Entretien avec Justine Pitarch
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[…]
J : Ouais, c'est justement le projet qui a été fait avec l'atelier décor aussi. C'était pour le spectacle Une chenille dans le cœur où le personnage principal est enchevêtré dans un corset de bois. Et c'est toute l'histoire en fait.
Elle a un corset de bois qui commence à craquer un peu partout et il faut qu'elle change de corset pour qu'elle continue à vivre parce qu’elle ne peut pas vivre sans son corset de bois parce qu'elle n'a pas de colonne vertébrale. Et en fait, elle rencontre un bûcheron qui a le dernier arbre sur terre. Et donc toute l'histoire se déroule autour de ce qu'il faut sur les positions du bûcheron qui ne veut pas abattre le dernier arbre de la terre.
Et la petite fille, elle a besoin de vivre et donc elle a besoin de ce nouveau corset pour survivre. Et donc la question se posait de comment on fait ce corset de bois avec un tissu, c'est un peu compliqué. Et on est parti sur des matériaux, ça s'appelle de la mousse Evazote.
C'est de la mousse qui se travaille à la chaleur, au ponçage, du coup on peut après la peindre. Et donc avec la metteuse en scène, on s'est posé la question de qu'est-ce qu'un chêne ? Et à force de regarder des photos, elle a pris des photos de plusieurs chênes.
En fait, l'écorce, elle est composée de plein de petits bouts. Et donc, on est venu coller sur une plaque de mousse, plein de tout petits bouts d'écorce, en laissant apparaître la mousse en dessous pour montrer qu'en fait il est vieillissant ce corset de bois. Donc voilà, c'était un travail déjà de mousse, en ponçant, en passant avec le décapeur thermique, en faisant des trous, en faisant de la peinture aussi, puis en travaillant des petits morceaux de copeaux de bois pour faire l'effet mousse.
Donc il y avait beaucoup d'essais à faire avec la metteuse en scène au niveau de la peinture, pour pouvoir faire quelque chose d'à peu près, vraiment trompe-l'œil. L'idée c'était vraiment de trompe-l'œil, ce n’était pas... il ne faut pas imaginer que c'est un corset de bois, c'est un corset de bois !
Et il faut que ce soit aussi confortable pour la comédienne, parce qu'un corset de bois, on ne peut pas prendre des écorces, ça s'effrite, il faut que ce soit tenu dans le temps, il faut que ce soit lavable, donc c'est pour ça qu'en dessous, il y a un corset en tissu, comme ça, elle peut enlever les plaques d'écorces, pour pouvoir laver le corset. Et donc, ça c'est le corset principal, c'est le fameux corset qu'elle garde à peu près tout le temps, c'est celui qui commence à bien bien, bien s'abîmer, tous les trous, qui se craquellent de partout. Et en fait, le deuxième corset a été fait avec le scénographe, qui lui a fait l'arbre qui est sur scène.
Donc il fallait qu'on comprenne que le corset provient de cet arbre, on a utilisé la même matière qu'il y a sur l'arbre, et les mêmes feuilles. Moi, j'ai d'abord fait la base en mousse, pareil, ça a eu l'effet d'une forme un peu plus féminine, parce qu'il y a toute cette thématique de grandir, de passage, enfance, adolescence. C’est pour ça que la forme est complètement différente. Et du coup...
Y : Il y a juste la taille qui est un peu plus creusée.
J : Oui, complètement même. Là il y a les seins, il y a un peu de poitrines. Il épouse vraiment sa forme, quoi, de jeune ado.
Et donc du coup, une fois que la base était faite, et c'est sur la comédienne, je suis allée quelques jours aux ateliers décors pour peindre en même temps que lui, il travaillait sur l'arbre. C'est-à-dire qu'il me donnait les matières qu'il utilisait pour l'arbre, et il me les donnait après. Et donc ça c'était sympa de travailler avec tout le monde.
Il est très dur, mais il est léger. Il est rigide, oui. Il faut qu'il tienne, quoi.
Là on voit bien la matière de base, c'est cette mousse-là. Voilà pour les fameux corsets de bois, ça a été travaillé sur le corps de la comédienne. C'est pour ça que c'était fort bon.
Comme quoi, en fait, on peut travailler d'autres matériaux. En fait, là, on a travaillé le corset textile, comme on peut le travailler, comme on le fait sur plusieurs projets. Et puis là, par-dessus, on est venu travailler la mousse.
Donc un matériau beaucoup plus rigide et complètement différent.
Y : Ok, vu que là on est dans la partie stockage de costumes, qu'est-ce que ça vous inspire d'être dans un espace pareil ? Ce n’est pas tout le monde.
Pour une couturière, ça paraît cohérent. Mais voilà, ce n’est pas la quotidienneté de tous les métiers.
Et donc du coup, voilà, qu'est-ce que ça inspire ?
J : Moi, je me souviens la première fois que je suis arrivée à ce lieu parce que j'ai fait mes stages, en fait, ici, des formations.
Y : Avant, peut-être.
Combien de temps ici et combien de temps avant d'avoir d'expérience ? Qu'est-ce que j'ai fait avant ? Peut-être l'âge aussi, ça ne vous dérange pas ?
Non. Si vous voulez, on peut se tutoyer si vous préférez. C'est comme vous voulez.
J : C'est surtout pour vous, toi.
Y : En fait, je n'impose pas. Il y en a, ils préfèrent le vouvoiement comme Yolande.
J : Oui, c'est comme, moi, je la vouvoie.
Donc forcément, c'est le premier truc que je fais. Mais c'est vrai que c'est dans le spectacle, vivant, le tutoiement, il arrive très vite.
Y : Oui, c'est vrai.
J : On recrute les gens et c'est toujours « tu ». C'est vraiment le seul milieu où j'ai vu ça. J'ai fait d'autres jobs où c'était tout le temps vous.
De mon expérience, de petite expérience, parce que j'ai 27 ans. 28 ans. Et du coup, moi, j'ai fait un diplôme des métiers d'art, costumier réalisateur à Toulouse, donc en 2 ans.
Ce qui est aujourd'hui le DNMAD, costumier aussi, mais qui se fait en licence, donc 3 ans.
Y : Tu peux me l’épeler ?
J : DNMAD, je ne sais plus. Diplôme national des métiers d'art.
Y : Ok. J'irai chercher, mais au moins me donner une première lettre.
J : DNMAD. Et donc moi, j'ai fait un DMA, diplôme des métiers d'art, qui est en 2 ans. Donc j'ai fait 2 stages ici, à Grenoble.
Mon tout premier stage de formation ici, pour découvrir un petit peu. Donc 1ère année et la 2ème année, j'ai fait carrément mon exercice de diplôme, en fait, ici. Donc la création d'un costume en entier pour un spectacle.
Et là, en plus, j'ai pu travailler sur les maquettes. C'était vraiment quelque chose de très complet.
Et ce qui m'a permis de vraiment voir le métier et comment on le faisait ici. Parce que selon les lieux, selon les personnes, selon si c'est soit intermittent, soit dans un atelier, le métier peut changer un petit peu. La base est la même, mais le rapport au costume est un peu différent.
Donc voilà. Et après, j'ai fait quelques mois au Club Med.
Y : Cool.
J : En tant que costumière. Non, pas si cool que ça, mais bon.
Y : Ça existe costumier au Club Med.
J : Ouais, il y a des théâtres à l'intérieur des hôtels, des resorts, on les appelle. Et du coup, il y a un pôle animation. Et dans le pôle animation, il y a la costumière qui s'occupe de tous les costumes.
Il y a plein d'autres choses, en fait. Donc ça m'a fait une petite expérience complètement différente d'ici. Parce que là, j'étais plus habilleuse.
Du coup, je m'occupais des costumes. Je les lavais, je les entretenais, je les réparais. J'ai monté aussi quelques spectacles avec un chorégraphe qui est aussi interne du Club Med.
Et voilà. Donc c'était plus de l'habillage que du costume, même si on en avait un petit peu. Donc bon, il y a eu le Covid. Donc, bye bye le Club Med.
Et puis, il y a eu une ouverture de poste ici. Et j'ai postulé. Et voilà, me voilà ici. Et donc, ça fait 4 ans.
Y : Alors là, t'es en contrat fonctionnaire ?
J : Ouais, je suis fonctionnaire.
Y : Il faillait passer le concours ou pas ?
J : Non, parce que je suis catégorie C. Je suis passée par la petite catégorie C. Il fallait juste un diplôme lié au costume.
Voilà.
Y : Et là, on en arrive à la première fois que tu es arrivée.
J : Et pendant le premier stage, je me disais, c'est trop bien. Il y a plein de costumes de partout. Forcément, c'est comme quand on reçoit les élèves du conservatoire. Ils sont foufous.Ils sont trop contents. Ils foulent partout. Et c'est vrai que...
Surtout la salle du fond qui est très historique. Enfin, je mets des gros guillemets. Mais bon, il y a des paillettes.
Il y a des belles robes. Des grosses robes et tout. Et c'est vrai que ça donne envie.
Y : Quand tu dis entre guillemets historique…
J : parce que... C'est inspiration historique. Ce n’est pas historique parce que ce n’est pas les méthodes. En fait, c'est des méthodes à appliquer au spectacle. Et pas comme ils l'ont fait à l'époque. Et puis, je pense que la véracité n'est pas tout à fait là. Oui, c'est inspiration.
C'est un peu l'imaginaire collectif qui fait que ça fonctionne. Mais non, ce n’était peut-être pas forcément les bonnes époques.
Y : Oui, l'histoire du costume contredit. Donc, tu disais qu'au début, quand tu vois les gens la première fois qu'ils viennent.
Mais maintenant, avec le temps, après 4 ans. Ça représente quoi ?
Ça change avec le temps.
J : Moi, je trouve ça un peu triste. Que ce soit mis un peu de côté comme ça.
Moi, j'aimerais bien que ça vive un peu plus parce que c'est vrai qu'il y a des belles pièces. Et puis, j'ai l'impression que c'est un peu mis de côté. Ça prend la poussière. C'est un peu plus tristoune, en fait. On ne voit pas tellement sortir les costumes. Même si, bon, il y a des prêts réguliers.
Y : À vue d'œil, tu dirais qu'il y en a combien ?
J : Qui partent ?
Y : Non, non. Combien de pièces ? On parle de milliers de pièces ?
J : Non, je ne sais pas. Pour le coup...
Y : Centaines, c'est sûr.
J : Ah oui, oui. Plus de mille. Plus de mille, oui, je pense. Plus de mille pièces. Ce sera plutôt Yolande qui saurait dire. Oui, oui. Il y en a beaucoup et puis on a plein d'accessoires.
On a plein de petites cravates, plein de chemises aussi différentes, plein de tailles différentes. C'est dommage d'avoir ce stock et de pas trop en faire quelque chose. Pour l'instant, en tout cas.
Pour l'instant. Après, moi, j'aime toujours venir voir un peu comment les choses sont faites parce qu'en fait, il y a des costumes qui sont un peu abîmés et du coup, on peut voir à l'intérieur comment ça a été réalisé. Et on voit, on voit vraiment les différentes époques.
Comment ils faisaient les choses même en quelques années. Comment on montait un tailleur dans les années 80 et comment on le monte aujourd'hui. C'est complètement différent.
C'est ça qui est intéressant. On peut dépieuter et analyser en fait. Mais...
C'est moins magique parce que c'est mon quotidien. La première fois, c'est toujours c'est trop bien, il y a plein de trucs qu'on fout partout et puis à force, en fait, on s'habitue.
Y : OK. Et d'être aussi avec quelqu'un qui a plus d'une vingtaine d'années d'expérience dans le milieu, mais surtout par rapport ici. Comment se passe l'apprentissage ? Comment tu le vis ? Comment ça se passe ?
Sans évidemment chercher à dire des trucs. Non, dans le sens tu apprends et ça reste... En fait, la couture, c'est quand même un métier technique. On se transmet beaucoup de choses parce qu'il faut avoir les matériaux, il faut avoir l'espace, il faut avoir les machines. Et puis, il y a aussi l'expérience. Et puis, pour un projet, tu ne vas pas t'amuser à te tromper quinze mille fois et demander un conseil si tu ne sais pas.
Donc, du coup, d'avoir quelqu'un à côté qui a une expérience plus riche comme ça, comme Yolande... Oui, en jeune, parce que tu es jeune couturière quelque part.
J : Oui, ça permet toujours d’avoir un avis, en couture, on peut faire de plusieurs façons.
Il n'y a pas une façon plus appropriée que l'autre. C'est juste en discutant « est-ce que cette technique, elle paraît bien ? » « Oui, non, pourquoi ? »
Si on fait ça, ça, ça va aller, mais ça, ça ne va pas le faire. Voilà, donc, il y a la question de transmission. Et puis, forcément, elle en a vu plus de spectacles que moi, elle s'est trompée forcément. Donc, du coup, elle a l'expérience de dire « sur ça, ça fonctionne, sur ça, ça ne fonctionne pas. »
Là où moi, comme j'ai vu moins de costumes, je vais peut-être forcément me tromper. Maisavec elle, elle va me dire « il faut faire comme ça ». Et je vais suivre ses recommandations parce qu'elle a cette expérience et cette expertise que je vais acquérir mais que je n'ai pas encore. Et donc, oui, il y a de l'échange en tout cas en termes de technique. Elle, elle est vraiment tailleur.
Donc, moi, quand j'ai fait en plus mon diplôme, quand j'ai fait mon examen final avec elle, c'était sur un tailleur. Et donc, elle m'a vraiment appris, elle m'a vraiment appris comment le monter. Voilà, pour le costume, à un instant T avec les matériaux qui nous étaient donnés. Et donc, ça, c'était très chouette.
Donc, il y avait vraiment beaucoup de transmission et moi, du coup, je suis venue avec mes connaissances qui sont autres. Du coup, le travail des matériaux bizarres, comme elle dit, c'est que moi, j'aime bien toucher à autre chose que le textile. Du coup, chez moi, à côté, je travaille plein de choses, je fais des prothèses, je travaille la mousse, je fais des armures, des choses comme ça.
Donc, en fait, de par mes petites expériences, voilà, en fait, on se complète. Et puis, je viens juste de sortir de l'école, donc, j'ai des techniques encore de l'école, très rigoureuses. Et donc, elle me dit de simplifier des choses ou au contraire, de les améliorer, etc.
Y : Ça demande une écoute du matériau, la couture. Tu pourrais trouver, mettre tes mots sur ce genre de phrase ? Tu vois, je veux dire, sur cette expérience, d'écouter le matériau ?
J : Ben, après, ça dépend de...
Y : Tu vois, comment tu écoutes, ou comment t'as appris ? J’essaie des questions sensibles,
Dans le travail technique, il y a du sensible, en fait.
J : C'est très... Enfin, c'est lié vraiment au toucher, quoi. Et puis, comment la matière, elle se forme dans les doigts. Parce qu’il y a des matières élastiques qui vont vraiment se détendre. Il y a des matières beaucoup plus dures, je pense, qui vont vraiment pas du tout s'étendre.
Et en plus, il faut y aller, il faut forcer. Selon le matériau qu'on a, en fait, on va le travailler différemment, et on va l'aborder complètement différemment, soit avec un peu d'appréhension, si on n’aime pas cette matière, soit avec, comment dire, de l'envie, parce qu'on adore cette matière, à travailler. Voilà, je...
En fait, ça me paraît un peu étrange comme question, mais, enfin, moi, je suis plutôt technique, du coup, dans le côté sensible du métier, au niveau de la matière. Je...
Y : Si, sûrement, tu fais la couture d'office, tu sais, il y a un truc, tu sens. En fait, pour toi, tu dis que tu es technique, mais je suis sûre que tu sens un truc du bout des doigts tout de suite, tu fais, non, mais ça, ça ne va pas...
J : Oui, voilà, c'est ça, voilà, c'est ça.
Y : C'est ce que je veux dire, mais c'est juste que c'est tellement dans une... Déjà, ce n’est pasle manier, on ne parle pas de façon sensible du travail technique des gens, de façon générale, donc, effectivement, ça déstabilise, mais je pose la question aux ébénistes, aux métallurgistes, à tout le monde.
J : Mais c'est intéressant, c'est juste que...
En plus, je ne suis pas... Je ne suis pas, comment dire, aisée avec les mots, j'ai un peu du mal avec les mots.
Y : Oui, mais ce n’est pas grave, tu sais, ce n’est pas pour piéger ou quoi.
J : Je pense que, au niveau, entre guillemets, sensibilité, c'est plutôt une affinité avec la matière.
Moi, j'ai plus des affinités avec les matériaux... Déjà, des matériaux très étranges d'autres... Ouais, les matières élastiques ou à maille qui se détendent et tout, parce que c'est... Il faut les contrôler un petit peu, donc on fait énormément d'essais avant de finaliser un costume comme ça. Et moi, j'aime bien justement faire des essais. Alors ça, ça marche, ça ne marche pas.
Y : C'est un métier technique, donc ça demande quand même beaucoup de travailler le corps, rester dans des positions.
Alors, comme tu es... Bah, tu commences, depuis... Enfin, je dis que tu commences, mais bon, ça fait quelques années.
J : Oui, je suis d'accord, je suis d'accord.
Y : Ce n’est pas pour délégitimer que je veux ou je ne veux pas. Non, mais parce que, non, mais même moi, dans ma famille, il y a des couturiers, je sais que toute une vie de couture, ce n’est pas...
J : Ah bah oui, c'est différent.
Y : T'as tout dans l'œil, même à 80 ans.
J : C'est clair. Un centimètre, le compas dans l'œil, c'est évident.
Y : C'est pour ça que j'ai dit et même moi qui ne fais pas la couture, d'avoir grandi avec des gens comme ça, je réfléchis aussi. Tellement ils ont fait ça autour de moi. Donc, j'ai oublié ma question.
Oui, alors du coup, c'est certaines positions, c'est... Bah oui, c'est un métier technique, donc t'apprends certaines positions. Est-ce que tu commences déjà à avoir des douleurs ? (rires)
Voilà. En fait, oui, c'est ça, c'est un travail, c'est un métier technique. C'est aller dans des positions, c'est sûrement une forme de pénibilité ou autre.
Bah voilà, bah du coup, c'est plus ou moins ça la question.
J : Eh bah, ok. Moi, j'ai des gros problèmes de dos.
Y : Ok, mais qui datent d'avant ?
J : Euh... Pas vraiment. Disons que je pense que ça ne s’est pas amélioré ici. Voilà.
Ça, c'est un des avis des médecins, hein. Bref. Euh, non, mais ça s'est vraiment aggravé ici, quoi.
Donc, moi, j'ai senti la différence entre, par exemple, le Club Med, où je courais partout, je bougeais beaucoup parce que, bah voilà, c'était la réalité du terrain. J'étais plutôt sur scène qu'en atelier, alors qu'ici, bah du coup, on est toujours sur la même position assise à la machine, des choses comme ça. Et le fait aussi de porter des choses lourdes.
En habillage, quand on avait une machine, le fait qu'il y ait... Au Grand Théâtre, du coup, il y a beaucoup d'escaliers, des choses comme ça. Et dans la précipitation, en fait, on ne fait pasattention, enfin moi, je ne faisais pas attention à mon corps et donc, c'est comme ça que je me suis blessée.
Alors, je ne me suis pas blessée ici mais je me suis... Enfin, c'est à force de répéter, voilà, les mêmes gestes qui fait que chez moi, bah, un faux geste, un faux mouvement, il part. Et donc, ouais, moi j'ai de gros soucis au niveau du dos et donc maintenant, j'ai une chaise spéciale pour mon dos, justement, pour dégager mes lombaires.
Donc, voilà. Donc, oui.
Y : Ici ? C'est toi qui l'as ramenée ou c'est...
J : Non, non, c'est la médecine du travail qui a fait ça. Donc, je suis bien suivie en tout cas et donc, ils m'ont amenée une chaise exprès. Ils m'ont demandé de l'essayer et elle fonctionnait bien pour la pathologie que j'avais donc très bien. J'ai aussi des directives de faire attention.Bah, voilà, forcément, le port de charge lourde, il faut prendre telle ou telle position.
Et voilà. Ça fait mal au dos.
Y : Alors, les espaces dans lesquels vous travaillez, t'en penses quoi ?
J : De manière générale ?
Y : Ouais, en tant que travailleuse, en tant que personne, t'en penses quoi ?
J : C'est un peu vieillissant quand même.
Enfin, là, en plus, on est dans le stock donc on voit vraiment, bah, la tapisserie de l'époque puis même de côté, moi, je travaille beaucoup dans la salle où justement, il y a eu des dégâts des eaux. C'est un peu déprimant, quoi, de voir ce papier peint dégueulasse, dégueulasse. C'est vrai, mais c'est ça, quoi.
Ça me fascine parce que les gens, quand ils viennent à l'atelier, ils me disent « Oh, c'est trop bien, t'as trop une belle vue ! » Toi, t’y restes 5 minutes mais moi, dans mon quotidien, moi, je vois des taches jaunes d'anciennes moisissures, le plafond qui craque de partout, le sol avant qui était complètement pété mais heureusement qu'il était refait. Ouais, mais ouais, c'est ancien, quoi.
Après, ça a son charme mais du coup, ça amène beaucoup de soucis. Là, juste dans le stock, la poussière, puis l'odeur qui n'est pas top, quoi. Ce n'est pas très agréable et de l'autre côté, c'est les murs qui sont tous sales. Et, ouais, c'est un peu, c'est un peu vieillissant, je trouve.
Au 145, après, je sais que c'est un peu plus jeune mais parce qu'en fait, ils ont refait toutes les loges et tout. Et moi, j'aime bien travailler là-bas parce que du coup, il y a les bureaux à côté, il y a les loges toutes neuves et ils m'ont fait un nouvel emplacement et tout. Donc déjà, j'ai l'impression d'être vraiment dans l'équipe, de travailler avec eux et ça, c'est chouette. Et puis je suis vraiment à côté des comédiens, c'est-à-dire qu’un peu, ils passent devant moi, ils viennent me voir et tout et puis comme c'est tout plus petit par rapport au GT, on se cogne presque quand on se croise et tout, c'est sympa. Et puis il y a une salle commune aussi pour tout le monde, ça c'est chouette je trouve. Tout le monde se retrouve au même endroit, ça j'aime bien. Après le Poche, je le trouve un peu vieux au niveau des loges, c'est très vétuste.C’est fait de briques et de brocs. Puis le GT, qui tombe un petit peu en lambeaux, on a eu beaucoup des problèmes au niveau des eaux, c'est trop dommage parce que j'adore cette salle, elle est trop belle. Je trouve que ça fait vraiment théâtre à l'ancienne, ça donne trop envie d'y aller. Mais tout l'extérieur, les murs extérieurs, je ne trouve pas ça très joli. Puis il y a cette odeur aussi de vieux, je trouve. Je trouve que c'est hyper prenant et moi c'est quelque chose qui me gêne beaucoup les odeurs, ce qui est un peu paradoxal parce que je suis habilleuse et que je travaille sur le corps de gens. Mais l'odeur d'un lieu, c'est quelque chose qui me dérange un peu, et je trouve que le GT, quand on va dans les couloirs ou même là dans le stock, je n'apprécie pas forcément cette odeur qui est liée pour moi au vieux, à quelque chose de vieillissant. C’est un peu pessimiste, c'est un peu triste de parler d'une salle comme ça
Y : Non j'adore. Mais en fait, tu vois, c'est ça qui est génial, c'est qu'on n'a pas toutes les mêmes perceptions. Et c'est ça qui est cool, plutôt que d'avoir un son de cloche, t'as plusieurs sons différents où tu te rends compte que, bah oui pour telle personnalité, « ça je n’aime pas, moi ça j'adore ». Et c'est ça qui fait qu'un groupe d'humains, c'est un groupe d'humains et c'est ça qui rend les choses vivantes. C’est qu'on n'est pas tous positionnés de la même façon. Je comprends. Du coup, tu dois souffrir là maintenant ? (rires)
J : Moi, je préfère ouvrir les fenêtres, je n’aime pas trop l'odeur du stock, la poussière et tout, puis la moquette.
Y : Y'a-t-il un costume auquel t'as participé et dont tu es vachement fière ?
J : Ici ? Je ne sais pas si y'en a un qui est passé dans le stock. Alors qui est dans le stock, y'a celui-là, parce que j'ai fait des petits froufrous, j'aime bien, c'est mon côté fleur de…, j'aime bien les froufrous J'ai juste rajouté en fait les manches là avec les paillettes, j'adore les paillettes. Ça me plaît beaucoup faire des petits froufrous, des choses comme ça, des choses mignonnes en fait, j'aime bien. Mais non, en fait, le problème c'est que tout part avec la compagnie, donc rien ne reste. Donc à part le corset de bois, ça aussi j'ai bien aimé travailler, mais juste la partie extérieure.
Y : Ok, et quand tu vas voir un spectacle et que t'as participé au costume ? Ça te fait quel effet ?
J : Ça dépend du costume. Moi, je suis très dure avec moi-même, donc c'est très, très, très rare que je sois très contente de moi, de mes costumes. Donc finalement, j'ai un peu honte des fois, parce que je vois directement les défauts et les choses comme ça. Après c'est de part de mon vécu, de comment je me sens vis-à-vis de moi-même et de mon rapport avec mon métier. Ça n'a pas toujours été très, très, très joyeux. Mais aujourd'hui, j'apprends à apprécier ce que je fais. Et le dernier costume dont j'en suis fière, je pense que Yolande en a parlé, c'est la Manekine. J'ai adoré faire les fraises, j'adore faire ça. En fait, j'aime beaucoup les costumes faits vraiment à la main, donc la fraise, il y a très peu de couture machine. Les plis sont montés à la main et ça j'adore, il y a un côté un peu hypnotique, très satisfaisant. Et puis c'est tout de suite volumineux, c'est tout de suite beau et puis il y a les dentelles. C'est un peu l'élément de costume qui m'a un peu réconciliée avec mon rapport au travail sur scène. C'est qu'en fait j'étais contente, j'étais fière de le voir.
Y : Mais on n'est pas un peu perfectionniste en couture ?
J : Si, si, c'est complètement... Mais en fait on voit direct le défaut, on n'arrive pas à voir ce que voient les compagnies. Les compagnies elles sont toujours contentes, elles sont trop contentes. Et nous, on voit, là par exemple, où il y a un petit point cassoté, et du coup, on a dû rafistoler. Quand on a passé tellement de temps à faire une retouche, qui était compliquée parce que le corps est tel qu'il est, on voit plus que ça, « est-ce que j'ai bien fait ? est-ce que j'ai fait ça ? »
Moi, j'ai vraiment du mal à avoir du recul, alors j'apprends. Du coup maintenant, ça va mieux, aujourd'hui. Mais je n’en ai pas fait tant que ça. Entre temps, je n’ai pas vu de spectacle entre temps avec mes costumes
Et puis mes costumes, qui ne sont pas forcément vues ici. En fait, les compagnies, quand elles font leur demande d'aide aux costumes, soit elles sont aidées par le théâtre pour juste l'atelier, soit elles sont programmées dans la saison, donc on ne les voit pas forcément. Le spectacle, c'est ça.
Y : En tout début, quand on a commencé à parler avec Yolande, elle commençait à dire « Ah, les jeunes d'aujourd'hui, il y a une fracture générationnelle et tout et tout ». Ce qui n'est pas faux en soi, ce qui n'est pas faux. Ils n'ont plus envie de travailler comme avant.
Non mais bon, c'est un discours assez courant, d'ailleurs on l'entend depuis des milliers d'années. Après on a débattu, je lui ai dit ce que j'en pensais, mais toi, du coup, qui est jeune et qui commence, qu'est-ce que tu as à dire ?
Non mais parce que, ne le prenons pas sur le compte d'elle, non ? C'est un discours qu'on retrouve dans tellement de secteurs et tout et tout.
J : Oui, c'est ça, mais même avec mes parents.
Y : Alors du coup, tiens, ce discours, toi qui reprends un métier technique, qui fait que tu as besoin de l'expérience des aînés, à te transmettre.
Donc, déjà cette question-là, la fracture générationnelle, d'être plus jeune. Et de deux aussi,…Bon après, je ne sais pas si le reste de la question reviendra, mais déjà c'est un bon bout de question.
J : Si moi je ressens cette fracture ?
Y : Non, mais ils disent ça, mais toi, du coup, qu'as-tu à dire ?
J : Ouais, enfin, moi je le ressens parce que…
Y : Tu ressens quoi ?
J : Les problématiques en fait, elles ne sont plus les mêmes. Ce que moi je vois, une autre génération ne le voit pas. On n'a pas grandi dans les mêmes… Ah, je sais ce que je veux dire, mais j'ai un peu du mal à trouver un mot.
Y : Vas-y, prends ton temps, pas de stress.
J : Non, c'est super intéressant, parce que pour la petite anecdote, je voyais la psychologue du travail, et justement c'était une grosse question qu'on se posait tout le temps. Et en fait, moi,quand je suis venue, je suis quelqu'un de très loyale.
C'est-à-dire que, moi, au départ, tout ce qui était… Voilà, ce n’est pas très légal ce que je devrais dire, je ne sais pas si je peux le dire.
Y : Je couperais si ça craint.
J : Ok, en gros, je faisais des heures supp sans les compter quoi. Mais en gros, je ne comptais pas mes heures, parce que j'avais cet exemple d'une femme qui ne comptait pas ses heures, au début, qui était vraiment investie. Et pour moi, c'était ça le job. Et puis, tout ce que j'ai vu de mes parents, et d'une attitude de mes parents qui n'est pas facile, ma mère est infirmière, monpère est gendarme.
Voilà, donc les heures supps, pour moi, ça faisait partie du truc. Et en fait, à force, tu fatigues. Moi, j'ai développé de gros problèmes de dos, j'ai développé de gros problèmes de santé mentale.
Donc, j'ai tout remis en question il y a quelques temps, on ne peut pas dire années. Et du coup, en regardant d'un point de vue extérieur, ce qu'il se passe dans le monde, je me suis rendue compte qu'en fait, j'étais plus… avec ma famille ou avec mon conjoint. J’étais plus, dans mon temps à moi, dans mon temps de vie, j'étais plus à l'atelier qu'avec mon compagnon, qu'avec mes amis, qu'avec ma famille, et que je ratais des choses.
Et ce n'était pas à la retraite que j'allais les voir, ces choses-là. Donc, il y a tout un questionnement sur est-ce que ça vaut vraiment le coup de se rendre malade pour le travail, de s'investir autant pour une certaine reconnaissance ou non. Enfin, moi, je ne vise pas la reconnaissance, mais ça pose question.
Du coup, on allait avec cette psychologue… Et en fait, les priorités ont changé.
C'est-à-dire qu'avant, je le vois en discutant avec mon père, la fierté d'avoir un travail de fonctionnaire. Quand je leur ai dit que j'étais fonctionnaire, ils étaient trop heureux. « Ouais, trop bien, t'as réussi ta vie ! »
Alors que ma sœur est artiste, donc elle, tu vois, ça pose problème alors qu’elle travaille, quoi. Et donc, du coup, il y a toute une question sur...
J'ai perdu mes mots. Je suis désolée. Je suis vraiment nulle pour...
Y : Non, franchement, s'il te plaît, stresse pas pour ça. Non, là, j'étais juste en train de me dire, c'est hyper intéressant ce qu'elle dit. Je vais voir si je peux le mettre ou pas.
J : OK. Non, parce que voilà, en soi, c'est hyper passionnant. Non, mais surtout que ce débat, je l'ai eu.
Y : C'est un débat de notre époque. Et c'est exactement ce que j'ai expliqué à Yolande tout à l'heure. Parce que moi, j'ai 36 ans. Je suis dans l'entre-deux, tu vois,
Donc, très vite, à 17 ans, j'ai dû commencer à bosser. Donc, pour moi, c'était clair.
Après... Donc, voilà, une fierté dans le sens... Oui.
Mais bon, je suis totalement d'accord. Au fur et à mesure que tu vois le monde... Pourquoi ?
Parce que moi, j'ai vu mes parents travailler. Jusqu'alors, ils ont eu le crédit de la maison jusqu'à je ne sais pas quel âge, toute ta vie. Et tu t'es dit « bah oui, en fait… »
J : Surtout que moi, j'ai eu un événement malheureux, c'est que j'ai mon parent qui est décédé à la retraite. Gendarme en plus, il n'a que 50 ans. 50 ans. 50 ans, et en fait, il a fait une crise cardiaque à son boulot. Parce qu'en fait, il était fatigué, il était épuisé. Et moi, je me suis dit, mais je ne veux pas vivre ça.
Enfin, en plus, quand on regarde le monde actuel, les problèmes écologiques, les problèmes vis-à-vis des autres pays, les guerres et tout comme ça… Je me dis « mais dans quel monde de fou on vit ? » Et moi, ça me déprime vraiment. Du coup, je n'ai pas envie de rester plus de 7 heures par jour dans mon job.
J'ai aussi envie de vivre à côté, de profiter de la vie. Moi, je suis très pessimiste, mais ça se trouve, je ne vivrai pas jusqu'à 40 ans. Et donc, c'est maintenant qu'il faut vivre.
Et moi, je veux vivre à fond ma vie, que ce soit dans le job de mes rêves, qui est costumier, mais aussi dans ma vie, à côté personnel, de mes rêves. Et puis, profiter de l'instant présent. Pas cravacher et se dire qu'à la retraite, je vivrai.
Non, c'est maintenant qu'il faut vivre. Puis, surtout que moi, je commence à avoir de gros problèmes de santé. Et je n'ai pas encore 30 ans.
Ça craint. (rires) Non, mais voilà, il faut prendre soin de soi, avoir le temps de prendre soin de soi. C'est super important.
Et puis, surtout que moi, j'ai la chance de vivre dans un pays entre guillemets riche où il n'y a pas trop de soucis. Je vais éviter tous les débats féministes et écologistes, mais en gros, je n’ai pas trop de soucis. J'ai un toit sur la tête, j'arrive à manger, je fais le métier que je veux.
J'ai une vie quotidienne qui peut paraître de rêve pour d'autres personnes, qui ne peuvent pas vivre. Je veux la vivre à fond. Après, là, c'est vraiment mon débat idéaliste.
Ça ne veut pas dire que je n'aime pas mon métier. Ça veut dire que, oui, j'investis du temps, soit 8h par jour, pour ce métier que j'aime. Et il n'y a pas de soucis, s'il faut être 8h à fond, je serai 8h à fond.
Mais une fois que c'est fini, que j'ai fini mon travail, que tout le monde est OK, je ne vais pas rester pour rester. Et je le vois, ça : le rester pour rester, pour faire juste des heures supplémentaires, ça me choque.
T'as fini ton travail, pourquoi tu ne pars pas ?
Y : Après, c'est peut-être toute la complexité d'être dans un métier comme les arts du spectacle, qui ont des rythmes assez spécifiques, et en même temps, de répondre à des critères du fonctionnariat, où il y a un respect.
J : Nous, on aura toujours quelque chose à faire. On ne peut jamais nous arrêter comme ça.
Y : En couture, dans l'atelier couture ?
J : Oui, il y a toujours quelque chose à faire. Quand on n'est pas sur la couture, on est sur le stock à réparer des trucs, par exemple, ou à ranger, parce que le stock est dans l'état.
Y : Et donc, du coup, je ne m'attendais pas à te poser la question, vu que tu es en début de carrière. Mais alors, la pénibilité du travail ? Si, ou peut-être je t'ai posé la question déjà ?
Non, je ne crois pas. Peut-être sur le corps, je t'ai dit ce que tu ressentais, les techniques. Mais pénibilité du travail, oui.
Du coup, ce qui est intéressant, il y a deux secondes, c'est qu'il y avait aussi une dimension mentale dans la pénibilité du travail.
J : Oui, oui. Et cette dimension-là, elle n'est pas possible pour certaines générations.
Y : Tu veux dire les plus anciennes ?
J : Oui. Je vois le contraste avec mon père, qui a vécu des choses horribles dans sa vie. Il ne dit jamais qu'il ira voir un psy pour en parler. Il est complètement... Enfin, je pense qu'il y aura un truc qui ne va pas. Pareil.
En fait, on ne fait pas...
Je vois, en plus, sur la ville de Grenoble, on a un site, du coup, on voit les petites séances qu'ils proposent, il y a énormément de formations, de séances sur tous les problèmes dys, par exemple, ou tous les problèmes mentaux, ou la dépression, le burn-out, ou les choses comme ça. Et c'est...
J'ai l'impression que c'est dans notre quotidien, enfin, c'est proposé par la ville, et c'est dans notre quotidien, mais que tout le monde n'en prend pas compte. C'est-à-dire que c'est... Parce que je n’ai pas eu de maladie grave, la maladie mentale ne compte pas.
Et ça, je trouve... Enfin, après, moi, j'ai l'exemple dans ma famille de maladie mentale un peu tristoune. Mais voilà, c'est important aussi de prendre soin de soi mentalement.
Parce que sinon, on ne le sent pas. Et c'est OK de se sentir pas bien physiquement et/oumentalement. Et je trouve que c'est important d'en parler aussi au travail.
Moi, je trouve que dans le métier artistique, ça se voit d'autant plus. Moi, quand je n’allais pas bien mentalement, je n’arrivais pas à faire de costumes. C'est là où je n’arrivais pas à être fière de mes trucs, parce que, en fait, tu passes peut-être 3 jours sur une retouche qui t'aurait pris 5 minutes quand t'étais bien.
En fait, parce que t'es pas bien mentalement, ça a un vrai impact. Moi, à l'école, on nous l'a appris, ça. On nous a dit clairement, au début de l'année, il va y avoir des projets où vous allez être trop bien, vous allez avoir des super notes, parce que ça vous passionne, vous êtes bien mentalement, vous n’avez pas de soucis.
Et puis, il y a d'autres projets où ça va se sentir que vous n'êtes pas bien dessus. Et c'est OK. Il y a des projets où on va faire le taf et il y a des projets où on fera un peu moins bien le taf, ou plus lentement, mais parce que ça a un impact direct.
Y : Donc, entre le corps qui doit effectuer de la technique et le mental, c'est lié. Et donc, ça vous est enseigné dès l'école. Tu étais à quelle école ?
J : À Toulouse. Le DMA de Toulouse.
Y : OK, hyper passionnant. Déjà, en fait, aujourd'hui, dans la formation, on explique que la santé mentale va avoir une influence sur les capacités à travailler.
J : Bon, on met de soi quand on crée un costume. C'est nous. Ce n’est pas une continuité de nous. On s’investit tellement
Y : C'est de l'énergie corporelle. C'est le corps qu'on met dedans.
J : C'est aussi la passion. Ça se sent. Les corsets, j'y ai passé tellement de temps. Là, pour le coup j’avais vraiment envie de le faire parce que ça me plaisait.
Après, quand je rentrais chez moi, je me disais « regarde ce que j'ai fait. » Après, sur d'autres projets, je vais être en mode... « Qu’est-ce que c’est chiant, qu’est-ce que c’est long. » Je n’y arrive pas. Je n’ai pas envie. Ça dépend. C'est comme dans tout métier.
Y : Yolande, tout à l'heure, m'expliquait que vous étiez trois et qu'il y en a une qui est partie à la retraite et qui n'a pas été renouvelée.
J : Moi, je ne l'ai pas connue.
Y : Du coup, tu ne l'as pas connue.
J : Moi, j'ai connu celle que je remplace.
Y : Tu remplaces quelqu'un ?
J : Oui, je remplace quelqu'un. Il y a eu une ouverture de poste, mais parce que Yolande a été un an toute seule, ils se sont rendus compte qu'un atelier, ça ne fonctionne pas à une seule personne.
Y : C'est arrivé il y a 4 ans ?
J : Oui.
Y : Et la deuxième personne que tu remplaces, pourquoi... Elle va revenir ?
J : Non, elle est partie en bibliothèque. Elle a changé complètement de job.
Y : Ok, d'accord. Et donc, tu estimes qu'il faudrait une troisième personne ou pas ?
J : Oui, oui, complètement. Avant, on avait une apprentie. Du coup, on était trois, c'était plus jouable. Dans le sens où, déjà, ne serait-ce que pour partir en vacances, on n'est pas obligés. Là, on est obligés de partir ensemble. Donc, si elle a envie de prendre des vacances en juillet, il faut qu'elle voie avec moi. Ce genre de choses.
Et puis même au niveau du travail, en fait, on nous demande tellement de choses en si peu de temps qu'une troisième personne, ça éviterait le stress, l’anxiété liée à la réalisation. Après, même, ça a changé depuis qu'elle est partie.
On a moins de travail. Enfin, le travail est fait en fonction des personnes qu'il y a à l'atelier. Mais un atelier de deux personnes, ça pose question.
Qu'est-ce qu'un atelier ? Un atelier, c'est deux personnes, une personne ? Pour moi, un atelier, ce n’était pas ça.
Y : Plus ?
J : Trois minimum. Parce que, malheureusement, elle a eu un arrêt de travail assez long. Moi, je me suis retrouvée toute seule. Et c'était horrible. C'était horrible parce que la charge de travail était toujours la même.
En fait, comment on fait ? C'est 50% de...
Y : Est-ce que vous avez demandé est-ce qu'il y a une autre personne, en plus ? Quelle a été la réponse, la réaction ?
J : Suisse.
Y : Suisse ?
J : Lent.
Y : Dans le sens de lent. Lent, long ?
J : Lent, long. Après, c'est les soucis du théâtre. Je ne sais pas si je peux... Tout est lent dans la fonction publique.
Moi, je ne pensais pas à ça. Mes deux parents sont fonctionnaires. Ils sont là.
En fait, dans la fonction publique territoriale, tout est lent. Tout. Donc bon, ça impacte plein de choses. Puis, tout est remis en question.
Est-ce qu'il y a vraiment besoin d'une personne ? Est-ce qu'on a le budget pour ça ? L'atelier est motivé ?
Il y a vraiment besoin de question. Je ne sais pas. Pour moi, c'était logique.
Moi, il y avait une question logique sur le fait qu'en hôpital, quand il y a une personne qui n'est pas là, elle est vite remplacée. C'est aberrant. Même en gendarmerie. Je prends des cas très extrêmes.
Dès qu'il y a une personne absente, dans le peu de personnel qu'ils ont, ils font tout pour la remplacer. Ils essayent à mesure de possible.
Y : Vu qu'on est dans un bâtiment historique, que ça a de la vie, ça a une âme. Y a-t-il un plaisir à venir travailler ici ?
J : Oui.
Y : De deux, qu'est-ce qui est un élément architectural ou autre du bâtiment qui fait que chaque fois que tu viens, tu te dis que c'est beau, que tu aimes bien ? Y a-t-il un plaisir à travailler dans un bâtiment historique, un théâtre historique ?
J : Ben ouais... La scène. Moi, je pense direct à la scène. Déjà, le fait qu'elle soit un peu penchée, historiquement, que tout soit en bois là-haut.
C'est un lieu théâtre, quoi. Il y a du cachet, il y a de l'histoire derrière lui. Ouais.
Faire partie des murs, c'est plutôt chouette. Après, en lieu, en soi-même... Je ne sais pas s'il y a une fierté de se dire que c'est trop cool.
Juste dire que je travaille au théâtre de Grenoble, quoi. Déjà, me dire que c'est mon...
Moi, il y a quelques années, mon rêve, c'était de travailler dans un atelier. Et de dire à cette personne de 17 ans, qui disait... Enfin, non, je n’avais pas 17 ans.
Tu vas travailler dans un atelier ! Tu l'as fait ! Sachant que moi, je ne savais pas trop quand je suis arrivée en DMA.
Je ne savais pas comme je viens de loin. Mon parcours est très atypique et je suis plutôt contente de ce que j'ai fait.
Qu'est-ce qui est joli ?
En fait, il n'y a pas un élément... C'est bête, mais moi, quand je fais de l'habillage, normalement, j'ai le passe. Et que les gens, en fait... Faire partie un peu de la structure avec des gens publics... Je ne sais pas, il y a un truc un peu privilégié. Moi, je vois les dessous.
C'est généralement les dessous qui font rêver. Les dessous de la machine, les trucs qui amènent un peu de rêve. Moi, quand je parle de mon métier, les gens, ils sont comme...
« T'es costumière, c'est fou ! » Tout de suite, ça amène un truc... C'est toujours hyper positif, quoi.
En tout cas, moi, je n’ai jamais eu le « Ah, t'es saltimbanque, toi. » Qu'on a pu entendre...
Enfin, les aprioris qu’avaient les parents dessus, quoi.
Y : Oui, je vois.
J : Ouais, le côté artiste.
Après, en lieu lui-même, c'est la vue. Ça vaut le coup de monter tous les escaliers pour la vue,quand même. On a vu sur Champs-Rouges, quand même.
C'est chouette.
Y : Avec toutes ces questions, est-ce que t'as un truc à rajouter ?
J : Ouais, bah... C'était vachement complexe, quand même. J'ai l'impression d'avoir... j'ai dit toute ma vie. Au théâtre.
Y : Tu as l'impression d'avoir... Vraiment donné... Un bout de comment ça se passe pour toi, ici ?
J : Oui. Fin, à l'instant T, comme on le ressent aujourd’hui, ça changera.
Y : Ça, toujours...
J : Je n’aurais pas dit ça y a 4 ans
Y : Tu m'aurais dit quoi, il y a 4 ans ?
J : Je pense que j'aurais parlé du stock. « Ho, C'est trop bon. Y a plein de trucs »
Le côté un peu plus enthousiaste, enjouée du travail. « C'est trop bien, je suis costumière. Je fais ça. Regarde, c’est moi qui l’ai fait. » Le côté très, « je viens de sortir de l'école et je veux tout faire. » Je fais des exercices « regarde ce que j'ai fait ». Le côté très enjoué. Le peu d'expérience que j'ai.
Les confrontations que j'ai pu avoir ici. Les réalités du travail dans la fonction publique ou même dans le fait qu'on soit que deux dans un atelier, ça change énormément de choses.
Je suis passée d'une classe de 13 élèves où on travaillait tous ensemble sur un même projet, àdeux personnes. Et encore, au Club Med, on n'est plus 700.
Y : Tu as des contacts avec tes anciens camarades de classe ?
J : Oui.
Y : Pour la plupart d'entre eux, tu sais ce qu'il leur est arrivé après les études ?
J : Il n'y en a pas beaucoup qui sont restés dans le costume, malheureusement.
Y : Pourquoi ? Par choix ?
J : Il y en a beaucoup qui ont monté leur propre entreprise, mais pas forcément dans le costume, dans le domaine textile en général. Il y en a beaucoup qui sont devenus habilleurs, juste habilleurs dans de grosses compagnies.
Il y en a beaucoup qui travaillent aussi dans les parcs d'attractions. Je ne sais plus du tout.
Le Puy du Foy, Le parc Astérix.
Il y a beaucoup de costumes et beaucoup de gens à habiller.