Entretien avec Clovis Juré
Dublin Core
Titre
Créateur
Éditeur
Public visé
Date
Sound Item Type Metadata
Transcription
Y : Alors pour commencer, tu pourrais me dire, s'il te plaît, qui tu es, nom, prénom. Depuiscombien de temps tu travailles ici et à quel poste ? Et si possible, qu'est-ce qui t'a mené à travailler ici, quel chemin ?
C : Alors je m'appelle Clovis Juré, je suis responsable de billetterie depuis 2021 et je travaille au Théâtre Municipal et au TMG depuis 1994. Pendant cinq ans j'ai été ouvreur, je travaillais uniquement en vacataire au coup par coup sur les soirées pendant cinq ans. A partir de 2000,j'ai intégré l'équipe de permanence en billetterie. En 2021, suite au départ du responsable, j'ai pris le poste suite à son départ à la retraite.
Ce qui m'a amené à travailler dans le secteur culturel et au TMG, c'est le hasard pur. Je ne me destinais pas du tout au spectacle vivant, j'avais peu d'accointances au spectacle vivant parce que ça ne m'avait pas été transmis. Sauf qu'il y a un copain de mon frère, qui a refusé la place d'ouvreur pour prendre une place à la MC2. Il a proposé la place d'ouvreur à mon frère et peut-être deux ans après une autre place s'est libérée et c'est là que mon frère m'a dit depostuler, va savoir, donc vraiment du hasard pur. Et là, je me suis rendu compte rapidement que c'était ma place parce que j'ai toujours aimé accueillir le public, le renseigner, ça fait vraiment une part importante du job, c'est par là que j'ai commencé. Aujourd'hui mon métier m'en éloigne un peu plus, mais c'est vraiment ce qui m'a animé pendant des années : accueillir, conseiller le public, essayer de trouver des solutions quand les personnes ne peuvent pas venir et qu'elles ont des billets, etc.
Y : Dans tout ce que tu viens de dire, il y a déjà une chose que je trouve assez intéressante, tu disais que tu n'avais pas d'accointances avec les arts du spectacle parce que ça ne t'avait pas été transmis, est-ce que tu peux un peu plus expliquer ce que tu veux dire par « ça ne t'a pas été transmis » et comment avec le temps tu as développé...
C : En fait, ça n'appartient pas du tout à la sphère culturelle de ma famille, le spectacle vivant.C’est vraiment une famille dans la culture de masse, mais dans le bon sens du terme, la culture de masse, la culture populaire. Mes parents ne m'ont jamais amené au théâtre, un petit peu au cinéma, beaucoup de musique, mais voilà, pas vraiment le spectacle, enfin pas du tout le spectacle vivant d'ailleurs. Et il n'y avait pas, comment dire, il n'y avait pas de frein culturel, c'était juste que ça n'existait pas, je l'ai découvert en commençant à travailler au TMG. Et les cinq années où j'étais ouvreur, ça m'a permis de me faire l'œil et de voir énormément de spectacles que je n'aurais jamais vus, que je n'aurais jamais sélectionné en tant que spectateur. Des choses qui sont très éloignées de moi, comme de l'opéra, de la danse classique parce que je suis rapidement rentré dans le théâtre et dans la musique en tant que spectateur en travaillant. Mais voilà, il y a d'autres choses qui m'ont été proposées auxquellesje suis toujours hermétique comme l'opéra, mais au moins, je sais ce que c'est.
Y : OK, tu as été ouvreur, tu m'as dit pendant cinq ans. C’était début 2000 ?
C : C'était de 94 à 2000.
Y : De 94 à 2000. Donc, il y a cette question du sens de l'accueil qui est propre au métier d'ouvreur. Et donc ça change en devenant responsable de billetterie, ce n’est plus du tout le même travail. Est-ce que tu pourrais revenir un petit peu sur ton expérience d'ouvreur, vu que tu étais ici, au TMG ?
C : Mon expérience d'ouvreur, on a commencé... Tu connais Serge Papagalli ? On a commencé avec Serge Papagalli, trois semaines, trois fois cinq dates, ou deux fois cinq dates, mais un truc assez costaud, une série. À force de voir le même spectacle, à un moment, on s'en lasse. Voilà, je me suis pris ce choc-là dans la tête : une série de dix avec un spectacle de Feydeau. Je crois que c'était La Puce à l'oreille. Avec à peu près tout ce qui comptait de « cultureux » de Grenoble : Renata Scant, Yvon Chaix, etc., et j’en oublie.
Papagalli avait réuni autour de lui tout ce qui comptait de « cultureux » et de théâtreux de l'époque, sans se poser la question des clivages et des frontières que les professionnels et le milieu mettent. Il a fait un spectacle plutôt bien tourné. Évidemment, c'est du Feydeau, donc c'est léger, mais au cordeau, et c'est là où j'ai commencé. Je me suis rendu compte, après, que j'ai commencé à voir la musicalité du texte qu'on a au théâtre, et qu'on trouve chez Molière, chez Feydeau, chez d'autres.
Quand on a accueilli la Comédie-Française à une époque, et qu'on voit le même spectacle joué par d'autres, ce n'est pas la même approche, ce n'est pas la même patte. Ce n'est pas forcément mieux, mais ce n'est pas la même patte. Je me suis pris ce choc-là d'entrée. On portait la moustache, un petit chapeau et un costume ridicule en tant qu'ouvreurs. C'était les grandes années du théâtre privé parisien dans ce lieu-là.
Il y avait encore du décor à l'ancienne, des organisations un peu à l'ancienne, mais dans le bon sens du terme, comme on faisait dans les années... Je ne sais pas si t'as entendu parler des abonnements Carcanti ? C'était des abonnements où la personne prenait l'ensemble du catalogue. S'il y avait neuf spectacles, elle prenait les neufs. Elle était toujours placée au même endroit : si elle avait le cinquième rang pour un spectacle, elle avait le cinquième rang pour tous les spectacles.
C'était une sorte de communauté à qui on proposait de renouveler l'abonnement avant de vendre des places au reste du public. C'était aussi ça, le théâtre. Il y avait une bourgeoisie encore bien présente dans les années 90, et on se posait la question de comment s'habiller. Voilà, moi, j'ai connu la fin de ce théâtre-là.
Maintenant, tu me demandais par rapport à mon boulot d'ouvreur... Oui, parce que c'est une autre époque.
Y : Et du coup, c'est pour ça que j'insiste... Comme tu as été ouvreur de 1994 à début 2000, à ce moment-là, ça remonte quand même à plus de 25 ans. Donc je pense que c'était une autre époque. En tant qu'ouvreur, t'as dû voir beaucoup de choses, t'as dû expérimenter. Déjà, en tant qu'ouvreur, est-ce que le métier d'ouvreur est différent aujourd'hui de ce qu'il était à l'époque ?
C : Foncièrement, non. Mais après, c'est plutôt dans l'aptitude, dans la permissivité qu'on observe aujourd'hui. Avant, c'était beaucoup plus strict. L'ouvreur devait avoir quasiment le doigt sur la couture, un peu au garde-à-vous devant sa porte, avec beaucoup de retenue.
Maintenant, les ouvreurs ont facilement une approche plus décontractée avec le public, et la direction, ainsi que le personnel, laissent faire, voire accompagnent ça. Nous-mêmes, on amène une démarche plus détendue. Ce que j'ai connu était beaucoup plus strict. Il y avait une cheffe d'ouvreur, une organisation vraiment au cordeau, avec partage de pourboires, etc. Aujourd'hui, c’est beaucoup plus détendu.
Y : Et de ton expertise, comment tu observes ce phénomène, ce changement depuis ta position avec ton expertise de travailleur pendant des années ?
C : Ce n’est jamais bien simple de voir les choses changer, il faut accepter le changement, mais ce n’est pas toujours simple. À la base, je me dis que le changement est toujours une opportunité, mais ça peut amener du stress. Je ne suis pas contre, mais ça peut amener du stress. Je suis plutôt positif, j'ai souvent dit « place aux jeunes ».
Y : J'aime bien parce que tu dis… Excuse-moi, je trouve ça assez drôle. Le changement amène du stress alors que tu parles d'un changement où on est un peu plus décontracté.
C : Oui, mais parfois le problème de l'approche décontractée, c'est que c'est très sympa, sauf qu'après ça enlève de la rigueur. Et le manque de rigueur, quand on est nous-mêmes attendus sur le fait de ne pas faire entrer 200 personnes dans une salle de 150, par exemple. J’en ai vu des gens qui font rentrer « vas-y, passe, t'as pas de billet, t'es mon pote ». On l'avait autant quand c'était strict qu'aujourd'hui, mais il ne faut pas que le fait d'être décontracté amène vers du laxisme.
Donc c'est très positif d'aller vers des rapports moins verticaux entre une direction, des cadres intermédiaires et des agents de terrain. Ça, c'est sympa, mais il ne faut pas sombrer dans le laxisme.
Y : Non, je comprends, c'est une question qui me semble assez actuelle dans le monde du travail de façon générale, au-delà du TMG, dans d'autres secteurs, on le retrouve aussi.
C : Il y a des gens qui ne font pas le travail, ils s'en débarrassent. Du coup, ça donne des résultats qui ne sont pas aboutis, et ça nous oblige à revenir dessus, donc à le faire une deuxième fois.
Y : Je comprends.
C : Tu veux un café ?
Y : Oui, s'il te plaît.
C : Mais en tout cas, je conseille à tous les jeunes de faire un passage par le métier d'ouvreur, ça ouvre l'œil. Alors, pour des personnes qui travaillent et qui veulent intégrer le milieu culturel, c'est quasiment un passage obligé, c'est très conseillé. Sinon, s'investir en tant que bénévole dans des festivals. Mais pour se faire l'œil, pour voir des spectacles, c'est vraiment précieux.
Et peut-être finalement plus pour les personnes qui ne passent pas par la filière arts du spectacle, parce qu'en arts du spectacle, on a l'occasion d'en voir beaucoup.
Y : Oui, je suis d'accord, tout à fait. Vu que j'ai repris des études dedans, oui. Mais ce que je trouvais intéressant dans ce que tu as dit, c'est de voir plusieurs fois un même spectacle, d'ouvrir plusieurs soirs, de voir un spectacle se jouer sur plusieurs dates. Donc parfois, on est amené... J'avoue que je ne me suis jamais posé la question : est-ce qu'un ouvreur ou une ouvreuse reste dans la salle ou reste en dehors de la salle ?
C : Ça dépend des lieux. En tout cas, au TMG, on a toujours des ouvreurs et des ouvreuses dans la salle.
Y : Je sais que j'en avais déjà vu, mais pas nécessairement ici. Ok, donc il y a quand même ce côté où on est amené à revoir ce rituel se répéter, on participe à ça, et donc clairement, ça travaille le regard, ça travaille aussi la sensibilité artistique, comme tu dis, parce qu'à l'époque, tu voyais passer beaucoup de choses. Je trouve ça particulièrement intéressant, pourquoi ?
Parce que, par rapport à différentes personnes avec qui j'ai fait des entretiens, il n'y a pas cette approche-là du spectacle. Par exemple, ceux qui sont en atelier décor, ils ont un rapport distancié. Les couturières, elles vont participer, venir voir une fois le spectacle peut-être, mais elles ne vont peut-être pas le voir tous les soirs. Les régisseurs, ça dépend. Eux, ils ne sont pas à la même position non plus, ils sont là pour accompagner, accueillir l'équipe, après l'équipe a sa propre régie.
Donc les ouvreurs, j'avoue que c'est une position assez intéressante, parce que quelque part, c'est assez sociologique. On accueille, c'est un travail de l'accueil, donc il faut montrer une image et générer une bonne ambiance au sein du public, qu’il se sente bien.
C : Oui, mais il faut aussi avoir en tête que c'est aussi de la gestion de flux. Et l'accueil ne doit pas avoir comme consigne de dire oui à tout. Du coup, on canalise le flux des personnes, on canalise aussi les éventuelles demandes qui vont, pour certaines, nous mettre en difficulté. En billetterie, ça peut être « vous vous êtes trompé de date. » La personne, elle vient, elle a acheté sur internet, et elle s'est trompée de date. Celle-là, elle fait rire, ça arrive rarement, mais ça arrive. Voilà, c'est aussi ça, l'accueil.
L'accueil, c'est mettre les choses dans une bonne ambiance, ouvrir les lieux de la bonne manière. Mais c'est aussi canaliser le flux, physique et non physique, celui des demandes du public. Dans un temps court, on a une demi-heure pour l'accueil, donc on n'a pas beaucoup de temps comme on l'aurait dans la journée. Si quelqu'un m'appelle la veille ou l'avant-veille d'un spectacle, j'ai plus de temps et de moyens pour trouver une solution. Si la personne veut changer de date, c'est faisable. Mais si elle me prévient à 19h30 pour 20h, c'est une autre histoire. Ça amène une tension.
Mais voilà, il ne faut pas oublier ça : l'accueil, c'est effectivement, comme tu dis, donner une bonne image du lieu, organiser les choses pour que tout le monde se sente bien. Mais c'est aussi canaliser, dans le bon sens du terme.
Ce n’est pas mettre des barrières ultra rigides.
Y : Organiser, je pense que tu le dis bien. C'est le mot « canaliser le flux ». Quand on parle avec la régie, on se rend bien compte qu'ils doivent avoir des habilitations de sécurité justement par rapport à toutes ces questions de flux. Donc, c'est qu'il y a quand même des questions de sécurité et que canaliser ne se fait pas par envie d'ennuyer les autres.
Mais alors, du coup, comment vous canalisez le flux techniquement ? Comment tu pourrais expliquer avant un spectacle, comment vous canalisez ? Qu'est-ce que vous mettez en place ?
C : En fait, normalement, les lieux doivent être adaptés pour une bonne circulation et que, quand le public arrive, il puisse rapidement distinguer les points importants : le vestiaire, la billetterie, l'entrée de salle, la zone d'attente.
Le problème, c'est que les lieux ne sont pas toujours adaptés à ça, surtout au Théâtre de poche et au Théâtre 145. Le grand théâtre, lui, est mieux conçu. Je le connais tellement bien depuis presque 30 ans, mais il amène une gestion de flux qui est plus facile. Il y a une seule porte principale, mais un hall qui est assez bien dimensionné, avec plusieurs portes. Il y a deux escaliers qui amènent en salle, et pour moi, c'est assez facile.
Là, récemment, on a eu deux spectacles, un au Théâtre 145 et un au Théâtre de Poche, qui nous ont mis en difficulté. Il y avait beaucoup de monde, peut-être un peu trop de monde pour ces lieux-là, et les deux dernières dates de ce mois de mai ont été compliquées.
Parce qu'à un moment donné, ce sont des lieux qui sont encombrés par des personnes qui attendent de rentrer en salle, et les espaces comme les toilettes ou la billetterie deviennent difficilement accessibles. Donc, on a des personnes qui doivent régler une question mais qui restent bloquées dehors.
Du coup, ça retarde tout, parce qu’une fois que ces personnes peuvent accéder, on aurait pu régler leur problème peut-être dix minutes avant, mais là, on prend du retard.
Je reviens par rapport à ouvreur et cette notion de distance. En fait, on est nombreux à être à distance par rapport au spectacle tout en travaillant dans ce milieu-là, et j’en fais partie aussi.
Ce n’est pas parce qu’on est à la billetterie qu’on voit facilement les spectacles. Quand on finit l’accueil à 20h, alors que le spectacle commence à 20h, on finit souvent à 20h05, voire 20h10.
Il y a toute une série de travaux après à faire : de la comptabilité, nettoyer une salle, supprimer des options qui n’auraient pas été confirmées parce que les personnes ne sont pas venues.
On n’a pas la tête à ça pour switcher d’une fin de service qui n’est pas encore terminée, parce qu’à 20h05, on doit encore faire toute une série de choses, comme je te disais, avant d’aller en salle.
Donc, ceux qui en profitent le plus, il n’y a pas d’ordre, mais évidemment : les ouvreurs, les collègues qui sont en accueil ce soir-là et qui peuvent aller jeter un œil en salle. Les techniciens, mais pas tous.
Je pense qu’une partie des techniciens ne peut pas en profiter, et puis il y a des personnes qui en profitent, mais de manière un peu différente. Par exemple, le cintrier voit le spectacle du dessus, le régisseur plateau le voit de côté.
L’ouvreur et l’ouvreuse sont plutôt bien lotis pour profiter des spectacles. Il y a des fois où je reviens voir un spectacle ici, et ça me met souvent une claque.
En tout cas, je me rends compte qu’il y a de la distance. Dans nos trois lieux, je n’ai pas trop l’occasion d’en profiter.
Quand je vais ailleurs, je suis spectateur. Mais quand je viens ici, je reste malgré tout spectateur qui travaille ici. Ça me remet dans la réalité de ce que le public vit, et je me rends compte qu’il y a une distance.
À force de travailler ici au quotidien, de parler souvent du spectacle, on finit par créer cette distance.
Y : La distance là-dedans, dans la tête ?
C : Oui, dans la tête. On perd les détails de la réalité de ce que vit le public.
Y : Oui, tout à fait. C'était juste pour être sûre. Ce qui est intéressant quand tu parles de canaliser les flux en fonction des trois endroits, le 145, le Poche et le Grand Théâtre, c'est qu'il y a clairement l'architecture du lieu qui rentre dans la gestion.
C : Je pense que c'est le point le plus important. : la conception d'un bâtiment.
Y : Du coup, de ce que j'ai appris, le Grand Théâtre a été construit en vue d'être un théâtre. Les deux autres endroits, pas tant. Ce sont des réaménagements.
C : Le Théâtre de Poche, je ne saurais pas dire, mais le 145, c'est un réaménagement. C'était une ancienne fabrique.
Y : Et donc, comment tu peux expliquer ton expertise de cette gestion de flux dans ces architectures ? Tu as déjà donné des pistes, mais toi, quand tu te dis que ce soir, c'est au 145, comment ton expérience de cette architecture, tu la mets en place pour canaliser ?
C : En fait, je ne suis pas seul. Je suis entouré d'une personne qui va être responsable de l'accueil public, qui va être l'interface entre la billetterie et les personnes au contrôle ou en placement en salle. On va avoir un responsable d'évacuation, qui va porter toute la partie sécurité, un régisseur général ou un régisseur principal qui va être l'interface pour la technique.
Et on va beaucoup communiquer et on va déployer des moyens humains. C'est principalement sur des moyens humains et des petits cordons. C'est-à-dire que les collègues en accueil, elles vont vers le public pour demander quand ça bloque.
Quand c'est fluide, on laisse faire. Mais quand ça commence à bloquer, on remonte dans la file. Vous avez des billets à récupérer, vous avez besoin d'aller voir la billetterie, etc.
Comme ça, on les fait passer en priorité et après, on les renvoie dans la file. C'est vraiment principalement des moyens humains.
Y : Donc, il y a l'importance d'une communication avec les autres secteurs. C'est-à-dire la régie, la sécu. Tu peux parler justement de l'importance de la communication entre vous ? Comment elle fonctionne ? Comment elle s'établit ? Est-ce qu'elle est propre au TMG ?
C : Non, je pense qu'on la trouve dans beaucoup d'autres lieux culturels et dans beaucoup d'autres métiers. Un peu comme dans la restauration, on fait un brief avant le service. Ça, c'est vraiment un élément de communication interne qui est essentiel pour qu'on puisse avoir chacun notre contexte en technique, en billetterie, etc.
Et ensuite, ça se fait au fil de l'eau. Quand on voit les problèmes arriver, quand on voit que ça commence à bloquer, il y a un collègue qui dit « tiens, je vais commencer à faire ça ». Ou alors, si personne n'y va, quelqu'un doit le voir. Est-ce que tu peux aller au-devant du public pour accélérer les choses ? Soit côté contrôle, soit remonter la file pour essayer de trouver les personnes qui ont besoin de voir la billetterie. Ça se fait après par touche, en s'adaptant en fonction de comment les choses se déroulent.
En tout cas, l'essentiel de la communication, on va la faire pendant le brief. On tient un bordereau par représentation, où on va indiquer des éléments de la technique, des éléments de l'accueil et des éléments de la billetterie. C'est une page qu'on dresse pour chaque spectacle, chaque représentation, parce que celle de 10 h n'est pas forcément la même qu'à 14 h 30.
On va communiquer de cette manière-là. Après, il y a d'autres aussi. Il y a l'extraction de plans de salles, tu vois, sur le côté. On a des plans de salles qu'on fait circuler entre nous, entre la direction, l'accueil public, la technique et la billetterie, pour parler soit d'implantation, parce qu'une salle, en fait, on l'exploite rarement à 100 %, il y a toujours des places qui vont être invalidées pour x ou y. Soit on parle de fréquentation. Où est-ce qu'on en est dans la fréquentation ? Est-ce que ça remplit les deux niveaux ou un seul niveau pour le Grand Théâtre, vu que là, on est sur un orchestre, un balcon ?
Y : Donc, vous êtes dans un langage technique rapide et efficace, parce que, comme tu l'as dit, avant un spectacle, il n'y a pas tant le temps de canaliser le flux.
C : Ok. Je sens que j'aimerais bien un jour voir un spectacle commencer à l'heure.
Y : Ça ne t'est jamais arrivé ?
C : Non, mais...
Y : Non, mais c'est une question, c'est vrai. J'avoue, je fais partie des gens du public qui sont...
C : Ça a pu arriver, mais moi, en tant que spectateur, je m'attends rarement à ce que ça commence à l'heure, il y a toujours 5 minutes. Et c'est plutôt bien pour les personnes qui sont à la bourre. Le jour où tu seras à la bourre, tu seras contente de les trouver.
Y : Du coup, maintenant, j'arrive à la fin, tu vois. Je fais partie des gens qui arrivent à 20 h moins 2, et j'arrive.
C : Ça ne sert à rien de venir trop tôt, finalement. Mais vous arrivez tous à la même heure, en gros, à moins le quart. Et là, on a un bloc de gens...
Y : C'est vrai, c'est vrai, c'est vrai. Oui, bien sûr.
[…]
C : Oui, je te disais, je me suis rendu compte avec le temps, et ce boulot est une vraie richesse pour ça. Il y a beaucoup d'opportunités à le voir : c'est la richesse du public, la richesse des gens en fait. Et si on les aborde par le biais de la case, en disant « cette personne-là, je l'identifie comme ceci, comme cela », elle va souvent nous surprendre au long cours. Le public est fidèle et revient chaque année, et petit à petit, on découvre les gens. On se rend compte qu'ils ont un univers beaucoup plus vaste que la case dans laquelle, a priori, on les a mis. Évidemment, ce réflexe de case, il vient tout seul. Sauf qu'après, il faut savoir le pondérer en disant « je ne peux pas empêcher cette idée de venir et de me dire : cette personne, je l'identifie comme ça. Mais j'ai la responsabilité par contre d'évacuer cette idée-là et de me dire : elle va me surprendre. Et peut-être que l'idée que je me fais de cette personne, elle est restreinte. » C'est comme une envie de colère : on ne peut pas empêcher la colère de venir. Par contre, on est responsable de l'exprimer : est-ce qu'on arrive à l'éteindre, ou est-ce qu'on arrive à zapper la situation, dire « je pars et je vais me calmer » ? C'est pareil. On est assailli par ce truc de case.
Or, le public, je le vois, ils sont d'une richesse. Le milieu culturel a tendance encore à ranger, à classer les spectatrices et les spectateurs : il y a les spectateurs du théâtre contemporain, il y a les spectateurs du théâtre de divertissement. Or, le public, ils se croisent. Ils vont voir un jour un spectacle très contemporain à MC2. Le lendemain, on les voit à la Belle Électrique dans un concert de rock ou un truc électro. Et après, ils vont voir une pièce classique. Eux, ils vont complètement niquer ces frontières. Je n’arrivais pas à trouver d’autres mots appropriés. Après, il y a des gens qui sont dans un univers culturel très attendu. Ils ne sont pas si nombreux que ça. Il y a quand même beaucoup de richesses.
Y : D'avoir constaté ça, parce que du coup tu es passé d'ouvreur à la billetterie puis responsable de billetterie.
C : C'est ça, j'étais ouvreur, agent billetterie, donc caissier, et après responsable de billetterie.
Y : D'avoir observé ça, est-ce que ça a nourri ton travail plus tard à la billetterie en tant que responsable aujourd'hui ? Cette question de cases justement, parce que mine de rien, aux billetteries ça doit être pas mal de tableaux Excel, des cases.
C : Alors là, on aborde quelque chose qui relève quasiment de la névrose pour moi : c'est le tableau Excel. (rires) C'est-à-dire que quand j'ai un problème, je le pose sur Excel, mais je ne l'applique pas aux gens. Par exemple, si on aborde avec un a priori le public, on va à l'échec.
Ça m'est arrivé de nombreuses fois. C'est pour ça qu'aujourd'hui, c'est l'expérience qui m'a fait en sortir. Bien sûr que j'ai réagi de nombreuses fois comme ça. La personne me dit qu'il y a tel problème, etc. J'avais une réponse préconçue, et je me suis rendu compte à de nombreuses reprises que j'étais à côté de la plaque, et qu'il y avait autre chose à chercher.
Je n'ai pas tellement d'exemples précis, mais ça va être par exemple qu'on fait une double billetterie, comme hier soir, il y a deux billetteries qui vendaient des billets pour le spectacle Au nom du père. Une personne arrive, elle me dit « j'ai un problème avec ma commande. » L'idée, ce n’est pas de se dire tout de suite « allez voir les Arts du Récit, ce n'est pas avec nous, » parce que je ne trouverai pas son nom.
Il faut creuser plus en profondeur : à quel nom avez-vous pris les billets ? Est-ce que ça s'est fait par téléphone ? Est-ce que ça s'est fait au guichet ? Est-ce que vous les avez pris par Internet ? Et à de nombreuses reprises, j'ai été surpris entre l'idée que je m'en faisais et la réalité du problème. Donc, ça m'a amené une ouverture en me disant : stop les a priori, à la fois sur les dossiers et aussi sur les gens. Parce que les idées que je me faisais de la chose, elles étaient parfois à côté de la plaque.
Y : L'évolution technologique a sûrement impacté la billetterie. Alors, déjà, m'expliquer un petit peu ce que tu as constaté de l'évolution technologique par rapport à ça. Et ce qui est intéressant avec ce que tu viens de dire, c'est pour ça que je pense que c'est quelque part, quand tu m'as dit : la personne vient, tu viens avec ton idée préconçue, va parler à l'association Art du Récit. Mais ça n'empêche que vous avez sûrement un logiciel, mais tu ne trouveras pas son nom.
Donc tu es obligé quelque part de poser des questions à l'humain en face de toi, d'avoir un contact humain, d'avoir une recherche humaine pour pouvoir trouver le document à travers un outil technologique. Je trouve ça intéressant parce que dans cette société, on nous vend qu'on a besoin de la technologie et que le rapport humain va de plus en plus disparaître. Mais malgré les outils technologiques, le rapport humain reste essentiel dans ton secteur de travail.
C : Oui, on a vu le métier changer avec l'arrivée d'Internet.
Y : C'était en 1993 ?
C : Non, en billetterie, c'est un peu plus tard. Nous, on a commencé à vendre par Internet qu'en 2008 et on était informatisé. Du moment où je suis arrivé, en 1999, on travaillait sur l'informatique.
Avant 1999, j'étais ouvreur, donc je n'avais pas tellement de vision sur la gestion.
Y : Donc, 1999, c'est-à-dire qu'il y a les ordinateurs comme outils de travail, c'est ça, et 2008, vente sur Internet ?
C : Oui, et ça a vraiment changé la donne. Ça abat un travail exceptionnel. On a l'impression d'avoir un caissier ou une caissière supplémentaire.
Ça coupe effectivement du public. Du coup, on se retrouve plus en gestion. Il y a beaucoup plus de gestion informatique, de paramétrage, de suivi de mails.
Le public aussi nous contacte par mail et donc, à distance, ça change vraiment. On l'a observé : il y a les stations-services, le secteur bancaire, le secteur de la billetterie. Ce sont des métiers qui ont été, comment on dit ? C'est digitalisé ou numérisé, je ne sais plus quel est le terme. Ça nous amène une facilité de gestion. Ça nous coupe du public, c'est évident.
Ça nous amène aussi une facilité de gestion qui est assez énorme.
Y : Donc, ça facilite ta gestion.
C : Le métier avant, c'était des plans de salles papier. C'était des options écrites au crayon de papier. Ensuite, on efface au crayon de papier et on écrit au stylo quand le billet est vendu.
Et par ailleurs, à côté de ça, on avait des carnets trois souches et on déchirait le billet pour le donner à la personne en écrivant à la main. Donc ça, on parle du métier avant.
Y : Il reste encore des plans de salles, des souches ? S'il y a l'occasion, ça pourrait m'intéresser. Sait-on jamais.
C : Non, je n’en ai plus J'en ai vu, mais je n'en ai pas vu depuis 20 ans. J'en ai vu quand j'ai commencé, mais je n'en vois plus maintenant.
Y : Oui, je me doute que ça doit être évacué depuis, sait-on jamais. Des fois, on tombe sur un papelard comme ça.
C : Voilà, ça, c'est le dernier que j'ai gardé. Ça, c'est le Théâtre 145 et c'est une collègue qui ne bossait pas sur l'informatique. Elle bossait pour le Tricycle à l'époque.
Y : Alors, moi, je suis sur Grenoble depuis septembre, donc je ne connais pas tout.
C : Le Tricycle, c'est un projet culturel qui a géré le Théâtre 145 et le Théâtre de Poche pendant trois ou six ans, je ne sais plus la période. Ils n'avaient pas tellement de moyens informatiques en billetterie, donc elle se retrouvait à gérer les choses avec ce plan de salle papier, plus un cahier à côté où elle notait les demandes en option. Elle attendait que ça se confirme.
C'est une gestion qui n'est pas des plus pratiques. Du coup, je l'ai quand même gardé parce que c'est le collector. On voit ici des petites notes : l'école en paire avec les groupes 27, plus 2, 27, plus 2, 27, plus 2.
Donc là, on a trois classes avec les accompagnateurs. On a ici des notes sur les niveaux CP, CE, CE2, CM1, CM2. Là, on a des calculs de fréquentation, apparemment 145, 168 pour un total à 213.
Je ne sais pas tellement ce qu'elle a voulu mettre, mais moi, je retrouve une approche de billetterie qu'on a, nous, sur l'informatique.
Y : C'est intéressant. Donc, l'évolution technologique apporte des facilités de gestion, un gain de temps, d'énergie, j'imagine, mais le contact humain reste central.
C : On ne pourra pas s'en passer. C'est un leurre de penser que la technologie va remplacer l'humain. Je pense que le public n'est pas tellement content de dialoguer avec un chatbot sur des sites avec des réponses qui sont préformatées, même si ces réponses préformatées peuvent répondre aux trois quarts des premières demandes et un quart, il va falloir creuser, donc entrer en relation avec l'équipe.
Et si ça arrive à satisfaire 75 % des demandes, ok, mais je ne pense pas que ce soit aujourd'hui apprécié par le public. Je ne sais pas si les jeunes générations vont s'en emparer et apprécier le chatbot. Moi, généralement, je n'utilise jamais le chatbot. Je ne discute pas avec le chatbot.
Je préfère aller chercher du côté des conditions de vente sur un site x ou y et entrer en contact avec l'équipe, soit par écrit, soit par téléphone. Nous, de notre côté, on fait toujours le choix de se plonger à fond dans une gestion informatique tout en conservant des plages d'ouverture importantes au public.
On avait fait le bilan sur ça, justement, on avait comparé les temps d'ouverture des principales salles de l’agglomération, MC2, La Rampe, Saint-Martin-des-Rancennes, etc., pour s'inscrire dans des standards. Et je crois qu'on a à peu près 25 heures d'ouverture guichet par semaine, ce qui laisse des plages assez faciles pour le public pour pouvoir venir ici. On constate que le public recherche surtout des services en ligne, mais on conserve malgré tout cette ouverture. Elle est importante à la manière dont on accueille, physique comme en accueil téléphonique.
C : Ok. Tout à l'heure, au tout début, avant même qu'on commence à parler, tu parlais de « l'apeuprisme » (l’à-peu-près) en termes de temps, qui est un phénomène de notre société, notre génération actuellement, de ce qu'on vit. Le temps court ?
Oui, tu sais, tu me disais 9h, 9h30, de toute façon, c'est une demi-heure par semaine. Non, ce n’est pas pour revenir sur ça. Écoute, c'est ce que j'allais dire.
Et je me suis dit, en fait, ça ne m'étonne pas que pour lui, ce soit hyper important. Il est en billetterie. Il faut respecter les horaires.
Chaque période de 30 minutes, comme tu l'as dit, ça demande beaucoup de travail. À travers ton travail, qui sûrement doit beaucoup jouer sur la gestion du temps, comment tu arrives justement à observer cette question de « l'apeuprisme » sur le temps dans notre société ? Comment tu le constates ? Comment tu l'observes ?
C : Alors, l'apeuprisme, il faudrait préciser, c'est...
Y : Oui, j'avoue que là, je rebondis sur une petite réflexion que tu as dite, mais qui, pour moi, je me suis dit, oui, c'est révélateur de quelque chose qu'il vient de dire. Ce côté où 9h, 9h30, ou comme tu disais, de plus en plus de gens...
C : Ce qui me fera bondir, c'est si je vais voir la personne qui a dit 9h à l'un et 9h30 à l'autre, et qu'elle me répond, oh, c'est pareil. Non, ce n’est pas pareil. Ce n’est pas pareil, parce que ça fait que toi t'arrives en avance, rien n'est prêt.
Non, c'est cette forme de légèreté qui va après… le fait d'être approximatif. « L'apeuprisme », on peut le définir par l'approximation. Ça manque de précision, ça fout la merde.
Bon, après, voilà, ce n’est pas très grave, t'as attendu un quart d'heure.
Y : Non, je ne parlais pas nécessairement de mon cas, tu vois, c'était plus à généraliser.
C : Mais on partait de cet exemple-là, et souvent, ce qui accompagne l'approximation, c'est le m'en « foutisme ». Oh, ce n’est pas grave, c'est pareil. Mais non, ce n'est pas pareil.
Quelqu'un qui vient le 22 avec un billet du 23, ce n’est pas pareil. Vous revenez demain. Bon, ce qui est embêtant, c'est quelqu'un qui vient le 22 avec un billet du 21.
Vous revenez hier, ça ne marche pas. J'ai vu qu'il y a une forme d'approximation qui s'installe, soit parce que la personne, elle a ça en elle, elle est dans l'approximation, ou alors les mauvaises fois aussi. Il y a des fois la mauvaise foi.
Mais pour revenir à ce dont tu parlais, c'est le temps court qui nous amène à faire des choses moins bien. Donc on va être dans l'à-peu-près parce qu'on va nous mettre dans un temps court. Il va falloir rendre le travail rapidement.
La commande arrive très tard. Et ça, ça augmente, tu parlais de l'impact du temps sur l'approximation, ça augmente l'effet d'approximation. Du coup, on se débarrasse des choses parce qu'on n'a pas le temps de les faire correctement.
Je suis assez mon travail, j'essaie de le tirer vers le haut tout en me disant que si je suis en recherche de perfection, je me mets en difficulté. Parce qu'aujourd'hui, on n'a plus le temps ni les outils de faire de la perfection. Pourtant, je suis assez perfectionniste.
Je suis obligé de pondérer ce trait parce qu'au-delà, ce n’est pas que le TMG, c'est l'ère du temps en général en entreprise. Comme on ne nous offre pas les moyens, soit de temps, soit d'outils, alors faisons les choses comme on peut. Mais ça m'embête, ça n'est pas ma façon de fonctionner.
Y : Si je pose la question, c'est parce que c'est un constat aussi que j'ai sur le temps. On se met d'accord sur des horaires, mais on ne les respecte plus tant. Et c'est devenu un réflexe, une habitude.
Même moi qui étais quelqu'un de très ponctuelle à l'époque, comme je l'ai dit, j'ai dû venir à 20h58, enfin 19h58, parce que voilà, en fait, je suis tellement le genre de personne que par effet de groupe, par effet de société, une généralisation de ce genre. Et je me dis pour quelqu'un qui doit gérer une entrée d'un spectacle, un spectacle doit commencer à une certaine heure, il y a un flux, il y a une quantité de personnes. Moi, quand je t'écoute parler, et même quand je vois à ce plan, moi j'ai dix ans d'expérience dans la restauration, c'est exactement ça qu'on fait.
Et encore aujourd'hui, dans plein d'endroits, on fait des plans de salles manuscrits. Il y a beaucoup de liens entre ces deux secteurs. Et oui, il y a l'accueil, il y a l'image, il y a la prestance, c'est la façade.
Enfin, on représente une entreprise.
C : On travaille aussi sur un moment de loisir et de plaisir. Il faut que ça reste un moment de plaisir pour le public.
Y : Alors que toi, tu encaisses une forme de pénibilité du travail. Et donc, il ne faut pas que ça se voie, parce que c’est gâcher le public. Et donc, il y a toute une contrainte professionnelle. Comme tu l’as dit, tu vas voir le spectacle, mais tu n’es pas dans l’appréciation comme un spectateur, parce que quelque part, tu travailles là, maintenant.
Donc tu n’es pas dans cette décontraction. Et donc cette question du temps, c’est pour ça, à force de t’écouter, je me disais : mais en fait, tu pointes quelque chose qu’on retrouve dans notre société aujourd’hui. Cette question du temps : on n’arrive plus à se croiser ensemble, parce qu’on n’a plus la même perception du temps.
On n’est plus d’accord sur le référentiel temps. C’est-à-dire, mettons 20 h, on se dit 20 h, et on arrive en avance, on arrive en retard. Et pourtant, pour tout le monde, on avait dit 20 h.
Donc c’était pourtant dans ce sens-là.
Maintenant, revenons à l’architecture.
C : Par rapport au fait de venir à telle ou telle heure. Quand on va dans un nouveau lieu qu'on ne connaît pas, je conseille toujours aux personnes d'y aller suffisamment tôt pour pouvoir en profiter, profiter du hall, profiter de la salle, regarder les gens arriver. C'est des choses qu'on zappe un peu, mais ça faisait partie du plaisir aussi de venir au spectacle.
Du coup, c'est aussi un peu faire société et ne pas être que dans un acte de consommation. Après, quand on connaît le lieu, c'est plus fréquent, effectivement, d'arriver à moins cinq, cinq minutes avant le début, parce qu'on a moins envie d'en profiter. Le lieu n'offre plus de surprises.
En tout cas, à chaque fois que je découvre une nouvelle salle, à Grenoble ou ailleurs, j'essaie d'y aller tôt parce que ça fait partie du plaisir. C'est une première fois et ça compte.
J’ai découvert La Vence Scène. Tu connais ? A Saint-Égrève.
Je n’avais jamais vu ce lieu depuis qu'il est rénové. Ça fait des années qu'il est rénové, mais je l'ai connu avant. Je me suis fait un plaisir à découvrir ce nouveau lieu rénové.
C'est très, très chouette. J'aimerais avoir un équipement de cette qualité-là en termes d'espace, de rénovation, de couleurs. Il y a une bonne âme à l'avance.
Ce qui est chouette, c'est qu'il mélange spectacle, cinéma et lieu de vie. On peut aussi, je crois, se restaurer, boire un coup, ce qu'on ne trouve pas dans nos lieux. Il y a moins de convivialité aussi.
Ce sont des vieilles salles. Elles ne sont pas du tout au standard de ce qu'on peut voir actuellement à la MC2, à la Belle Électrique ou à la Vincennes. Du coup, je me suis fait un plaisir.
La première fois que j'irai, peut-être que j'irai plutôt pour boire un coup ou j'arriverai à l'arrache. Mais ce n'est pas grave, ce sera la deuxième fois. La première est importante et on oublie ces premières fois.
On oublie aussi de prendre le temps. Ce n'est pas que les gens soient bêtes. C'est juste que l'ère du temps a modifié notre rapport au temps.
On n'en a plus beaucoup. On court après le temps. Tous.
Y : Et donc toi, tu l'as constaté en plus d'un quart de siècle à travailler ici, dans ces lieux, dans le comportement du public. Est-ce que tu as des images, une façon de pouvoir l'expliquer ? Est-ce que tu as observé, constaté, même si c'est subjectif ?
C : Non, ce qui me vient en tête, c'est la claque que la Covid nous a mis. Comment elle a fait bouger les lignes. Le public avait besoin de beaucoup, beaucoup de souplesse à la sortie Covid.
Et celles et ceux qui réservaient n'étaient pas sûrs de pouvoir venir. On a eu énormément d'appels de personnes qui ne pouvaient plus venir parce qu'elles étaient positives. On les a accompagnés le plus possible, c'est-à-dire en basculant leur billet vers un autre spectacle.
Soit on changeait de date pour le même, soit on basculait sur un autre spectacle plusieurs semaines après. Alors ça ne répond pas à ta question, qu'est-ce qui a changé ? Mais voilà, c'est à ça que je pensais pendant que tu m'en parlais.
Et nous, du coup, ça nous a amené dans une forme de souplesse qui n'était pas du tout à l'œuvre avant la Covid. Ce n’était ni repris, ni échangé, ni remboursé. Et de manière stricte et ferme, comme ce n’est pas croyable. Le collègue, le responsable de l'époque disait que les gens prenaient un rendez-vous et qu'ils s'y tiennent. On n'était pas là pour gérer leur agenda grâce à la Covid. Et puis, du fait de son départ, les lignes ont bougé.
Y : Ça c'était avant Covid ?
C : Ça c'était avant Covid. Et déjà avant Covid, je poussais parce que je n’aimais pas trop cette règle. Je poussais pour que quand on avait des demandes, on puisse y répondre pour changer de date ou changer de spectacle.
J'avais rarement gain de cause. Et du coup, après le départ de mon collègue et vu le contexte, le curseur de la souplesse, il l'a augmenté de manière exponentielle.
[…]
Merci beaucoup. Pour présenter Gisèle, tu travailles chez nous depuis combien de temps ?
G : Depuis 2 juin 2005. OK.
C : Gisèle, elle est embauchée par une entreprise extérieure.
Elle n'est pas embauchée par la ville, mais en fait, tu fais partie de la famille.
Tu es là depuis tellement longtemps.
G : Juin 2005, je suis arrivée.
C : Et de ton côté, ça ne représente plus que 80% de ton activité.
Tu ne bosses pas ailleurs. Souvent, les personnes qui sont des prestataires, il y a une sorte de distance qui n'est pas à l'œuvre avec Gisèle. Il y a complètement moins de projets dans l'équipe.
Je pense que des choses à dire, des choses que tu as vues, il y en a pas mal.
Y : Oui, oui. Merci beaucoup en tout cas. Merci.
G : Bon, à bientôt.
Y : Oui, à la semaine prochaine. A bientôt.
Magnifique. Oui, désolée, parce que justement, moi aussi, je voulais parler à presque tout le monde, à presque tous les secteurs, peut-être pas tout le monde, parce que tout le monde n'aura pas envie de parler.
[…]
C : Par rapport au temps, en fait, j'ai du mal à l'expliquer. Je constate que le rapport au temps, il a changé à la fois à titre personnel sur ma vie, mais aussi à titre professionnel sur la vie du public, les questions qu'il nous pose, les délais courts dans lesquels il nous place. Là, par exemple, je me rappelle, ça avait marqué pour les journées du patrimoine.
Le public voulait s'inscrire par mail jusqu'à 10 minutes avant l'événement. À un moment, sur un délai aussi court, tu téléphones ou tu passes. C'est des gens qui étaient avec leur smartphone peut-être qu'à 5 minutes, mais on ne sait pas, ils étaient peut-être chez eux.
Ils veulent qu'on soit à 100% sur la boîte mail qu’il y ait tout le temps quelqu'un qui veille pour qu'on leur réponde quasiment dans la minute. Je ne trouve pas ça très efficace de se mettre dans des délais aussi courts et de nous mettre dans des délais aussi courts.
Y : Justement, est-ce que ton expérience professionnelle te sert pour en dehors du TMG ? Rien à voir avec ton lieu de travail, mais c'est-à-dire dans ta vie personnelle, quand tu fais des choses, cette expérience par rapport à ton travail.
C : Ça marche dans les deux sens et c'est évident, il n'y a pas de cloison. Mon expérience personnelle nourrit mon attitude professionnelle et à l'inverse. Par exemple, je suis beaucoup plus spectateur à titre personnel.
C'est maintenant plus le travail qui m'amène au spectacle comme ça a été le cas au début. Maintenant, je fais mes choix moi-même et il y a peut-être des gens qui réagissaient comme ça. Je travaille dans une salle de spectacle et je vais beaucoup au spectacle dans cette salle de spectacle et pas tellement ailleurs.
Moi, c'est l'inverse. Je vais beaucoup plus ailleurs qu'ici.
Y : Qu'est-ce que tu penses de ton espace de travail ? C'est-à-dire en comprenant le bureau ici, mais tous les espaces dans lesquels tu es amené à travailler. Qu'est-ce que tu penses de ces espaces de façon intellectuelle et sensible ?
C'est-à-dire, est-ce que quand tu es au 145, tu te sens bien ? C'est ridicule, mais des petits trucs comme ça.
C : On a quatre points de billetterie. Deux au Grand Théâtre avec cet accueil-là qui a pignon sur rue et qui est facilement accessible. Le point de billetterie qui est dans le hall qui sert uniquement en accueil spectacle, plus les deux accueils 145 et Poche.
Au Grand Théâtre, on a de la place, une belle surface et des locaux qui ont été rénovés, même si maintenant ça date un peu, qui sont relativement agréables. Par contre, au Théâtre 145 et au Théâtre de Poche, on est dans des locaux qui sont un peu mutualisés où on va trouver... Il faut avoir un espace pour de la com, pour des affiches, un espace pour de la technique, un vestiaire dans des lieux qui sont tout petits, donc on n'est pas très confort.
Ça va pour faire un service de billetterie en accueil, mais je n'envisagerais pas de travailler régulièrement et au long cours dans ces petits espaces. Puis après, de manière assez plus anecdotique, le Théâtre 145, il y a une vitre entre l'accueil billetterie et le public. Du coup, on ne s'entend pas, ça fait une distance.
Au Poche, on n'a pas de vitre et c'est beaucoup plus agréable. Après, ce que j'aimerais, c'est qu'on ait, mais ça relève du fantasme, qu'on ait une belle rénovation des trois lieux, à la fois en termes d'espace de circulation, mais aussi en termes de décoration, de peinture, des choses qui sont un peu plus dans l'air du temps. On ne l'aura pas, il n'y a pas de moyen.
Mais voilà, ce serait ça les accueils.
Y : Qu'est-ce qui te touche particulièrement ? C'est des architectures pour certaines, surtout le grand théâtre, historique, dans le domaine patrimonial, puis c'est aussi des lieux de pouvoir, vu que c'est un théâtre municipal, par l'État, quelque part. Donc, qu'est-ce qui te touche dans ces bâtiments ?
Quel effet ça fait de travailler dans ces bâtiments ? D'animer, de continuer à rendre vivants ces bâtiments, pour la simple et unique raison que s'il n'y a pas d'êtres humains dans un bâtiment, le bâtiment tombe en ruine. Voilà, quel effet ?
C'est plus sensible comme question.
C : Il y a plein de choses dans la question. Le sensible, il tend à diminuer avec le temps. Le sensible, il s'érode.
Je suis très, très coutumier des lieux, un peu blasé, ça fonctionne moins. Il y a aussi une attente en rénovation. A force d'être dedans, on voit tout ce qui ne va pas.
Et de temps en temps, c'est très rare, ce n’est parfois même pas toutes les saisons, il y a cette sensation de dire, quelle chance de travailler dans un théâtre, à la fois un lieu atypique, un lieu qui n'est pas forcément ouvert au public tant que ça. Il y a énormément de choses cachées au public, auxquelles nous on a accès. De temps en temps, il y a cette sensation de chance.
Mais depuis le temps, ça fait 30 ans que je les côtoie, les lieux, ça marche moins.
Y : Mais c'est du sensible, le fait de dire qu'on côtoie tellement un lieu qu'au bout d'un moment, il n'a moins d'impact sur nous, ça reste une définition sensible. Maintenant, à force de faire des entretiens, je crois que tu dois être la sixième personne, un peu comme ça, donc il y a déjà quelques personnes qui sont passées, à chaque fois que je vous pose une question, il y a cette notion de ça fait longtemps que je suis là, donc je ressens moins. Et puis surtout, les choses qu'ils estiment, qu'elles estiment être négatives.
Parce que voilà, comme tu viens de le dire, au fur et à mesure qu'on passe du temps, il y a ce qui nous saute aux yeux, c'est surtout ce qui ne fonctionne pas, ce qui ne va pas. Et ce que je trouve intéressant, ce n’est qu’aucun d'entre vous ne considère que ce soit une réaction sensible, qu'à force d'être dans un bâtiment, on est moins dans le fantasme du bâtiment en soi, de la beauté, et qu'à force, on voit les petits détails, que ça joue aussi.
C : Moi, l'expression du sensible, c'est quand j'ai cette sensation qui vient toute seule de me dire quelle chance j'ai, quelle chance on a. Et là, il y a une sensibilité, j'ai conscience que je touche du doigt. Et ce n'est pas parce qu'elle est positive, parce qu'il y aurait de la colère, je te dirais qu'il y a de la sensibilité aussi.
Non, c'est vraiment cette neutralité, ça ne fonctionne plus. On voit ce bâtiment comme un outil de travail, comme un lieu dédié à l'industrie du spectacle. Ce mot, il n'est pas très apprécié aujourd'hui.
Y : Moi, c'est comme ça que j'appelle, et je me rends compte que dans le milieu, les gens, on le dit dans le cinéma, industrie du cinéma, mais dans les arts de la scène, ils ne supportent pas qu'on dise industrie. Pourtant, il y a un rapport industriel, pas dans le sens industriel-usine, mais c'est un processus en fait de l'industrialisation. Et toi, tu le retrouves ?
C : Oui.
Pour moi, c'est un lieu de travail avec des endroits qui peuvent être potentiellement dangereux, un palan, toute la zone technique où on ne va pas aborder un plateau des coulisses la fleur au fusil. Il faut faire attention, il y a le grill. Quand les collègues en technique font des manipulations, je fais toujours attention à ne pas circuler dans leur travail avec des choses qui peuvent être au-dessus qu'on ne voit pas, des accroches au niveau du grill.
Y : Être devenu, être passé responsable de billetterie. Alors, comment t'a servi toute ton expérience d'avant pour être à ce poste ? Et qu'est-ce que ça change en fait dans le métier, dans ta carrière ?
Au fur et à mesure que tu es passé d'un poste à l'autre, ça change. Dans la pratique, dans le corps ? Parce que peut-être tu es plus derrière ton bureau en étant responsable billetterie.
Je ne sais pas, tu vois, c'est vraiment des questions, je suppute. Du coup, oui, on change de poste. Ce n'est pas le même travail.
C : Au départ, c'est un défi. C'est un défi qui repose sur une expérience. Du coup, qui crée de l'envie.
Il y a de l'envie au départ de décrocher le poste et de mettre en pratique toute mon expérience accumulée en tant que caissier et au cas de mon prédécesseur, qui m'a quand même pas mal au fil de l'eau transmis les choses. Par contre, la passation, on l'a faite en moins d'une journée. Parce que ce qu'était le théâtre avant n'était pas dans les attentes de la direction actuelle.
J'avais, avant de prendre le poste, une assez bonne vision d'où on était et d'où on devait aller. J'avais aussi une assez bonne vision de là où j'étais bon et là où je devais monter mon expertise. Sur la gestion CRM, c'est-à-dire le fichier client.
Et du coup, le lien entre la billetterie et la communication. Ça, c'est quelque chose avec lequel je n'étais pas à l'aise et sur lequel je dois encore travailler. Donc, c'est vraiment ça.
Je savais qu'il y avait beaucoup à faire. On est quand même passé d'un théâtre tourné vers de la diffusion avec des spectacles de divertissement à un théâtre qui va aborder beaucoup plus la création avec quasiment pas de tête d'affiche.
[…]
C : Je te disais, on est passé d'un projet très tranché à un autre projet très tranché. En trop bien de temps ?
Y : Radicalement ?
C : Non, pas radicalement, ça a été pénible, ça a été poussif. Ça a pris 3-4 ans.
Y : C'était quelle époque ? Quelle année ?
C : J'ai un peu du mal avec les dates, mais on va dire 20-21, ça a été... Alors 19-20, on a la Covid sur... Ensuite, 20-21, on a la Covid de novembre à avril.
La première vraie saison, c'est 20-21 en termes de programme, sauf qu’elle est bouffée à moitié par la Covid, voire aux trois quarts. Mais c'est l'année 1 pour moi. Sauf qu'en fait, sur la mise en place de ce projet, quand la municipalité arrive en 2014, on nous demande de rédiger un projet d'établissement.
Ce projet d'établissement a dû aboutir en 2018. Ça a mis pas mal de temps.
Et à partir de 2018, le projet d'établissement a été finalisé et acté par la municipalité. Progressivement, les équipes ont vu le projet s'installer dans leur métier, mais pas dans la même temporalité. En technique, ça a été un peu plus tôt que nous, parce qu'en technique, ils ont commencé à travailler en accueil de compagnies pour de la création, pendant la période Covid, là où nous, on a vu le spectacle annulé.
Donc nous, on est arrivés un peu plus tard. Je dirais 19-20 pour la technique, 20-21 pour la billetterie, en année 1. C'est des projets qui sont ultra tranchés.
Il y en a un qui va plutôt relever de la MC2. L'autre qui va plutôt relever du théâtre privé parisien. Avec de la diffusion, du divertissement côté théâtre privé, et des spectacles plus exigeants, plus contemporains côté création.
D'un côté, il y a de la tête d'affiche. De l'autre côté, il y a des artistes moins identifiés. Et après, ce n'est quand même pas le même public.
Y : Et qu'est-ce que tu veux dire par ça n'est pas les mêmes publics ? Comment tu peux voir que ça n'est pas les mêmes publics ?
C : Parce que le public de l'ancien projet nous l'a dit « on ne vient pas ! » Pendant plusieurs années, pendant peut-être 2 ou 3 ans, pour les plus motivés, chaque année, il y a le programme, mais il n'y a pas de tête d'affiche. « Je ne viendrai pas cette année. »
Puis après, ça s'est épuisé. Maintenant, les gens ont compris. Il y a quand même un public qui...
Il y a de la porosité. Le public va d'un lieu à l'autre. Puis il y a des personnes qui sont braquées.
Tout ce qui est relayé par la télé, en fait. Et ils ne vont pas prendre de risques sur des artistes qu'ils n'identifient pas. Mais ils ont quand même une richesse.
C'est des personnes qu'on peut voir sur l'opéra qui a lieu au Summum chaque année,[…]. Qui va voir un théâtre divertissant, et qui peut aller voir un concert de musique française ou de rock à la Belle d'Electrique. Mais par contre, en termes de théâtre, il y a des têtes d'affiche, des choses légères.
Ça reste spécifique au théâtre. La danse aussi. Il y a des publics qui sont prêts à la danse classique, qui viennent nous voir et on n'en propose plus.
Je leur dis, à Grenoble, vous n'en trouverez pas la danse classique. On en a fait, nous, pendant des années.
Y : Avec ce que tu viens de dire, je suis désolée, je fais un lien avec ce que tu as dit un peu plus tôt, que dans les années 94, c'est-à-dire quand tu as commencé, tu as remarqué qu'il y avait encore du public, cette petite bourgeoisie. Avec ce que tu viens de raconter, est-ce qu'il y a un lien dans l'évolution des choses, des différents changements que tu as observés par rapport à ça ? C'est-à-dire, tout à l'heure, tu as expliqué que ça s'est cassé, ce petit modèle de la petite bourgeoisie habituée, avec ses petits abonnements et les autres qui sont satellitaires, comme ça.
Ce côté d'avoir cassé ces mouvements habituels dans le public…
C : En fait, ils se sont éteints un peu d'eux-mêmes. Et les projets culturels s'en sont vus modifiés par l'ère du temps. Le public n'a plus tellement trouvé sa place.
Et il y a aussi le fait qu'ils n'ont pas tellement, pour beaucoup, pas transmis ça à la génération suivante. C'est pour ça aussi que ça s'éteint.
Y : Comment ça transmis ?
C : Par exemple, il y a une dame qui nous disait que les gens ne s'habillent plus quand ils viennent au théâtre, qu'ils sont en jogging, etc.
Y : Mais par rapport à ce qu'on disait, du coup... Oui, ils n'ont pas transmis leur habitude théâtrale d'aller au théâtre. Tu donnais des exemples...
C : Parce qu'en fait, aussi, il faut avoir en tête, d'un point de vue, l'impression que ça me donne, d'un point de vue sociologique, les élites d'hier ont été déclassées. La place du médecin, la place de l'instituteur, la place du professeur, elle est devenue lambda. Il y a autre chose aussi, c'est qu'on trouve un univers culturel, parfois, dans les CSP ouvriers, c'est des catégories socio-professionnelles.
En gros, c'est classer les gens en dix points. La CSP ouvriers employés, on voit des personnes qui ont une richesse culturelle bien supérieure au cadre ingénieur, pour certains cadres ingénieurs. Or, hier, dans les années 80-90, cette élite intellectuelle et économique, on associait élite intellectuelle et économique.
Aujourd'hui, une élite économique n'est plus forcément une élite intellectuelle. Et quand on voit dans la formation des ingénieurs, par exemple, les sciences humaines sont complètement à la trappe. C’est des très bons techniciens, des très bonnes techniciennes, ce n'est pas forcément des personnes qui ont un univers culturel riche. Et on trouve, après, une personne, par exemple, une bibliothécaire, qui va avoir un univers culturel, de par son métier et par son univers personnel, d'une richesse incroyable.
Voilà, du coup, c'est comme aussi l'ascenseur social. On était fils de médecin, on s'en sortait, a priori, bien. Il est cassé cet ascenseur.
Mais, voilà, du coup, la société a changé. Et le truc de « il faut bien s'habiller pour aller au spectacle », il n'existe plus aujourd'hui. Donc, j'ai l'impression que ça ne s'est pas transmis.
Et ça va dans le glissement de la société. Elle mute. Je l'explique plutôt comme ça.
Y : Super intéressant. Quels sont les gestes et les sons ?
Quels sont les gestes que tu es amenés à le plus reproduire ? Et quels sont les sons en lien avec ton métier, dans cet endroit, qui te restent en tête et qui te travaillent parfois ?
C : Les gestes, c'est des gestes liés à l'informatique. Et c'est les troubles musculosquelettiquesqui vont avec.
Y : Tu peux me donner plus de détails ?
C : Tendinite au poignet, au coude et à l'épaule, par exemple. Douleur musculaire dans le bras droit, pour un droitier. Donc, il y a énormément de travail informatique.
Les gestes répétitifs de la souris et du clavier. La position assise. Voilà, c'est ça, l'essentiel de notre quotidien.
Après, au niveau des sons, il y a quelques sons qui sont… qui sont assez particuliers sur ce lieu au Grand Théâtre. Il y a un écho dans le hall qui donne un effet un peu église.
Il y a cet écho dans le hall du public qui donne un son église. Il y a la sonnette aussi, qu'on n'utilise plus, et qui rappelle ce dont on parlait.
C'est-à-dire cette belle société. Je dis belle comme belle époque. C'est un label.
Je ne la trouvais pas spécialement belle. Cette société bourgeoise des années 80-90, qui rappelle cette ambiance-là.
Y : Intéressant. Comment tu imagines cet espace évolué ? Ça n'est que de la supposition, évidemment.
Qu'est-ce que tu imagines après ton départ ?
C : J'aimerais bien que ça se mette en place avant mon départ.
Y : Quoi donc ?
C : Plus de convivialité. Des lieux peut-être plus ouverts dans la journée. Intégrer un espace de tiers-lieu dans lequel le public puisse s'investir.
Ne pas faire des lieux à tiers-lieu, mais un bout de tiers-lieu à l'intérieur des théâtres, qui serait animé, qui serait habité par les usagers. Et aussi un espace de convivialité, si possible.
Y : Est-ce que tu as des idées que tu as déjà soumises ?
C : Non.
Y : Tous ces documents... Je me demande...
Oui, je vois qu'il y a des mots, mais, tu vois, quand je vois tous ces classeurs... C'est quoi, ces documents, techniquement ? Tous ces classeurs, c'est...
C : Là à gauche, c'est principalement... C'est exclusivement des documents comptables. Ici, ça va être un peu un fourre-tout.
On trouve un peu de comptables. On trouve de l'archive de programmes. Des bouquins qui ont atterri là, on ne sait pas comment.
Ici, on trouve de la gestion de remboursement de spectacles, liés à la Covid et autres. Là, c'est des fonds de billets pour les imprimantes à billets. Ici, c'est du stock de matériel divers.
Et ça, c'est les documents administratifs et comptables de l'activité de location de salles. Et on est en train de travailler pour épurer ces archives. Et, petit à petit, de toute façon, comme tout le monde, on prend la distance avec le papier.
On est plus dans le numérique. Là, c'est quelque chose qui a vocation à dégager.
Y : OK. Là, j'ai vraiment une dernière question, puis j'arrête. C'est...
Avec toutes ces questions de programmation, et c'est vrai qu'à force de t'avoir posé des questions, je me suis rendue compte que t'avais pu constater des évolutions du flux sociologique et de comment on classe, et puis en billetterie, c'est quand même un travail de liste, de classe, donc il y a... Ces dernières années, il y a la volonté de... pas seulement au TMG, par rapport au programme, mais dans plein d'autres endroits, et puis même le gouvernement envoie des subventions pour ça, de diversifier, de ramener la diversité dans les programmations.
Et donc, ça a une influence sur les publics. Est-ce que d'avoir... Qu'est-ce que tu as constaté, en fait, de...
Et pas seulement vis-à-vis du TMG, par rapport peut-être à d'autres salles, en tout cas de ces dernières décennies, ici, à Grenoble, de diversifier un programme, de vouloir questionner la diversité de mille et une manières dans les arts de la scène. Quelle influence... Comment réagit le public, en tout cas ?
Qu'est-ce que t'as pu observer de ça ?
C : On parle de quelle diversité ? C'est-à-dire d'avoir plus de femmes ?
Y : C'est multiple, parce qu'il va y avoir plus de femmes, plus de minorités ethniques, plus de... Parler de l'écologie...
C : C'est vraiment une question multiple. Ça va être un début de réponse qui est loin d'être abouti. Quand on a programmé Idir...
Y : C'est quoi ?
C : Idir, chanteur Kabyle. Qui est un peu connu en France.
Y : Oui, je connais de nom, mais je ne maîtrise pas.
C : Moins connu que Khaled et Rachid Taha, mais on est dans ce...
Y : C'étais quand ?
C : C'était vers 2010, par là.
Le public... C'était un spectacle qui était très différent du reste de la programmation.
Ce n’est pas du théâtre. L'adresse, elle était... Pour tout le monde, pour autant.
On a vu beaucoup la communauté maghrébine venir, qui ne venait pas avant et qui n’est pas venue après. Quand on amène de la diversité dans la programmation, on touche d'autres publics.
Mais il faut avoir une adresse qui parle, qui fasse écho vers la communauté qu'on veut toucher. Là, on a proposé deux spectacles qui ont résonance avec l'Afrique du Nord : Koulounisation et Au Nom du père.
L'impact a été beaucoup moindre vers la communauté maghrébine et d'Afrique du Nord. On a retrouvé à peu près le même impact. C'est notre public habituel, à peu près.
Y : Comment, à ton avis, quel est le premier lien ? Même si ça n'est pas une justification ou une interprétation.
C : L'impression que j'ai, c'est que la communauté maghrébine elle n’est pas traversée vers le spectacle vivant des Français. Molière, ça ne leur parle pas pour beaucoup. La danse contemporaine, ça ne leur parle pas.
Mais allons au-delà, la communauté italienne, portugaise, espagnole, cette immigration, elle n'est pas tellement touchée non plus. Et il y a plein aussi de personnes qui sont des Français de souche qui n'y vont pas. Après, on va rentrer dans la transmission culturelle.
Quelle est la culture de l'Afrique ? Qu'est-ce qu'on leur a transmis ? Du coup, maintenant, je resserre par rapport à cette question ethnique.
Si on a un spectacle qui va être dans l'univers de la communauté, ça marchera. Si maintenant, on traite de questions qui sont celles de la communauté mais avec des artistes qui ne sont pas identifiés par la communauté, ce n’est pas sûr que ça marche.
Y : C'est intéressant parce que ça va avec cette notion que tu parlais de tête d'affiche, plus tôt, d'anciens habitués du TMG qui disent « on ne vient pas » parce que pendant cette saison, il n'y a pas de tête d'affiche.
C : Oui.
Y : Il y a un côté comme ça.
C : Un jeune de la 2e ou 3e génération, on va parler de colonisation, avec les mots de l'Algérie. On va essayer, et c'est par un Algérien, donc ça veut dire que ce n'est pas la France qui raconte ces événements et lui, il va vraiment mettre les vrais mots dessus comment l'a vécu le peuple algérien, c'est-à-dire une guerre, un envahissement. Ça aurait normalement complètement dû parler à des enfants issus de cette immigration.
Non, ils sont venus parce qu'il y avait Idir. Et pour autant, ils sont passés à côté. Attention, ce n'est pas que les personnes n'étaient pas intéressées, c'est qu'ils sont passés à côté.
Et si je devais aller sur une autre communauté, on fait un petit peu des spectacles queers. Avec des spectacles queers qui sont très visiblement queers et d'autres qui sont plus finement queers. Dans les deux cas, je n'ai pas souvenir que la salle soit squattée particulièrement par des personnes de la communauté queer.
Tu as entendu parler des 12 Travelos d'Hercule ?
Y : Oui, mythologiquement parlant.
C : Mais en fait, il y a une compagnie, c'est un collectif qui a fait un spectacle de drag Queens sur...
Y : Oui, je l'ai raté, j'étais malade. Parce qu'il est sorti il y a deux ans à Strasbourg et j'étais à Strasbourg. Oui, on m'a dit que c'était génialissime.
C : Les 12 Travelos d'Hercule.
Là, on est dans un spectacle qui va être très tranché. Pour autant, on avait un public très divers. C'est-à-dire qu'il y avait des étudiants de 25 ans, il y avait des dames de 55 ans qui nous en ont reparlé après, qui nous ont dit qu'il y avait énormément d'humour.
Parce qu'il faut garder en tête que 10 ans avant, je suis assez éloigné de tout ça, mais 10 ans avant, dans les cabarets où les drags se produisaient, c'était un public plus averti. Or, maintenant, on constate que les spectacles de drags peuvent aussi devenir grand public. Ça reste quand même des petites initiatives.
Même la télé, d'ailleurs, affiche de plus en plus le rôle de la drag Queen. Par rapport à ta question de diversité, c'en est une forme de diversité aussi. C'est important de prendre ces deux exemples et de ne pas rester uniquement dans la diversité ethnique.
Y : C'est pour ça que je te dis que la diversité, c'est multiple. Quand tu m'as dit que la diversité, j'ai dit oui. Et c'est pour ça que j'aimerais rester le plus large possible.
Parce qu'avec la diversité, surtout dans notre société actuelle, essayer de faire des généralités, je pense que c'est la plus grande erreur qu'on pourrait faire.
C : Par exemple, ça m'embêtait quand je parlais de la communauté maghrébine d'Afrique du Nord, parce qu'elle est beaucoup plus riche que ça. Et dans ces comportements de « on vient voir Idir, mais on ne vient pas voir Koulounisation » qui va pour autant nous parler de notre histoire, je mets aussi beaucoup de personnes qui ne sont pas de la sphère maghrébine, qui vont venir sur une tête d'affiche et qui ne viendront pas vers un spectacle qui va parler de leur intimité parce qu'ils n'en entendront pas parler. Il y a des tas de gens qui ne regardent pas notre programme.
J'ai l'impression qu'on bosse pour 20% des gens.
Y : Moi, qui suis d'origine maghrébine, marocaine et belge, et qui aime le théâtre, ça ne m'a pas nécessairement été transmis par des membres de ma famille. C'est avec à l'école ou en faisant des cours de théâtre à l'académie. C'est comme ça que je me suis ouverte à ça.
Moi, ce que j'ai constaté, c'est qu'en fait, aller voir un spectacle, ce n’est pas donné. Et on n'y va pas seul en général, on y va à plusieurs. Et c'est souvent une personne qui paie pour tout.
Il y a des plusieurs places. Ou chacun sa place, mais bon, c'est des places entre 20 et 30 euros pour la moyenne. Je ne parle pas du TMG nécessairement.
Si on ne rentre pas dans les catégories sociales. Donc, ce n’est pas donné. Donc, les gens, ils viennent rarement, en fait, de ce que j'ai constaté, ils viennent consommer du divertissement.
Ils veulent sortir de leurs habitudes, de leur quotidienneté, de ce qui forge leur quotidienneté. Et venir voir un spectacle qui va rentrer dans l'intime, dans un lieu dans lequel tu n'es pas habitué, ou peut-être que tu as aussi des complexes de classes, parce que ça reste quand même des environnements de culture, ça peut être très impressionnant. Il y a des codes aussi.
Quand on vient en tant que public, il y a un code en tant que spectateur. Si on ne nous a pas transmis, comme tu dis, ça peut tout de suite devenir très intimidant. Et en fait, venir questionner l'intime avec des gens qu'on ne connaît pas, dans une salle dont les codes peuvent être parfois, nous rappeler la domination qu'on subit dans notre quotidienneté.
En tout cas, moi, si je devais supputer quelque chose, ce serait plus ou moins ça de ce que j'ai constaté.
C : Et pour autant, c'est des vrais freins, tout ça. Pour autant, le sujet, je suis persuadé qu'on va trouver énormément de personnes qui aiment le divertissement, mais qui, par ailleurs, à la télé vont regarder des émissions politiques et d'informations, des débats, qui vont aussi regarder des documentaires, et ils n'acceptent pas pour le spectacle vivant cette approche documentaire, cette approche un peu plus... Parce que le divertissement, c'est regarder ailleurs.
Regarder ailleurs, ça peut être un spectacle de bouffonnerie comique, mais ça peut aussi être un spectacle plus intelligent, plus fin, qui nous divertisse et qui nous amène ailleurs de notre quotidien, dans un sujet peut-être un peu plus profond. C'est ça aussi, pour moi, le divertissement, c'est aussi un spectacle sérieux et intelligent.
Y : Oui, je vois ce que tu veux dire, qui va chercher à questionner des choses.
C : En tout cas, la diversité, elle amène à toucher d'autres publics, mais elle doit se manier avec intelligence et pas avec des labels « j'ai fait ça, donc j'ai fait de la diversité ». Non, derrière, qui est venu ? Et des français passent à côté.
[…] On quitte son bureau, on se dirige vers le Hall.
C : Du coup, le rapport à l'acceptabilité, c'est de se poser la question dans quelle mesure c'est acceptable pour un groupe d'individus ou un individu, ce qu'on lui propose. Donc après la traduction dans mon métier, c'est les modalités de réservation par exemple. On est à l'heure d'internet, admettons, on fait l'impasse sur internet et on décide de faire exclusivement de la commande par courrier postal.
On ne serait pas pertinent, on ne serait pas dans l'air du temps, et l'acceptabilité du public serait très faible, donc on aurait des retours négatifs. Autre chose par exemple, on décide d'une politique de zéro retardataire. Au moment du lancement du spectacle, à 20h05, 20h10, ça dépend à quel moment ça commence, on refuse systématiquement les retardataires, sans souplesse.
Il faut mesurer l'acceptabilité et on peut avoir de bons rapports d'acceptabilité si on amène toute une pédagogie sur cette décision. Autant se passer d'internet aujourd'hui en billetterie, ce serait impensable. On peut envisager le zéro retardataire, après il faut faire de la pédagogie et puis trouver des réponses, c'est-à-dire éventuellement changer le billet de la personne. Le problème de ça, il faut aussi l'avoir en tête, c'est des personnes qui font exprès de ne pas venir parce qu'elles ont soit plus envie, soit elles ne sont pas dispos, et qu'elles demandent le lendemain à ce qu'on change leur billet.
Après du coup ça fait une opportunité de désistement qui est assez forte, et la possibilité de perte du public et du coup de baisser en fréquentation, de baisser en recette, parce que le billet, quand on le scelle le lendemain, le billet, on ne l'a pas vendu la veille, mais on l'annule. Donc on transfère le chiffre d'affaires, mais du coup un billet à 16 euros, c'est 16 euros de moins sur la recette de la séance. Voilà, du coup l'acceptabilité, c'est pour moi le fait de faire du chemin vers l'autre et de se mettre à sa place dans les conditions qu'on lui propose, et de se dire « est-ce que moi je me sens bien dans ces conditions ou est-ce que je me sens mal dans ces conditions-là ».
On parlait des sons au théâtre, et on va aller voir où se situe cette petite sonnette. Ça, ça me rappelle vraiment les années 94-2000 quand j'étais ouvreur, la sonnette elle était systématique, ça c'était envoyé 5 minutes avant le début, et il y avait un effet direct, les personnes qui prenaient leur temps à la discussion, elles se mettaient tout de suite en mouvement pour rejoindre la salle. Et du coup voilà c'est là.
Là c'est un endroit stratégique parce qu'on l'entend à la fois de l'extérieur et à la fois dans le hall. On ne s'en sert plus aujourd'hui, il y a un côté assez violent. On en parlait tout à l'heure de la violence, c'est assez violent comme truc aujourd'hui, on est plutôt sur des moyens humains où on va chercher les gens. Donc les personnes, qui sont en charge d'accueil public vont vers l'extérieur pour voir s'il n'y a pas des gens qui traînent, qui sont un peu à prendre leur temps à discuter pour leur demander de venir en salle, et les personnes qui sont ici aussi on va vers elles. Vous attendez quelqu'un, ou est-ce que vous n'avez pas vos billets, etc. Donc on est plutôt dans une approche plus soft.
Y : Je trouve ça très intéressant ce que tu dis en lien avec la violence et l'acceptabilité par rapport à un public, ce qu'on propose et la marge d'acceptabilité en fonction de comment on met en place les choses, et que ce son de cloche propre à une certaine époque, aujourd'hui. Situ expliques que ça peut être violent, ça ne te manque pas parfois, tu n'as pas des fois envie d'appuyer.
C : Si, je sais, j'ai envie d'appuyer.
Y : Encore aujourd'hui, parce que ça te manque ou juste parce que...
C : Non, parce que le fait aussi de supprimer toutes ces violences c'est très positif, mais on est en train de glisser vers quelque chose qui est de l'extrême souplesse vis-à-vis du public, à leur en faire oublier leur responsabilité, celle d'être à l'heure, celle de respecter la date sur laquelle ils se sont portés eux-mêmes. On ne leur a pas imposé une date, ils ont fait le choix de ce rendez-vous eux-mêmes, et ils arrivent parfois avec une extrême légèreté, de tout leur est dû, et on doit se plier en quatre pour leur trouver une solution.
Et ce son, c'est aussi, ça c'était pour secouer le public. « Et allez-y, le spectacle va commencer. » Et c'était aussi globalement une approche de l'accueil et de la billetterie qui était un peu plus, comment dire, moins dans l'accompagnement. En gros, ils ne peuvent pas venir, ils se débrouillent. Et on acceptait beaucoup plus le fauteuil vide sur billet vendu, avant.
On acceptait aussi beaucoup plus le fait d'annoncer complet et de ne pas chercher de solution. Or aujourd'hui, on veut des salles complètes, mais pour autant quand les personnes viennent sans billet sur une séance complète, il faut absolument leur trouver une solution. Le plus possible.
Du coup, on surjauge. C'est-à-dire qu'en fait, on débloque des places en fonction du nombre d'absents. Si on a dix personnes, qui ne sont pas venues et cinq personnes qui n'ont pas de billet, juste avant le début, on voit bien qu'il y a dix absents.
On va libérer cinq places pour ces personnes-là. Chose qu'on n'aurait pas forcément fait avant. Bon aussi, on avait aussi moins de marge.
Aujourd'hui, on a plus de marge parce qu'on n'ouvre pas les salles à 100%. Aujourd'hui, les lieux, surtout le Grand Théâtre, il a énormément de contraintes visuelles avec des à côté qui créent de l'angle mort, parfois des places en hauteur qui créent un angle mort, mais pas un angle mort de côté, un angle mort de dessus. Quand on a un bord de scène qui est à cette hauteur-là et un regard qui est placé au-dessus du bord de scène, ça vient faire un angle mort comme ça.
Et la position de la frise est vraiment importante. Ça, ça devient important sur de la voltige, pour du cirque, par exemple. Donc dans ce cas-là, les places les plus hautes, on ne va pas les vendre.
Par exemple, au balcon, on ne va pas vendre que cinq rangs au lieu de neuf. Ce qui fait que quand on a un plan de salle sur un lieu à 600 places où on ne vend que 400 billets, parce que la jauge, on va dire, c'est 400 où on va bien voir, les autres places n'offrent pas une bonne visibilité, ça nous offre un peu de marge. Avant, on n'avait pas cette marge-là.
Du coup, c'était aussi l'idée... L'approche du TMG avant, c'était que toutes les places sont à vendre et les gens sont informés que toutes les places ne sont pas forcément bonnes, mais on vit bien avec. On ne va pas se casser le trognon pour trouver des solutions à tout.
Donc il y avait une approche plus pragmatique et qui accompagnait moins le public. Aujourd'hui, elle ne manque pas de pragmatisme, mais elle est plus bienveillante.
Y : A ton avis, cette question de l'évolution, de l'accompagnement du public, comment tu l'as vécu, comment tu l'as observé ?
C : Ça a été une rupture, parce que j'ai été beaucoup formaté avec l'ancien fonctionnement. Cette rupture, ça met du temps à l'intégrer. Je suis assez convaincu de le faire, mais elle n'est pas sans contraintes.
Elle n'est quand même pas sans contraintes.
Y : Tu peux donner des détails ?
C : Par exemple, pour faciliter la souplesse de la réservation du public et passer facilement d'une date à l'autre ou d'un spectacle à l'autre, on a fait le choix ici de faire du placement libre et non numéroté. Ça fait que si j'ai des places qui sont identifiées au troisième rang, en fait, elles ne sont pas au troisième rang, ça ne me fait pas de trous dans la salle quand c'est non numéroté. C'est une facilité de gestion qui est vraiment adaptée à ces réponses-là.
Si on devait passer à du numéroté, il sera plus difficile de garder cette souplesse. On en perdra un petit peu. Donc, ça s'est retrouvé dans le métier, dans l'accueil du public.
Ça fait aussi qu'un spectacle, qui peut être annoncé complet pendant plusieurs semaines, n'est pas forcément complet la semaine qui précède parce que comme la date arrive, il y a des personnes qui disent finalement je ne suis pas disponible ou j'ai pris d'autres engagements ou je n'ai plus envie d'y aller. Donc, ils vont rendre leur billet et souvent, on arrive à leur trouver des solutions en leur proposant un billet pour un autre spectacle. Donc, ça recrée de la disponibilité.
Y : Ce que je trouve intéressant dans ce que tu viens d'expliquer, c'était à quel point la jauge prend en considération l'architecture de la salle elle-même. C'est une architecture de théâtre à l'italienne qui repose sur les perspectives de l'œil du prince. Évidemment, il y a des parties, comme tu as dit, où la visibilité est moindre comparée à d'autres places.
L'autre fois, quand je parlais avec les régisseurs ou même avec le directeur technique, ils expliquaient que le fait d'avoir une salle à l'italienne et que l'évolution des spectacles fait que ça jouait sur la visibilité. Comment tirer parti d'une salle à l'italienne pour des spectacles contemporains qui, eux, reposent quand même sur une vision assez horizontale dans leur dispositif ? J'avoue que je ne m'attendais pas à ce que la jauge prenne ça en considération.
C : En fait, elle est obligée parce que quand on regarde la configuration des trois lieux, Théâtre de Poche, Théâtre 145, il n'y a pas d'à côté. Le gradin, il est en largeur scène, il n'y a pas d'angle mort. Au 145, les petits à côté, on ne les vend plus, on ne les ouvre pas, sauf pour quelques collègues, mais voilà, que des personnes de l'équipe.
Ici, on fait à peu près la même chose. En fait, on est en train d'adapter des lieux au standard d'aujourd'hui qui sont de la vision généralement de plein pied, parfois en tribune, mais rarement à un étage, rarement. Des fauteuils uniquement largeur scène et pas en dehors du cadre.
Largeur scène, donc on reste dans le cadre, il n'y a pas d'angle mort. En fait, on adapte nos lieux au standard d'aujourd'hui.
Quand le standard était le théâtre à l'italienne, tous les spectacles étaient créés dans cette idée-là. Et du coup, les mises en scène, elles étaient un petit peu en biseau. Le jeu, il n'était pas sur l'ensemble du plateau, mais plutôt comme ça, de manière à ce que l'essentiel du jeu soit visible par tous et toutes à la fois en dehors du cadre comme dans le cadre.
Maintenant que le standard c’est devenu fauteuil dans le cadre de scène et pas en dehors, les spectacles sont créés pour ce standard-là. Le standard pour moi aujourd'hui, c'est la Belle Électrique, la MC2, La Vence Scène, qui ont des salles récentes. Et on a de plus en plus d'équipements qui sont rénovés ou construits comme ça.
Y : En entrant, tu t'es directement installé au siège de la billetterie, normal, parce que c'était à côté des lumières et de la cloche. J'imagine que c'est pour ça que tu t'es mis là directement. Mais moi, quand je viens, je suis côté public.
Et en étant deux secondes derrière, je me suis dit, c'est quand même un espace, le hall, assez spécifique. C'est un cercle, on voit quand même depuis la billetterie, on voit un peu tout ce qui se passe. Et ce n'est pas tous les endroits ou les vieux théâtres où depuis la billetterie, on peut voir tout ce qui se passe.
C : Par exemple, à MC2, c'est l'inverse. Là, la billetterie, elle est en retrait, mais elle a vision sur tout. Et quand on arrive, on ne voit pas forcément la billetterie.
À MC2, on voit tout de suite la billetterie, et c'est elle qui est complètement entourée par le lieu d'accueil. Alors, ils ont vision sur tout, mais ils sont obligés de tourner sur eux-mêmes. Alors que nous, on a vision d'ici à peu près.
Donc, 90% du hall, on le voit sans avoir à tourner sur nous-mêmes.
Y : Et alors, quelle influence ça a sur le travail quand tu es ici, dans cet espace ?
C : Nous, on a une coupure avec le public, plus qu'à MC2, par exemple. Après, la conséquence... Je dis conséquence...
Je trouve que c'est... Bon, déjà, ce qui est bien, c'est que la billetterie est avant le point de contrôle. Le contrôle, il se fait au niveau des portes qui sont là.
Ce qu'on n'a pas fait hier au Théâtre de Poche, qui est un non-sens en termes d'accueil, c'est-à-dire public, contrôle, billetterie, ça marche mal. Après, je dois te dire... Je ne sais pas, je suis là depuis tellement longtemps, j'ai un peu du mal à m'en rendre compte.
En tout cas, des trois lieux, c'est celui que je trouve le plus confortable. Mais peut-être, c'est dû à l'habitude et que j'habite beaucoup plus ce lieu-là que les autres. Les autres, je vais faire un service, je m'y rends.
Alors que là, j'y vais tous les jours.
Y : Hier, j'étais censée collecter des paroles, mais j'étais trop fatiguée, parce que j'en avais fait toute la journée et que je n'arrivais plus à entrer en contact avec les gens. Donc, je suis restée assise avant le spectacle Au Nom du père. J'arrive, je parle avec Renaud, et du coup, il parlait de toi, il disait « mais il est parti vite fait aller chercher l'ordinateur, il est revenu. Wow, il l'a fait en 15 minutes, mais comment il a fait ? » Et du coup, j'étais « ah, il a dû aller chercher un ordinateur. » S'il est parti en coup de speed, c'est que sûrement c'était essentiel pour le bon déroulement de la soirée.
Du coup, est-ce que je peux me permettre de demander qu'est-ce qui s'est passé et pourquoi il n'y avait pas d'ordinateur là-bas ?
C : En fait, ce qui se passe, c'est que les ordinateurs qui sont au Poche, c'est des ordinateurs sur lesquels on n'a pas accès au logiciel de billetterie. Il fallait absolument que je vienne récupérer cet ordinateur, qui est paramétré en plus exclusivement pour le Théâtre de Poche. Je ne pouvais pas utiliser un autre ordinateur, c'était impossible.
Et on fait le choix de ne pas laisser l'ordinateur aux poches. C'est pour pouvoir l'utiliser en dehors, parce qu'aussi on va trop rarement au Poche. On y va des fois une à deux fois par mois.
On le rapatrie à chaque fois. Alors qu'au théâtre 145, on assure une permanence toutes les semaines. On laisse le poste de billetterie en place, et quand on arrive, on n'a rien à amener.
Hier, je suis parti sans penser à prendre ce PC. Si je n'avais pas ce PC, je ne pouvais pas bosser hier. Donc, potentiellement, ça met un gros stress.
Je savais que j'avais le temps. Le tout, c'est que je n'allais pas pouvoir participer au brief et faire le point avec Barbara des Arts du Récit. Parce qu'hier, on était sur une billetterie partagée sur deux points.
Les Arts du Récit ont vendu des billets aussi. Du coup, ça m'a mis dans le jus et ça a accéléré tout. C'est jouable, mais j'avais absolument besoin de ça.
Sinon, je ne bossais pas.
Y : C'est vrai qu'habituellement, en tout cas dans les espaces en lien avec les spectacles, il y a rarement d'autres endroits. Enfin, si, il y a d'autres endroits, mais pas... J'essaie de poser correctement la question.
Habituellement, il y a plusieurs salles, mais dans le même bâtiment.
C : Oui.
Nous, on est comme la MC2, mais en distance. Je voulais en parler tout à l'heure, ça m'était venu. On est un peu comme la MC2, avec trois lieux, mais séparés dans la ville.
Ça nous met des grosses contraintes de transfert de matériel, de transfert de personnel, de prise de poste. À quel endroit je prends mon poste ? Les techniciens sont beaucoup plus impactés.
C'est eux qui font vraiment vivre les trois lieux. Après vient un peu le personnel administratif qui va faire vivre le Théâtre 145. Au Théâtre de Poche, il n'y a pas beaucoup de permanents en administratif qui y vont régulièrement.
On y va pour faire un service. On va faire une demi-journée max, ou une soirée là-bas. Donc, c'est des lieux qui sont moins habités par l'ensemble de l'équipe.
Y : Ok. Super. Est-ce qu'il y a des choses auxquelles tu as pensé depuis tout à l'heure et que je n'ai pas dit ?
C : Ici, il y a vraiment un effet sonore qui est particulier. Il y a un écho qui est un peu un écho d'église. Là, on ne l'entend pas, et on l'entend sur une zone très réduite.
Ici, ça fonctionne. Ici, ça ne fonctionne déjà plus. Je te laisse aller là, au centre, et parler normalement.
Y : Alors, je suis dans le TMG, effectivement. Oui. De là où je suis positionnée, mon écho est totalement différent.
Je fais un pas de côté. Ce n'est pas du tout la même résonance.
C : Ça, c'est un des secrets du lieu, et on ne l'explique pas, cet écho. Et la zone est très, très courte. C'est un cercle qui fait à peu près 30 à 40 centimètres de diamètre, max.
Y : Je veux dire, même des professionnels de l'acoustique, ou c'est vous, à chaque fois que vous êtes là, vous vous en rendez compte ?
C : C'est quelqu'un qui s'en est rendu compte, et ensuite, ça s'est partagé dans l'équipe. C'est quelque chose qu'on amène quand même assez rapidement aux nouvelles personnes, aux nouveaux venus. Donc, l'histoire ne se perd pas.
Si un jour, ça se perdait, ce serait un sacré coup de hasard de retomber dessus. Ce qui serait intéressant, je pense, c'est d'enregistrer le bruit que fait un hall d'accueil, et d'enregistrer aussi une salle quand elle attend le début du spectacle.
Y : C'est ce que je compte faire.
Tout à l'heure, tu as dit une chose. Entrer la première fois dans un théâtre ou dans ce genre d'espace, tu recommandes toujours à ce que les gens viennent un peu plus tôt pour pouvoir prendre le temps de se sentir dans cet espace, de l'observer. Tu as encore le temps de proposer ça aux gens.
Est-ce que tu constates encore que des gens viennent prendre le temps de sentir le bâtiment ?
C : Oui. Il y a des personnes qui viennent spécialement tôt, et on n'est pas dans leur tête et on ne leur pose pas la question, mais on peut supposer qu'elles viennent tôt, pas seulement pour avoir une bonne place, vu que c'est un placement libre, il y a une mise en concurrence du public. Je ne pense pas qu'elles viennent pour ça.
Elles viennent parce que c'est des personnes, qui aiment prendre le temps dans la vie, d'arriver à l'heure, et peut-être que leur démarche, c'est parce qu'elles veulent avoir une bonne place en placement libre, ou alors parce qu'elles veulent savourer le moment et le lieu. Ça, je ne saurais pas dire. En tout cas, à titre personnel, quand je vais dans une nouvelle salle, j'essaie de m'offrir ce temps-là de la découverte et de pouvoir en profiter, pas que le spectacle.
Il y a aussi un truc qui est un peu nécessaire, c'est aussi d'avoir du temps pour me mettre dans la condition d'être spectateur, c'est-à-dire d'arriver avec ses soucis, d'être un peu à la bourre, d'avoir le doute si ça va rentrer, et de finalement pouvoir rentrer, de s'asseoir et ça commence. Moi, ça ne me met pas dans des bonnes conditions, ça marche aussi, mais si je peux arriver dix minutes avant et m'enlever tout ce stress et avoir le temps de switcher de ma vie perso à mon état spectateur, ce n'est pas plus mal.
Y : C'est une question qui est revenue plusieurs fois au fur et à mesure que je t'écoutais, et là, tu viens d'utiliser une formulation très intéressante avec le fait qu'on enlève les places numérotées, il y a une « mise en concurrence des spectateurs ». Tiens, rappelle-moi quand vous êtes passé au sans numérotation ?
C : Le non numéroté, on l'a fait je crois que c'est saison 21-22 ou 22-23.
Y : C'est récent.
C : C'est assez récent, mais il y a eu une phase entre 2018 et 2021 où ça s'est monté en puissance et ça s'est généralisé en 2021. Et avant 2018, la règle était le numéroté, l'exception était le placement limite. Il y en avait quelques-uns.
Et on voyait, vu la réputation de ce lieu, d'être tout le temps complet à l'époque. Sur les spectacles non numérotés, des files d'attente avant l'ouverture où on avait presque plus de 50% du public. Ça partait de l'entrée sur 30 mètres. C'est là où le terme de mise en concurrence est venu à mon esprit.
Y : Tu me peux donner un peu plus d'infos sur ça ? Depuis tout à l'heure, tu as quand même une observation du flux, vu que c'est ça l'objet du travail.
C : Moi, ça m'interpelle. Venir trois quarts d'heure, une demi-heure avant l'ouverture des portes, s'embêter à attendre dehors, dans le froid, rarement la pluie, mais dans le froid, pour tout ça, parce que la salle fait du placement libre et qu'on veut la meilleure place possible, je me dis que c'est quand même un moteur qui t'amène à une patience, plus après le fait qu'une fois que t'es rentré, tu attends encore une demi-heure.
Moi, je ne trouve pas ça pensable. Ça fait trop. Et du coup, c'est pour ça que je me dis, par le placement, on génère un comportement, on peut potentiellement le générer.
Aujourd'hui, on constate beaucoup moins cette affluence. Le public a peut-être pris aussi la mesure des lieux et le travail qu'on réalise, c'est-à-dire qu'il se rende compte que toutes les places sont bonnes, parce que les mauvaises places, on réduit les jauges pour avoir une bonne qualité, offrir une bonne qualité de vision. Et cet effet d'arriver en masse, on le voit sur des spectacles qui sont un peu hors programmation, où on va toucher un autre public ou alors spécifiquement le public du jazz.
Bizarrement, le public du jazz, placement libre, ils sont là à 50 ou 60 ou des fois 80% des gens sont là avant l'ouverture des portes. Ça colle une pression en accueil. Ça met une forme de pression.
D'un coup, on est en veille. Et j'ai trouvé que spécialement le public du jazz était dans cette dynamique-là.
Y : C'est intéressant que tu dises ça tout d'un coup, d'avoir 60 à 80% de la jauge du public qui arrive d'un coup et de se sentir envahis, alors que quand même, pendant des heures, on se prépare, comme tu dis, il y a des briefs avant pour se dire « ok, ils vont tous arriver de telle heure à telle heure, il va y avoir un rush où ils vont tous arriver en même temps. » Du coup, malgré la préparation, le fait d'avoir un groupe d'humains, la présence humaine, même si on s'y prépare, ça change l'espace.
C : Ça change l'espace, ça change le volume sonore, ça change tout. Et on est vraiment plus habitués à ouverture des portes, quelques personnes, 5 à 15 max, et le gros de la troupe arrive un quart d'heure après, c'est-à-dire à moins le quart pour 20h ou à 20h15 pour 20h30. Le pic d'affluence, c'est un quart d'heure avant.
[…]
Y : ...tout ça et en marchant dans le couloir, d'accord ?
C : Du coup, on est encore dans ces sous-sols là où on rattrape l'entrée des artistes. Là, c'est l'entrée des artistes qui donne sur les quais.
Tu vois cette affiche ? Pour moi, on sent la transition qui va du divertissement vers quelque chose d'autre. Et on est encore dans une programmation qui donne l'impression d'être un peu dans le divertissement, rien que dans le graphisme. Après, si on détaille, là, il y a Stéphane Guillon, tête d'affiche. Serge Papagalli, c'est-à-dire théâtre d'humour.
Après, il n'y a pas trop d'autres têtes d'affiches.
Y : Affiche 2015.
C : Et là, on était déjà un peu dans une forme d'entre-deux. On avait des spectacles moins chers, avec des têtes d'affiches moins identifiées. Ça restait toujours sur le ressort du divertissement, facile d'accès.
Après, entre le théâtre purement de divertissement et un théâtre plus contemporain, un théâtre de création, on a eu une période où on avait une part de la programmation théâtre parisien, diffusion-divertissement, une part de la programmation des atypiques, ça va être des choses comme les chiches-capons, la ligue d'impro, des choses qui vont rajeunir la programmation par rapport au théâtre privé parisien de divertissement. Et toujours un volet d'accueil, on a toujours travaillé avec les compagnies locales. Il ne faut pas oublier que le TMG a toujours bossé avec les locaux.
Parce qu'on nous a fait le reproche d'être complètement fermé à la culture locale, c'est faux. Nous n'en travaillions pas beaucoup, mais on ouvrait quand même quelques créneaux. Sauf que c'était que quelques créneaux, alors qu'aujourd'hui, l'ouverture est beaucoup plus grande pour les compagnies locales et régionales.
Et maintenant, on est plus sur une petite MC2, c'est-à-dire qu'on va avoir des spectacles contemporains, des sujets qui font sens, des sujets qui ne vont pas être dans le grand public, mais avec des têtes d'affiches, sans têtes d'affiches. Alors que la MC2, elle peut se les offrir, nous, on n'a pas les moyens. Il vaut mieux rester là-dessus d'ailleurs, parce que sinon, ça ferait deux MC2 à Grenoble. Or, chaque salle a besoin d'avoir son identité.
Le problème, c'est qu'aujourd'hui, l'identité globale des salles a tendance à se confondre, et on fait de plus en plus tous la même chose, on accueille tous les mêmes artistes. Ce qu'on avait l'année dernière, les autres salles l'ont eu cette année, ou ce qu'elles ont eu cette année, nous, on l'aura l'année prochaine, parce qu'on n'est pas toujours les premiers. Donc, on travaille tous un peu avec les mêmes. Et du coup, on s'adresse tous aussi un peu au même public, quelque part.
Du coup, cette diversité, c'est-à-dire, bon, je ne suis pas spécialement client, mais la danse classique, on n'en voit plus, le théâtre classique, on n'en voit pas, le théâtre de divertissement avec des têtes d'affiches, on n'en voit pas à Grenoble. C'est un public, du coup, qui va trouver ça à Lyon, un petit peu au Grand Angle de Voiron, et à Paris. Il y a des personnes qui trouvent ça dommage, ce n'est pas forcément notre boulot à nous de le faire, on l'a fait à une époque, mais se poser peut-être la question d'un point de vue collectif et global sur l'agglo, est-ce que l'agglo, elle peut se permettre de proposer ses programmes, ou est-ce qu'elle peut se permettre de s'en passer ?
À mon avis, la réponse est plutôt à trouver du côté de l'attente du public que des commissions cultures des décideurs. Parce que les commissions cultures des décideurs, elles ne sont pas toujours en phase avec le public.
Y : Ok.
C : On va finir.
Y : Ouais.