Entretien avec Delphine Gouard
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Y : Alors, la première question que je pose un petit peu à tout le monde, qui n'est pas une question précise, qui est, est-ce que tu pourrais un petit peu, avec la personne que tu es là maintenant, l'énergie que tu as, me répéter un petit peu le parcours qui t'a menée ici au TMG, à la place où tu es ?
D : Alors, moi, j'ai fait des études littéraires. J'ai fait une classe préparatoire hypokhâgne et khâgne à Grenoble. Ensuite, j'ai fait un double cursus lettres modernes et arts du spectacle à l'Université de Grenoble.
Donc, j'ai fait un L3 et un M1 et j'ai fait mon M2 en Erasmus en Espagne, à Saragosse. Et donc, toujours avec la double entrée. Non, c'était mon M1, pardon.
J'ai fait en Espagne, donc, lettres modernes et arts du spectacle. Et j'ai fait mon M2 à l'Université de Nice, Sophia Antipolis. Et j'ai fait un M2 sur la médiation culturelle dans les pays du bassin méditerranéen.
Je savais que je voulais travailler dans le domaine du spectacle vivant et que je voulais travailler dans la médiation. Ce qui m'intéressait, c'était comment on fait se rencontrer les artistes et le public, et notamment des gens qui n'ont pas l'habitude d'être en lien avec des artistes. Et par ailleurs, la dimension voyage m'intéressait beaucoup, et particulièrement le bassin méditerranéen.
Donc, j'ai fait mon M2 dans ce cadre-là. Et après, j'ai cherché du travail. Et j'ai décroché mon premier poste, pas du tout au bord de la Méditerranée, puisque je me suis retrouvée dans le Pas-de-Calais, dans les Hauts-de-France, dans une scène nationale qui s'appelle Culture Commune, qui est située à côté de la ville de Lens, donc à 40 kilomètres au sud de Lille.
Et c'est une Scène nationale un peu particulière, parce que c'est une scène nationale qui n'a pas de salle de spectacle dédiée, qui est installée dans une friche minière, puisque c'est au cœur de l'ex-bassin minier du Pas-de-Calais. Et donc, elle est installée dans les bâtiments où, historiquement, il y avait les douches et les vestiaires des mineurs. Et c'est un lieu qui a été réhabilité en lieu de résidence pour des artistes, qui s'appelle la Fabrique Théâtrale.
Et toute la programmation de la Scène nationale se fait en dehors de ce lieu, qui n'est pas un lieu de spectacle, mais un lieu de résidence. Et du coup, il y a 34 communes de ce territoire-là qui ont adhéré à l'association. La Scène nationale est gérée par une association.
Et du coup, toute la programmation de la Scène nationale se fait en décentralisée, soit dans des salles de spectacle de ces communes, s'ils ont des salles de spectacle, soit dans des salles des fêtes, des gymnases, tout ça. Et c'est un projet hyper engagé, parce qu'un territoire assez difficile. Et puis, ex-territoire industriel, donc les mines, elles ont fermé.
Enfin, sur ce site-là, les mines, elles ont fermé en 86. La Scène nationale, elle s'est installée en 98. Et du coup, il y a une volonté politique à un moment donné de se dire que la culture pouvait être un levier de redémarrage économique et d'attractivité.
Et ce n’est pas pour rien que le Louvre a ouvert une antenne. Il y a une antenne du Louvre à Lens, qui a ouvert en 2000. Moi, je suis partie en 2011.
J'avais travaillé à la préfiguration. L'antenne du Louvre, elle a dû ouvrir en 2013 ou 2014, je pense. Donc, c'est une Scène nationale très particulière et qui a un projet très engagé politiquement.
Et c'est un territoire qui est quand même assez pauvre, avec un taux de chômage très important, avec une très grosse mixité sociale. Et la directrice qui a fondé cette Scène nationale, qui s'appelle Chantal Lamarre, c'est vraiment une hyper convaincue et militante de l'action culturelle. Et elle part du principe que l'art est accessible à tous et que ce n’est pasparce qu'on s'adresse à des gens qui n'ont jamais mis les pieds au théâtre qu'il faut leur proposer des petits spectacles ou des sous-spectacles.
Donc, elle mettait la barre artistique hyper haute pour s'adresser vraiment à tout le monde. Et donc, je suis arrivée dans ce lieu-là au départ comme assistante de la personne qui s'occupait des projets jeunes publics famille. Et j'étais en charge du centre de ressources, parce que dans ce lieu, il y a un centre de ressources sur les écritures théâtrales contemporaines.
Donc, une bibliothèque spécialisée en techno-théâtre contemporain. Et du coup, ce premier poste était génial parce que ça me permettait de garder le volet littéraire de ma formation en gérant un centre de ressources et d'avoir le volet spectacle vivant en étant assistante de la personne, qui s'occupait des projets jeunes publics. Je suis restée neuf ans, j'ai changé quatre fois de poste dans le théâtre.
Donc, la personne que j'assistais, elle est partie. Donc, je suis devenue responsable des projets jeunes publics. Après, je suis devenue responsable des projets jeunes publics et théâtre.
Et j'ai fini comme secrétaire générale du lieu. Et je suis partie, donc ça a été une expérience vraiment fondatrice pour moi. Et je suis partie en 2011 et je suis arrivée à Grenoble.
J'ai été embauchée à la MC2, donc à la Maison de la Culture, en tant que responsable des relations avec le public. Donc là, je revenais plus à la dimension médiation. Et pareil, j'ai dû changer trois ou quatre fois de poste.
J'ai été secrétaire générale adjointe, donc j'étais responsable de la billetterie et des relations avec le public. Et j'ai fini directrice du service des publics jusqu'en 2019. Et pour être très franche, j'aimais beaucoup mon poste.
L'équipe que j'avais était vraiment géniale, mais j'avais des relations très, très compliquées avec le directeur de la Scène nationale. Et à un moment donné, j'ai décidé de partir parce que je ne pouvais plus continuer à travailler avec lui. Donc, j'ai cherché du travail ailleurs.
Et il y avait ce poste au Théâtre Municipal de chef de service. Moi, je ne m'étais pas du tout dit que je serais un jour directrice de théâtre. Ça ne faisait pas partie de mon plan de carrière, mais je n'avais pas de plan de carrière.
En fait, je voulais continuer à travailler dans le spectacle, mais je ne m'étais pas dit un jour que je serais directrice d'un lieu. Et à un moment donné, je pense que le fait qu'il y ait une nécessité à ce que je m'en aille et que je n'avais pas forcément envie de quitter Grenoble parce que j'aime beaucoup ce territoire, a fait que je me suis dit bon, c'était une porte de sortie. Donc, je vais tenter sans du tout être persuadée d'avoir le poste.
Et en fait, j'ai été prise. Donc, J'ai commencé au Théâtre Municipal en novembre 2019.
J'ai fait un premier contrat de trois ans et j'ai repostulé il y a un an et demi, donc en octobre 2022. Et je suis en contrat jusqu'à novembre 25. Voilà.
Donc, c'est ma troisième expérience professionnelle, on va dire. J'ai fait neuf ans dans le Nord, neuf ans à la Culture Commune. Et là, est-ce que je ferais neuf ans au TMG ?
Je ne sais pas. J'en suis à quatre ans et demi pour l'instant.
Y : J'ai beaucoup de questions. C'est très riche ce que tu viens de dire parce que ça touche à beaucoup de champs et notamment, il y a un champ que j'aime bien, c'est la notion de territorialité.
Et jusqu'à présent, je n’ai pas pu explorer ça dans les différents entretiens. C'est normal parce que la majorité sont plutôt dans le coin. Ils sont restés.
Je me rends bien compte de l'importance. Est-ce qu'on pourrait revenir sur cette notion de territorialité ? Je ne suis pas de Grenoble, je découvre des coins et je me rends bien compte qu'un Théâtre Municipal et puis même de façon générale, la culture est ancrée dans un territoire.
Qu'est-ce que tu pourrais me dire des spécificités de ce territoire-ci, culturellement ?
D : Alors, je peux en parler en comparaison avec un territoire très différent sur lequel j'ai travaillé pendant neuf ans, qui est le bassin minier du Pas-de-Calais. Moi, ce qui m'a frappée quand je suis arrivée à Grenoble, c'est que déjà, c'est un territoire assez riche d'un point de vue économique. On dit que Grenoble, c’est un peu la Silicon Valley européenne.
Il y a beaucoup d'entreprises dans le domaine de la recherche, des nanotechnologies, etc. Alors que je venais d'un territoire industriel ou post-industriel, donc déjà, on n'est pas du tout sur les mêmes types de moteurs économiques. Du coup, ça engendre une population aussi qui est différente.
À Grenoble, il y a 60 000 étudiants déjà, donc il y a une population plutôt jeune qui brasse des étudiants qui viennent de partout, de la France, de l'Europe et du monde, puisqu'il y a une dimension internationale assez forte sur le campus. Comme il y a des entreprises assez à la pointe dans les nouvelles technologies, du coup, il y a beaucoup d'ingénieurs aussi qui viennent sur Grenoble et souvent de façon ponctuelle, c'est-à-dire qu'ils prennent des contrats pour 3, 4, 5, 6 ans et puis après, ils vont ailleurs. Donc il y a plutôt de gens avec un certain niveau professionnel et aussi économique.
En général, les ingénieurs gagnent plutôt bien leur vie.
Et après, il y a tout un terreau plus lié à la montagne parce qu'on est aussi dans une région touristique. Et en fait, ce qui m'a frappée, c'est que rencontrer des grenoblois de souches qui sont nés à Grenoble, il n'y en a pas tant que ça.
Donc c'est une ville, toi qui ne viens pas de là, ça t'a peut-être frappé, mais c'est une ville hyper cosmopolite, plutôt assez jeune et dynamique. Ça, c'est du ressenti. Je n'ai jamais regardé des stats, mais je pense qu'il y a une population plutôt assez jeune, liée notamment aux étudiants.
Et finalement, des locaux-locaux, il n'y en a pas tant que ça. Et du coup, moi, par rapport au territoire du bassin minier que j'avais connu, on sent qu'il y a des moyens, il y a une énergie, etc., très différente d'un territoire post-industriel avec un taux de chômage à plus de 20%, etc. Alors après, c'est aussi l'arbre qui cache la forêt parce qu'il y a des quartiers, il y a des importants quartiers prioritaires à Grenoble et à Échirolles.
Il y a aussi tout un pan de la population qui n'a malheureusement pas beaucoup de moyens, comme partout, mais je pense qu'il y a des gros gaps d'un point de vue économique entre ceux qui gagnent beaucoup et ceux qui ne gagnent vraiment pas beaucoup. Alors que dans le Nord, je pense que c'est moins flagrant, ce gap-là. Donc ça, je n'ai pas du tout fait de sociologie, mais c'est un peu au feeling.
Et après, l'autre truc, c'est que c'est un territoire qui est hyper riche d'un point de vue culturel.
La MC2, c'est l'une des premières Maisons de la Culture de France, inaugurée en 68 par Malraux. C'est la troisième, je crois, inaugurée à cette période-là. Il y avait auparavant déjà un terreau hyper fort dans le spectacle vivant avec la Comédie des Alpes et puis le Centre Chorégraphique qui s'est installé avec des figures comme Jean-Claude Gallotta.
Il y a 70 ans de décentralisation. Ça a été l'une des villes phares de la décentralisation théâtrale voulue par Malraux après-guerre et on sent que ça essaime encore énormément. Il y a énormément de compagnies de spectacles vivants.
Toutes les villes, Grenoble et les environs, elles ont des structures culturelles. Je ne parle que du spectacle parce qu'il y a trois ou quatre cinémas d’art et d’essai dans une ville de 180 000 habitants. Il y a des musées, dont le Musée de Grenoble qui a une renommée nationale.
On sent qu'il y a un terreau culturel très fort et puis une dynamique d'innovation, à la fois dans le domaine de la recherche que je ne connais pas du tout mais de ce qu'on en dit. Et puis Grenoble, c'est la ville où il y a eu le premier planning familial en France après-guerre. Le quartier de la Villeneuve, c'est l'un des premiers quartiers qui a été pensé de manière écologique dans les années 70, alors qu'on n'était pas encore du tout sur les problématiques d'aujourd'hui, avec un quartier sans voiture, avec des paliers hyper ouverts pour que les gens communiquent plus facilement entre eux.
Il y avait des écoles qui mettaient en œuvre des pédagogies alternatives. Donc ça a été une ville historiquement qui a toujours été en pointe. Et ce n'est pas pour rien qu'il y a eu un gros foyer de résistance en France pendant la Deuxième Guerre, c'était dans le Vercors, parce qu'il y avait ce terreau-là.
Il y a eu l'Ecole des cadres d'Uriage, qui a formé un certain nombre de grands cadres de la fonction publique pendant la guerre et après-guerre. Il y a tout un terreau à Grenoble historique qui fait que ce territoire-là, comme tous les territoires, a ses particularités. Mais il y a une richesse historique et culturelle, et une dimension avant-gardiste très forte.
Et ce n'est pas pour rien, je pense, que ça a été l'une des premières villes de France à élire un maire écolo, il y a dix ans. Après, il y en a eu plein, notamment dans des grandes villes, mais il y avait un terreau, à mon avis, assez favorable à ça. Je ne sais pas si ça répond à ta question, mais voilà ce que moi je dirais de comment je perçois le territoire.
Y : Oui, mais c'est ce qui m'intéresse, comment toi tu réponds, je ne peux pas répondre à ta place.
D : Bien sûr.
Y : Chacun sa réponse, mais c'était très riche. Du coup, tu as pris le poste de directrice ici, c'est de ce que j'ai entendu de ton parcours, tu as à chaque fois habité un bâtiment à travers différents postes. Là, si je comprends bien, tu es arrivé tout de suite sur ce poste.
D : Oui.
Y : Ça joue quand même, quand on a passé à chaque fois des années à découvrir un établissement, son fonctionnement, son propre public, et puis là, on arrive. Alors déjà, est-ce que ce serait possible de définir par rapport aux autres postes, quelle est la particularité d'un poste de direction au TMG ?
Et après, expliquer ton expérience d'avoir pu habiter des établissements, avoir fait différents postes, et là, justement, te retrouver tout de suite à ce poste-là, qui n'est pas n'importe quel poste.
D : Alors, un poste de direction, c'est quoi ? Je vais donc donner ma définition de la seule expérience que j'ai. Et en plus, je n'ai pas été nommée comme directrice, j'ai été nommée comme cheffe de service.
Et ça, au début, je ne voyais pas bien la différence, et maintenant, je la vois. C'est-à-dire que je suis cheffe de service du Théâtre Municipal de Grenoble. Le théâtre de Grenoble est en régie directe, c'est-à-dire qu'il dépend directement de la ville de Grenoble, et plus particulièrement de la direction des affaires culturelles de la ville de Grenoble.
Donc là, la DAC. La DAC gère cinq équipements, le Musée, le Muséum, le Conservatoire, les Bibliothèques et le Théâtre. Et donc, dans la direction de la culture de la ville, il y a cinq services, dont le théâtre. C'est pour ça que moi, je suis cheffe du service théâtre.
Et ce titre-là de cheffe de service renvoie au fait qu'on est dans une organisation plus vaste que seulement le théâtre. Cette grande organisation, c'est la ville de Grenoble, et on est un service parmi d'autres. Et du coup, le mot « chef de service », ça renvoie au fait que, dans mes missions, je fais l'interface entre le théâtre et la grande maison qui est la Ville de Grenoble.
Et en interne, on a un certain nombre de fonctions qui sont représentées, mais il y en a qui ne le sont pas, parce que ces fonctions-là sont prises en charge par les services qu'on a, ce qu’on appelle les services ressources de la ville. Par exemple, on n'a pas de comptable propre en interne, mais on a une comptable qui fait partie de la Ville et qui s'occupe d'autres établissements. On dépend du service finance de la ville, même si on a une responsable administrative et financière.
En com, on a une chargée de com, mais on dépend du service communication de la Ville. Donc, on est un élément dans un grand tout. Et cheffe de service, ça renvoie à ça, c'est-à-dire que ce n'est pas seulement je gère le théâtre, mais je suis, quand je dis interface, je ne suis pas la seule.
J'ai plein de collègues qui sont aussi en lien avec la Ville, mais c'est moi qui représente le service au sein de la grande maison qui est la Ville. Donc, ça, c'est une particularité de ce poste-là. Et j'aurais presque tendance à dire que ça pourrait être un job à part entière, parce que, par exemple, moi, je ne suis pas complètement maîtresse de mon agenda, parce que tous les 15 jours, j'ai une réunion avec la direction des Affaires culturelles et les autres chefs de service des autres équipements.
Tous les 15 jours, j'ai une réunion avec... J'ai un chef au-dessus de moi. Donc, en général, quand on est directrice de théâtre, on n'a pas de chef, si ce n'est le président de l'association ou le PCC.
Mais là, moi, j'ai un chef au-dessus de moi, le directeur des Affaires culturelles. Donc, je le vois tous les 15 jours. J'ai un certain nombre de réunions que je n'aurais pas si je ne travaillais pas dans un Théâtre Municipal.
Et c'est vrai que ça, ça prend pas mal de temps. Et j'ai commencé à comprendre la différence entre cheffe de service et directrice de théâtre, parce qu'il y a tout ça que je n'aurais pas si je dirigeais un théâtre, qui avait un statut associatif ou un PCC. Donc, ça, c'est sur le volet plus administratif et plutôt sur le volet chef de service.
Et après, sur le volet directrice de théâtre, ça peut, je pense, se rapprocher d'un poste dans un autre théâtre qui n'est pas municipal. C'est que je suis garante de la ligne artistique du théâtre, sachant que je suis même un peu plus que garante, parce que quand je suis arrivée, le projet du théâtre a énormément changé depuis que Piolle a pris la mairie il y a dix ans. Et quand je suis arrivée, il y avait une ébauche de projets qui avaient été faites.
Et moi, ce qu'on m'a demandé, c'était d'affiner ce projet, de le rendre concret et de le mettre en œuvre. Alors qu'en général, quand on postule à la direction d'un lieu, on est nommé sur un projet. Donc moi, je n'ai pas eu à écrire de projet.
Mais par contre, j'ai eu à affiner un projet, qui avait été écrit par mon prédécesseur, à le rendre concret. Et j'ai quand même dû rédiger un projet, parce que Piolle est arrivé il y a dix ans. Il a été renommé, il a été réélu plus tôt, il y a quatre ans, avec une nouvelle adjointe à la culture et qui a demandé à tous les établissements culturels de la ville, soit de mettre à jour leur projet d'établissement, soit d'écrire un projet d'établissement en tenant compte de la feuille de route politique de l'élu.
Et donc moi, je n'ai pas été nommée sur un projet, mais j'ai dû mettre à jour plutôt le projet du théâtre l'année dernière. Et le projet a été voté en conseil municipal en février de cette année. Et du coup, moi, mon travail, ça a été de rédiger ce projet-là.
Et je suis garante de sa mise en œuvre. Donc concrètement, ça veut dire faire la programmation, poncer la politique d'action culturelle et voir comment je réponds à la commande publique, à la feuille de route politique de l'élu. Ça, c'est la dimension artistique et politique, on va dire, de mon poste.
Et après, ça, on l'oublie souvent, mais je dirige une équipe. Donc un théâtre, c'est une petite entreprise, même si on est dans le public. Et du coup, il y a un gros volet organisation interne et ressources humaines. Donc mon boulot, c'est aussi beaucoup de gérer des gens. Et j'adore ça. Donc j'ai trois personnes, on est quatre dans l'équipe de direction.
On est organisé en trois pôles. Et donc moi, je suis la responsable des trois responsables de pôle, qui eux-mêmes sont responsables d'un certain nombre de personnes. Et du coup, ça, c'est l'autre volet de mon travail.
C'est le volet : gérer des gens pour que les conditions de travail soient réunies pour mettre en œuvre le projet, le projet du théâtre. Voilà, je dirais que le poste de direction, c'est ça. Et par rapport à la question que je suis arrivée directement à ce poste-là, alors que dans mes autres expériences, j'avais gravi les échelons.
Y : Ce n'était pas dans le sens de gravir les échelons que je voulais dire, dans le sens que tu as fait plusieurs postes, et donc du coup, tu n'abordes pas la vie d'un établissement de la même manière d'un poste à l'autre. Et donc, ça développe aussi ta compréhension de cet établissement, même de ta relation aux autres collègues. Ça joue, c'est important.
D : Alors, c'est vrai que dans mes deux expériences précédentes, quand j'ai changé de poste, ça a été quand même à chaque fois, on va dire des promotions, c'est-à-dire que j'ai pris un peu plus de responsabilité à chaque fois. Et le risque, c'est que j'étais au même niveau que certaines personnes, et puis après, je me retrouve au-dessus de ces personnes-là. Et parfois, c'est mal vécu.
Et moi, ça s'est toujours bien passé. Alors, je ne sais pas si c'est de la chance ou j'ai peut-être aussi généré ça. Enfin, c'est toujours un ensemble de choses, mais en tout cas, ça n'a jamais posé problème aux gens avec qui j'ai bossé que je sois au même niveau, puis qu'un jour, je devienne leur responsable.
Ça s'est plutôt très bien passé. Et c'est vrai que ça a permis à chaque fois de m'asseoir sur... Je pouvais m'asseoir sur le bagage que j'avais acquis sur un poste.
Je pouvais m'appuyer dessus pour reprendre des choses encore plus... Enfin, d'autres nouvelles choses sur mes épaules. Et moi, qui n'ai pas beaucoup confiance en moi d'un point de vue professionnel, ça me rassurait parce que ce n'est pas la même chose de changer de poste au sein d'une structure que tu connais, tu connais tes collègues, tu connais les fonctionnements, etc., que d'arriver d'emblée à un poste où il y a tout à découvrir. Et donc, c'est toujours une période de fragilité. Et en plus, quand t'arrives à un poste de direction, les gens, ils se disent que t'arrives et que tu sais faire le job, alors que je n’avais jamais été directrice de lieu, en fait. Alors, je crois que je ne me suis pas trop posé la question parce que...
Comme il fallait que je m'en aille de la MC2, il y avait un côté... Bon, il ne faut pas que je laisse passer cette opportunité, mais je ne suis pas allée par défaut non plus. Moi, ça m'intéressait quand même.
Et puis, le Théâtre Municipal, c'est 21 personnes. Moi, quand j'étais à la MC2, je gérais une équipe qui faisait la même taille. Donc, ça ne m'a pas tellement fait peur parce que...
J'ai géré 20 personnes, j'avais déjà fait, mais parce qu'il y en avait 60. Là, c'était 20 personnes et c'était que 20 personnes, ce qui était déjà beaucoup. Mais je pense que la taille de l'équipe ne m'a pas fait peur parce que je connaissais déjà et je trouve que c'est des échelles d'équipe qui sont encore à taille humaine.
Donc, ça, ça me faisait un peu... Ça m'a rassurée. J'arrivais sur un territoire que je connaissais.
Donc, tout le volet partenariat, même si j'allais les développer d'une autre façon, je pouvais déjà m'asseoir là-dessus. Je n'avais pas à découvrir un territoire que je ne connais pas, etc. Et puis, en termes financiers, c'est un théâtre qui a un budget 8 fois inférieur à la MC2.
Et du coup, pour autant, je n'avais jamais géré un budget aussi important. Mais j'arrivais dans une structure plus petite que la MC2. Et je pense que ça m'a rassurée parce que je me suis dit que je vois à peu près la taille et je devrais réussir à m'en sortir.
C'est sûr que ça va peut-être être plus difficile pour moi de prendre un poste de direction sur un territoire que je ne connaissais pas du tout dans une structure plus grosse. Donc là, je n'ai pas gravi les étapes en interne comme je l'avais fait précédemment. Mais il y avait quand même des éléments comme si j'étais déjà un petit peu...
Si ce n'est dans la structure, en tout cas, j'étais déjà sur le territoire. Donc, je pense que ça m'a aidée à la prise de poste.
Y : OK. Du coup, on a un petit peu parlé du territoire, de toi, de ton parcours. Ce serait bien d'attaquer le moment où tu es arrivée ici, ce que tu as découvert au fur et à mesure de travailler dans ce bâtiment.
Ce qui te touche aussi sensiblement, parce que c'est aussi l'intérêt de ces entretiens, de ne pas juste focaliser sur la partie formaliste, factuelle des informations, mais aussi toute une partie sensible. Il y a une gestion humaine aussi. Donc, il y a depuis une rencontre avec le public, une programmation, les artistes, le secteur aussi.
Qu'est-ce qui fait la spécificité du TMG aujourd'hui, selon toi, avec ce que tu as vu ces dernières années ?
D : Alors, t'as posé beaucoup de questions. Non, non, mais ce n’est pas grave. Ouais.
Alors pour être sur des choses concrètes et le bâtiment en tant que tel, déjà, le TMG, ce n’est pas un bâtiment, mais c'est 5 lieux. Pour être franche, c'est des lieux que je ne fréquentais pasbeaucoup quand j'étais à la MC2, parce que déjà, à la MC2, il y a une programmation tellement énorme que je n'arrivais même pas à voir tous les spectacles, les 80 spectacles par an. Alors comme j'ai toujours adoré le spectacle, je continue à aller en voir ailleurs.
Mais la programmation du Théâtre Municipal qui, à l'époque, était très tournée, pour faire simple, sur le théâtre privé parisien, moi, ça ne m’intéressait pas. Donc les bâtiments, je ne les connaissais pas beaucoup. Le Grand Théâtre, moi, j'en avais une vision d'un bâtiment vieux, un peu désuet, mais j'aime beaucoup.
Moi, j'adore les friches et les vieux bâtiments. Alors je ne dis pas que c'est une friche, mais j'aime bien le côté un peu décati, parce que je trouve que ça renvoie à une certaine période du théâtre qui fait pas mal marcher l'imaginaire, etc. Donc voilà, je connaissais peu le bâtiment, je le trouve hyper moche à l'extérieur, mais à l'intérieur, je trouvais qu'il y avait un petit charme un peu suranné, comme on dit.
Le 145 et le Poche, je les avais déjà un peu fréquentés. Voilà, on sent que c'est des bâtiments qui étaient dans leur jus, mais avec un côté malgré tout un peu chaleureux. Moi, j'étais habituée aux méga salles de la MC2, assez récentes, etc.
Et ce qui est hyper confortable et tout. Mais voilà, les bâtiments, je trouvais qu'ils avaient un certain charme un peu décati, mais qui me plaisait plutôt bien. Et les bureaux dans lesquels on est, c'est un ancien appartement, donc les volumes sont plutôt assez sympas.
J'ai vite déchanté quand j'ai fait mon premier hiver, parce que ce n’est pas bien isolé et je me caillais, mais un truc de fou. Mais je n’étais pas la seule, donc les conditions de travail dans les bureaux sont un peu raides quand même. Au début, j'étais seule dans ce bureau et puis après, on a rebrassé les bureaux.
Donc maintenant, je me retrouve avec Anne et ça me va très bien, parce qu'il y a souvent la figure du directeur ou la directrice, qui a son grand bureau, etc. Et moi, j'ai un peu du mal à assumer la figure de « je suis directrice » avec tout le décorum. Et du coup, ça me va très bien dans un bureau partagé, ça casse un peu cette image-là.
Et puis après, il y a l’atelier décors et l’atelier costumes. Et alors, c'est pareil, ils sont aussi bien dans leur jus, pas pratiques, etc. Mais moi, je trouve ça génial que ce théâtre gère ces entités-là qu'on ne trouve plus dans beaucoup de théâtres en France, mais où c'est là où se fabrique le théâtre avec des vrais savoir-faire et des compétences, qui sont en train de se perdre.
Et alors, je n’y passe malheureusement pas beaucoup de temps parce que je suis toujours un peu débordée, mais j'essaie quand même un peu régulièrement d'aller voir mes collègues et j'adorerais passer une journée à la couture ou à l'atelier décors. Je trouve ça super, quoi. Donc voilà pour les bâtiments.
Et après, ta question, c'est plus sur le projet.
Y : Oui, parce qu'un bâtiment est aussi animé par les projets.
D : Ouais, alors ça, c'est un vrai nœud au TMG, c'est-à-dire que quand je suis arrivée, il y avait eu une réunion des trois théâtres. Donc, Piolle est arrivé en 2014, il a pensé ça à partir de 2015. Moi, je suis arrivée en 2019, 4 ans après.
Donc il y a eu 3-4 ans un peu de flottement. Et donc l'idée, c'était que le Théâtre Municipal regroupe le Grand Théâtre, le 145 et le Poche. Quand je suis arrivée, le Grand Théâtre n'avait pas de nom.
Donc quand tu demandais aux gens le Théâtre Municipal de Grenoble, ils te parlaient du bâtiment ici. Et très rapidement, j'ai proposé qu'on bâtise ce lieu pour éviter que le nom du tout renvoie à une partie. Et je me suis dit, si on veut faire comprendre aux gens que le Théâtre Municipal de Grenoble, ce sont 3 salles, il faut que le théâtre principal ait un nom, comme le Théâtre 145 a un nom, le Théâtre de Poche a un nom.
Parce que si on continue à appeler ce lieu le Théâtre Municipal, les gens, ils vont continuer à réduire le théâtre municipal au Grand Théâtre. Alors on ne s’est pas cassé la binette en termes de nom. On a le théâtre de Poche, puis on a le Grand Théâtre.
En plus, tout ça en période de Covid, machin, tout ça. Si je devais le refaire, je pense qu'on ferait une consultation des gens, comme La Belle Électrique, ils ont fait. Donc on a posé ça.
Et assez vite, j'ai dit, il faut qu'on ait un...
Pourtant, je ne suis pas spécialiste en com, mais j'aurais dit Théâtre Municipal de Grenoble, ça fait un côté un peu vidéo. Et comme ça a commencé à être la mode, les acronymes, le TNP, le TNB, le TN machin, j'ai proposé qu'on travaille sur un nom pour... Enfin, qu'on garde le nom Théâtre Municipal de Grenoble, mais qu'on le réduise.
Et en fait, ça, c’est sorti... Moi, je suis arrivée en novembre. Je vais voir si je te retrouve la brochure.
On était encore sur une ligne de com qui n'était pas très bien identifiée. Et je ne sais pas bien comment j'ai... Enfin, tout ça s'est fait très vite sans l'avoir trop réfléchi, en fait.
Et je vais me rapprocher du micro, parce que...
Je ne sais plus où est la brochure de la saison d'avant, mais il y en a eu d'autres avant. Mais moi, je suis arrivée, je suis allée voir le service.
Donc quand je suis arrivée, il y avait encore une autre brochure avec une autre ligne de com. Je suis allée voir le graphiste de la Ville. Enfin, j'en ai parlé à l'élue, etc., qui était plutôt partante. Et j'ai dit au graphisme de la vie qu'il faut travailler sur un logo. Et voilà, moi, je suis arrivée en novembre 19.
Et en septembre 20, on sortait ça avec « TMG. Une saison, trois lieux. » On a été hyper pédagogiques la première année.
Et donc, ça a bien mis trois ans. Là, je pense qu'on commence à peu près à arriver au bout. Mais il a bien fallu au moins trois ans pour que les gens intègrent le fait que le TMG, c'était trois lieux.
Que ce bâtiment-là s'appelait le Grand Théâtre. Voilà, ce n'est pas encore complètement acquis. Parce qu'il y a encore des gens qui ont l'impression que ce bâtiment est encore fermé, etc.
Mais je sens le parcours qu'on a fait. Et du coup, ça a posé quelque chose, en fait. J'ai répondu à la commande.
Le Théâtre Municipal, c'est trois salles. Ok, on va donner un nom à chaque salle. Il y a le nom générique.
On va en faire un truc un peu plus moderne. On va poser un logo dessus. Alors, on aurait pu faire que de la com, mais on n'a pas fait que de la com.
Mais la com, c'est aussi une façon de raconter ce qu'on fait. Et au fur et à mesure du temps, on a enlevé... Là, il n'y a même plus...
Tu vois l'évolution.
Alors, on continue à le dire au début de chaque spectacle. « Alors, bienvenue au TMG. On vous rappelle que le TMG, ce sont trois salles. »
Et sur les questions de territoire, il y avait ça, que les gens comprennent qu'on est sur trois lieux. Après, ça reste compliqué, parce qu'il y avait le public qui venait au Grand Théâtre. Il y avait le public qui allait au 145 et au Poche.
Aussi parce que les programmations étaient assez spécifiques. Moi, j'essayais vraiment de travailler sur une programmation. Chaque lieu n'a pas son identité artistique.
C'est plutôt quel spectacle on veut avoir et quelle est la meilleure salle pour le spectacle. Alors, forcément, ici, on a des spectacles plus gros parce que le plateau est plus gros. Mais on peut avoir des gens d'une certaine notoriété, qui passent au Poche et au 145 parce que c'est la salle qui correspond le mieux.
Après, ça pose des vraies problématiques. Il y a encore des gens qui se plantent de salles, par exemple, qui se pointent ici alors que c'est au 145. Alors, à chaque fois qu'on a un spectacle, on envoie un mail au spectateur en lui disant « on vous rappelle que ce soir, c'est au 145 ou au Poche. » Alors ça va mieux, Mais ce n'est pas si évident que ça d'être sur trois lieux et de quand même réussir à créer une identité.
Et pour l'équipe, c'est compliqué aussi parce que c'est compliqué de faire équipe quand on n'est jamais tous au même endroit. Donc, il y a une grosse partie de nos bureaux qui est ici, mais il y a aussi des bureaux au 145.
L'atelier costumes, il n'est pas loin, mais il est au quatrième étage. Si on n'y monte pas, on ne se voit pas. L'atelier décors, il est à l'autre bout de la ville.
Et ça, en termes de management, c'est hyper compliqué parce qu'il y a des gens qui ne se voient quasiment jamais, sauf quand on fait trois réunions de toute l'équipe par an.
Et du coup, tu es arrivé ce matin, on était en train de faire un café, mais c'est assez rare qu'on fasse ça parce que même les gens qui travaillent dans ce bâtiment, tu as Clovis qui est à la billetterie, la billetterie, elle est de l'autre côté. Les techniciens, ils sont de l'autre côté du bâtiment. L'administration est là. Et du coup, faire la décentralisation, moi, je suis persuadée que c'est hyper important d'être sur un territoire. C'est ce qu'on est avec trois lieux.
Mais pour l'équipe, ce n'est pas facile, en fait. Parce que gérer des gens... Alors, ce n'est pas parce que les gens sont près de toi que tu les gères plus facilement, mais il y a tellement de choses qui se passent à la machine à café, entre deux portes, etc., que quand tu ne vois pas des gens plusieurs jours de suite, ce n'est pas facile à entretenir le lien et à ce qu'ils se sentent appartenir à un projet plus global, en fait.
Y : Oui. Je comprends. Alors, désolée, je vais devoir...
D : Oui, regarde l'heure parce que...
Y : OK. Alors, des éléments sensibles de l'architecture du bâtiment, des odeurs, des ornementations, qu'est-ce qui toi… il y a des petits détails qui, quand tu passes, te font dire « ah, ça, j'aime bien », ou au contraire, où tu te dis « je suis moins fan ».
D : Moi, j'aime beaucoup le Hall du Grand Théâtre parce qu'avec ses portes capitonnées, ça fait rouge, ça fait vraiment imaginaire théâtre à fond. En plus, il n'est pas très grand, il a une forme circulaire, donc il y a un côté très enveloppant. D'ailleurs, on y fait de plus en plus de trucs parce que c'est un lieu qui est assez chouette.
Moi, je continue à adorer marcher sur... Parce que je ne suis pas comédienne, et de temps en temps, je vais sur le plateau parce que je traverse le plateau ou parce que, voilà, pas du tout pour jouer. Et j'adore le bruit des pas sur le bois du plancher parce que souvent, il y a des tapis de danse sur les plateaux.
Et sur celui-là, au Grand Théâtre, on en met, mais assez souvent, il est nu. Et j'aime beaucoup le craquement du plancher. Et puis, ce que je trouve magnifique dans ce lieu, c'est le grill au-dessus parce qu'on a encore un grill manuel contrebalancé.
Et là, pour moi, on est vraiment dans le côté artisanal du théâtre. C'est un théâtre qui a plus de 250 ans, en plus, donc qui a une vraie histoire. Et souvent, je me dis, mais il y a 200 ans, il y a déjà des gens qui faisaient du théâtre à cet endroit-là.
Et je pense qu'il y a encore les fantômes de certaines personnes ici. Enfin, c'est un lieu qui est chargé, je pense, de quelque chose. Et moi, ça me touche vraiment beaucoup.
Et le 145 et le Poche, ils ont aussi leur charme pour d'autres raisons. On sent que c'est une histoire plus récente, mais il y a un petit côté années 60, années 70 que j'aime bien. Après, moi, c'est plutôt les extérieurs des bâtiments que je n'aime pas.
Enfin, les trois, 145 et Poche, ils sont très carrés, enfin rectangulaires, tagués partout. Puis comme on n'y est pas au quotidien, souvent, c'est fermé. Donc, on a l'impression que les lieux, il ne s'y passe pas grand-chose.
Alors, on a refait un travail sur la signalétique extérieure, il y a deux ans. Et je pense que ça redonne un peu de vie, mais on n'est pas aidé par l'extérieur. C'est vrai que des gens qui ne connaissent pas l'intérieur, quand tu vois le truc à l'extérieur, soit on pense que c'est fermé, soit ça ne donne pas envie de rentrer.
Y : Du mal à distinguer que c'est un théâtre.
D : Oui, c'est ça. C'est pour ça qu'on a retravaillé la signalétique. Maintenant, c'est marqué en gros Grand Théâtre, Théâtre de Poche.
On a remarqué ça. On met des affiches de l'actualité pour que les gens voient qu'il s'y passe des choses. Je ne connais pas beaucoup de théâtre qui soit vraiment beau à l'extérieur.
Puis comme c'est des lieux fermés par essence, il n'y a pas de fenêtre, du coup, on ne voit pas ce qui se passe. Pour peu que la billetterie ne donne pas directement à l'extérieur. On vit surtout le soir, alors qu'il y a plein de gens qui bossent en journée.
Mais on n'ouvre pas les fenêtres en disant « coucou, on est là en train de bosser. » C'est vrai que quand on parle de temple de la culture, pour avoir bossé 9 ans à la MC2, je pense qu'on est bien dans cette définition-là avec la rampe d'escalier, etc. Nous, on fait moins temple, mais on fait quand même des bâtiments un peu mastoc, pas beaux et qui ne donnent pas envie d'entrer dedans.
Pour les publics, il y a un vrai enjeu, ne serait-ce que bâtimentaire, pour que les gens se les approprient. Ça, c'est sûr.
Y : J'ai vraiment une question que j'ai envie de te poser. On est quand même à une époque actuelle où il y a beaucoup de changements. Que ce soit professionnellement, la place des hommes et des femmes est en train de basculer, la technologie, les budgets qui ont une grande influence sur la manière de travailler, d'organiser les choses.
C'est quand même une période assez palpitante. Et là, j'aimerais savoir, toi, comment tu le ressens, comment tu l'observes et comment peut-être tu l'intègres dans ton travail tous les jours ou dans ta manière de gérer tout ça ?
D : Ça me va très bien. Moi, je pense que ce que j'adore dans le travail des artistes, c'est à quel point ils sont le pouls de l'époque dans laquelle on vit. Parfois, ils anticipent même des choses auxquelles on n'avait pas pensé.
Et surtout, ils nous permettent de... Alors, ça ne se voit pas en audio, mais pour moi, ils nous permettent d'élargir le champ des possibles et notre vision. Et à une époque, vu l'actualité, où on est de plus en plus replié sur soi-même, à regarder son petit bout de lorgnette, les réseaux sociaux qui nous font penser que le monde n'est que comme on a envie de le voir.
Pour moi, les artistes, ils nous ouvrent vraiment les écoutilles.
Et je pense que c'est pour ça que je fais ce métier-là, c'est pour permettre au maximum de gens de découvrir des endroits auxquels ils ne pensaient pas aller et décaler un peu les points de vue, qu'on peut avoir de plus en plus étriqués. Et du coup, dans la programmation, on fait du contemporain essentiellement. Parfois, on a des pièces classiques, mais si elles sont montées aujourd'hui, c'est qu'elles font écho, elles nous permettent aussi de comprendre le monde dans lequel on est.
Moi, j'ai fait le choix d'avoir une programmation un peu engagée. Chaque année, on a des spectacles qui parlent de l'inceste, de l'avortement, des migrations, etc. Alors, pas que ça, parce qu'il en faut pour tout le monde. Et puis des fois, vu que la période est un peu plombante, on a aussi envie d'aller voir des spectacles pour se divertir, au sens de se détourner d'eux.
Mais ça me semble important dans les programmations, d'aborder ces questions-là. Sur la question femmes-hommes, je ne me suis jamais posée comme critère, mais depuis trois ans que je fais la programmation, on est au minimum à 50% de créatrices. L'année prochaine, on est à 63%.
Y : Je ne parle pas que des artistes. Je parle en technique...
D : Je te parle au niveau artiste. Effectivement, dans l'équipe, on est à parité, on est 12 hommes et 11 femmes. Le gros job qu'on a à faire, c'est dégenrer les métiers.
Parce que depuis que je suis arrivée, j'ai embauché deux administratrices. J'aurais aimé que ce soit un homme pour qu'on soit deux hommes, deux femmes dans l'équipe de direction, ou autre genre. J'ai eu zéro candidature d'homme.
Pareil sur la médiation, zéro candidature d'homme. Alors qu'en technique, on a essentiellement des hommes. Je ne demande que ça, à mettre plus d'hommes dans l'administration et plus de femmes dans la technique, mais il se trouve qu'il y a encore tout un tas de barrières qui font que quand tu recrutes, les postes administratifs, c'est des femmes et les postes de technique, c'est des hommes.
On a des intermittentes, ça fait partie des axes qu'on s'est donné et on en prend. On n'en a pas encore dans l'équipe permanente. Et sur les postes administratifs, moi, j'en viens à faire deux piles quand je recrute des gens, une pile homme, une pile femme, trois hommes, femmes et autres.
Mais souvent, on n'a pas le choix parce qu'il n'y a pas d'un genre ou l'autre pour rééquilibrer. Donc, voilà. Et peut-être la dernière chose, c'est que qu'on adhère ou pas aux idées politiques de cette municipalité.
En tout cas, moi, je suis allée aussi dans ce théâtre-là parce que je suis profondément écolo et que j'avais envie de mettre en phase mes convictions de citoyenne avec mon métier. Et la mairie n'intervient absolument pas dans les choix de programmation. Par contre, elle donne des orientations et elle a fait tout un travail, la dernière, sur la question des transitions écologiques, démocratiques vers plus d'égalité.
Et donc, on a travaillé sur trois chartes et on nous demande de mettre en œuvre ces chartes en interne. Donc, on a lancé tout un boulot sur la question écologique et aussi question démocratique vers plus de représentativité à la fois femmes-hommes et sur la question des minorités, etc. Et moi, ça me va complètement parce que c'est aussi ma façon de travailler, à la fois dans les choix artistiques et dans les publics qu'on essaye de toucher et dans les compositions d'équipes.
Ça, ça fait partie des critères que, moi, je prends en compte pour essayer de répondre à ces axes de transition, en fait.
Y : Allez, la dernière, et j’arrête. Comment tu imagines l'évolution de cet espace ?
D : Euh... De ces espaces ?
Y : En fait, C'est de la spéculation.
D : Non, mais ça fait deux ans que je bosse sur ces questions-là. Moi, assez rapidement, j'ai dit à la Ville qu’on avait des bâtiments vieux, voire même un peu obsolètes et qui n'étaient plus en phase avec la façon de créer des spectacles aujourd'hui. Et l'une des grosses difficultés qu'on a, c'est qu’on essaye de mettre en œuvre un projet pour lequel on n'a pas les moyens.
Et quand je dis les moyens, ce n’est pas tellement moyens financiers, mais c'est plutôt moyens humains et moyens bâtimentaires. Par exemple, on n'a aucun des trois lieux qui permet d'accueillir des formes bifrontales, trifrontales ou quadrifrontales. Alors que les artistes aujourd'hui, ils repensent beaucoup...
Enfin, ce n’est pas nouveau, mais ils repensent beaucoup le rapport au public. Le Covid a vachement accéléré ça. On ne peut plus jouer dans les salles, donc on joue ailleurs.
On veut être plus proche des gens, sur des jauges plus petites, etc.
Nous, c'est la croix et la bannière parce qu'on n'a pas lieu pour faire ça. Et donc moi, je pousse énormément la ville en leur disant, on a plein de bâtiments...
Enfin, on a un projet qui a été validé, qui correspond à ce que souhaite la Ville, mais on n'a pas les bâtiments pour le faire. Donc moi, la projection, c'est qu'il y ait des travaux dans l'un des trois bâtiments pour le mettre aux normes de ce dont les artistes ont besoin aujourd'hui pour créer. Alors ça, ça prend du temps parce qu'il faut faire des études, il faut des moyens, il faut la durée des travaux, etc.
Mais moi, ma projection, ça serait que d'ici dix ans, parce que les travaux, c'est bien dix ans, il y ait un des lieux qui ait été réhabilité pour pouvoir correspondre mieux aux besoins des artistes et du public aussi. On parlait du fait que les bâtiments extérieurs donnent l'impression de ne pas être très accessibles. On n'a pas d'espace de convivialité dans aucun des trois lieux.
Et boire des coups avant et après, ça fait partie du plaisir d'aller au spectacle, c'est le lieu où on socialise, où on débriefe sur les spectacles, etc. Donc moi, ma projection, ça serait effectivement qu'on ait un des trois lieux qui répondent un peu plus à ce que ce que devrait être. Parce qu'il serait bien que ce soit un théâtre aujourd'hui.
Voilà !