Entretien avec Patrick Jaberg

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Dublin Core

Titre

Entretien avec Patrick Jaberg

Créateur

Yasmine Benaddi

Éditeur

Alice Folco

Public visé

private

Date

Printemps/Été 2024

Sound Item Type Metadata

Transcription

Cet entretien avec Patrick Jaberg (ancien régisseur général au Théâtre de Poche et du Théâtre 145) a eu lieu à son domicile. Pour faciliter la lecture, la retranscription est lissée et les initiales sont utilisées.

 

Y : C'est bon, l'enregistrement est lancé. Donc, la première question c'est comment, quel parcours vous a amené à travailler au sein du Théâtre Municipal de Grenoble avec les salles 145 et Théâtre de Poche ? Combien de temps a duré votre expérience ? Qu'est-ce que vous y avez fait plus ou moins en fonction de ce que vous vous rappelez là maintenant et de comment ça vient bien sûr.

 

P : Vous avez le temps ?

 

: Oui.

 

P : Bon. Donc, comment suis-je arrivé à intégrer le Théâtre Municipal ? C'est ça la question.

 

Y : Déjà, oui.

 

P : Donc, c'était un peu un hasard en fait. Dans la mesure où je me suis retrouvé à un moment donné à bosser, à la fois travailler en salle et travailler à peu près l'équivalent d'un mi-temps en salle et de travailler avec des compagnies, donc faire des tournées, faire des créations de spectacles et donc d'être sur l'autre versant. C’est-à-dire à la fois être dans une structure d'accueil et d'être dans la position de quelqu'un qui va être accueilli dans une salle.

 

Donc, je voyais un peu les deux côtés du même volet et il se trouve qu'à un moment donné, je travaillais au Théâtre de Poche avec la compagnie qui occupait les lieux dans la mesure où c'est une compagnie qui avait une convention avec la ville de Grenoble et qui avait en charge le théâtre pour ses propres activités et de création, et pour de l'accueil de spectacles de tiers, de compagnies tierces avec qui ils étaient en relation. Donc moi, j'étais le technicien de la salle, ça c'est une des choses que j'avais négocié parce que je ne voulais pas bosser avec cette compagnie.

 

Donc, j'étais le technicien de la salle et la compagnie avait son propre technicien. À un moment donné, la ville a cessé de collaborer avec cette compagnie, donc a mis un terme à la convention qui liait la compagnie à ce lieu que possédait la ville, la ville de Grenoble ayant décidé de reprendre en gestion directe ce théâtre. C'était en 1999.

Donc, la ville est venue me trouver, les gens du service culturel, avec qui j'avais des relations depuis déjà bien des années auparavant, depuis 1999, depuis déjà une quinzaine d'années. Donc moi, j'étais dans le monde associatif, employé d'association, mais j'étais déjà en relation avec les services de la ville. Il y a eu un tissage qui a bien fonctionné, on s'appréciait, on appréciait de travailler ensemble.

 

À un moment donné, la ville ayant décidé de rompre la convention qui la liait à la compagnie qui utilisait le théâtre de poche, est venue me trouver en me disant « Voilà la situation, qu'est-ce que ça te dit si on te trouve du travail ? » J'ai créé un poste de technicien dans une structure, qui était basée au Théâtre de Poche et qui avait comme objet l'accueil de jeunes compagnies professionnelles ou en voie de professionnalisation pour de l'accueil de création. Donc l'objet était d'assister ces compagnies.

 

Le principe était que les compagnies soumettaient leur projet à la ville, étaient retenues ou pas. Mais quand elles étaient retenues, elles avaient la mise à disposition du lieu avec un technicien sur place et charge à la compagnie de faire l'accueil du public, la billetterie. La compagnie repartait avec 100% de la recette.

 

Il y avait une petite aide en locaux avec le matériel qui était présent. Il y avait l'aide d'un technicien et une aide à la communication à travers des tracts et des affiches. Il y avait à l'époque au Théâtre Municipal un service décoration avec deux décorateurs dont un maîtrisait l'imprimerie et notamment les affiches étaient faites en sérigraphie.

 

J'ai intégré le Théâtre Municipal à ce moment-là, ce qui n'était absolument pas prévu dans mon itinéraire, si tant est qu'il y a eu des choses prévues. Je suis rentré dans la fonction publique et au Théâtre Municipal en l'occurrence. C'est une expérience qui a duré 5 ans, 1999-2004-2005, jusqu'à la fin de la saison 2004-2005.

 

À ce moment-là, la ville a mis en place un autre projet qui s'appelait le théâtre de création qui était la prolongation de l'expérience précédente avec une équipe un peu plus renforcée où il y avait un directeur artistique, un chargé de communication, deux techniciens, plus du personnel embauché, notamment parmi les étudiants, pour ce qui était de la tenue de la billetterie le soir et d'assurer les accueils du public. Comme son nom l'indique, théâtre de création, l'objet c'était d'accueillir des compagnies pour un travail de création et ça reposait sur deux salles qui étaient le Théâtre de Poche et une deuxième salle qui correspondait à la nécessité de trouver une autre salle pour pallier la fermeture du Théâtre du Rio.

 

En gros, le Théâtre du Rio était inclus dans un îlot de bâtiments que possédait la ville, dans lesquels l'armée avait des bureaux. Et, à un moment donné, l'armée, ayant réduit ses effectifs, a libéré ces locaux-là. Donc, la ville s'est retrouvée avec un îlot entier sur les bras, et ils ont eu l'opportunité de vendre cet îlot. Enfin, ils ont cherché à le vendre, et ils ont eu l'opportunité de le vendre à Glénat, l'éditeur Glénat, qui est originaire de Grenoble, qui souhaitait rester à Grenoble mais qui avait besoin de regrouper toutes ses activités dans un seul endroit géographique, parce qu'ils avaient des petits bureaux et des lieux d'activité un peu partout dans l'agglomération. Ça ne les satisfaisait plus.

Donc, ils ont eu l'opportunité de racheter cet îlot complet, et c'est le lieu où sont actuellement les éditions Glénat, donc au cœur de la ville, au centre-ville. Et donc, dans ces locaux, il y avait une ancienne église qui avait été déclassée, où avait été aménagé un théâtre, qui s'appelait donc le Théâtre du Rio.

 

Le problème, c'est qu'en France, quand on ferme un théâtre, il faut l'aval du ministère de la Culture. Le ministère de la Culture, à l'époque, était à droite, et la ville était à gauche. Et donc, le ministère de la Culture a dit « Bon, oui oui, d'accord, vous pouvez fermer le Théâtre du Rio, mais attention : pas de perte de fauteuils à Grenoble. Donc, vous rouvrez un autre théâtre. »

Et donc, c'est sur le théâtre de création que la ville a porté son choix, en disant : "Ben voilà, on va trouver une deuxième salle, qu'on va aménager et que vous allez gérer." Donc, on a beaucoup cherché des locaux sur Grenoble, et finalement, on a fini par trouver, un peu en désespoir de cause, des locaux qui appartenaient à la ville, qui sont dans l'ancienne usine Cémoi, donc pas très loin du Théâtre de Poche, du Théâtre 145, à 800-900 mètres. Locaux qui avaient été occupés par le Centre Dramatique National des Alpes, qui à l'époque donc était accueilli par la Maison de la Culture. Et, à l'époque de la rénovation de la Maison de la Culture, ils avaient occupé donc des locaux en dehors de la Maison de la Culture, puisque le bâtiment était entièrement en travaux et entièrement refait.

Et donc, quand les travaux ont été terminés, le Centre Dramatique est retourné dans les locaux de la Maison de la Culture. Donc, la ville s'est retrouvée avec ces locaux qui étaient vides, et on s'est dit qu'éventuellement, on pouvait faire une salle à cet endroit-là. Donc, on a installé cet équipement, qui existe toujours, qui est maintenant géré par Les Barbarins.

 

Et en gros, l'idée qui a prévalu, c'était : on avait une salle qui faisait 12 mètres de large, 24 mètres de long, et en gros 5 mètres, enfin, un peu plus, 7 à 8 mètres, sous plafond, mais 5 mètres utiles. Et il fallait aménager. Une partie du matériel qui équipait le Théâtre du Rio nous a servi pour aménager cette salle. Mais il y avait un gradin dans ce Théâtre du Rio qui faisait 7 mètres de large, et quand on a réaménagé la Salle Noire, quand on a aménagé la Salle Noire, l'espace pour pouvoir loger ce gradin n'existait pas. Il y a eu une erreur d'implantation de locaux techniques, qui faisait qu'on n'avait pas la place de mettre ce gradin.

 

Et du coup, l'occasion a fait le larron, dans le sens où moi, j'ai beaucoup poussé au fait que cette salle soit une salle qui n'ait pas d'espace défini. C'est une espèce d'idéal de technicien : c'est qu'une salle de spectacle, pour être plaisante, pour être efficace, se doit d'être un peu comme une chaussette, pour pouvoir se mettre d'un sens dans l'autre, de ne pas avoir d'équipement fixe.

Donc, du coup, c'est devenu une salle dans laquelle on pouvait faire ce qu'on voulait. On a présenté des projets, notamment au service de sécurité, que sont les pompiers, sur le fait qu'on puisse créer des spectacles avec un rapport frontal, bien sûr, mais puisqu'il n'y avait pas d'aménagement, on pouvait faire du rapport bifrontal, du quadrifrontal en carré, du spectacle déambulatoire, où le public se déplace au gré de l'action et des comédiens ou de ce qui se passe, c'est-à-dire qu'on peut avoir plusieurs foyers d'actions simultanées et le public qui va déambuler d'une action à l'autre, comme il l'entend, comme il le souhaite.

La salle debout, plus type concert : on pouvait vraiment retourner cette salle dans tous les sens.

 

À l'époque, la ville de Grenoble avait un service pavoisement, qui avait géré du matériel pour décorer les rues, des drapeaux, des gradins, et puis, pour toute activité, ils avaient des chaises, des podiums. Et donc, nous, on avait une salle vide et, au gré des projets, on s'adressait à ce service, qui venait nous livrer, voire monter des gradins selon ce qu'on leur indiquait : donc frontal, bifrontal, etc.

Et donc, ça, c'était une des richesses de ce lieu-là, du théâtre de création. Donc, il y avait deux salles : le Théâtre de Poche, avec un rapport frontal défini pour l'éternité, et une salle qui nous permettait de faire n'importe quel rapport au public, créer n'importe quel rapport au public.

Et donc, on a ouvert ce théâtre de création en 2005, de 2005 jusqu'à 2011, donc de la saison 2005-2006 jusqu'à la saison 2010-2011.

 

Pour l'anecdote, le directeur artistique, qui était en charge de la programmation de l'activité de ce théâtre de création, nous dépendions du Théâtre Municipal, les rapports avec la directrice du Théâtre Municipal de l'époque se sont envenimés très, très rapidement. Au point que, la crise étant là, la direction des affaires culturelles a été obligée de réagir et a retiré la gestion du théâtre de création au Théâtre Municipal, et l'a pris directement sous son aile.

Alors, le personnel dépendait du Théâtre Municipal, mais juste d'un point de vue pratique. Par contre, tout ce qui était activité ne ressortait pas du Théâtre Municipal.

 

Donc ça, ça a duré jusqu’en 2011. Saison 2011-2012 donc : fin, mi-2011, la ville a souhaité arrêter l'expérience du théâtre de création, parce que ça dépendait de la direction des affaires culturelles, et que la direction des affaires culturelles ne souhaitait pas gérer un théâtre. Parce que ce n'est pas le travail d'une direction des affaires culturelles : son travail, c’est d’impulser à travers la politique une action, une mise en place d’outils et d’équipes qui vont gérer ces outils, certainement pas de les gérer au quotidien, gérer des budgets pour acheter des rouleaux de scotch, payer l’entreprise de ménage et verser aux compagnies.

 

Donc, la mairie… Entre-temps, les mairies avaient aussi changé. En gros, dans mon itinéraire, à chaque changement de mairie, de municipalité, on a changé de projet.

 

Donc, en 2011, la mairie confie ce qu’avait été le théâtre de création à un collectif d’artistes, qui s’appelle Le Tricycle. À travers l’objet du Tricycle, la demande qui est faite au Tricycle, c’est d’accueillir les compagnies pour des travaux de création, c’est une constante, ça, de ce lieu. Et pour ce faire, il y a trois lieux qui sont mis à disposition : le Théâtre de Poche, la Salle Noire, le Théâtre 145.

À l’époque, le Théâtre 145 accueille, héberge une compagnie de musiciens, un groupe de musiciens qui s’appelle Les Barbarins Fourchus, qui sont des gens qui ne conçoivent pas l’existence de leur groupe sans avoir un toit sur la tête. Ils n’imaginent pas d’avoir des bureaux, et puis de se débrouiller à trouver des espaces de répétition, se débrouiller à vendre leurs spectacles et à monter des spectacles avec l’argent qu’ils peuvent trouver auprès de partenaires divers.

Donc, les Barbarins refusent de partir. Le Tricycle, qui est un collectif d’artistes qui viennent pour l’essentiel du théâtre, se montre solidaire des Barbarins, en disant « Nous ne prendrons pas le Théâtre 145 tant qu’il n’y a pas une solution satisfaisante pour reloger les Barbarins. »

Et là-dessus, les Barbarins font force et finissent par obtenir, contre leur départ du Théâtre 145, un accès à la Salle Noire.

Donc, on démarre le Tricycle avec le Théâtre de Poche, le Théâtre 145, et un temps de travail sur la Salle Noire.

 

Le problème, c’est que les Barbarins sont un groupe nombreux. À l’époque, en gros, c’est une quinzaine de personnes qui tournent autour des Barbarins : entre les musiciens, les techniciens, le personnel administratif.

Et les musiciens ont un gros défaut dans la vie : c’est qu’ils ont besoin d’espace pour répéter. Ils ont aussi besoin d’espace pour stocker leurs instruments. Donc, tant qu’il s’agit d’un violoniste ou d’un flûtiste, la réponse est assez simple à trouver. Quand il s’agit d’un batteur, c’est un peu plus compliqué.

Et de toute façon, le problème des locaux de répétition se pose quel que soit l’instrument dont on joue : on ne peut pas faire ça chez soi. On peut le faire, mais dans certaines limites, et pas à 7 ou 8 musiciens.

Donc, ce qui s’avère, c’est que très vite, les Barbarins, quand on leur dit : « On va utiliser la Salle Noire tout le mois de décembre pour accueillir un spectacle et la création d’un spectacle de théâtre », que font les Barbarins ? Ils se mettent sur le trottoir. Ils attendent. Et puis, ils n’attendent pas une journée : ils attendent un mois. Donc, c’est en fait assez irréaliste comme réponse.

Donc, on négocie avec les Barbarins en disant « finalement, on va utiliser la salle trois mois par saison, pas par année, par saison. » Mais c’est très vite… là aussi, c’est très vite intenable.

Et d’autre part, ce qui se passe, c’est que Le Tricycle est composé d’un collectif d’artistes qui gère la programmation, d’un personnel administratif et de billetterie embauché par Le Tricycle, personnel permanent embauché par Le Tricycle, donc il y a deux personnes, il y en aura jusqu’à trois même à un moment donné, autour de l’administration, de la communication, de l’accueil du public, la billetterie, etc.

Et il y a deux techniciens, qui sont du personnel Ville de Grenoble, mis à disposition de Tricycle pour faire tourner les salles sous leur aspect technique.

 

Sauf que, gérer trois lieux à deux techniciens… On s’y est épuisés la première année, on n’y arrivait pas.

Et donc, à un moment donné, quand Le Tricycle a décidé de réduire la voilure, c’était aussi une réponse au problème des Barbarins, mais aussi au problème que nous avons rencontré techniquement.

Donc, on a fini par laisser la Salle Noire aux Barbarins, qui l’ont réaménagée comme ils l’entendaient, parce qu’ils avaient besoin de coulisses, parce qu’ils avaient besoin d’un bar,parce que la forme musicale s’y prête bien, et puis que, pour eux, ça représente des recettes non négligeables par rapport à leur budget. Parce qu’ils touchaient des subventions pour gérer la salle, mais qui n’étaient pas énormes. Et du coup, c’est vrai que ça représentait un apport non négligeable, le fait de faire un bar.

 

Ils ont réaménagé cette salle très, très bien, mais d’une manière qui n’avait plus rien à voir avec ce que nous, on avait construit sur la Salle Noire, qui était un espace vide, qu’on réaménageait à chaque spectacle.

Donc, du coup, c’est sûr qu’on n’a plus été à la Salle Noire. Au jour d’aujourd’hui, les Barbarins sont toujours à la Salle Noire.

Et donc, Le Tricycle a continué en conservant le même nom de « Tri », mais là, il n’y avait plus trois salles, il n’y en avait plus que deux, et a donc mené son aventure sur le Théâtre de Poche et sur le Théâtre 145.

 

Puis on arrive en 2016, et la mairie, la nouvelle municipalité, souhaite ne plus… Non, c’était d’ailleurs la municipalité en place, mais elle souhaite ne plus accueillir Le Tricycle, et de reprendre la gestion directe du Théâtre 145 et du Théâtre de Poche.

Et donc, le Théâtre de Poche, le Théâtre 145 retournent dans le giron du Théâtre Municipal.

Et les deux techniciens que nous sommes de toute façon dépendaient du Théâtre Municipal. Donc, on réintègre la grande équipe du Théâtre Municipal, mais avec toujours une… Le Théâtre Municipal était le théâtre tel qu’il existe aujourd’hui, et deux salles : Théâtre de Poche, Théâtre 145, qui étaient gérées par deux techniciens.

La programmation était faite par le Théâtre Municipal, mais il y avait une espèce d'étanchéité entre le Théâtre 145 et de Poche, et de l'autre côté le Théâtre Municipal. C'est-à-dire que le personnel technique ne passait pas d'un lieu à l'autre. Le personnel de billetterie ne passait pas d'un lieu à l'autre.

 

Le Théâtre Municipal, j'ai un trou là tout d'un coup, mais il devait embaucher du personnel pour faire la billetterie. Peut-être même pas, je pense qu'ils ont contourné l'écueil de la billetterie. Ils ont contourné l'écueil de la billetterie en confiant le travail de billetterie aux compagnies, comme dans le Théâtre de Poche initial de 1999.

C'est un point à vérifier, mais je crois qu'il y avait eu ce choix-là qui avait été fait. De 2016 à 2017-2018, la directrice du Théâtre Municipal s'en va. La structure se réorganise, il y a un nouveau directeur qui arrive, remise en place d'un projet un peu différent, ça cafouille pendant au moins un an, au terme duquel l'actuelle directrice du Théâtre Municipal est embauchée, pas comme directrice, comme chargée de relations publiques.

 

L'histoire est un peu chaotique à ce moment-là, et le directeur qui était présent s'en va. Delphine Gouard prend la direction, un peu contre son gré, mais par nécessité. Et on débouche sur la situation actuelle, avec du coup vraiment un Théâtre qui repose sur trois lieux, avec une équipe au niveau communication, une équipe au niveau technique, qui va sur les trois lieux, une équipe de billetterie qui va sur les trois lieux, etc. Voilà pour l'historique, en gros, de ces lieux historiques auxquels, moi, j'ai participé.

 

Y : Vous avez pris quand votre retraite ?

 

P : Et bien, officiellement au 1er novembre 2022, un tout petit peu avant, parce que j'ai des problèmes de santé, qui m'ont mis de côté au mois de juin 2022. Donc j'ai assuré, moi, mon office jusqu'à la fin de la saison 2021-2022.

 

: Et avant 1999, vous avez eu quoi comme parcours ?

 

P : Alors, avant mon parcours professionnel, j'habitais en milieu rural, et on était une bande de copains qui fonctionnait bien ensemble.

Et on avait des activités qui tournaient autour de la chanson, du théâtre, donc en pratique totalement amateur, et ça a duré plusieurs années. Moi, je m'étais plutôt intéressé à la technique à ce moment-là, un peu au son, un peu à la lumière. On habitait dans un petit village qui devait avoir 1500-1700 habitants à l'époque, mais qui, chose assez étonnante, avait un théâtre.

Théâtre qui avait connu ses heures de gloire à l'époque de la Deuxième Guerre mondiale, les villes étant l'objet de bombardements. Et puis, c'était aussi une époque où, à part la radio, il n'y avait pas beaucoup d'activités culturelles, donc c'est vrai que les compagnies tournaient beaucoup. Et donc, ce village avait hérité d'une salle de spectacle, qui techniquement était très très, très peu équipée.

 

Mais bon, il y avait quand même une scène, avec une cage de scène, avec de quoi un peu pendre des décors, accrocher deux bouts de projecteurs. Et comme c'est un lieu qui servait aussi de cinéma, il y avait un balcon avec une cabine de projection, enfin bref. Et donc, quand on était ados, on s'éclatait bien dans cet endroit-là.

On organisait des festivals. Il y avait on faisait venir d'autres groupes de l'extérieur, toujours dans une pratique amateure. Là-dessus, les années passent.

 

On tourne la page, je fais d'autres choses. Et puis, je rencontre une jeune femme qui était marionnettiste. Et j'ai commencé à bosser dans les milieux du spectacle, donc mes premières feuilles de paie, avec cette compagnie, dans laquelle je bossais comme constructeur de marionnettes.

Et puis, il se trouve que la compagnie n'avait pas de technicien. Moi, j'avais quelques vagues compétences en technique, donc j'ai aussi pris la place de technicien. Mais on a bossé comme ça pendant quelques années.

Courtes années, on a dû bosser pendant deux ans. Et puis, je me suis retrouvé dans l'obligation de faire mon service national. Pour moi, il était hors de question que je fasse l'armée.

Je ne voulais pas faire l'armée.

 

Y : Excusez-moi, je pourrais demander, c'était en quelle année ?

 

: Eh bien, ça nous amène à la fin des années 70. Les toutes dernières années, 78, 79.

 

Et donc...

 

Y : C'était hors de question pour vous…

 

P : ...de faire le service militaire. Donc j'avais opté pour l'objection de conscience. L'objection de conscience, à l'époque, il fallait la motiver.

Donc j'ai fait ma demande. Le statut d'objecteur de conscience m'a été refusé. J'ai fait appel au Conseil d'État, je crois.

Et à l'époque, le fait de faire appel était suspensif du service militaire. Donc la situation a traîné jusqu'à ce que Mitterrand arrive. Ça faisait... Je ne sais pas.

Ça faisait 5 ans que ça traînait, quand même. Donc le Conseil d'État n'avait pas donné de réponse. La gauche arrive et supprime la demande motivée pour l'objection de conscience, l'objection de conscience pour tout le monde.

 

Les objecteurs de conscience, jusqu'alors, pour l'essentiel, se retrouvaient à l'ONF, quand ils étaient acceptés, se retrouvaient à l'ONF et, en gros, passaient leur temps à ramasser des glands pour replanter des arbres et à repeindre les volets des maisons forestières. Quand la gauche est arrivée, elle a élargi le champ d'affectation des objecteurs, notamment aux services culturels. Et donc avec cette compagnie de marionnettes avec qui j'avais bossé, on avait eu le loisir de répéter, un peu comme les musiciens, les théâtreux, parce qu'ils ont aussi besoin d'espace pour répéter.

 

Donc cette compagnie de marionnettes allait répéter plusieurs fois dans un équipement géré par les MJC qui est sur Grenoble, la MJC Prémol. Quand j'ai obtenu mon statut d'objecteur de conscience et la possibilité de travailler dans la culture, je suis allé trouver les directeurs de Prémol, de la MJC Prémol. A l'époque, il y avait trois directeurs.

Il y avait deux directeurs à mi-temps et un directeur à plein temps. Et je leur ai dit « Ben voilà, il y a une superbe salle que vous gérez. Je vous propose de faire mon objection de conscience chez vous et de transformer cette salle, d'en faire un théâtre. »

Puisqu'à l'époque, c'était une salle polyvalente. Je ne sais pas si vous connaissez le Théâtre Prémol, si vous y êtes allé. En gros, Prémol est construit sur une ancienne ferme qui comportait des bâtiments de ferme, des bâtiments d'habitation.

Et parmi les bâtiments de ferme, il y avait une grande étable.

 

Quand 68 est arrivé et les Jeux olympiques, on a prié le fermier de déplacer un peu son exploitation. Et ces locaux sont devenus... Le village olympique a été construit pour accueillir les athlètes avec une perspective de transformer tout ceci en habitat une fois que les Jeux olympiques seraient finis.

Et donc dans ce contexte, l'ancienne ferme s'est vue adjoindre une partie de bâtiments neufs et les anciens bâtiments, et c'est devenu un centre socioculturel. Dans ce cadre-là, il y avait une salle polyvalente qui était donc construite dans l'étable. C'est une salle qui faisait 20 mètres sur 20 mètres avec des gradins et qui était destinée à accueillir tout type de manifestation, du spectacle, des réunions publiques, du cinéma, enfin bref.

 

Particularité de l'architecture qui a été faite dans ce lieu-là, c'est qu'une salle de 20 mètres sur 20 mètres, ils l'ont coupée en deux dans la diagonale en faisant d'un côté un gradin en arc de cercle et de l'autre côté une scène qui donc s'est retrouvée triangulaire. L'idée était belle, mais alors techniquement c'était une purge ce truc. Bref.

 

Donc je me retrouve à proposer à la MJC Prémol de faire mon objection de conscience chez eux. À l'époque, l'objection de conscience, c'était 24 mois, le double du temps de service national. Ça discute au niveau de la direction notamment parce que tout le monde n'était pas d'accord, mais ils finissent par accepter et mettre en place ce projet-là.

Donc j'arrive dans ce lieu et petit à petit, on crée d'abord une activité d'accueil permanent de compagnie comme lieu de répétition et lieu de création ou de présentation de spectacle. Et puis petit à petit, vu que le projet se tient et que l'activité augmente, ça suscite l'intérêt des pouvoirs publics qui vont accepter d'accompagner la mise en place de ce théâtre permanent à travers l'installation d'infrastructures techniques. Donc un grill, donc du matériel concrètement.

 

Et petit à petit, le théâtre Prémol va grandir et va avoir une existence de plus en plus affirmée dans le paysage culturel de l'agglomération. Le malheur arrive en 92 à travers un incendie criminel, un incendie volontaire de la MJC. Et donc les pompiers arrivent à sauver le théâtre, mais pas la MJC, qui est Beauville-de-Font-en-Provence.

Donc c'était une MJC, un centre social, une bibliothèque, un théâtre. Donc une partie des locaux autour du théâtre ne brûle pas, mais le reste de la MJC est entièrement détruit. Et ce qui est détruit, c'est notamment l'accès au théâtre.

L'activité s'arrête autour de l'accueil de public. Elle continue quand même autour de l'accueil de compagnie pour des travaux de répétition, puisqu'il n'y avait plus d'accès public. Il y avait quand même, par une autre façade, par un autre accès, une possibilité de rentrer et de sortir sans aller dans la partie détruite, qui va après être reconstruite.

 

Donc, je continue à bosser là. Donc, le Théâtre Prémol avait un peu grossi, dans le sens où, j'étais là au départ en tant qu'objecteur de conscience comme technicien. Le projet rencontre un certain succès, il y a du personnel qui vient, il y a un responsable artistique et il y a une personne qui s'occupe de la communication, qui vont faire partie de ce théâtre.

À un moment donné, la personne qui s'occupe de la communication, comme il n'y a plus d'accueil de public, disparaît. Son poste disparaît. La personne va trouver du boulot ailleurs.

En l'occurrence, à la Maison de la culture. Le responsable artistique va tourner en rond, se ronger les ongles, etc. Mais à un moment donné, jette l'éponge et décide de partir.

Son poste était en partie subventionné par le département. Cette personne partant, le département dit « désolé, on ne subventionne plus ». Et là, la MJC Prémol se retrouve dans l'ennui, avec ce lieu qui ne peut pas vraiment tourner, en tout cas pas faire de recettes.

Et donc, rend les clés à la mairie. Mais du jour au lendemain, en disant voilà, « nous un théâtre, on n'en veut plus, on ne sait pas faire, on ne sait pas gérer, on vous rend les clés ». La mairie a les deux oreilles qui tombent.

Parce que vraiment, ils n'attendaient pas ça. Bon, il se trouve qu'à ce moment-là, il y avait un couple sur Grenoble qui avait une compagnie qui s'appelait Théatraction, qui était venue de Paris de longues années auparavant, dans les années 70 et qui avait un tout petit théâtre au centre-ville, tout petit théâtre au coin qui s'appelle encore le Petit Théâtre.

 

Les deux individus, le couple qui tenait la compagnie Théatraction, du fait des vicissitudes de la vie, se séparent. Donc on a d'un côté Fernand qui va garder le Petit Théâtre et va monter une structure qui existe encore qui s'appelle le Créarc, qui est au cœur de la ville, qui est Place Saint-André, côté de la Place Saint-André. Entre la Place Saint-André et la Place Sainte-Claire, c'est vraiment le noyau de la ville.

Et Renata, elle se trouve dans l'ennui et cherche un théâtre. La mairie se retrouve du fait que la MJC Prémol avait rendu les clés à gérer un lieu qu'elle n'a aucune envie de gérer. On a une Renata qui cherche un lieu.

 

Hop, la mairie propose la salle à Renata Scant. En trouvant un petit bout de budget pour réaménager ce Théâtre Prémol, qui ne pouvait plus accueillir de public du fait de la MJC qui était à côté, qui était détruite. Trouve un budget pour créer un accès pour le public.

Renata Scant accepte de récupérer, de reprendre ce théâtre, mais ne veut pas bosser avec moi parce que j'étais trop payé. Et que par rapport à ses équipes techniques, où là il n'y avait pas de permanents, c'était que des intermittents, il y avait un permanent, c'était le directeur technique. Donc, elle dit « oui, oui, mais moi je ne vais pas travailler avec Jaberg. »

 

Honnêtement, je crois qu'elle était un peu naïve parce qu'à l'époque, mon poste était couvert par une subvention de la ville de Grenoble. Elle imaginait que la ville allait lui dire, ça c'est votre choix, c'est à vous de vous débrouiller. Vous embauchez Patrick Jaberg, mais derrière vous le licenciez.

C'est ce qu'elle attendait. Et là-dessus, la mairie n'a pas du tout entendu de cette oreille. Ils sont venus me trouver et me dire « voilà la situation, qu'est-ce que tu dis si on te trouve du travail ? » Donc ça, c'était la première fois.

 

Je leur ai dit « proposez toujours, on verra. » Et ils reviennent 15 jours après en disant, ça pourrait être au Théâtre de Poche. Donc là-dessus, je négocie le fait qu'au Théâtre de Poche, je veux bien essayer, mais je ne veux pas travailler avec la compagnie qui gère le Théâtre de Poche.

Donc je suis technicien, je suis régisseur de la salle, pas de la compagnie. Et donc on part comme ça. Je vais à la compagnie Richard Lamarroux.

Je bosse comme technicien gérant la salle. Et la compagnie a son propre technicien quand elle occupe la salle pour ses créations.

 

Et pour la petite histoire, donc ça c'était en 94, la MJC avait brûlé en 92.

Et en 94, je passe au Théâtre de Poche, avril 94. Donc un an plus tard, la compagnie décide de me licencier en disant « oui, on t'embauchera comme intermittent du spectacle, tu verras, ce sera bien. » Moi, je refuse.

Et là-dessus, la mairie interpelle la compagnie en disant « bon, effectivement, c'est votre personnel, vous faites ce que vous voulez. Par contre, soyons bien clairs sur une chose, c'est que nous, la subvention qui couvre le poste, on ne verse plus la subvention, on n'est plus tenu. » Donc là, la compagnie a réalisé qu'elle perdait à la fois la personne, mais aussi le financement du poste et fait marche arrière. Je reste dans cette salle avec toujours cette activité de gestion de la salle et pas gestion de la compagnie. Et donc ça, jusqu'en 99, où la mairie arrive pour la deuxième fois dans mon histoire en disant « voilà la situation, qu'est-ce que t'en dis si on te trouve du travail ? » C'est vrai que c'était peut-être plus facile.

 

Le chômage, on ne l'appréhendait pas de la même manière à l'époque. Parce que des mairies qui vont trouver les gens en leur disant « voilà, on te trouve du boulot si ça t'intéresse ?», il n'y en a pas beaucoup. Mais le résultat, c'est que du coup, je repars avec la mairie.

Alors là, ce coup-ci, sur un poste à temps plein. Donc ça veut dire que je suis obligé d'abandonner toutes mes activités autre... Donc moi, je bossais beaucoup avec des compagnies, beaucoup en création. Et comme je bossais à mi-temps, j'avais un revenu qui m'allait à peu près.

Donc du coup, je n’étais pas obligé d'accepter tout ce qu'on me proposait. Je choisissais les compagnies avec qui je travaillais et les projets sur lesquels je travaillais. Donc c'était quand même un petit bonheur, ça.

 

Et donc voilà, j'embauche à la Ville de Grenoble sur, après tout ce qu'on a balayé assez rapidement, le Théâtre de Poche, le théâtre de création, le Tricycle, puis de nouveau le Théâtre Municipal, toujours sur nos poches. Et donc ce qui explique aussi ce que je disais au téléphone hier, c'est que moi, je n'ai jamais travaillé sur le Théâtre Municipal (Grand Théâtre)en tant que lieu. J'ai dépendu du Théâtre Municipal.

Nos réunions se passaient au Théâtre Municipal. J'étais tout le temps au Théâtre Municipal. Donc c'est un lieu que je connais bien, mais pas pour y avoir travaillé, pour l'avoir arpenté, mais pas pour l'avoir pratiqué.

 

: J'ai une première question sur la territorialité. Alors, je débarque sur Grenoble depuis septembre.

 

P : Oui d'accord, c'est une affaire toute neuve.

 

Y : Oui exactement. Donc je découvre la vie culturelle locale. Puis on sait bien qu'avec la décentralisation, Grenoble a développé son territoire culturellement.

Donc ma question, comme je vous ai entendu un petit peu parler de plein de théâtres différents, comment résumer, ce n’est peut-être pas le bon mot, mais comment un petit peu raconter cette territorialité locale, théâtrale, ou même des arts de la scène de façon générale ? En tout cas vous, comment vous l'avez perçu ?

 

P : Moi je suis arrivé sur Grenoble, c'était une chose existante. Il y avait une mairie de gauche, qui a fait deux ou trois mandats, je ne sais plus, la mairie Dubedout, qui a fortement développé la culture sur Grenoble. Historiquement, peut-être qu'il y avait déjà une pratique culturelle importante à Grenoble, ça je ne peux pas vraiment dire.

Mais en tout cas, cette municipalité a fortement développé cette activité. Donc, il y avait de toute date le musée de peinture, qui était un gros musée, beaucoup porté sur l'art contemporain, qui avait acquis des œuvres importantes. Mais à l'époque où elles se faisaient, la peinture était fraîche quand ils achetaient. Donc ils ne payaient pas ça très cher.

Mais du coup, dans les années 1920, ils ont grossi les collections du musée, sachant qu'il y avait un fonds important. On a à Grenoble un musée très important qui draine un public aussi important. Donc de fait il y a déjà un rapport à l'art assez proche pour une partie des Grenoblois.

 

Il y a le Théâtre Municipal, qui lui a aussi fonctionné depuis très, très longtemps. Et puis cette municipalité Dubedout met en place le SIC, le service d'intervention culturelle. L'idée c'était d'offrir dans le domaine du spectacle vivant aux structures grenobloises un soutien technique important.

Donc avec le Théâtre Municipal, qui voit ses équipes étoffées, avec bien sûr une équipe de techniciens, une deuxième salle qui s'appelle le Théâtre du Rio. Dont on a vu la fin tout à l’heure mais c’était le début. Le Théâtre du Rio était une petite salle sommairement équipée en centre-ville que l'on confiait à des compagnies le temps de la création d'un spectacle. Donc il n'y a eu absolument pas d'accompagnement technique, il y avait une petite salle qui devait faire une centaine de places et puis quelques projecteurs, un bout magnétophone avec une paire d'enceintes pour faire du son et puis voilà. Et le service était également composé d'un atelier de construction de décors donc auquel pouvaient s'adresser les structures qui voulaient monter un spectacle et qui pouvaient donc recourir au service de l'atelier.

 

Le principe de l'atelier qui a prévalu jusqu'à la fin de l'atelier, l'atelier tourne encore aujourd'hui, c'est que la ville prend en charge les frais de personnel, les frais de locaux et tout l'outillage, la maintenance de l'outillage etc. En contrepartie de quoi les compagnies font une demande, obtiennent ou pas l'aide de l'atelier et vont confier la construction de leur décor mais fournissent les matériaux, les vis, les bouts de bois, la ferraille etc. Mais ne restent à la charge de la compagnie que les matériaux, pas du tout la main d'œuvre, pas du tout.

Donc c'est une aide immense faite aux compagnies. Donc à l'époque il y a l'atelier de construction, il y a un atelier décoration avec deux décorateurs, il y a un atelier costume qui existe encore. À l'époque, il y avait trois costumières. Et il y a un service de prêts de matériel qui lui n'existe plus. Les deux décorateurs sont partis en retraite, le service a fermé il y a bien des années de ça déjà et le service de prêts de matériel, la personne qui gérait ce service est partie en retraite.

Le service a perduré quelques années après mais très vite, la personne qui gérait le service,d'abord ne le gérait pas à temps plein, n'avait pas les compétences de maintenance par rapport au matériel. Donc assez rapidement, en deux ans, trois ans, le matériel est devenu hors d'état et donc le service a été fermé.

 

Donc il y a cette politique de la ville qui consiste à aider les compagnies à la fois par la mise à disposition de locaux, le Théâtre du Rio, par l'accueil de ces compagnies qui avaient déjà eu le loisir de présenter des spectacles au Théâtre du Rio. Et si ces spectacles avaient rencontré du succès, ils pouvaient demander à passer dans la salle du Théâtre Municipal, qui donc à l'époque faisait une programmation très orientée vers le spectacle de divertissement parisien mais accueillait aussi des compagnies locales et leur permettait de présenter leur travail donc devant une salle qui à l'époque faisait 800-900 places. Bon, c'était une belle salle quand même.

Donc le Théâtre Municipal aujourd'hui, c'est plus que 600 places pour des problèmes de sécurité. La jauge a été améliorée, il y a un balcon notamment qui ne sert plus. Donc la municipalité a ces outils que sont le Théâtre Municipal avec tous ces services qui aident très concrètement les compagnies.

 

Il y a en 68 la création de la Maison de la Culture à l'occasion des Jeux Olympiques, enfin juste après les Jeux Olympiques. Et puis cette ville-centre va être un centre d'émulation pour des compagnies qui vont commencer à se développer. La ville de Grenoble très attentive va essayer de mettre à disposition de ces compagnies des locaux plus ou moins, Prémol par exemple, etc.

Et puis petit à petit, la couronne grenobloise va aussi être sensible aux gens qui pratiquent le théâtre, mais ne serait-ce qu'en amateur, mais tout autour. Parce que forcément quand il y a une activité, la Maison de la Culture, du Théâtre Municipal de Grenoble, des compagnies, de jeunes compagnies professionnelles, il y a une émulation. Effectivement il y a des gens qui vont se mettre à pratiquer en amateur.

 

Donc petit à petit, on va voir les communes autour soit remettre en état des salles qu'elles avaient, soit créer des salles. Ce qui fait qu'aujourd'hui toutes les communes autour de Grenoble ont toutes leurs salles qui sont en activité. Ce peut être 8 ou 10 spectacles par an, ça peut être 25 spectacles par an.

C'est à des niveaux divers. Il y a de la programmation de compagnies professionnelles, il y a la programmation de compagnies purement locales en amateur. Mais toujours est-il qu'il y a une effervescence qui je pense remonte aux années 60-70 pour les prémices et puis qui va s'affirmer.

 

N'oublions pas que quand la gauche arrive en 82, il y a la décentralisation qui se met en place avec notamment Jacques Lang et qu'il y a énormément d'argent à ce moment-là, on vivait mieux. Il y avait plus de possibilités, plus d'argent, plus de projets subventionnés, etc. Il y a des choses qui se sont mises en place et dont on a encore les frais aujourd'hui.

 

Avec la décentralisation, il y a les centres dramatiques qui ont été créés un peu partout en France, dont un à Grenoble. Quelques années plus tard, à l'image des centres dramatiques, les centres chorégraphiques qui sont mis en place. On avait un centre dramatique à Grenoble, on a eu un centre chorégraphique à Grenoble.

Du coup, c'est la danse qui s'est mise en place avec le Pacifique, avec la Maison de la Culture, avec Galotta à l'époque. Tout ce qui s'en est suivi au niveau du centre chorégraphique. La Maison de la Culture a eu, dans le cadre de la décentralisation, une mission de d’essaimage de spectacles à travers le département.

Avec des tournées hors les murs. Derrière, à une époque, le Conseil Général a aussi suivi, en mettant en place des tournées sous chapiteaux à travers le département, de spectacles vivants. Ça pouvait être de la musique, de la danse, du théâtre.

 

Mais du coup, cette effervescence-là a joué au niveau de l'agglomération grenobloise, puis au niveau départemental. Avant d’entrer à la Ville de Grenoble, j'ai été sur un projet que j'ai beaucoup aimé, qui s'appelait L'Adieu au siècle. L'idée, c'était de créer un événement pour saluer le 20e siècle finissant, en 98.

L'idée de départ, c'était 40 auteurs, 40 comédiens, 40 lieux, à travers toute l'Isère. Beaucoup à Grenoble, mais à travers toute l'Isère. C'était un travail de commande auprès des auteurs, pour des monologues, qui seraient joués de manière unique dans un lieu.

J'ai travaillé au niveau de la régie générale là-dessus. On s'y est bien amusé. A la fin, c'était 43-45 auteurs, autant de textes, autant de lieux.

Le projet avait rencontré du succès plus qu'imaginé. Techniquement, on s'appuyait sur la Maison de la Culture, qui était partie prenante du projet. Moi, j'avais été embauché par la Maison de la Culture à l'époque, pour assurer la régie générale, puisqu'il n'y avait pas les disponibilités de personnel pour assurer ce travail-là.

Et sur ces 43-45 textes, certains ont été repris par leurs auteurs, ont été étoffés, et ont été montés en spectacle. D'autres n'ont pas donné lieu à des suites. Mais bon, c'était l'idée de départ, de toute façon.

 

Il y avait effectivement cette envie, ce besoin de faire du théâtre, cette réponse du public par rapport à ces propositions-là. Et de fait, Grenoble, même si ce n'est plus ce qu'il y a pu exister à une époque, la crise est quand même un peu passée par là, mais est une ville qui offre énormément d'activités culturelles. Les musiques, ce qu'on peut appeler les musiques actuelles, se sont aussi développées dans la première moitié des années 2000, je dirais, avec la mise en place de salles dédiées à la musique amplifiée, etc.

Alors, il existait des salles, déjà à l'époque, mais qui étaient des salles privées, qui étaient animées par des gens qui étaient passionnés par ça, qui bouffaient de la vache enragée, mais qui tenaient quand même leurs projets, qui réalisaient des choses. Mais ce qu'on a vu au début des années 2000, c'est la mise en place de structures pérennes qui étaient mises en place par des municipalités. Donc, ça donne la Belle Electrique, ça donne la Source à Fontaine, ça va donner d'autres petites structures qui relèvent toujours du privé, de l'associatif, mais qui ont quand même eu une activité importante.

Ils sont peut-être un peu en perte de vitesse aujourd'hui, parce qu'économiquement, c'est dur, c'est difficile. Mais bon, Jacques Lang, c'est aussi la Fête de la Musique. Il s'est passé des choses très importantes dans ces années 80, entre 80 et 2000, je dirais, au niveau culture.

Donc moi, j'ai profité de tout cet élan qui s'est mis en place à cette époque.

 

Y : Vous avez été intermittent ?

 

P : Pas vraiment, non. Parce qu'en fait, j'étais objecteur de conscience. Quand j'ai fini l'objection de conscience, j'ai bossé en compagnie, j'ai bossé en salle, puisqu'il y avait donc Prémol que j'avais contribué à faire naître.

Et donc, de fait, je continuais à y travailler. La direction, la MJC, avait suffisamment apprécié mon travail pour me faire encore confiance. Je bossais aussi à la Maison de la Culture à l'époque.

 

Alors, je bossais de manière intermittente, mais sans statut d'intermittente, parce que Prémol, à partir du moment où j'ai fini mon objection de conscience, m'a tout de suite embauché à temps partiel, mais sur un contrat à durée indéterminée. Et à l'époque, on ne pouvait pas cumuler contrat à durée indéterminée et objection de conscience et un statut d'intermittent, ce qui a apparemment bougé par la suite.

 

Et donc, du coup, je bossais pour d'autres structures, des compagnies et des structures de salles, notamment la Maison de la Culture, mais sans avoir le statut d'intermittent, parce que je ne pouvais pas, du fait de mon statut à temps complet, même si, pas à temps complet, à durée indéterminée, même si, de fait, pas à temps complet, j'étais à temps partiel. Je commençais à 30%, puis après à 50%, jusqu'à ce que je passe à la mairie, où là, j'étais à 100%. Donc, j'ai dû laisser tomber toutes mes activités et autres.

Mais voilà. Donc j'ai donc pas eu le statut d'intermittent, mais j'ai beaucoup bossé de manière intermittente avec des compagnies, avec des salles, sur des projets particuliers. Donc voilà.

 

: OK. Depuis tout à l'heure que vous expliquez un petit peu votre parcours, quand même, il y a une grande influence du pouvoir politique et des décisions qui sont prises. De façon générale, quelle répercussion ça peut avoir sur le travail technique, ces changements, s'il y en a ?

 

: Alors, la technique... Donc, les milieux du spectacle vivant ne sont pas des milieux qui brassent beaucoup d'argent. Contrairement au grand frère que peut être le cinéma, qui lui brasse des sommes folles.

C'est un peu du pipi de chat, quoi, le milieu du spectacle vivant. Il y a de quoi à peu près salarier le personnel, mal. Et puis voilà.

Donc si les pouvoirs publics ne sont pas là pour mettre en place des infrastructures pour... Quand je parle d'infrastructure, il y a à la fois la dimension équipement, salles, des lieux où on peut présenter des spectacles, accueillir du public, mais aussi des moyens techniques, parce que les moyens techniques coûtent très cher. Et une fois qu'on a une salle et des moyens techniques, il faut aussi du personnel technique, parce que pendant longtemps, les compagnies se sont déplacées d'une salle à l'autre en ayant un technicien, deux techniciens, mais pas plus.

Ce qui veut dire que le travail de mise en place des décors, du son, de la lumière, de la vidéo, Dieu sait quoi encore, nécessite du personnel. Donc si les structures ne peuvent pas avoir de personnel, les compagnies ne peuvent pas non plus... Voilà.

 

Donc, ça veut dire concrètement que le pouvoir politique a cette capacité d'insuffler une action qui va permettre, qui va rendre réalisable la présentation de spectacles. Mais c'est vrai que c'est très important que le politique s'occupe de tout cet aspect de structure d'accueil, on va dire. Structure d'accueil dans un sens large, à la fois personnel et locaux.

Et puis après, il y a effectivement... J'ai perdu ce que je voulais dire Il y a effectivement aussi dans la dimension politique, il y a tout le jeu des subventions.

 

Alors les subventions aux structures, aux compagnies qui vont voir leurs projets financés, donc pouvoir lancer une création et donc pouvoir monter un projet dans des conditions à peu près correctes. Et puis il y a les subventions aux structures d'accueil, aux salles de spectacles. Donc subventions qui vont permettre à ces structures d'acheter des spectacles très concrètement, donc de payer des spectacles, de payer des compagnies.

Parce que le théâtre privé, purement privé, est un phénomène à peu près exclusivement parisien. Le théâtre privé en province, il n'existe pas. À part quelques exceptions sur quelques activités.

 

Moi, je pense notamment à l'humour, etc. Mais ça ne va pas chercher loin. Ou alors dans le domaine de la musique, c'est plus facile quand on prend des têtes d'affiches, mais souvent, ce sont des tourneurs qui vont louer des salles, mais qui n'ont pas...

Qui, en cas de problème, peuvent instantanément replier la voilure, puisqu'ils n'ont pas de frais de salles, puisqu'ils vont louer des salles. Donc quand on va louer un palais des sports, ça va coûter 30 000 euros de location la soirée, plus 50, 60, 80 000 euros de location d'ateliers techniques, de personnel, etc. Mais s'il y a un souci, le tourneur, c'est un individu qui a le nez et qui repère les artistes qui peuvent rencontrer le public, une poignée d'administratifs et puis des bureaux. Mais voilà, s'il faut réduire la voilure, instantanément, on les réduit. Contrairement à une salle de spectacle qui a des locaux terribles. Le Théâtre Municipal par exemple, puisque vous l'avez vu, quand on veut accueillir du public, bon, il y a une pléthore de personnel, mais ne serait-ce qu'une chose, c'est chauffer la salle, chauffer l'hiver la salle, vu les volumes dont il est question.

Il y a un lieu, mais un privé, il ne peut pas se le permettre, tout simplement. Bon, tous ces projecteurs qui brillent, c'est beau, mais quand il faut payer l'électricité, c'est monstrueux aussi. Voilà, les nouvelles technologies sont un bienfait à cet endroit-là, enfin, sur le plan de la consommation électrique, parce que sur le plan de l'achat du matériel, on a vu les prix s'envoler.

 

Y : J'y viendrai, plus tard. Et ne vous inquiétez pas, j'ai des questions. Sauf quand vous me dites que vous êtes fatigué, que vous en avez marre, je m'arrête aussitôt, ne vous inquiétez pas.

 

Des années 80, post-Covid, du coup... Enfin, vous avez commencé à travailler un peu avant, mais je veux dire, les années 80, on sait bien que c'est un peu la période, l'eldorado, l'âge d'or, subventions, décisions politiques qui favorisent un peu tout ce qu'on vient de discuter. Et vous avez terminé le travail, votre carrière, en 2022.

Ouais, c'est quand même... En 40 ans, il y a eu beaucoup de changements.

 

: Oui.

 

Y : Voilà. Vous avez pu observer ça de vos yeux. Vous avez pu le pratiquer, même.

Donc cette transition... Enfin, je ne sais pas si c'est une transition... Sûrement une transition politique, à vous de me dire.

Et ce changement, comment... Quelles sont les conséquences remarquées, je ne sais pas, des choses comme ça, ou les anecdotes, peut-être ?

 

: C'est difficile de répondre à ça, parce que j'étais acteur dans ce milieu-là. Mais il y a effectivement une conscience individuelle, qui évolue au fil de sa propre vie. Et effectivement, j'ai très vite connu les années de la gauche au pouvoir et du développement de la culture.

Donc c'est vrai qu'en tout début de carrière, on tirait le diable par la queue. Mais ça n'a pas été une expérience très longue pour moi, ça. Et après, à partir de 82, à partir de la mise en place de la politique de la gauche de Mitterrand et de Jacques Lang, les choses très vite sont allées en grossissant.

 

Et à l'époque où je bossais la Maison de la Culture, c'était la pleine période de Lavaudan. Et vraiment, il y avait beaucoup d'argent. Même s'il y avait beaucoup moins d'argent que dans d'autres secteurs d'activité, il y avait beaucoup d'argent par rapport à ce qu'il y avait précédemment.

Donc il y avait une espèce d'opulence qui faisait que les directeurs d'équipement et les créateurs surtout, n'hésitaient pas à engager des sommes conséquentes sur des créations qui, derrière, ne dépassaient pas le stade de la première, qui ne tournaient pas derrière. Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'il y a eu une évolution très, très nette au niveau du public. C'est-à-dire que le public a été de plus en plus nombreux et demandeur de spectacles.

 

L'infrastructure qui peut exister aujourd'hui dans l'agglomération grenobloise doit drainer quand même pas mal de public. Donc ça veut dire qu'il y a clairement une demande de la part du public. Ou si ce n'est une demande, c'est en tout cas une facilité à se saisir des propositions qui sont faites.

Et je crois qu'effectivement, on le doit aux politiques qui ont effectivement joué le jeu. Bien sûr, c'est toujours assez simple. Le milieu du spectacle étant un milieu extrêmement médiatisé, c'est-à-dire que pour un politique, c'est payant d'investir dans une salle de spectacle qui va avoir des retombées, qui va entraîner des articles de journaux, des passages à la télévision et Dieu sait quoi encore.

 

En tout cas, à une époque, je crois que ça, c'était sensible. Aujourd'hui, c'est sans doute un peu différent parce que la médiatisation, elle se fait par d'autres canaux, qui ne nécessitent pas ou en tout cas que très, très peu de moyens à travers Internet et à travers les réseaux sociaux et qui échappent à des professionnels de toute façon. Mais à une époque, c'était quand même important d'avoir cet écho dans la presse, qu'elle soit radio, écrite, audiovisuelle.

 

Je pense en tout cas qu'il y a eu une ouverture des gens à ces pratiques culturelles qui consistent à aller au spectacle, aller au musée. Je crois qu'il faut aussi… J’aurais une certaine envie de considérer que c’est un tout, les gens qui vont au spectacle, vont aussi au musée, vont aussi écouter de la poésie, aussi… Je me fais peut-être des illusions mais je pense que c’est important qu’il n’y ait pas uniquement des gens qui louent des cassettes vidéo, comme on l’a connu il y a bien des années, ce n’est pas ça qui fait une culture. Ce qui fait une culture, l’ensemble d’une proposition large. Parce qu’il y a sur la place un nombre hallucinant de musées et qui sont là aussi par le fait des pouvoirs publics qu’ils soient départementaux, communaux. Il y a peu de musées privés, ce sont toujours des petits musées.

 

Y : Tout ça touche aussi à l’évolution des programmations, comme vous avez plusieurs décennies d’expérience en termes de régie, vous avez pu voir les différents spectacles et différentes formes, plein de choses différentes.

 

Pause

 

: Beaucoup d'évolution quand même sur plusieurs décennies et donc ça a dû sûrement avoir une influence sur les programmations, c'est-à-dire les spectacles et même esthétiquement peut-être il y a une évolution que vous avez pu constater. En régie, on est quand même au bon endroit pour voir plein de spectacles.

 

P : Oui, oui absolument. Oui, effectivement, il y a une, comment dire, une évolution à laquelle j’ai participé au niveau technique. C'est-à-dire que quand j'ai commencé, on avait des jeux d'orgue qui avaient très, très peu de circuit, on avait une poignée de projecteurs, on avait une dizaine de projecteurs. Et les années passant, l'évolution des matériels et les budgets de plus en plus conséquents, qui étaient alloués à ce secteur d'activité, ont fait qu'il y a eu de plus en plus de moyens techniques dans les salles et donc pour les compagnies, qui étaient amenées à créer dans ces lieux, donc avec plus de projecteurs, avec plus de sons, avec des décors à un moment donné qui ont été de plus en plus gros.

 

Si on prend le spectacle tel qu'il se déroulait au 19e et début 20e siècle, je dis début 20e siècle, à la limite la première moitié du 20e, les compagnies n'avaient pas de décors, les salles avaient des décors. Donc il y avait le décor du château, alors c'était des toiles peintes, il y avait le balcon, il y avait toute une série de scènes type. Et à la compagnie qui arrivait, elle ne savait pas vraiment dans quoi elles allaient jouer, à quoi ça ressemblerait mais ce n’était pastrès important parce que, bon, il y avait dans la fiche technique, qui était écrite qu'il y avait besoin de la cour du château. Donc la salle de spectacle avait dans son catalogue de toiles peintes, ils avaient une ou deux ou trois cours de château, et puis voilà, et puis la forêt, et puis etc. Et les compagnies se déplaçaient presque main dans les poches avec éventuellement quelques accessoires plus adaptés aux jeux des comédiens, mais bon. Puis après à partir du début du 20e siècle et jusqu'à aujourd'hui, il y a eu les décors construits, c'est-à-dire le château n'était plus une toile peinte mais c'était un vrai château, bon en carton-pâte mais quand même un vrai château.

 

J’ai mémoire de l’atelier de construction, surtout de l’atelier décoration. Donc il y avait un… je ne sais plus quel spectacle c’était, mais le spectacle se passait en bord de mer avec un bateau qui était échoué là, le nez planté dans les galets, qui avait dû s’échouer quelques années auparavant parce qu’il était bouffé par la rouille. Et donc, le choix du metteur en scène avec son décorateur était de présenter une proue de bateau bouffée par la rouille. Ce qui permettait aux comédiens de rentrer, sortir du ventre du bateau.

Et donc « bouffée par la rouille », c’est-à-dire que c’était un bateau métallique. Donc le décor était entièrement contreplaqué. Et j’ai une mémoire de l’un des deux décorateurs qui posait ce qui était des têtes de rivets sur l’élément, sur le morceau de décor, pour donner à voir des têtes de rivets. Et en fait, c’était tout simplement des cotillons en coton coupés en deux, collés sur le contreplaqué à la colle, et après peints, et peints donc avec les couleurs liées à la rouille, etc.

Et c’était fou, parce qu’à 3 mètres, à 4 mètres, c’était un vrai bateau qui était là, qui s’était échoué sur la plage et qui avait rouillé sur place. Et le tout, à la fin du spectacle, se démontait, se montait en morceaux le plus plat possible, pour être rangé dans un camion et partir vers le lieu de représentation suivant.

 

Et ça, alors ça, c’est des choses que j’ai connues. Je ne sais pas si c’est l’apogée, mais en tout cas j’ai vu beaucoup de spectacles avec des décors très, très léchés, très, très imposants, pour certains très beaux. C’est des choses qui sont moins vraies maintenant parce qu’il y a beaucoup moins d’argent, donc il y a moins de construction de décors. On l’a bien vu à l’atelier de construction : ils ont moins de gros décors à fabriquer. Souvent, ils fabriquent des caisses pour pouvoir transporter les costumes, parce que, ça n’a aucun intérêt. Leur métier, il n’est pas dans le fait de fabriquer des caisses. Leur savoir est ailleurs. Mais bon, quand il faut fabriquer des caisses, ils les fabriquent, ce n’est pas un problème. Ce n’est pas ça qui est le plus amusant à faire.

 

Donc il y a sans doute eu cette évolution dans l’esthétique, avec pléthore de matériel. J’ai connu, moi, l’époque où tout… notamment en lumière. Ma pratique personnelle a beaucoup été autour de la lumière, mais après, j’ai acquis des compétences en son, en vidéo forcément, puisque j’ai été confronté à l’utilisation de ce type de matériel.

Et donc j’ai commencé en tant que technicien, où on avait des pupitres manuels. Donc, en gros, un pupitre manuel, c’est un système où l’on a une table avec des potentiomètres qu’on va monter pour allumer tel projecteur à tel pourcentage. Donc celui-ci est à 100 %, celui-ci est à 50, celui-ci à 30, celui-ci à 45… Voilà. Donc on construit un état lumineux, et on va répéter cette série de potentiomètres une fois, deux fois, trois fois, de façon à faire un état lumineux qui est actuellement sur le plateau. Et on va préparer le suivant.

Donc, dans l’état lumineux qui est au plateau, on a le 1 à 100 %, le 3 à 40, le 5 à 60, le 7 à 22 %. La scène suivante, on va avoir toujours le 1, mais qui va lui passer non plus à 100 %, mais à 80. On a le 2, qui n’était pas là présent le coup d’avant, mais qui, lui, va être à 45 %, et ainsi de suite.

Donc bon, il y avait ces appareils qui permettaient d’avoir un état lumineux présent au plateau et puis de préparer l’état lumineux suivant. Alors, on avait une possibilité de préparer un état lumineux, voire deux, voire trois, voire quatre, voire cinq, etc.

 

J’ai connu le début de l’informatisation. Le tout début, c’était les années 80. Donc on était encore partout au système manuel, mais a commencé à se développer l’informatique, qui était balbutiante, qui était très sommaire, on va dire, à l’époque. Et puis c’est vrai qu’on a passé notre temps, quand j’étais jeune, à préparer le 1 à 100 %, le 3 à 45 %, le 5 à 22 %. Il y a des spectacles, mais des scènes, que je n’ai jamais vues.

 

À partir du moment où on est passé à l’informatique, c’était fou, parce que… donc, l’informatique : tous ces états lumineux étaient rentrés en mémoire, et on appelait les mémoires les unes après les autres. Ce qui fait que, nous, on ne regardait plus, on regardait un écran de temps en temps pour vérifier qu’on était au bon endroit, mais on ne passait plus notre temps à monter, à descendre des potentiomètres. On regardait le spectacle. Et ça, ça a considérablement changé l’approche de l’éclairage, parce que du coup, en tant que technicien, on était dans le rythme du spectacle.

 

J’ai des souvenirs assez extraordinaires de travail avec des comédiens. Enfin, sur un spectacle particulièrement, sur un solo. On était deux en technique, et le comédien était tout seul sur scène. Il y avait des choses extrêmement lentes, il y avait des mouvements extrêmement lents qui se passaient, et des états lumineux qui suivaient son déplacement, qui était donc, de fait, extrêmement lent. Et on arrivait à une communication avec le comédien qui était sur scène, qui passait par-dessus le public, qui était… mais complètement jouissif. Mais vraiment, on avait un rapport de travail qui était très, très fort.

 

Je dirais que ce qu’on a vu apparaître, ce qui s’est démocratisé au cours de ces années, c’est la fonction d’éclairagiste. C’est-à-dire qu’au départ, quand j’ai commencé, moi, on était des techniciens. Donc on avait des projecteurs branchés, machin, tout ça. On mettait une gélatine dessus. Ce matériel demandait d’être costaud parce que c’était un appareil qui était lourd, tout ça… puis bon, un côté très technique.

Et puis, petit à petit, il y a eu de plus en plus de matériel mis à disposition. Et puis, il y a eu des gens qui ont commencé à s’y intéresser, mais qui, eux, n’étaient pas de la technique, qui venaient plus de l’art. Et à la limite, un éclairagiste, ce n’est pas forcément quelqu’un qui connaît les projecteurs. Forcément, il connaît les projecteurs parce qu’il sait quel rendu il va pouvoir avoir avec un projecteur, donc il va faire le choix du type de projecteur en fonction de la lumière qu’il veut avoir. Mais ce n’est pas un technicien, au sens : je peux mettre un, deux ou trois projecteurs pour faire ça. Ça, c’est l’affaire du technicien.

 

Et on a commencé à voir arriver des éclairagistes dont certains étaient très compétents artistiquement. Des gens qui ont, de toute façon, pour être éclairagiste, besoin d’une base technique. Mais ça ne demande pas de connaître la consommation électrique de chaque appareil. C’est un autre registre de compétence et de savoir.

Donc voilà. Et ça, je crois que j’ai le sentiment, peut-être pas d’avoir vu ces professions naître, mais en tout cas se développer et, pour reprendre les expressions peut-être un peu plus actuelles, de « ruisseler vers la base », donc vers des compagnies qui ont de modestes moyens.

 

Et en tout cas, ça, oui, c’est sûr. On a connu le même phénomène en son. Alors, les mêmes phénomènes : les phénomènes d’informatisation, qui est arrivée. Parce qu’il y a beaucoup plus de paramètres en son, c’est plus compliqué. Donc l’informatisation s’est faite beaucoup plus tardivement dans le domaine du son. Et puis, d’autre part, une réflexion qui s’est faite sur le son, où on a des créateurs sonores, qui se sont un peu spécialisés dans le domaine du théâtre. Alors c’est souvent des musiciens, mais le son au théâtre dépasse largement la seule musique. On campe des ambiances tout autant par le son que par l’éclairage. Donc ce n’est pas qu’une pratique musicale. Ça peut être une pratique musicale, mais ce n’est pas qu’une pratique.

 

Y : Rapidement, la question dans les métiers de la technique, on sait très bien comme vous l'expliquiez tout à l'heure par le poids du matériel, par beaucoup de phénomènes,essentiellement des hommes gaillards souvent on va choisir. Là, il y a aussi une évolution technologique, le matériel devient de plus en plus léger ou même on met en place des lois sur la sécurité ou des formations, donc ça commence à beaucoup changer, on trouve de plus en plus de femmes. J’ai posé cette question à tous les techniciens et techniciennes que j'ai rencontrés. Le fait de sortir des clichés, des stéréotypes un métier d'homme, un métier de femme un peu cette évolution-là, cette observation-

 

P : Il y a une féminisation de ces professions importante. Tout au long de ma carrière, j’en suis le témoin.

Quand j’ai commencé, fin des années 70, début des années 80, il n’y avait sensiblement pas de femmes dans la technique. Le rôle des femmes, c’était… bon, jouer bien sûr sur scène, c’était à la mise en scène éventuellement, à l’écriture éventuellement. Et puis, après, dans les théâtres fixes, c’était autour de l’administratif, éventuellement la direction. C’est arrivé un peu tard, mais c’est arrivé aussi.

 

Ce qu’il y a de sûr, c’est que, d’un strict point de vue technique, quand moi j’ai commencé,hormis l’aspect matériel qui faisait qu’on devait avoir des gros muscles, et des fois d’avoir une belle tête (rires), il n’y avait pas de formation dans le domaine technique, ou très, très peu.

Moi j’ai commencé dans les milieux techniques, mais mon Dieu… il y avait la Rue Blanche à l’époque, qui deviendra l’ENSATT après, il y avait Strasbourg. Point. Terminé. C’est tout ce qu’il y avait comme formation.

 

Donc autant dire que, le boom des années 80… il n’y avait pas de personnel formé en technique. Et donc, c’est des milieux qui fonctionnaient par cooptation, et on apprenait sur le terrain, ce qui est mon cas. Moi je suis passé par la mécanique automobile, donc autant dire que ne t’es pas forcément destiné à donner dans le spectacle. Hormis ma pratique, hormis ma pratique… non, non, ma pratique en tant qu’adolescent autour du spectacle.

 

Mais professionnellement, mon cursus de formation faisait que je n’étais pas destiné à ça. Mais de toute façon, personne n’était destiné à ça, ou très, très peu.

Et donc ça fonctionnait par cooptation. Et pour la bande d’hommes qui travaillaient dans ces milieux-là, dont un certain nombre venait du bâtiment, de l’électricité du bâtiment, etc., les femmes n’existaient pas… enfin, pas pour ça en tout cas. On ne cooptait pas une femme, ou alors exceptionnellement. Non.

 

Et je pense qu’à partir du moment où ce boom des années 80 a été en place, et s’est pérennisé, où donc il y a eu besoin de main-d’œuvre, il y a eu aussi… se sont mises en place des formations. Qui dit formations, dit que les femmes se sont insérées là-dedans.

Et qu’à partir de là, quand les gens ont recruté, il y a peut-être eu une petite préférence pour sélectionner des hommes dans ces métiers d’hommes… mais bon, il y a aussi des femmes. Et puis il s’est avéré qu’elles étaient extrêmement compétentes. Et qu’effectivement, quand il y avait un truc lourd à grimper, eh bien… elles demandaient un coup de main, quoi. Et puis on y allait.

Donc finalement, ce n’est pas des professions qui ont été impossibles.

 

Alors, il y a quand même encore, je pense, une majorité d’hommes dans ces secteurs-là… mais pas que. Mais pas que. Il y a beaucoup de femmes maintenant qui y arrivent.

Et d’autre part, c’est vrai, donc, c’est des lieux où on travaille en équipe. Et c’est vrai que le fait d’avoir des femmes dans une équipe, ça change complètement les rapports. Et que, à tout prendre, ce n’est quand même pas désagréable d’avoir des rapports un peu plus larges, un peu plus ouverts, que de discuter du dernier match de foot, ou je ne sais pas quoi… enfin bon voilà.

Et du coup, effectivement, oui, j’ai assisté à l’arrivée des femmes dans ces secteurs-làd'activité.

 

Y :  Après avoir fait un petit tour de ça, ça questionne quand même les métiers la technique etla pénibilité du travail parce que ça engage quand même le corps. Puis la question de sécurité aussi, en tout cas pour le montage, puis faut être là avant tout le monde en général, avant toute l'équipe et puis faut être le dernier à partir aussi. Donc c'est quand même des horaires assez intenses. Donc en tout cas, si pénibilité du travail, peut-être pas ce mot-là, qu'est-ce que ça ou quelle est la partie pénible de ce travail ? Et qu'est-ce qu'il reste dans votre mémoire corporelle de votre travail aujourd'hui et

 

P: Des douleurs partout ! (rires)

Alors, la pénibilité est une chose toute relative. C’est-à-dire que, dans mes multiples activités, les multiples métiers que j’ai pu faire, je me suis retrouvé à bosser dans les transports, et notamment à faire de la livraison d’aliments pour bétail.

Quand j’ai commencé, c’était livré soit en vrac pour les paysans qui étaient équipés avec des silos, soit c’était en sac. J’étais jeune à l’époque, donc je me tapais beaucoup les sacs. Et les sacs pesaient 50 kg. Aujourd’hui, c’est plutôt des sacs de 20 kg, 25 kg, et puis on évite au maximum de livrer en sac. Voilà.

Donc aujourd’hui, quelqu’un qui a un plein camion de sacs, même s’ils pèsent 20 kg, ça va être quelque chose de pénible. Nous, on avait des sacs de 50, et on trouvait ça pénible, mais on imaginait bien qu’un sac de 30 kg était beaucoup moins lourd. Mais bon...

 

Donc la pénibilité, je pense que c’est quelque chose de totalement relatif.

Après, par rapport donc à la pénibilité dans le spectacle : c’est vrai qu’on avait des projecteurs qui étaient beaucoup plus lourds que ceux d’aujourd’hui. Donc il y avait un engagement physique sans doute plus important. On avait aussi moins de treuils, moins de ponts, moins de choses de ce type-là.

Il y avait une chose qui se faisait beaucoup à l’époque, et qui se fait de moins en moins : c’est le principe des perches. Donc on descend un tube monté sur des élingues, et accroché à ce tube, il y a un panier.

Pendant que le tube est en bas, le panier est en haut. Et on va mettre un projecteur de 10 kg sur la perche. À l’opposé, dans le panier qui est en haut, on met un poids équivalent. Donc si on a 20 projecteurs de 10 kg, ça fait 200 kg, et on met 200 kg de poids dans le panier. Ça crée un équilibre, et la manœuvre de la perche n’est pas pénible.

Par contre, ce qui est pénible, c’est de charger les 20 projecteurs d’un côté, et 20 poids de 10 kg de l’autre. Donc beaucoup de manutention.

Aujourd’hui, avec les moteurs électriques, ça a disparu. On a une pénibilité qui s’est effacée.

 

En son, les enceintes ne sont pas forcément devenues plus légères. Mais là aussi, on a des moteurs, des systèmes d’élingage qui se sont développés, et qui évitent les manipulations physiques importantes.

Après, il y a d’autres choses pénibles dans ces métiers : le travail en hauteur. Et ça, il reste le même. Donc ça demande une condition physique évidente, pas de peur du vide, pas de vertige. La vue aussi, effectivement.

Sur un plateau, il y a un risque incessant, surtout en période de répétition, de se retrouver brutalement dans le noir. Donc ça demande de ne pas être effrayé par le noir, mais bon, dans ces métiers-là, on n’est pas effrayé par le noir.

Mais il faut développer des réflexes de perception de l’espace. On ne peut pas se déplacer dans le noir sans précaution. Il faut avoir une lampe sur soi en permanence. Et être attentif, parce que parfois on ne peut pas allumer la lampe, donc il faut s’arrêter. Ça demande d’être extrêmement attentif à l’environnement

Environnement sonore aussi. En théâtre, on peut avoir un coup de tonnerre qui démonte les oreilles. Il faut faire attention à ça. Dans le domaine de la musique, c’est terrible, parce que c’est des heures et des heures d’exposition. Ce n’est pas nécessairement très fort, mais on est exposé toute une journée à des répétitions.

 

Une autre chose pénible dans ces métiers, c’est les amplitudes horaires. On y est de plus en plus attentifs, c’est-à-dire qu’on demande de moins en moins aux gens de faire 12 ou 15 heures d’affilée. Mais il y a des semaines où, trois jours, on travaille matin et après-midi, puis les deux jours suivants, on travaille après-midi et soir.

Ces incessants changements de rythme finissent par devenir très, très pénibles. Et avec l’âge, c’est quelque chose qu’on récupère de moins en moins facilement.

 

Donc voilà. C’est sûr que cet aspect de pénibilité est bien encore existant.

 

: Je rajoute une dernière question, puis je vous laisse vraiment tranquille. Est-ce que vous pourriez me parler de la singularité, selon vous, des espaces comme le Théâtre de Poche, le 145 ? Et qu'est-ce que vous avez pensé du fait qu'ils aient rassemblé ces deux salles de spectacle avec le Grand Théâtre, sous la dénomination de Théâtre Municipal de Grenoble,TMG ?

 

P : Alors le regroupement de ces structures n’est pas une mauvaise chose. Et techniquement, ne pose pas de problème. Parce qu'effectivement, chaque salle a des particularités et conserve cette particularité.

Donc il n'y a pas de... Ce qu'on fait dans une salle n'est pas faisable dans une autre salle. Alors c'est un peu faux de dire ça, parce que pour avoir fait de la tournée avec des spectacles, je sais que le spectacle qu'on a joué dans une salle, on va faire en sorte qu'il puisse être joué dans une autre salle.

Même s'il n'y a pas du tout les mêmes conditions de surface, de hauteur sous plafond, de hauteur sous grille, etc. Et ça, c'est tout l'art du technicien de tourner. C'est de pouvoir réadapter en permanence.

Tel projecteur qui se trouvait là hier ne sera plus du tout au même endroit aujourd'hui, parce que ce n’est pas possible de le mettre au même endroit. Mais on va arriver à quelque chose qui finalement fonctionne, est à peu près équivalent. En tout cas, l'idée est la même.

Et la perception du public fonctionnera de la même manière, la compréhension sera la même. Et puis il y a des fois où le projecteur qui était là hier, il n'y en a vraiment pas moyen, donc il n’y sera pas.

Donc ça, on voit avec les comédiens et on leur dit attention parce que là, sur cette scène-là, l'enceinte ne peut pas être mise là, donc le son ne viendra pas de cet endroit-là. Le projecteur, il n'y en a plus des projecteurs, donc il n'y aura pas ce projecteur-là. Ou alors il n'y a pas la place pour le mettre.

Et ça, c'est un des côtés passionnants de la régie de tournée. Cette souplesse qu'il faut avoir sans arrêt pour réadapter le spectacle dans un autre lieu qui n'a pas la même acoustique, qui n'a pas la même surface, qui n'a pas la même hauteur qu'il n'y a pas avant. Et puis j'ai perdu le fil.

 

Y : C'était le regroupement et qu'est-ce que vous pensez ?

 

: Et alors le regroupement, quand j'ai fini, on était encore sur un directeur technique, deux régisseurs généraux, un pour le Grand Théâtre, un pour le Théâtre de Poche et le 145, et des équipes qui avaient plus l'habitude de bosser sur un lieu ou sur l'autre. À partir du moment où je suis parti, mon poste a été perdu. Donc il n'y a plus qu'un régisseur général.

Et du coup, il y a eu une réorganisation complète du fonctionnement de l'équipe. Pour les équipes, ça demande plus de polyvalence, ça demande plus de souplesse. Mais les équipes sont jeunes et visiblement, elles s'en sortent bien.

J’ai connu les anciennes équipes du Théâtre Municipal pour lesquelles plus personne n'est là maintenant, mais qui n'avaient pas cette souplesse-là. Ils avaient fait toute leur carrière au Théâtre Municipal, ils avaient appris le métier au Théâtre Municipal, ils avaient fait toute leur carrière au Théâtre Municipal, ils ne pouvaient pas aller ailleurs. Ils étaient perdus, mais perdus.

 

Y : Vous auriez une anecdote sur ça, c'est intéressant, ce côté où il y a deux secondes où vous dites que c'est ça qui est génial avec un spectacle, c'est qu'il doit s'adapter d'espace en espace dans une tournée, mais qu'en même temps, certains travailleurs, s'ils ont fait toute leur expérience ou leurs armes dans un, ils ne peuvent plus, enfin apparemment, c'est ce que j'entends.

 

P : Ils n'ont pas la souplesse pour se déplacer d'un lieu à l'autre. Oui, oui, absolument. C'est subtil, c'est sur des manières de...

Par exemple, le pendrillonage, c'est tout un art. Donc le pendrillonage qui consiste à poser des rideaux, soit en plan successif, soit en mur, soit... Et donc, chaque salle, le rapport du public à la scène fait qu'on a une manière de pendrilloner tout à fait spécifique à la salle.

Et du coup, c'est vrai que je me suis retrouvé en butte avec des équipes du Théâtre Municipal qui ne savaient plus comment faire par rapport à cette salle-là, comment il fallait disposer les pendrillons. Alors, ils ne savaient plus faire, n'exagérons pas, ils savaient quand même faire, mais ça leur prenait un temps de réflexion et de reprendre toute la mesure de l'espace, qui était très long, et du coup perte de temps. Alors que dans leur salle, qui avait été leur salle du quotidien jusqu'alors, ils finissaient par ne plus réfléchir, ils avaient un automatisme, et d'autre part, en tant qu'équipe, il y avait une répartition du travail qui était devenue complètement naturelle, sur laquelle il n'y avait plus besoin de discuter.

Là, il fallait réenvisager la manière de travailler, à la fois par rapport à l'espace lui-même, mais aussi par rapport à la répartition du travail entre chaque individu présent sur le plateau.

 

Y : Même si vous n'avez pas travaillé au Grand Théâtre, qu'est-ce que le Grand Théâtre vous inspire ?

 

P : C'est une vraie vieillerie adorable. Quand je parle de vieillerie, c'est un pan entier de l'histoire du théâtre qu'on voit dans ce lieu-là. Les salles d'aujourd'hui ne sont plus du tout construites comme ça, et il ne commence plus à y avoir beaucoup de salles encore en fonctionnement, qui aient les traces, parce que les techniques ont évolué, ce qui fait qu'effectivement, les équipements techniques ne sont plus du tout les mêmes aujourd'hui.

Le Théâtre Municipal est complètement obsolète. Donc à la fois, c'est un vrai plaisir de voir ça, et en même temps, pour y travailler au quotidien, c'est un peu compliqué. J'en étais témoin, pas dans mon corps, pas dans mes mains, mais parce que j'ai vu mes collègues bosser, comme j'ai aussi fait de la tournée, et puis les compagnies accueillies le ressentent aussi, et notamment ce plateau en pente.

Aujourd'hui, les plateaux ne sont plus jamais en pente, et ça pose quelquefois des sacrés problèmes avec les spectacles et les décors actuels. Il suffit qu'il y ait un décor à roulettes, hop, il glisse dans la pente, et on retrouve tout en salle, là-bas, sur le public. Donc ils ont des contre-pentes, mais alors quand ils mettent la contre-pente, il fait que le plateau est grand, c'est-à-dire qu'il y a une marge de 50 cm de plus à la face, donc ça veut dire que le public ne voit plus.

 

Y : Le 145, pour vous ?

 

P : Le 145, la salle noire, typiquement, ce n'est pas des théâtres, ce sont des locaux qui ont été conçus pour d'autres activités. À un moment donné, on a eu l'opportunité d'hériter de ces locaux-là, on les a adaptés pour pouvoir faire du théâtre, mais ce ne sont pas des théâtres. Ce sont de grands espaces dans lesquels on peut arriver à présenter des spectacles.

Mais souvent, ça manque de hauteur, ça manque d'ouverture, ce n’est pas assez grand, ou alors ce n’est pas isolé par rapport au bruit extérieur, ou alors il fait froid, ou alors il fait chaud l'été. Ce ne sont pas des spectacles, mais après on arrive à faire des spectacles là-dedans.

 

: La même chose pour le Poche ?

 

P : Oui, le Poche qui, étrangement, a été conçu comme un théâtre, mais ce n'est pas un théâtre, c'est pareil, c'est un hangar. C'est un hangar avec un jardin qui a été posé en face d'une scène. Pour en revenir à ce que je disais par rapport à la salle noire, où on avait conçu un espace qu'on pouvait retourner dans tous les sens, le Théâtre de Poche, c'est vrai aussi pour le théâtre 145, c'est une scène avec en face un gradin, et le rapport est figé.

Après, dans des espaces comme le Théâtre de Poche, on a du mal à les retourner. Le Théâtre 145 est assez grand pour qu'on puisse un peu modifier le rapport du spectateur à l'espace. Et puis il y a toujours les spectacles avec toute petite jauge, qui fait qu'on peut mettre le public sur la scène.

Mais ça veut dire qu'on a des jauges de 40, 60, 80 places, pas plus. Et comme disaient les gens de la billetterie « et le chiffre d'affaires alors ! » Je sais bien qu'on a l'habitude de ne pas considérer les recettes qu'on fait comme faisant partie du budget.

 

Y : Vous avez une dernière chose à ajouter ?

 

: Eh bien, juste dire que, moi, c'est un secteur d'activité qui m'a énormément plu. Même si,ça n'a pas toujours été facile, mais j'ai beaucoup aimé faire ce que j'ai fait dans ce secteur d'activité. J'ai eu un vrai bonheur quand même, dans mon itinéraire, qui était de faire beaucoup de créations.

Beaucoup de créations à travers des compagnies avec lesquelles j'avais travaillé. Et puis après, beaucoup de créations dans les structures où j'ai travaillé. Alors, la création n'était pas la mienne.

Autant que les compagnies avec qui j'ai bossé, les créations qu'on pouvait faire, j'étais partie prenante de la création. Quand j'étais dans des structures, dans des salles qui accueillaient des créations, ce n’est pas moi qui créais. Mais moi, j'étais à côté de la création.

Suivant les équipes, il y avait des rapports qui faisaient qu'on pouvait apporter des choses à la création. Il y a des équipes qui se débrouillaient très, très bien sans nous, donc on ne se risquait pas à faire quelques propositions que ce soit. Mais ceci dit, on était là à côté et on voyait comment les choses se mettaient en place et se faisaient.

Avec leur côté positif, avec leur côté négatif aussi. Parmi les gags de la profession, il y en a un certain nombre dont notamment « Combien de personnes faut-il pour changer une ampoule ?» Et la réponse, c'est 10.

C'est 1 en haut de l'échelle pour changer une ampoule, et 9 en bas pour dire « Ah, moi je n'aurais pas fait comme ça ». La suite, c'est « Combien faut-il de directeurs techniques pour changer une ampoule ? » La réponse, c'est « Pourquoi c'est toujours sur moi que ça retombe ? »

Effectivement, il y a autant d'avis que de gens qui sont présents sur le plateau. Dans une création, ce n'est pas toujours facile à gérer. Toute mon activité professionnelle a tourné autour de ça.

 

Donc à un moment donné, c'était bien. J'ai souvenir d'avoir accueilli, d'avoir coopté un jeune homme qui, de par sa formation, s'est retrouvé menuisier. Bon, il voulait se mettre un peu dans les métiers du spectacle, s'intéressait à l'atelier de menuiserie, c'est pour quelque chose dans lequel il s'était bien éclaté. Il avait un peu bossé. Donc il était venu me trouver, on en avait discuté. Il dit « bon, écoute, ok, je t'embauche. » C'était à l'essai, c'était intermittent, donc s'il ne faisait pas l'affaire, je ne l'embauchais pas, ce n'était pas un problème. Et puis bon, ça a collé, ça a fonctionné. Et donc à un moment donné, une compagnie de danse qui arrive, la metteuse en scène, la chorégraphe vient me voir et me dit « bon, voilà, j'ai un problème pour la première scène, je ne sais pas comment faire. Donc je t'explique, puis tu me donnes un avis. » Donc première scène, le public rentre, le public est installé, noir, sale, le plateau s'éclaire, le plateau est vide, il y a, au lointain, côté cour, il y a une table, une chaise, vide. Au bout d'un moment, la chaise s'écroule, noire, la lumière revient, il n'y a plus ni la table, ni la chaise, il y a une danseuse qui est au fond du plateau qui commence à avancer, et le spectacle démarre, avec des humains qui sont présents sur le plateau.

 

Là-dessus, j'appelle la personne que je venais d'embaucher, sachant qu'il était menuisier, en disant « bon, voilà, il y a une demande, là, d'une chaise qui va se casser, s'écrouler, est-ce que tu peux prendre ça en charge ? » On lui explique tous les tenants et les aboutissants, et je vois ses yeux qui s'éclairent, qui s'allument, parce qu'effectivement, toute sa vie de menuisier, qui était courte, mais quand même, toute sa vie de menuisier, on lui demandait de réparer les chaises, et là, on lui demandait de casser une chaise. Et pour lui, c'était extraordinaire, parce qu'il n'avait jamais imaginé qu'on puisse, sur demande, casser une chaise.

Et sachant que, bon, il faut que la chaise se casse, mais il faut qu'on la remonte pour reprendre la répétition derrière, donc on ne va pas...

 

Y : On est dans le système, quoi.

 

P : Voilà.

Et là-dessus, je dis à la chorégraphe, tu peux nous ramener une chaise. Le lendemain matin, elle ramène une chaise. En fin de matinée, la chaise était complètement désossée, et en fin d'après-midi, il nous proposait un système pour que ça marche, pour qu'avec un petit bout de fil, on tire sur le fil, et pouf, la chaise s'écroule.

Ça fonctionnait merveilleux. C'était un peu délicat à remonter. Enfin, on a un plan avec des tendeurs de vélo, pendant qu'on était en train de le monter, que ça se tienne, et une fois qu'on avait fini de monter, on a enlevé les tendeurs de vélo, et ça tenait.

 

Voilà. Effectivement... Ce n’est pas tous les jours qu'on nous demande ça dans la vie ordinaire.

 

Y : Le côté ludique.

 

P : Le côté ludique, oui, absolument. Sur un spectacle, le metteur en scène, c'était un garçon, le metteur en scène qui me dit « bon, je voudrais qu'on fasse tomber une enclume. » Oui. Oui, tomber une enclume, oui. Et puis on en discute, on voit un peu tout ça.

Bon, hors de question qu'on fasse tomber une enclume sur le plancher. Donc on a fait un faux plancher. Donc au passage, on a mis du carrelage dessus, et puis l'enclume tombait, et il y avait quatre carreaux qui étaient cassés, et tous les soirs, on changeait les carreaux, on avait un stock de carreaux neufs.

Et puis voilà. Et franchement, ce n’est pas des demandes courantes. Et nous, on est payés pour faire tomber des enclumes, que les choses se cassent sous les yeux du public.

 

Donc c'était des vrais bonheurs, on a eu des demandes comme ça. Et d'être confronté à la création, que ce soit sa propre création ou la création des gens qu'on accompagne, effectivement, ça oblige... Dans une salle qui fait de la diffusion de spectacles, la réponse, ça va être de dire, face à des demandes comme ça, « non, non, ce n’est pas possible ! »

Quand on bosse en création, on ne peut pas répondre ça, on ne peut pas dire ça. Bon, oui, effectivement. « Qu'est-ce que tu veux dire avec ça ? Comment tu vois la chose ? Bon, on va voir comment on peut faire. » Et puis on fait évoluer la demande de façon à ce que ça soit possible.

Et puis on arrive à trouver des compromis et puis à faire quelque chose qui satisfasse à la fois la sécurité, la réalité économique. Je disais toujours aux compagnies, il y a trois étapes dans la création.

 

Il y a l'instant de délire, donc on va se mettre autour de la table ou sur le plateau et on va lancer les choses les plus extravagantes qu'on puisse avoir dans la tête.

 

Il y a la deuxième étape, c'est l'étape technique, comment on fait.

 

Il y a la troisième étape qui est qu'est-ce qu'on choisit, qu'est-ce qui est possible, qu'est-ce qui est possible techniquement, est-ce qu'on a les compétences pour le faire, qu'est-ce qui est possible économiquement. Parce que oui, bien sûr, c'est possible, mais si tu n'as pas les moyens de changer quatre carreaux par soir, soir après soir, quand tu fais tomber une enclume, c'est plus simple de ne pas faire tomber une enclume.

Et donc c'est l'instant du choix. Donc voilà, j'ai vécu des belles heures dans ce métier.

 

Y : Merci beaucoup.

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Yasmine Benaddi, “Entretien avec Patrick Jaberg,” Archives plurielles de la Scène, consulté le 4 septembre 2025, http://archives-plurielles.elan-numerique.fr/items/show/1499.