois, on perd sûrement en qualité pour peaufiner, pour usiner un petit peu les petits détails de jeu, de travail.
D : Tout à fait, je pense que le temps aujourd'hui, c'est vraiment ce qui nous manque, le temps de travail. Donc, j'ai connu les années 80, fin des années 80, en fait. Quand on faisait une création, par exemple, avec Yvon Chaix, on passait plus de deux mois, donc le théâtre était à lui, il avait la gestion du théâtre, donc on était tout de suite sur un plateau. Et il y avait toute l'équipe, c'est-à-dire que moi, en tant que scénographe, j'assistais à toutes les répètes, aux lectures du texte, il y avait une maquilleuse, un accessoiriste, une costumière, un créateur lumière, un créateur son. Et on était tous là. Et on était là aux lectures du texte, aux discussions avec les comédiens. On regardait des films ensemble, on se nourrissait. Et quand, deux mois après, on présentait le spectacle public, rien n'était laissé au hasard. Et je trouve que c'était une exigence que, alors moi, c'était mes débuts, je pensais que c'était comme ça. Etpuis j'ai vu petit à petit disparaître cette exigence par faute de moyens, vraiment par faute de temps, de temps donc de moyens.
Y : Là, je vais carrément sur un autre sujet, la décoration, scénographie, ça reste des pratiques très corporelles. Donc du coup dans ton corps, comment ce métier est rentré dans ton corps ?Au fur et à mesure que le temps passe, le corps ne réagit pas pareil, on ne va plus chercher la pratique de la même façon. Du coup, déjà, le fait que tu aies appris tout ça, comment c'est rentré dans ton corps et ses réflexes ? Comment est-ce que tu travailles ? Et puis, un corps qui évolue avec le temps, ne travaille plus du tout de la même façon.
D : Par exemple, la différence entre il y a 30 ans, 40 ans, j'aurais mon décor là que tu vois, la plupart auraient été par terre. Mes pots de peinture auraient été par terre. Alors que là, j'ai installé une petite table pour faire mes mélanges, tout est sur tréteaux. Donc je ne casse plus le dos, et je fais un peu attention. Quand je ponce, je mets un masque à poussière. Ça c'est des pratiques qui sont venues aussi du fait de côtoyer les gens des ateliers, ou aussi les pratiques d'utilisation de PI. Les moyens de protection se sont améliorés.
Y : C'est un paramètre que j'ai aussi entendu de la part des régisseurs, pas parce que seulement on vieillit, on gagne en âge, mais il y avait aussi une époque où on y allait un peu plus franco, sans trop réfléchir. C’est faux, mais on y allait. Et qu’avec le temps, mais aussi les règles de sécurité, des habitudes qui rentrent petit à petit dans les ateliers, dans les manières de travailler. Et c'est ça aussi qui m'intéresse en fait, parce que c'est quand même,…Je pense que les années 80, c'est encore des époques où je dis entre guillemets, on y va un peu comme un bourrin !
D : Tout à fait !
Y : Et que là, on est de plus en plus dans les règles de sécurité, faire un peu plus attention pour ne pas se blesser ou autre. Donc c'est ça qui m'intéresse aussi. Comment tu as pu l’observer ? Parce que c'est aussi dans le milieu artistique que ça se passe.
D : Alors, il y a un truc qui a vraiment été vraiment très bénéfique au changement, vraiment la partie technique du travail, c'est la féminisation. C'est-à-dire qu'avant c'était que des cow-boys qui étaient au cul des camions à monter les décors, décharger les décors, porter des caisses super lourdes et tout. Il y a plein de filles qui sont arrivées, enfin plein, ça s'est fait petit à petit fin des années 80, tout ça. Les premières filles qu'on a vues c'était un peu des cow-boys, elles faisaient comme les mecs, habillées comme des mecs, plutôt des filles costaudes tout ça. Et petit à petit ces filles-là, elles ont été remplacées par des filles normales.Et tout d'un coup aussi, elles sont arrivées à des postes de responsabilité et d'organisation. Ettout d'un coup, ça a changé la donne. C’est-à-dire que le but ce n’était pas de décharger le camion comme des bourrins et ensuite boire des bières, mais peut-être de se poser la question de travailler sans se casser le dos sans trop se fatiguer, et pas finir cassé à la fin de la nuit. Etça j'avoue que c'est formidable l'arrivée des filles, ça a vraiment été super au niveau technique.
Y : C'est un phénomène qui ressort aussi par mal mais c'était une question à laquelle j'allais arriver. On est quand même à une époque où on essaie de dégenrer les métiers. C’est-à-dire dans les bureaux c'est quand même très féminin, dans les ateliers, dans les métiers de la technique, très masculin, et là ça change petit à petit.
D : Ça s'ouvre.
Y : Et ça implique des changements en fait. et pour ça aussi, c'est drôle d'y aller tout de suite parce que, moi, je trouve qu'il y a plusieurs changements qui se mettent en place. Avant,j'isolais les questions entre la technologie, le changement de genre de certains secteurs de travail, … En fait, je me rends compte que les changements sont en même temps, entre les changements de budget, entre la technologie, donc les outils de travail, qui changent carrément le comportement au travail. Parce que comme on parlait avec AutoCAD, le temps de se former ça prend, ça va changer la manière de travailler. Alors du coup, il faut aussi retrouver son propre style de travail, comme l'architecte avec ses plans début 2000, il est toujours à l'ancienne. On ne peut pas changer toute une technique de travail de tout au long d'une vie, enfin on peut, mais ça ne se fait pas en un claquement de doigts. Et puis aussi le fait qu'on doit changer, il y a des femmes qui viennent dans certains secteurs, des hommes aussi qui veulent entrer dans d'autres secteurs où c'est majoritairement des femmes. Et tous ces changements en même temps, tous ces changements ils sont produits plus ou moins simultanément. Comment tu, avec ton expérience, le recul que tu as sur les choses, comment tu vois que tous ces changements peuvent vraiment influencer un métier, un secteur de travail ?
D : De toute manière bien sûr que ça évolue, après il y a des choses positives. Franchement la féminisation de certains métiers techniques c'est vraiment un plus. Par exemple, j'entends de plus en plus des questions qui avant ne se posaient pas du tout. Quand on est en train de concevoir un décor « combien ça va peser telle pièce ? » C'est vrai qu'avant on ne se posait jamais la question. D’ici, là, j'ai vu sortir des morceaux qui faisaient 200 kg, on se mettait donc à 5 ou 6 pour les porter, on se cassait le dos à le mettre dans le camion machin, mais voilà c'était comme ça, parce qu'il n'y avait que des mecs, qu'il y avait que des costauds.
Et aujourd'hui on se dit « bah non là, on va se démerder à faire ça en deux, trois morceaux pour qu'on puisse porter ça à deux tranquille », ça vraiment c'est un plus.
Et oui, après que de dire plus sur l'évolution des métiers. Heureusement que les choses changent. Heureusement, il y a plein de choses qui changent. Effectivement, il y a déjà la mode, il y a une certaine mode de spectacle, de représentation des choses qui changent. Il y a des métiers qui disparaissent, il y en a d'autres qui arrivent. Voilà, heureusement que le milieu de l'art, il est en perpétuel mouvement. Là où je trouve ça négatif, c'est sur le temps qui est donné en fait à la création. Le temps et les moyens donnés à la création. Et ce n’est pas que de l'argent, ce n’est pas que de l'argent.
Y : Comment tu imagines les arts de la scène sur le territoire de Grenoble dans un futurproche ? Comment tu crois, est-ce que tu as, … Evidemment, c'est hypothétique, c'est juste supputer, spéculer, il n'y a pas de réponse factuelle, sérieuse, … Mais comment tu imagines, quand on a une expertise, on voit un peu certaines lignes se tracer, en général, c'est un peu ça que je me demande.
D : En fait il faudrait, si je veux être positif, optimiste, il faudrait rêver que, déjà au niveau national, le dossier culture soit un peu sorti des limbes. Parce que là pour l'instant, on en a très peu entendu parler. Par exemple là sur les législatives, c'était le dossier absent, enfin un des dossiers absents, ce n’était pas le seul. Et donc s'il y avait une autre façon de gérer ça au niveau national, au niveau local, ça se sentirait aussi. Et là voilà, je pense que s'il y a des changements de choix politiques qui sont faits, je ne vois pas pourquoi il n'y aurait pas une embellie sur Grenoble, on va rester positif.
Y : Bien sûr, il faut. Et juste un dernier ressenti par rapport à l'atelier, quel effet ça te fait de venir travailler dans cet atelier puisque tu as des souvenirs ici aussi ?
D : Oui, c'est ça, oui.
Y : Plein de personnes que tu as citées, qui malheureusement n'ont plus pu être croisées ici.Quel effet ça te fait de venir travailler à l'atelier du TMG après toutes ces années ?
D : Moi l'atelier c'est un moment que j'aime bien, parce que c'est un, … Tout à l'heure, je parlais que mon métier, en fait c'est un mélange de création artistique et de choses très techniques. Et donc il y a toute une partie échange avec le metteur en scène, en répétition, avant qu'on décide à quoi va ressembler le décor. Ça c'est une partie très en échange, très sur la langue, très sur l'intellect. Et puis après quand le projet est défini, dessiné, il y a une partie très technique avec le constructeur. Et après, il y a ce moment-là que j'aime toujours, qui est le moment où moi je me retrouve avec mes morceaux tout étalé dans l'atelier et je suis un peu tout seul avec mon poste de radio et je me fais ma déco. Et voilà, ça me rappelle que je fais ça depuis 40 ans, ça ne dure pas très longtemps, ça dure quelques semaines, mais c'est toujours des moments que j'apprécie particulièrement.
Y : Un dernier mot à ajouter par rapport à tout cet échange ?
D : Je ne sais pas, ça pouvait être un mot de conclusion ce que je viens de dire : le plaisir de continuer quand même à faire de la création.
Y : Merci.