Entretien avec Emeline Nguyen

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Dublin Core

Titre

Entretien avec Emeline Nguyen

Créateur

Yasmine Benaddi

Éditeur

Alice Folco

Public visé

private

Date

25 juin 2024

Sound Item Type Metadata

Transcription

Cet entretien avec Emeline Nguyen (chorégraphe-danseuse et artiste associée au TMG) a eu lieu le 25 juin 2024 dans le Jardin de Ville juste à côté du Grand Théâtre. Pour faciliter la lecture, la retranscription est lissée et les initiales sont utilisées.

 

Y : Comment aujourd'hui, en fonction de comment tu ressens la journée, et ton parcours aussi, puisque chaque jour et chaque moment de la journée tu n'es pas la même personne, comment tu pourrais résumer ton arrivée à TMG ?

 

E : En tant qu'artiste associée ?

 

Y : Tout à fait.

 

E : Eh bien, je suis chorégraphe de la compagnie La Guetteuse, on est installés à Grenoble, et j'ai créé cette compagnie il y a 6 ans, après un parcours qui n'était pas dans le droit chemin de la danse, parce que j'ai commencé en tant que kinésithérapeute. Après j'ai fait une reconversion dans la danse professionnelle. J'ai créé les premiers spectacles de la compagnie au TMG et ils ont apprécié mon travail et l'approche que j'avais au niveau artistique et au niveau médiation, et ils m'ont proposé d'être artiste associée pendant 3 ans.

 

Y : Ok, tu as beaucoup travaillé avec d'autres théâtres, par hasard ?

 

E : Oui, effectivement, beaucoup avec le TMG en ce moment en particulier, mais après j'ai un rayonnement plutôt régional. Je ne suis pas dans les compagnies nationales qui tournent beaucoup à l'échelle nationale, mais on a quelques dates dans le Jura ou encore en Bretagne et tout ça, mais il y a un ancrage isérois et régional.

 

Y : Si je demande ça, c'est pour comprendre, d’après ton expérience, qu'est-ce qui te semble particulier avec les plateaux du TMG ?

 

E : Ah, du coup, c'est 3 espaces le TMG. Donc pour toi est-ce que c'est le Grand Théâtre ?

 

Y : C'est un peu tout ce que tu as essayé, le Grand Théâtre, etc.

 

E : Je les ai tous pratiqués, mais qu'est-ce que ça a de particulier, j'ai envie de les cibler un à un, plutôt qu'en faire une généralité parce que c'est vraiment 3 lieux qui sont très différents.

 

Donc oui, j'ai pratiqué dans d'autres salles, mais dans d'autres contextes aussi que ma propre compagnie, en étant danseuse interprète dans d'autres compagnies. Mais en tout cas le Grand Théâtre, il a ça de spécifique de son ancienneté. Et du coup tous ces matériaux de bois et de la beauté de tous les dessous de cette scène, qui est un grand marqueur de ce théâtre à mon sens.

 

Après le Théâtre 145, je dirais qu'il a ça de particulier qu'il est aussi dans le quartier plutôt vers Saint-Bruno et du coup avec un côté plus populaire que celui du centre-ville.

 

Et Théâtre de Poche, je le vois aussi comme un théâtre pour des expérimentations et des créations plus petites, parce que le plateau est clairement plus petit, mais qui permet des choses à petite échelle, mais des choses de qualité à petite échelle.

 

Après la particularité du TMG, enfin de ces trois lieux, c'est d'avoir, il me semble, d'être très en accord avec ce qu'on peut y faire techniquement. Il y a une équipe technique pour les trois lieux qui est très importante et qui gère tout leur fonctionnement. Et je sais qu'il y a des... je compose avec les mesures qu'il faut respecter en termes de sécurité publique, notamment dans le Grand Théâtre, qui est un théâtre qui, en vrai, s'il était laissé comme ça, il ne pourrait pas accueillir du public parce qu'il y a trop de risques. Donc du coup, il y a plein de mesures compensatoires, si tu as interrogé les directeurs des lieux, c'est toujours pour accueillir du public dans les normes de ce que ça doit être l'accueil du public. Il y a plein de choses à respecter du point de vue de la scénographie, de l'accueil du public, etc.

 

Par exemple, j'ai créé dans le Grand Théâtre un spectacle déambulatoire, in situ. Je voulais que le public ne soit pas dans les gradins, mais qu'il se balade sous la scène, dans la chaufferie, dans les couloirs. C'était ambitieux parce que je voulais que le public visite le lieu que je trouve très beau, pas forcément sur scène mais dans tout ce qu'il y a autour, qu'on ne voit pas d'habitude. On a dû respecter un cahier des charges assez lourd pour rendre ça possible.

 

Y : Comment tu as pu approcher ça ? Comment, sensiblement, tu travailles une approche pareille ?

 

E : En tout cas, spécifiquement, parce que c'était un projet particulier, c'était vraiment un projet in situ, créé pour le Grand Théâtre, c'est-à-dire qu'on ne peut pas le jouer ailleurs, a priori, ou alors ce serait carrément une réécriture. Pour moi, déjà, l'envie, la genèse de ce projet, c'est que, quand j'ai vu les dessous du Grand Théâtre, j'ai trouvé que c'était magnifique. Les cintres là-haut, je ne sais pas si tu les as vus, je trouvais ça incroyable, je trouvais que c'était un spectacle en soi. Du coup, j'ai tout de suite vu comment je pouvais investir ces lieux-là.

 

Donc, quand on s'est mis à la création dans ce lieu, il s'agissait de ressentir toutes les histoires passées dans ce lieu, de se documenter, mais aussi de percevoir ce qu'un lieu nous raconte, quels recoins donnent envie de s'y lover, quelles lignes ou quelles perspectives donnent envie de voir quelque chose au loin. Il s'agissait donc de comprendre l'architecture, en fait, l'architecture et la géographie, la disposition pour voir comment les corps viennent danser l'espace, pour que l'espace danse aussi avec nous, ce qui est un peu une cohabitation entre l'architecture et la danse.

 

Y : J'aime bien qu'on me parle de ces histoires passées qui sont là, et puis aussi se documenter, du coup, par quelle approche ? Parce que j'imagine que tu passes par un regard artistique.

 

E : Se documenter, c'est François (régisseur général du TMG) qui m'a remis un peu l'historique. Je ne sais pas si tu l'as vu, la brochure qui raconte année après année ce qui s'est passé dans ce théâtre. Je trouve ça complètement fou qu'à une époque, ça jouait à la lanterne. Comprendre ce qu'étaient les contextes des spectacles à l'époque, et de comprendre combien de choses il y a eu, quelles histoires. Il y a des techniciens qui sont là depuis 40 ans, et ils racontent des choses incroyables qui se sont passées. Donc oui, le lieu est vraiment empreint de vécu.

Et c'était ça aussi que j'avais envie de révéler.

 

Y : Quel effet ça fait de travailler en tant qu’artiste associé dans un théâtre qui est un monument historique ?

 

E : C’est une chance. Je trouve que c'est quand même un beau bâtiment, même si d'extérieur, ce n'est pas très beau. Mais l'intérieur, je trouve que c'est... Oui, je trouve ça inspirant aussi. Moi, je suis marquée par les odeurs de ce lieu, probablement parce que j'y ai créé des choses. Je trouve que c'est un lieu qui a beaucoup d'odeurs différentes.

Quand tu passes du plateau... En fait, c'est un labyrinthe, tout cet espace-là. Chaque espace a sa propre odeur.

 

Et je trouve que ça... En tout cas, là, aujourd'hui, il y a quelque chose de familier, que j'aime beaucoup. Parce que je me le suis approprié.

Avant, c'était un lieu étranger. Je me le suis approprié. Et du coup, je trouve que c'est une chance de pouvoir bosser dans des lieux qui sont pleins de caractère. Je préfère ça. En tout cas, il y a une forme d'inspiration.

 

Plutôt que de bosser dans un lieu peut-être tout neuf, qui sent le plastique et qui... Ce n'est pas qu'il est hors-sol, mais qu'il est... Du coup, là, on travaille sur le spectacle.

En tout cas, dans le Grand Théâtre, il y a ce truc d'écrin. Il y raconte quelque chose.

 

Y : Est-ce que tu peux donner quelques odeurs ? Parce que c'est vrai, certains en ont parlé aussi. Enfin, c’est personnel.

Si tu as une ou deux odeurs que tu peux décrire, ce qui n'est pas toujours facile à transcrire.

 

E : Ah bah, décrire des odeurs, c'est impossible. Là, je pense à ça.

Parce que je viens de traverser un espace aussi du bureau. Jusqu'à ce qu'il mène... En tout cas, il y a une odeur marquante.

Je le sens quand je passe du bureau à la scène. Il y a ça. Il y a l'odeur du hall.

L'odeur de la chaufferie. Quand on passe entre le foyer des musiciens et le hall. Franchement, mettre des mots sur les odeurs, c'est vraiment difficile.

 

Y : Pour avoir parlé aussi aux autres personnes qui travaillent dedans. Eux, ils sont souscontrat. Ils sont fonctionnaires. Ce n'est pas ton cas ? Tu es un artiste associé.

Mais ils m'ont expliqué que ça jouait sur la manière de travailler, comparé à quand ils étaient intermittents. Est-ce que le fait d'être dans un théâtre municipal, service public, a un impact sur ton approche ou ta manière de travailler dans ce bâtiment ?

 

E : Théâtre municipal, je ne sais pas. Mais en tout cas, le fait que je sois artiste associé, oui. Travailler dans un lieu sur trois ans, ça change les choses.

Je ne sais pas si c'est l'étiquette théâtre municipal. Je pense que c'est plutôt par une forme d'association. Et du coup, de confiance réciproque.

Parce qu'ils me font confiance autant que je leur fais confiance. Il y a un truc qui se crée, qui fait que ça m'engage plus dans ce que je vais créer, et ce que je vais proposer. Il y a un lien plus fort.

 

Mais après, l'étiquette théâtre municipal, je ne suis pas sûre. Après, c'est vrai que c'est un lieu qui est très connecté à la ville de Grenoble. Et qui est aussi soutenu par des partenaires, des tutelles qui sont essentielles pour les compagnies entre la ville de Grenoble et le TMG.

Du coup, c'est un peu la même chose. En tout cas, ça participe à renforcer les liens.

 

Y : L’architecture induit le mouvement, il l’organise. Et comment tu te vois évoluer dans ce bâtiment ?

 

E : En fait, ce n'est pas tant ça. C’est un tout, c’est le bâtiment et ses occupants aussi. Pour moi, ce n'est pas que les murs. Mon rapport à mon corps est lié à l'espace.

Il est lié aussi à un environnement. Ici, il y a un espace avec tous ses occupants. Donc, en tout cas, c'est la familiarité avec ses occupants qui donne la confiance.

Et qui me permet de m'ancrer davantage dans les projets. Et du coup, je suis plus détendue. Au départ, c'était un peu l'inconnu.

Donc, en fait, on se cherche. Même dans la relation, on ne sait pas. On se teste un peu.

Et puis après, il y a une compréhension mutuelle de ce lieu, en fait. On partage un lieu. Et on a le même but.

Tout le monde a le même but. C'est de le valoriser, de l'embellir. […]

 

Et après, je rencontre les espaces et les occupants. Il y a une forme de relâchement, de confiance. C'est un peu ce même truc.

Et puis même, il y a un truc très technique. Il y a une pente sur le plateau. Et du coup, au départ, elle me faisait très peur, cette pente. En me disant que danser là-dessus serait difficile.

Et en fait, je me suis dit, il y a la pente. C'est ça. Il y a une pente.

Mais maintenant, j'arrive très bien à danser là-dessus. C'est... Ouais, connaître corporellement.

Sensoriellement, avec l'odeur. Le langage des lieux. C'est tout ça, en fait.

 

Y : Y a-t-il une mémoire sonore qui s'est développée ? C'est-à-dire, est-ce qu'il y a des sons, des bruits spécifiques à certains endroits du bâtiment qui te travaillent ?

 

E : Oui, parce qu'il y a des espaces qui résonnent plus que d'autres quand on y marche, par exemple. Certains sons sont plus étouffés, d'autres plus résonnants. Les sols sont différents aussi. Le parquet, le bruit du parquet.

Les escaliers... Donc oui, il y a aussi une empreinte sonore, une résonance propre au lieu. Ou encore de petits bruits de fond, comme ceux de la ventilation.

 

Y : Et est-ce que tu travailles avec ?

 

E : De toute façon, est-ce que je travaille avec ? Enfin, pour la création in situ, oui. Mais après, pour la création sur le plateau, je veux dire, sur la scène, non, pas particulièrement.

 

Y : Ton ressenti, de façon générale, par rapport à ce bâtiment et son implantation, là où il se trouve. Parce que ça joue aussi. Tu vois, on est juste à côté du Jardin de Ville.

Là, il y a une église, il y a la cloche qui sonne. Chaque fois que je viens, je suis surprise par ce qui entoure le TMG.

Est-ce que ça t'inspire de travailler dans un environnement comme celui-ci ?

 

E : Par rapport à la géographie ?

 

Y : Oui, je l’ai aussi demandé aux personnes qui travaillent à l'atelier, ou aux régisseurs.

 

E : Ouais, ouais. Bah, je pense qu'il y a...

C'est sûr que là, il y a vraiment une dimension locale très marquée. Parce que dès qu'on sort, c'est le centre-ville, quoi. Et je pense que c'est aussi un théâtre typique du centre-ville.

Il y a des gens qui viennent là, mais qui ne vont pas au 145 ni au Théâtre de Poche, et inversement. Il y en a qui vont au 145 et pas au Grand Théâtre.

Donc oui, ça se sent : on est dans un quartier plus populaire ou au centre-ville, et cela influence les rencontres, le contexte. Je pense que ça permet d'aborder le spectacle différemment.

Par exemple, dans la création Louve, il y a une chanteuse musicienne, et en fait, elle a intégré un bruit de tramway, parce que juste à côté du 145, il y a le tramway qui passe.

Souvent, il y a la cloche qui sonne. Elle a enregistré ça. C'est comme si l'environnement se glissait dans l'artistique, c'est sûr.

 

Et je pense que si on crée au Grand Théâtre, on ne va peut-être pas créer de la même manière que quand on crée au 145. Le 145 est moins imposant techniquement et plus populaire qu'ici au Grand Théâtre. Tout cela influence forcément la création.

 

Y : Oui, par exemple, je posais la question aux régisseurs, qui travaillent différemment dans ces salles-là. Évidemment, ils n'ont pas la même présence dans chacune des deux. Et chaque fois, il y a un détail qui touche vraiment. Quels sont les détails architecturaux qui, toi, te touchent particulièrement ?

 

E : Dans les trois théâtres ? Pour le Grand Théâtre, je trouve que le hall circulaire imprime quelque chose de fort, parce qu'il est chargé d'histoire. Il s'est beaucoup transformé au fil du temps.

Mais oui, j'aime bien ce hall circulaire, peut-être aussi parce qu'il est lié à mes expériences là-bas.

Pour le 145, j'ai une affinité avec les gradins, noirs et rouges, un peu vintage. Je trouve qu'ils lui vont bien. J'aime aussi l'espace du foyer, même s'il n'est pas très lumineux.

Et dans le Poche, j'aime bien son ouverture directe sur l'extérieur. Ça offre un accès à l'espace extérieur qu'on n'a pas ici ni au 145.

 

Y : Comment imagines-tu le futur du TMG ?

 

E : C'est pour les trois théâtres ?

 

Y : Oui, pour les trois.

 

E : Je ne sais pas, je suis en train d'explorer ce qui pourrait être possible ou pas. J'aime bien les évolutions, parce que ça ne peut pas rester figé, je pense. Les travaux du Grand Théâtre nécessitent trop de frais.

Je ne sais pas, peut-être que malheureusement, on arrivera à un point où cela deviendra trop coûteux.

 

En tout cas, ce que j'envisage, c'est que ça continue pour le TMG.

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Citer ce document

Yasmine Benaddi, “Entretien avec Emeline Nguyen,” Archives plurielles de la Scène, consulté le 4 septembre 2025, http://archives-plurielles.elan-numerique.fr/items/show/1498.